Chapitre 13.1
Je quittai la voiture d'Hanji sans un regard en arrière. Je déboulai dans le hall d'entrée de l'hôpital, en sueur et en panique. Les patients me jugèrent à mon apparition fracassante et à mon accoutrement pendant que je me dirigeai vers l'accueil. Je remontai mon gilet qui me glissait des épaules et soufflai, mon sang en ébullition, ma tête prête à exploser à la moindre bavure.
— Je ne comprenais pas pourquoi ils m'avaient appelée. Et surtout, comment ils avaient eu mon numéro. Je n'avais le droit à aucune nouvelle au sujet d'Eren. Et voilà qu'à deux jours de la fin, on me téléphonait. Le boss devait être derrière tout ça. Je ne pensais à aucune autre explication. En huit ans, je n'avais jamais eu la liberté de mettre un pied dans cet établissement sans les ordres de cet enfoiré.
— « Nous avons le plaisir de vous annoncer l'arrêt des soins d'Eren, m'avait révélé l'infirmière.
— Que voulez-vous dire ?
— Il est guéri madame. Il reste tout de même en observation, mais nous sommes très optimistes pour la suite. »
Pourquoi me l'annonçait à moi ? Putain, comment mon numéro était-il tombé dans leur dossier ? Mon boss jouait à un jeu très limité pour ma santé mentale. Et il le savait.
Je m'approchai du comptoir où une jeune femme avec un casque de communication parlait. J'attendis qu'elle termine, polie, mais à bout de nerfs, et lorsqu'elle me gratifia de son attention, je réussis à formuler une phrase correcte.
— Bonjour. Je dois voir Eren Jäger, s'il vous plaît.
Des yeux marrons se levèrent dans ma direction. Elle me jaugea et tomba son champ de vision sur son écran d'ordinateur.
— Et vous êtes ? me demanda-t-elle
— (T/P) (T/N).
Si elle trouvait mon prénom, je ne comprenais plus rien. C'était impossible que je figure dans le dossier d'Eren, ou dans tous les fichiers du monde. La dame tapa sur son clavier, joua avec sa souris. Chaque geste qu'elle effectuait pouvait être le déclencheur de cette bombe dans mon corps.
— Je suis navrée. Vous n'êtes pas sur la liste des visiteurs autorisés. Vous devez être accompagnée de son responsable légal ou avoir sa permission.
Inspire. Expire. Inspire. Expire. Je me penchai vers son écran. Elle ouvrit le dossier et me montra la seule personne légitime à le voir. Un nom que je ne connaissais pas, mais que je devinais être mon boss. Je me massai les tympans et lui expliquai avoir reçu un appel d'une infirmière concernant Eren.
— Donc, je dois forcément figurer dans son dossier médical. Comment aurait-elle eu mon numéro sinon ?
Elle roula des yeux. Un geste qui marqua la fin de ma patience et de ma politesse.
— Ça doit être une erreur. Repassez avec son responsable si vous voulez le voir. Au revoir.
Son téléphone sonna. Une magnifique excuse pour m'ignorer. Cette pauvre femme n'avait pas idée de ce qui me traversait la tête en ce moment même. Et elle en était le personnage central.
J'étais enfin à deux doigts de revoir Eren. Même si cela puait le piège. Je ne partirais pas d'ici sans l'avoir vu.
— Mon trésor ! Quel plaisir de voir ton joli visage.
Ce timbre enroué me glaça le sang. Je ne m'habituerais jamais à ce qu'il débarque devant moi. Ce vieillard que tous les clients présents dans ce lieu imagineraient gentil, aimable. Il tenait parfaitement son rôle de grand-père.
Un assassin. Un psychopathe. Ils avaient devant eux le diable en personne.
— Allons dehors, mon enfant.
Il me montra la sortie. La froideur de mon regard nourrissait son sourire dégueulasse. J'avais vu juste. Cet appel était un coup monté. À sa hauteur, il apposa son bras sur mes épaules et me colla à son corps boudiné. Il salua la « charmante » hôtesse, s'excusa de mon mauvais caractère et m'emmena à l'extérieur.
Derrière l'hôpital, je m'adossai au mur, lui contre un lampadaire. Nous étions à l'abri des oreilles baladeuses suicidaires. Seulement, pour le moment, ni lui ni moi ne parlions. Il m'examinait des pieds à la tête. Il me dévorait comme si j'étais son fruit défendu. Sa petite cerise sur le gâteau. Je voulais vomir. Dans ses prunelles sombres se lisait clairement tout ce qu'il rêverait de me faire. Des sueurs froides trempaient mon dos. Il me promettait un enfer digne de ma personne.
