Chapitre 2
Je vivais en colocation dans une petite maison plain-pied au milieu d'un quartier reposant. La moyenne d'âge des résidents variait entre soixante-dix et quatre-vingt ans. Pour le calme et la tranquillité, je ne pouvais pas rêver mieux. Étant les plus jeunes, les vieux nous choyaient, ma colocataire, Hanji et moi-même. Même si, à ma première année, leur présence me mettait mal à l'aise. Une grand-mère, très aimable, s'occupait du ménage pour Hanji. Elle rangeait chaque pièce de fond en comble alors à mon arrivée, ses habitudes n'avaient pas changé. Je devais fermer ma chambre à clef afin qu'elle ne fouille pas dans mes placards, mais un jour, elle avait réussi à l'ouvrir. Elle pensait m'aider. Sauf qu'à l'époque, cette excuse ne passait pas. Cinq ans après, je regrettais de mettre emporter de la sorte. Je l'avais chassé d'une manière assez violente pour une pauvre femme sans défense. Le voisinage avait eu vent de cette histoire et plus personne n'avait osé frapper chez nous en ma présence. Le point positif était que maintenant, on ne nous dérangeait plus.
Du moins, avec Hanji, le mot dérangé était faible. L'unique raison qui me convainquait de rester dans cette maison était son prix attractif. Non la folle à lier qui vivait dedans. Elle aussi, je l'aurai bien chassé.
Avec ses fêtes tous les week-ends, elle m'en faisait voir de toutes les couleurs. Je passais mes dimanches à nettoyer leurs carnages jusqu'à décider de lui interdire ses soirées tant qu'elle ne serait pas capable de se gérer elle-même. J'en arrivais à lui faire la morale comme mon boss le faisait avec mes collègues. Cependant, cette jeune femme de vingt-sept ans n'était pas qu'irrécupérable, elle était aussi surprenante. Une grosse fouineuse intelligente et surprenante.
À cause de sa naïveté et de sa stupidité, je pensais ne pas avoir de souci avec elle. Elle ne se montrait pas curieuse à mon sujet et je m'en réjouissais. Cet indice aurait dû me mettre la puce à l'oreille. Derrière son silence, caché par un large sourire bright, elle concoctait son plan pour me faire tomber. Elle m'avait guetté jour et nuit, réussissant à faire un lien avec des suicidés. Un soir, je l'avais pris sur le fait. Je l'avais entraîné dans des ruelles sombres avec peu de passage et j'avais surgi derrière elle.
Malgré la lame contre sa gorge, elle n'avait montré aucune peur, aucun débattement. Elle avait plus confiance en moi que moi-même. À la maison, avant que je ne prononce un mot, elle avait déballé ce qu'elle avait sur le cœur. À ma grande surprise, de la tristesse et de l'énervement s'entendaient dans sa voix. Et pour la première fois, je ressentais de la peine. Elle cherchait à m'aider alors qu'elle ignorait tout de mon cas.
Je ne méritais pas qu'on s'occupe de moi, mais elle n'était pas de mon avis. À un après-midi, pendant que je me reposais, elle avait pris un contrat sur mon bureau que je n'avais pas pris la peine de ranger. Elle m'avait dit qu'elle le voyait régulièrement au restaurant où elle travaillait en tant que barman. Ce restaurant luxueux rassemblait des hommes d'affaires et organisait régulièrement des réunions dans de grandes salles voisines. Sans que je demande, elle me fournissait des informations sur mes victimes. J'avais dû lui expliquer comment je procédais pour qu'elle m'apporte tous les renseignements que je désirais.
Je tournai la poignée de la porte d'entrée et entrai dans une zone empestée par un mélange d'alcool, de tabac et pas que, et de sueur. Je plaquai ma main contre ma bouche et mon nez, agressée par cette odeur nauséabonde et laissai la porte entrouverte. J'avançai jusqu'à la fenêtre la plus proche où je faillis me ratatiner à cause de la bouteille vide au sol. Je gardai mon calme, soufflai, les joues bien gonflées, et montai le store.
En découvrant l'état de la maison, je craquai.
— HANJI ! hurlai-je
La cuisine, à ma droite, noyait dans la vaisselle. Des cartons de packs de bière tapissaient le sol et le comptoir. La table basse ainsi que la table à manger se positionnaient les pattes en l'air. Des plumes du coussin de notre nouveau canapé se collaient sur notre carrelage à cause de l'alcool et des cadavres de bouteilles de bière barraient l'accès.
— Hhrrrggg...