— C'est vous qui avez demandé à ce que l'on m'appelle ? l'interrogeai-je froidement.
— Tu es heureuse ?
Dans sa veste de costard marron, il piqua une cigarette et la coinça entre ses lippes gercées. Il joua avec son briquet en cuivre avant de l'allumer, puis tira dessus une fois. Il emmagasina assez de fumée pour me la cracher à la gueule. Celle-ci disparut petit à petit à la force du vent. Tout comme la lourdeur dans mes épaules que je trimballais depuis huit ans. Je tombai sur le goudron, amochée. Je relâchais toute la pression que je m'étais créée. Aujourd'hui, je n'avais plus de raison de me battre. Tout était fini.
— Eren était guéri...
Je tremblai des mains. Je les passai sur mon visage humide. Mon rire se déployait de par un trop plein de stress. Mon boss s'agenouilla et tendit lentement sa main pour relever mon menton. Je heurtai ses prunelles marron de mes yeux mouillés.
— Sèche tes larmes. Je ne t'ai pas appris à te laisser-aller. Surtout devant moi.
À quoi bon ? Eren allait bientôt commencer une vie normale. Moi, j'expierais pour mes crimes. Ce n'était pas le final que j'aurais souhaité. Celui-ci arrivait en deuxième position. Mais Eren était guéri. C'était le plus important. Je regretterais juste de ne pas pouvoir être présente à sa sortie et de l'aider par la suite. Je savais que Hanji s'en mêlerait. Je ne m'inquiétais pas trop. Je pouvais me reposer sur elle.
— Que me vaut ce doux sourire ?
Il caressait mon visage de ses gros doigts poilus. Il effaçait toutes les empreintes que Livaï avait posées la veille. Ce type horripilant... Revivre avec lui me terrorisait. Il allait me faire rattraper six ans de malheur. Mais c'était le prix à payer pour sauver ceux que j'aimais.
Il noya mon visage dans sa fumée ardente. Ma gorge me grattait. Il moula sa paume à ma joue, la tapota de plus en plus violemment en prononçant :
— Jeudi sera le plus beau jour de ma vie. Tu n'imagines pas tout ce que je te réserve comme cadeau de retour.
Son haleine de tabac et d'alcool me tenait en apnée. Il réduisait l'écart entre nous en même temps que son regard me considérait d'une lueur menaçante. Il absorbait mes forces. Il déchiffrait mes pensées comme si c'était lui qui m'avait façonné. Et c'était lui... C'était un jeu d'enfant pour lui de lire en moi. Il m'avait tout appris. Il possédait ma vie. Mon corps.
— Ton regard a changé, (T/P), constata-t-il
Il savait à quel point il me terrifiait, car d'une simple analyse, il avait deviné tout ce que j'avais vécu ces derniers jours.
— Je vais te laisser le voir, annonça-t-il en se redressant.
Je l'attendais ce « mais ». Il lissa son costume en écrasant sa cigarette à peine entamée du bout de sa chaussure cirée. Dans quel piège m'embarquait-il ? C'était l'un d'eux où lorsque tu t'y précipites, tu ne peux plus en ressortir.
— Il est dans la chambre 325.
Qu'importe. Je décampai d'ici. Je courus dans le hall sous les cris de la dame d'accueil. Mon boss intervint dans la minute pour la rassurer. Je montai dans l'ascenseur une fois arrivé, et me précipitai jusqu'à la chambre 325.
Face à la porte, je levai mon poing tremblant, la respiration haletante par cette courte course, et me figeai.
Qu'est-ce que je faisais ? Après huit ans de séparation, j'allais me pointer devant lui, sans excuse. De la pure folie. Aussi bien, m'avait-il oublié ? Remplacé ? Je ne lui en voudrais même pas...
J'enfonçai mes doigts dans mes yeux larmoyants et toquai trois petits coups timides. Cette opportunité ne se représentera plus jamais. Je ne pouvais pas faire machine arrière. Surtout lorsqu'une voix des plus graves jaillit derrière cette planche en bois.
Ma main sur la poignée, mon estomac se tordit. Eren avait douze ans à notre séparation. Un petit garçon aux grands yeux verts et au sourire éternel. J'abaissai et poussai. Un courant d'air souleva mes cheveux et hérissa mes poils de bras. Puis, je tombai sur un homme au bord de la fenêtre. Bien plus grand que dans mes souvenirs, des traits creusés, une longue chevelure. Il observait le jardin central d'un air pensif, les sourcils froncés. Et doucement, il posa ses deux pierres émeraude sur moi. Cette couleur de mon enfance qui me transportait dans un monde de douceur.