Derrière le canapé, des bouts de doigts naquirent et tentèrent de s'y agripper avant de retomber. Je levai les yeux au ciel et marchai en direction du salon. J'y trouvai ma charmante colocataire ivre morte, une bouteille d'alcool vide à la main gauche. Son tee-shirt dévoilait son ventre plat, mais surtout sa culotte et la naissance de son soutien-gorge. Un vrai déchet. Je soufflai du nez, désespérée.
Par la pointe de mon gros orteil, je touchai la morte-vivante et terminai par la retourner sur le dos. Elle grogna dans sa barbe et déversa les dernières gouttes de sa bière dans sa chevelure brune. Épaisse, raide, éparpillée autour de son visage, l'état en était indéfinissable. Ainsi que sa tenue vulgaire qui m'en disait long sur le déroulement de cette soirée.
— Que vais-je bien pouvoir faire de toi ?
Je me grattai une tempe et remontai les volets de la baie vitrée face à Hanji. Lorsque les premiers rayons frappèrent son visage, elle eut le mauvais réflexe d'ouvrir ses yeux et brûler ses pupilles.
— AH ! Mes yeux... Ma tête ! se plaignit-elle, ses mains sur son crâne.
Je ne cachai pas un sourire satisfait devant ses plaintes. Elle roula sur le ventre et tenta de se mettre à quatre pattes. Elle s'aida du canapé et parce qu'elle n'avait pas assez souffert et pour venger le canapé, je me mis derrière elle et poussai le sofa. Hanji perdit l'équilibre avec violence, tombant tête la première sur le front.
— Putain ! Ma tête ! gueula-t-il
— J'espère que tu souffres.
— Va te faire ! jura-t-elle en se massant les tempes.
Je gloussai et l'enjambai jusqu'à sa taille. J'empoignai sa tignasse et ramenai ma bouche près de son oreille droite tandis qu'elle captura mon poignet, tentant de se défaire de ma prise. J'articulai.
— Je te donne une heure pour tout nettoyer.
— Lâche-moi ! Ça fait mal !
Le message passé, je partis dans ma chambre. Je déposai le contrat sur mon bureau et retirai mon trench après avoir pris mon portable. Je l'accrochai sur le porte-manteau et de l'autre côté du mur, des bruits de verre se brisèrent, accompagnés de jurons à répétition. Je l'ignorai et m'assis sur le bord de mon lit. Je tournai mon téléphone professionnel dans ma main et le rangeai dans ma table de chevet. La détresse de cette fille m'amusait.
À sa dernière soirée, deux de ses amis – si je pouvais les appeler comme ça, se trouvaient dans la baignoire. Un autre avait la tête posée sur la cuvette des toilettes et un avait eu la stupidité de s'aventurer dans ma chambre. Cet inconscient avait atteint une limite qu'il n'aurait pas dû franchir. Il n'avait plus remis les pieds dans la maison après notre petite conversation. Pour les autres, une petite musique reposante à fond dans la maison avait suffi pour les faire fuir.
Je quittai mon lit pour ma chaise roulante. J'ouvris le dossier et le relus au calme jusqu'à me décider à retourner dans le salon. Le comptoir supportait sa lourde tête, ses bras se balançaient dans le vide et ses longues jambes blanches maintenaient son poids avec difficulté. Je haussai les sourcils et voyageai mon regard de la cuisine au salon. La table et les coussins avaient retrouvé leurs places. Les bouteilles avaient également disparu. Elle avait fait de son mieux, même si le sol collait toujours sous nos pieds.
Je déplaçai Hanji jusqu'au canapé avec lenteur. Elle grimaça en plaquant la main sur son front dégagé. Je filai prendre un antidouleur dans la salle de bain et remplis un verre d'eau.
— Avale. Je vais prendre le relais.
Elle me montra son pouce en guise de réponse et goba le médicament en avalant tout le liquide pendant que je pris place sur cette pauvre table basse en bois.
— Alors ce rendez-vous ? me demanda-t-elle les yeux clos.
— J'ai un nouveau contrat.
— Mais encore ?
Un fin sourcil noir s'arqua sur son visage creux et une paupière s'entrouvrit.
— On en reparlera ce soir quand tu seras en état, répondis-je
Elle empestait l'alcool. Une douche ne lui ferait pas de mal. Je m'appuyai sur mes mains et croisai les jambes en soutenant cet intense regard noisette qu'elle me lançait.
— Il se peut que j'aie besoin de ton aide, avouai-je en marmonnant.
Je n'étais pas fière de lui demander des services. Je ne voulais pas qu'elle soit impliquée dans mes histoires, mais je devais reconnaître qu'avec elle, j'avançais plus vite quand il s'agissait d'homme d'affaires parmi mes victimes.
À ma faible voix, elle ouvrit grand les yeux. Sans la lumière du soleil, derrière ses verres de contact, ses iris tournaient vers le noir et lui donnaient un air assez effrayant et autoritaire quand on ne la connaissait pas. Elle se redressa du dossier du canapé avec un large sourire croissant jusqu'aux oreilles et s'assit en tailleur, les mains jointes devant son menton.
— Qu'entends-je ? (T/P) aurait besoin de mon aide ? s'écria-t-elle les étoiles pleins les yeux.
Et je regrettais mes dires dans la seconde. Je me résolus à chercher le contrat, sachant qu'elle ne me fichera pas la paix tant qu'elle ne l'aurait pas vu de ses yeux. Je ne gaspillerai ni mes forces ni ma salive avec elle. Par contre, ce que je retenais était que son mal de crâne avait soudainement disparu une fois les feuilles sous son nez.
Comme je m'y attendais, ses grands yeux ronds s'agrandirent à la vue de ce nom. Avant qu'elle m'explose son mécontentement à la figure, je parlai.
— Avec tous tes contacts au restaurant, tu connais du monde dans le milieu des affaires. Je veux que tu reprennes contact avec la personne que tu penses la plus proche de ce type.
Hanji resta silencieuse un long moment, les yeux baissés sur le contrat. Je l'observai, ne pensant pas que j'aurai préféré entendre sa voix enrouée d'après fête. Elle se gratta l'arrêt de son nez et fronça les sourcils, les doigts dans sa chevelure inchiffrable. Elle termina par soupirer avant de prononcer enfin un mot.
— C'est...
La nervosité traversait sa voix. Elle se massait la nuque, incapable de détourner son regard de cette feuille de papier. Son mutisme accroissait mon stress parce qu'il voulait tout dire. Affronter cet homme sera du suicide. Malgré mon expérience, j'ignorais si je pouvais faire le poids.
— Hanji, la date fatidique approche à grands pas. Je deviens faible de jour en jour. Et cette faiblesse me fait m'éloigner de lui. Après tout ce que j'ai traversé pour en arriver là, je n'ai pas le droit d'arrêter. Je n'ai pas le choix.
Elle enfonçait les doigts dans ses yeux pour chasser de futures larmes vagabondes. Elle hocha la tête et se ressaisit elle-même.
— Je devais reprendre des nouvelles d'un vieil ami de lycée. Il me semble qu'il le connaît bien. Je sais qu'ils ont déjà fait des affaires ensemble par le passé.
J'acquiesçai et piquai son verre vide. Je m'aventurai derrière le comptoir et retirai un autre antidouleur de la tablette. Je l'avalai avec de l'eau. Je plaquai mes mains sur le rebord du lavabo et soufflai à pleins poumons avant de tout expirer bruyamment. Le stress me rongeait de l'intérieur. Il me détruisait petit à petit, m'empêchant de respirer. Même si, je savais qu'il n'y avait pas que ça.
— (T/P).
Je posai mon attention sur mon ami à ma hauteur. Elle s'approcha davantage, et coiffa les pointes de mes cheveux.
— Je ne voudrais pas te mettre la pression, mais tu sais qu'à la moindre erreur avec lui, tu es finie ?
Un rictus étira mes lèvres l'espace d'une seconde. Je lui en remerciais de me dire tout haut ce que je pensais tout bas. De toute façon, j'étais finie depuis bien plus longtemps que ça.
Je rangeai le verre dans le lave-vaisselle et affrontai cette femme où la peur se lisait sur sa mine fatiguée. D'un coup sec, elle m'emprisonna de ses bras frêles et bloqua son menton contre ma nuque afin que je n'aie aucune chance de m'échapper.
— Je ne laisserai rien t'arriver, (T/P).
La bile monta dans mon œsophage. Mes ongles s'enfonçaient dans le peu de tissu qui recouvrait son corps à mesure que mes muscles se tendirent. En vitesse, je m'écartai, sa force beaucoup trop faible, et je lui répondis par un sourire furtif avant de m'éloigner.
— Je vais dormir un peu. Je sens que tu meurs d'envie de faire ton ménage, plaisanta-t-elle
J'appréciai qu'elle détourne la conversation. Les moments comme cela, intimes, sentimentaux, me mettaient mal à l'aise. Et elle le savait. Je la regardai disparaître dans le couloir et ma voix détonna entre les quatre murs de cette maison.
— Prends une douche avant. Tes draps sont propres !
— Oui maman ! cria-t-elle à l'écart.
Je gloussai et lorsque j'entendis la porte claquer, je retroussai les manches de mon pull. J'ouvris en grand toutes les fenêtres de la maison pour atténuer cette odeur d'alcool et m'attaquai au nettoyage de toutes les pièces.