Seulement, ce monde n'existait plus. Un fort coup de vent fit claquer la porte. J'étouffais soudain. Muette. Statufiée par l'homme à l'expression menaçante qui se redressait à l'aide d'une béquille pour remplacer sa jambe manquante. J'avalai ma salive avec quelques larmes aux passages. Sans le brusquer, j'avançais sous son regard écarquillé. Il s'assombrissait. Il me haïssait.
Je me déchirais de l'intérieur à mesure que je ressentais cette aura de haine m'envelopper. Je sanglotai, levai ma main tremblotante vers son beau visage pâle. Mes doigts se plièrent d'eux-mêmes. Je n'osais pas le toucher. Je n'en avais pas le droit. Eren ne réagissait pas. Il soutenait mon attention en me jetant des lames aiguisées.
Je survolai sa peau, incapable d'entrer en contact avec lui de peur de le salir. Je me retirai. Je reculai. Je n'avais rien à faire là. Il m'avait rayé de sa vie.
— Eren...
— Qu'est-ce que tu viens foutre ici ? m'interrompit-il brutalement.
Il marcha jusqu'à son lit simple, la couverture en boule au milieu du matelas.
— T'as des remords à apaiser ? Des regrets à te faire pardonner ?
Les mots se coinçaient dans ma gorge. Je me prenais de plein fouet sa rancœur. Je m'y étais un peu préparée...
— Tu culpabilises de t'être débarrassée de moi ?
Je fermai les paupières. Qu'il se lâche si celui permettait de se sentir mieux. Seulement, ça n'empêchait pas de piquer. Horriblement. J'encaissai, mais chaque mot se nichait dans un coin de mon cerveau pour ne jamais disparaître.
— T'as du culot pour te pointer devant moi. Pour oser déverser tes larmes. Tu me dégoûtes.
Le monde se fissurait sous mes pieds. Je retombai dans ce trou noir, là où était ma place. Dans les abîmes de l'enfer. J'assumais mon choix d'être présente devant lui, mais je ne réalisai pas à quel point j'allais souffrir.
— Eren, je...
— Parle-pas, s'énerva-t-il, je ne veux entendre aucune excuse inventée de ta part. Tu as dû en préparer des tas durant toutes ces années !
Il rigolait jaune pendant que je me mordais la lèvre. Il avait décidé de me saigner à blanc. Il s'y prenait comme un as.
— Je ne t'ai jamais oublié, Eren.
Je réussis à toute vitesse à sortir cette phrase. Celle qui alluma la mèche de l'explosif coincé dans le cœur de mon ami d'enfance. Il se releva avec brutalité, en oublia sa béquille pour saisir mon épaule et me cogner contre le mur. Il accola nos fronts, sa voix me perçant les tympans pour que j'enregistre les pires paroles de mon existence.
— Je t'attendais ! Jour et nuit ! J'attendais que cette fichue porte s'ouvre sur toi ! Mais les jours sont devenus des semaines, des mois, des années ! Aucune nouvelle, aucune lettre ! Tu avais totalement disparu. Même le vieux ignorait où tu avais fui !
À ce mensonge, je serrai mes poings et les muscles de ma mâchoire.
— Tu espérais quoi comme accueil ? Que je fonde en larmes, heureux de te retrouver après huit ans d'absence ? Que j'allais pardonner ton abandon ? Parfois, je pensais à toi ; quand je réapprenais à marcher, quand j'avalais tous mes médicaments. Je me disais : « elle doit bien profiter de sa liberté, cette pétasse. Elle doit être bien contente de s'être débarrassée d'un boulet comme moi. ».
Profiter... Profiter... La tête plongée dans une baignoire de glaçon jusqu'à ce que je m'évanouisse. Les mains accrochées en l'air pendant qu'on me prenait pour un punching-ball. Les lames qui venaient érafler ma peau pour juger de ma capacité à résister à la douleur. Les coups montés auxquels je devais fuir. Les hurlements de mort tous les jours. Les meurtres par plaisir.
Profiter... Ce mot sonnait. Il ne s'évaporait pas de mon cerveau. Je ne remarquai pas que tout mon corps tremblait sous cet homme. Je claquai des dents comme si je me trouvais tout en haut d'une montagne à moins douze degrés. Je crevais de froid.
— C'...c'est.. faux... articulai-je
— FAUX !?
Il s'éloigna en sautillant sur sa jambe gauche. Il ouvrit le seul tiroir de sa table basse et me jeta un magasine chiffonné à la figure.
— Comme je n'avais plus de nouvelles, le vieux a eu la bonté de m'en donner à ta place y a quelques jours.