À vingt heures, l'air frais me hérissait les poils de bras. Je refermai les ouvertures et allumai les belles guirlandes décoratives sur les murs. En réalité, c'était des décorations de Noël que nous n'avions jamais retirées. Elles donnaient un peu de vie et de chaleur dans cet intérieur.
Une revenante apparut avec une vieille trace rouge d'oreiller sur la joue droite. Le bon côté des choses était qu'elle avait enfilé une tenue plus décente. Je sortis deux bols du placard et les posai sur le comptoir devant elle.
— Qu'est-ce qu'on mange ? me demanda-t-elle
J'éteignis le feu sous le gaz et piquai deux cuillères à soupe. J'agrippai le manche de la casserole et versai le dîner.
— De la soupe.
Son visage se décomposa à vue d'œil et me fit décrocher un sourire. Elle monta sur la chaise haute et remua sa soupe avec autant de motivation que moi, avec ce nouveau contrat.
— Demain, je veux une pizza.
Je contournai le comptoir et m'installai à ses côtés. Je goutai cette soupe et me brûlai la langue. La douleur ne m'atteignait pas, perdue dans mes pensées. Demain, je débuterai le contrat.
Je repris une cuillère.
— J'ai appelé mon pote. Il était ravi de mon appel. Il me recontacte bientôt, me révéla Hanji.
— Parfait. J'aurai besoin de lui le plus rapidement possible. Cette semaine, je m'occupe de faire des recherches un peu plus approfondies sur lui.
Je terminai mon repas malgré mon manque d'appétit et débarrassai ma place. Plus les minutes défilaient, plus mon angoisse allait avoir raison de moi. Les pulsations brutales de mon cœur allaient bientôt atteindre leur paroxysme et m'abandonner à court de route.
— À partir de demain, je rentrerai tard tous les soirs. N'en profite pas pour saccager la maison.
***
Sa vie se résumait à son travail. Il commençait à cinq heures du matin. Lorsqu'il n'avait pas de déplacements, de conférences de prévu, il restait cloitrer dans son bureau, au dernier étage de son immense gratte-ciel. Il n'en sortait que vers vingt-trois heures.
Il se déplaçait avec son chauffeur uniquement la journée. Le soir, je devinais qu'il préférait se retrouver seul dans sa propre voiture pour enfreindre les limitations de vitesse. Il avait les flics à sa botte. Un énième point négatif pour moi.
Sa maison se situait en dehors de la ville. Et contre toute attente, à la campagne. C'était une coupure brutale, néanmoins agréable. Au lieu des immeubles à perte de vue, il pouvait admirer les arbres, les champs agricoles et la nuit, il pouvait contempler les étoiles dans le ciel. Ce lieu était une véritable bouffée d'oxygène. Dommage qu'il n'y passait que la nuit.
En cinq jours, je n'avais pas beaucoup avancé. Je pouvais confirmer qu'il vivait seul. Et pour un homme aussi charismatique, je ne l'avais encore jamais vu avec une femme à son bras. Il gardait une expression déstabilisante sur son visage. En public, il paraissait frais, droit, sûr de lui, déterminé, mais au fond de lui, derrière son masque, il était exténué, fatigué. Avec ses traits tendus, ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il explose. Son travail lui demandait énormément d'effort et de concentration. La pression, les responsabilités qui pesaient sur ses épaules devaient être inimaginables. Comment faisait-il pour gérer tout ça ?
Le vendredi soir, je rentrais à la maison, ayant terminée toute ma plaquette d'antidouleur. Je m'écroulais sur le canapé et fixais le plafond. Pour l'instant, son point faible ne pouvait être d'autres que son travail. Il avait donné naissance à un empire de ses propres mains. C'était sa vie, son enfant. M'attaquer à ça me paraissait injuste. Cet homme était un exemple de réussite pour le monde entier. Couler son entreprise serait briser les rêves d'espoir de millions d'enfants et adulte.
Je devais entrer en contact avec lui et trouver autre chose qui pourrait l'atteindre en plein cœur. Dans son contrat, sa situation familiale n'était pas renseignée. Aucun parent proche ou éloigné, pas de frère et de sœur. Alors je me mettais à lire les ragots des forums sur Internet. Je n'avançais pas plus. Il gérait sa vie privée avec brio, à croire qu'il aimerait réellement disparaître. Il s'attardait à son travail comme une personne essayant d'oublier une chose en particulier.
Sans doute avancerai-je mieux samedi ? L'ami de Hanji nous avait invitées à une cérémonie d'enchère au château de Naive. Livaï Ackerman serait présent. Il ne me resterait plus qu'à agir en fonction des événements de cette future soirée.
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