Je le positionnai dans le bon sens et me tétanisai sur l'image de Livaï. Et moi. Nous faisions la une de cette couverture lors du séminaire en France. J'avais anticipé ce genre de problème, pour dire vrai, je me moquais de ce que les journalistes allaient raconter sur moi. Je ne faisais que mon travail, mais je ne pensais pas à ce que cela se retournerait contre moi...
— Toute une page vous est entièrement consacrée. La vie te sourit. Je suis même étonné que tu aies trouvé le temps de venir me voir.
— Comment... tu peux croire ça... murmurai-je
J'écrasai mes larmes, le sang chaud, les battements de mon cœur en augmentation. Je froissai ce bout de papier en espérant que cette action suffirait à calmer cette envie de meurtre. Elle grandissait. S'aggravait. Mon boss... j'allais le tuer... C'était décidé.
— Quoi ? lâcha-t-il
— Depuis ton départ à maintenant, je n'ai pas arrêté de penser à toi. Si je me tiens debout devant toi, c'est parce que je n'ai pas cessé de me battre pour mon ami. C'est pour qu'un jour, je puisse te revoir : guéri. Je ne sais pas ce que le boss t'a raconté et je m'en moque, mais je ne veux pas que tu croies que je t'ai rayé de ma vie.
— Le boss ? releva-t-il
— Le vieux, me corrigeai-je avec ses mots.
Il me hurla alors ce que j'avais trafiqué pendant tout ce temps. Où j'étais passée. Que j'invente une histoire ou que je dise la vérité, le résultat en sera le même. Il ne me croirait pas. La noirceur dans son regard me confirmait qu'il n'était pas en mesure de m'écouter. Seulement, c'était mon unique chance aujourd'hui... Je n'en aurais plus après.
— Je faisais ce qu'il fallait pour t'offrir ce dont on m'avait privé.
Il planta ses doigts dans sa chevelure marron. Tira la racine en grognant. Un mauvais rictus me surplombait.
— Fous-le camp, (T/P). Et ne reviens jamais.
J'inspirai mon sanglot. Si mon boss se trouvait derrière la porte, il devait se tordre de rire. Encore une fois, il venait de me montrer que je n'avais plus rien.
— Eren...
Une petite enjambée vers lui, Eren me hurla de déguerpir. Son torse sous son t-shirt blanc se gonflait de manière irrégulière. Ses veines, le long de ses maigres avant-bras, se dessinaient plus nettement.
Je ne veux pas le quitter comme ça, pensai-je. Malgré tout, mon sourire courba mes lèvres. Timidement. Sincèrement. La surprise illumina ses yeux verts. Je laissais ma colère de côté en songeant à tous nos souvenirs d'enfance. Et abaissai la poignée de la porte.
— Je te souhaite tout le bonheur que ce monde puisse avoir.
Je refermai derrière moi et me glissai contre la porte. Face à cette ordure.
— Tu m'as ému.
Sa grosse main poilue se posa sur mon crâne et caressa mes cheveux. Mes yeux fixaient un point dans le vide au lieu de son large pantalon délavé. Il accroissait le rythme de ses mouvements. Emmêlait ma chevelure jusqu'à ce qu'il l'agrippe d'un coup sec et la tire vers lui.
Je grimaçai de douleur, mes mains sur les siennes pour le retenir en vain d'aggraver sa force. Il s'accroupit, sa bouche près de mon oreille, et son souffle chaud et nauséabond s'abattit sur ma peau.
— Livaï Ackerman, prononça-t-il avec dégoût, j'avais pourtant mis un point d'honneur sur ton éducation. Tu frôlais la perfection. Et te voilà éprise d'un homme. Tout ce travail gâchait en si peu de temps....
Des taches noires décoraient ma vue. Je battais des cils pour réussir à les retirer tandis qu'une douleur aiguë traversa mon cerveau. Violemment, il bascula ma tête en arrière et ancra son regard ridé dans le mien. Sa voix s'enrailla à mesure que sa force se décuplait.
— Tu as jusqu'à jeudi pour le tuer et me donner mon argent. Si tu ne le fais pas, Franck s'en chargera à ta place. Simple et efficace.
— Non... gémis-je
Il abandonna mes cheveux pour mon cou, colla mon corps à son gros ventre. Sa bouche à un millimètre de la mienne, il articula :
— Il a volé ce que j'avais si bien conservé putain... C'était ma récompense. Ce fils de pute doit payer.
Il me jeta contre le carrelage. Mes mains amortirent de justesse la chute de mon visage. Je toussai jusqu'à en cracher de la bile et ne tentai pas de me relever. Mes jambes ne répondaient plus.
— Tu as jusqu'à jeudi à la première heure.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro