Chapitre 10.3
Mon boss me le répétait si souvent ce mot. Appartenir. Je rêvais de le radier de mon langage. De ma vie. Quand il l'employait, je ne réagissais pas. Il détestait ça ; quand je restais de marbre. Il adorait contempler les expressions qui déformaient les traits de mon visage. Moi, je m'amusais à l'ignorer, à lui donner ce qu'il détestait. J'en payais les conséquences, mais je m'en fichais. Il devait comprendre que quoi qu'il m'inflige, jamais je ne serais sa chose.
Ça aurait dû en être de même avec ce PDG grimpant les marches vers la scène. Mais pas du tout. Le vide ne se creusait pas dans mes yeux, la régularité de mes battements de cœur ne gardait pas une stabilité parfaite. C'était tout le contraire. Je ne détachais pas mon champ de vision de ce dos en mouvement. Je ne trouvais pas de réponses à ces frissons dans ma poitrine, à cette peur inhabituelle qui dressait mes poils de bras. Je posai une main moite dessus et suivis du regard l'avancée de cet homme devant le micro. Il serra la main de l'organisateur et fit face à des milliers de paires d'yeux aussi fascinés et hypnotisés que les miens.
La salle plongea dans un silence irréel. Puis, il débuta sa conférence dans un français parfait. Il captiva en deux secondes toute l'assemblée, et moi-même. Je l'écoutai, admirative. Son regard hautain devant les spectateurs à sa merci, son timbre clair de ténor où toutes les femmes mémorisent ses intonations, son accent, son charisme inimitable que les hommes jalouses. En cet instant, dans mon siège, tout en bas de cette grande scène, entourée de ses personnalités importantes, je baissai les yeux, soudainement ridicule dans cet accoutrement et dans ce lieu. Je ne comprenais pas ma présence ici, même si pour moi, c'était une aubaine. Mais pour lui, je n'arrivais pas à savoir en quoi je lui étais utile, hormis gambader à son bras.
Je me forçai à lever mon champ de vision sur ce PDG en plein monologue. Je dérivais ailleurs, évitant toute cette supériorité qu'il exerçait sur moi. Il me rappelait le gouffre qui se creusait entre nous. Tout un monde nous séparait. Moi, la pauvresse, lui le milliardaire. Il me le faisait remarquer en se montrant ainsi. Peut-être était-ce ça le but de ma présence ce soir ? Me faire comprendre que je ne pourrais jamais arriver à mes fins. Qu'il m'était inaccessible.
Je caressai le dos de ma main. Je louchai sur le pupitre pendant plusieurs minutes. Je n'écoutais plus rien, ne me concentrais sur rien. C'était mieux. Mais à l'éternuement de ma voisine, je revins à la réalité, et mon regard s'ancra dans un bleu magnétique et d'une intensité liquéfiante. Il ne se focalisait plus sur son public, seulement sur une jeune femme désorientée et finie avec un avenir compromis.
Mon rythme cardiaque battait fort dans ma poitrine. Il était à plusieurs mètres de moi, pourtant, il arrivait à me voler mon oxygène, à s'implanter dans ma chair, à graver mon cœur d'une crainte dangereuse. Et ce, pendant deux bonnes heures.
Au tonnerre d'applaudissements, lorsque ses yeux décidèrent d'accorder un moment à ce monde, je pus respirer à l'étroit dans cette robe. Je tirai sur le tissu pour laisser l'air s'insinuer n'importe où, où elle le voulait, et m'empressai ensuite à imiter les autres. J'applaudis timidement.
Après le discours final, l'organisateur nous convie au banquet dans la salle voisine. Les spectateurs ne se firent pas prier. Un troupeau d'êtres humains naquit dans l'entrée en même pas une minute, entraîné par la faim et la soif. Moi, j'attendis Livaï, conversant avec des hommes d'affaires sur la scène. Il s'attarda sur la personne aux implants et le salua d'un hochement de tête avant de se rapprocher des petites marches d'escalier.
Je me levai de la chaise, lissai le voile de ma robe et le rejoignis avec un petit sourire au coin que je ne pus cacher.
— Je crois comprendre que c'est un succès. Félicitations.
Mes poumons abandonnèrent le peu d'oxygène que j'avais réussi à reprendre derrière moi lorsque sa main se moula à ma taille et qu'il me plaqua contre son corps. Ses lèvres ripèrent les miennes. Je m'accrochai à son biceps, ma poitrine dans une panique qui lui semblait insurmontable.
— N'ose plus jamais fuir mon regard.
J'enfonçai mes doigts dans le tissu de son costard. Je humai son haleine avec une eau de Cologne trop présente pour m'éviter des fourmillements dans le bas-ventre. Je bénis ses rires lointains qui me permirent de m'écarter de cet homme. J'aimais cette robe, mais là, elle m'empêchait de respirer. Je tirai à nouveau sur la couture au niveau de mon ventre pour le détendre et Livaï déposa une main sur la chute de mes reins. Il m'orienta à l'extérieur de la salle de conférence et nous nous fondons dans la foule, heureuse de déguster les plats des plus grands cuisiniers du monde. Les serveurs slalomaient avec un plateau dans les mains où le champagne pétillait dans les flûtes. Livaï m'en offrit une et avant que je porte le buvant à mes lèvres, je l'interrogeai sur ses déplacements. Je lui demandai s'il avait l'habitude de venir ici. Il savoura une petite gorgée de ce liquide et m'expliqua qu'il se rendait au Congrès une fois par an, mais qu'il ne parlait pas sur scène à chaque fois. C'était plutôt rare. Il ne me montrait pas s'il aimait ça. Je n'avais pas besoin de poser la question pour savoir que oui.
Il enchaîna de lui-même à m'apprendre les professions de certains hommes importants. Il me racontait des détails de leurs vies d'avant. J'avais dû mal à l'admettre, mais ça m'amusait. Alors, je rajoutai ma touche personnelle. Il essayait de me faire deviner leur ancien métier avant leur arrivée sur le marché des affaires. Je crus halluciner en le voyant esquisser un sourire à cause de mes réponses.
Nous passions notre temps en retrait. Livaï congédiait chaque invité qui désirait l'approcher et il y en avait des tas. Moi, j'ignorais tous les regards noirs des femmes. Contre toute attente, je passais une excellente soirée. Juste lui et moi. Seulement, il arriva à un moment où il dut s'éclipser. Il s'arrangea néanmoins à me laisser avec un jeune couple. Comme cela, je n'aurais pas l'envie de faire une « bêtise ». La jeune femme me montrait les photos de son petit garçon de trois mois. Elle me confiait ses inquiétudes, elle m'avouait culpabiliser chaque fois qu'elle déposait son fils chez les grands-parents paternels. Que pouvais-je répondre ?
Je n'arrivais plus à faire semblant de m'intéresser. Je guettais les entrées dans l'espoir de voir mon PDG revenir, mais au bout de vingt minutes, je craquais. J'inventai une excuse à la jeune mère et m'éclipsai dans les couloirs. La différence de température dressa mes poils de bras et un frisson m'envahit.
Je marchai dans ce long couloir blanc illuminé et décoré de grandes photos de paysages. Je les admirai, tournai sur la gauche pour continuer à les découvrir. Toutes les architectures les plus populaires avaient leurs places entre ses larges cloisons. En noir et blanc ou en couleur, de nuits ou de jours. J'avançai lentement pour ne rien louper, un sourire aux lèvres qui s'effaça à l'écho d'une voix grave dans mon dos.
— Je ne pensais pas te retrouver à dix mille kilomètres du Japon.
D'une démarche décontractée, avec les mains dans les poches de son pantalon en laine, il s'approchait, de temps en temps ses yeux dérivant sur les photos.
— Ce voyage s'est programmé à la dernière minute, avouai-je
Je ne lui mentais pas. Je n'en voyais pas l'intérêt. Par contre, à ma réponse, il perdit son sourire. J'estompai le mien lorsqu'il me reluqua. Une alarme dans mon cerveau sonna le danger. Je tombai mes bras le long de mon corps, prête à lui envoyer mon poing s'il le fallait. Il remarqua mon changement d'attitude et d'un ton moqueur, il me demanda :
— Tu passes une bonne soirée ?
Il insista sur le mot « bonne ». Je refusais de lui montrer une réaction et lui répondis brièvement.
— Oui, merci.
Il laissa un mètre de séparation entre nous. Il sembla d'un coup intéressé par la photo du Taj Mahal, mais son irritation ne passa pas inaperçue. Il craqua trente secondes après un silence lourd de sens.
— Tu le connais depuis combien de temps ? Avant notre rencontre ?
Il mit les pieds dans le plat. Je hochai la tête et un rictus agacé écarta ses commissures.
— Il me surprend. Toi aussi d'ailleurs, mais pas dans le même sens.
— Pardon ?
— Mon frère ne peut pas changer. Chaque femme à son bras est son jouet. Je me posais des questions sur les marques à ton cou maintenant j'ai mes réponses. Mais, une chose me turlupine. Livaï ne reste jamais très longtemps avec une femme, et surtout, il ne se montre jamais avec elle. Alors, pourquoi toi ? Qu'as-tu de plus ? Il te maltraite et pourtant, tu restes avec lui. Pourquoi ? Pour son argent ? Tu le crois aussi ignare ?
Le jeune homme charmant du restaurant n'existait plus. La colère qu'il emmagasinait contre son frère accroissait à mesure qu'il me balançait toute sa haine dans la face. Je comprenais que sa rage était pour m'alerter des comportements de son frère. Il espérait que je retrouve la raison, persuadé qu'il voyait juste.
— Les femmes... je vous pensais différente des autres. Une qui ne courrait pas derrière l'argent. Mais comment résister ? Quelles femmes n'aimeraient pas être avec l'homme le plus fortuné du Japon ?
Je n'articulai toujours aucun mot. Je l'autorisai à vider son sac, néanmoins avec un brin d'énervement au fond de mes tripes. J'essayai à ce que ses paroles ne m'atteignent pas, car ne n'était pas moi qu'il décrivait. Moi, si je pouvais, je m'en irais loin, très loin. Qu'importe l'argent, tant que la santé me suivrait. Avec Eren.
Il réduisit la distance, empiétant maintenant dans ma zone de confort. Je soutins son regard noir, sur mes gardes, et l'écoutai m'insulter.
— Et quels hommes aimeraient être avec une fille aussi ordinaire ? C'est plutôt étonnant, je t'avoue. Livaï est un homme solitaire. Il consacre sa vie au travail. Et cette soirée, il l'a attendue toute sa vie. Elle marque l'apogée de sa carrière. Et avec qui la partage-t-il ? Toi. Il accepte de se montrer avec toi au risque que tu commettes une erreur qui ternirait ou détruirait son image.
Mon visage resta neutre, mais à l'intérieur, je bouillonnais. Je gardai mon calme, mais lorsque son doigt effleura mon profil, j'empoignai son poignet. Il sursauta par cette prise soudaine. Ses iris brulèrent d'une jalousie évidente. Il rapprocha ses lèvres tremblantes et s'exprima d'une voix brisée par la colère.
— Il m'a volé celle que j'aimais. Il l'a attirée vers lui. Il l'a séduite pour ensuite la détruire. Et pour quoi ? Pour me priver d'un bonheur parfait. Pour m'interdire d'avoir une vie radieuse et ressentir l'amour d'une femme. À chaque fois. Sans exception. Par vengeance. Alors, tu ne vas pas me faire croire qu'avec toi, il n'a rien fait.
J'enfonçai mes ongles dans sa veste et écartai son poing de ma figure. Il résistait ce bougre. Je forçai davantage, les dents plantées dans mes joues, et après avoir avalé mon sang, je lui jetai :
— Tu te demandes si la femme que tu aimais t'aime ? C'est simple. Quand une femme aime un homme, elle ne regarde et ne va pas voir ailleurs. Au restaurant, tu as dit qu'il les attirait comme une araignée dans sa toile, ce qui veut dire que ce sont les femmes qui viennent à lui, et ce, de leur plein gré. Lui, il attend. Ce qui me laisse à penser si cette femme était réellement amoureuse de toi ? Personnellement, tu n'étais qu'une passerelle à franchir vers ton frère.
Je me dégageai de ma place avant que son envie de me plaquer au mur ne se concrétise, toujours agrippée à son poignet. Je le tournai dans son dos et la douleur transforma les traits de son visage. Entre ses dents, il jura.
— J'ai hâte qu'il te brise. Hâte de te voir pleurer parce qu'il t'aura jetée. Parce que crois-moi, il va le faire. Quand il aura fait le tour, quand il t'aura pénétrée assez souvent pour s'en lasser, il te jettera. Tu espères quoi ? Qu'il t'aime ? Qu'il a des sentiments ? Franchement, rigola-t-il, une roturière avec un milliardaire ? Il se ridiculise déjà en t'ayant entraînée ici...
Je tordis son bras et un râlement résonna dans le couloir. Son corps se cambra en arrière. J'aplatis mon avant-bras sur sa nuque, ma sacoche au bout de ma main, et lui susurrai quelques mots en faisant preuve d'un self-contrôle légendaire.
— Je ne possède pas des villas dans le monde, des îles, des voitures de luxe, des vêtements hors de prix, mais j'ai des valeurs. Sans elles, crois-moi, tu serais déjà mort.
Je le relâchai dans un vif à-coup et quittai ce couloir en tournant sur ma droite. J'effectuai de petits cercles avec mon poignet. J'entendais craquer à l'intérieur, mes articulations ne me remerciaient pas pour cette intervention. Mais ce type imaginait avoir l'avantage face à moi et il était hors de question que cette pensée traverse une seconde son esprit détraqué.
Des taches noires et jaunes salissaient ma vue. Je papillonnai des cils pour les retirer et amenai ma main à ma tête. Elle tanguait. Je m'arrêtai contre un mur, glissai, et au sol, j'étalai mes jambes, le voile de ma robe m'entourant. Je tombai doucement ma tête à la cloison et fermai un instant mes yeux. Je percevais l'affolement de mon rythme cardiaque. J'inspirai et expirai. Plusieurs fois. Et en ouvrant les paupières, je me disais que Livaï devait me chercher. Ou pas. Peut-être s'était-il dégoté une jolie minette pour fêter la réussite de cette soirée ?
Je ramenai mes genoux contre ma poitrine. Pourquoi avais-je ce genre de pensée ? Je triturai le bracelet argenté devant mes yeux. Plus les années passaient, plus les contrats s'enchaînaient, et plus je n'arrivais pas à me reconnaître. Je ressentais des choses auxquelles je pensais avoir oublié. Des choses que mon boss avait pris un plaisir à me retirer. Doucement.
Je me rassurais en songeant à Eren. Il me manquait. Son humour enfantin, ses répliques à deux balles tirées de films cultes, sa voix qui, de nos jours, avait dû bien muer, ses beaux yeux émeraude. Oui. Cette couleur tellement envoûtante. Il me restait sept jours. Sept jours après quoi, je retrouverais ma liberté et serais à nouveau heureuse. Pourquoi n'étais-je pas plus emballée que ça ? Parce que je savais que mon boss allait me jouer un sale coup ? Je m'étais donnée à fond dans toutes mes missions, mais maintenant que celle-ci était ma dernière, j'avais peur. Peur de la suite. J'avais l'impression que plus j'approchais du bouquet final, plus je me rapprochais de ma mise à mort.
Un homme toussa sur ma droite. Je jetai un œil dans sa direction et fronçai les sourcils en l'apercevant se tenir le bras. Il marcha en diagonale, la main levée pour prendre appui sur le mur, et lorsqu'il s'assit avec difficulté, une grimace sur son vieux visage, je l'interrogeai en français.
— Vous avez mal au bras ?
Il sembla chercher la provenance de cette voix soudaine. Il tourna la tête et la surprise écarquilla légèrement son regard ridé à ma rencontre. Je réitérai ma question.
— Votre bras vous fait mal ?
Il ouvrit la bouche, rien n'en sortit. Incapable. Il palpait son pectoral gauche sous sa veste noire. Il respirait de manière saccadée.
— Il serait judicieux d'appeler un médecin, lui conseillai-je
J'attendis une réaction. Elle fut immédiate. Il secoua la tête et leva une main pour me signaler que tout allait bien.
— Je dis ça, c'est pour vous. Une crise cardiaque doit être douloureuse.
Deuxième tentative. Il entrouvrit la bouche et cette fois-ci, un son rauque et mal-assuré naquit avec un petit sourire au coin des lèvres.
— Ça va passer.
— Si vous le dites. Mais vous émettez la moindre plainte, je me verrais dans l'obligation d'appeler.
Un rire secoua ses épaules. Il reposa l'arrière de sa tête au mur et souffla bruyamment en massant le haut de son bras. Je sortis mon téléphone de mon sac par précaution.
— Vous gâchez votre soirée à me surveiller donc ?
— En effet. Je n'ai pas très envie d'avoir votre mort sur la conscience.
Un de plus, un de moins, ma conscience ne pourrait pas mieux aller de toute façon. Il grogna en changeant de position. Il tira sur son nœud papillon et parla dans un soupir difficile :
— Ça arrangerait certaines personnes que je meure ce soir.
— Pourquoi pensez-vous ça ?
Il se racla la gorge pour camoufler une plainte.
— Tout le monde veut ma place. Ce soir, j'ai dû écouter tous les mensonges des uns et des autres dans l'espoir qu'ils obtiennent ce qu'ils désirent. Je dois en écouter encore un autre.
— On dirait que c'est peine perdue pour lui.
Il haussa les épaules.
— Il a beaucoup d'ambition. Il est tenace. C'est sans doute le meilleur.
— Alors pourquoi vous hésitez ?
— Lui léguer mon empire m'enlèverait un gros poids, mais... je reste réticent.
Il m'expliqua qu'il retrouverait sa famille. Qu'il passerait enfin du temps avec ses petits-enfants. Qu'il réalisait les rêves de sa femme. Je ne comprenais pas pourquoi il doutait encore dans ses décisions.
— Vous allez devoir vous dépêcher en tout cas, car vous n'allez pas faire long feu. Votre place est auprès de votre famille. Si vous hésitez, demandez-vous : est-ce que ça vaut la peine de me tuer à la tâche et de laisser derrière moi ma seule envie de vivre, qui elle, n'attend qu'une seule chose. Que je rentre à la maison.
Il ne pipa mot, mais joua avec sa bague de fiançailles. Il se perdait dans cet anneau en or et d'une voix lointaine, il m'exposa ses craintes.
— Mais je laisserai derrière moi mon entreprise. Celle que j'ai bâtie de mes propres mains. Elle est comme mon troisième enfant. La léguer à un autre... C'est comme l'abandonner, lui tourner le dos. Même si je suis persuadé qu'il s'en occupera mieux que moi maintenant. Il est jeune, il y apportera un œil nouveau.
— Vous pouvez toujours rajouter quelques conditions dans le contrat. Vous avez l'air d'avoir une haute estime de cet homme, donc vous n'avez aucune raison d'avoir peur. Signez ce contrat et vivez. Pendant qu'il est encore temps, du moins.
Il rigola et décolla son large dos du mur. Il pivota son regard marron sur moi, un sourcil gris arqué.
— Vous osez vous moquer ? Mademoiselle, vous ignorez qui je suis.
— Je l'apprendrais dans les journaux à votre mort, plaisantai-je
— Ça va, ça va ! J'ai compris !
Un sourire amusé élargit mes lèvres. L'homme trouva la force de se relever, je l'imitai. J'époussetai mon voile, lui, il remit droit son nœud noir.
— Comment vous prénommez-vous ?
— Pourquoi ? Vous allez me ficher ?
Il pesta. Je lui donnai mon prénom et il m'offrit une poignée de main que j'acceptais.
— Merci, mademoiselle.
Nous regagnâmes ensemble la salle de réception, puis devant l'entrée, il dévia à droite et m'abandonna à ma recherche. J'arpentai cette foule des yeux avec une boule d'appréhension dans le ventre. Il était revenu. Dos à moi, discutant avec un autre homme. La traversée vers lui me semblait interminable. Mon palpitant s'affolait, mes doigts écrasaient ma sacoche et des sueurs froides longeaient ma colonne vertébrale. L'intense lumière de cette salle aspirait mes forces et alourdissait mes paupières.
Je fixai cette nuque dévoilée, pendant que j'avançais vers lui. Je me maintenais le ventre, apeurée pour aucune raison, et soudain, cette voix nouvellement familière me stoppa. À son nom, Livaï se retourna et ses iris bleutés s'ancrèrent dans les miens. Glacial. Distant. Il me portait ce regard que j'exécrais par-dessus tout. Comme si je n'étais qu'une déception. Il dériva ensuite ses yeux vers le vieillard de tout à l'heure et le rejoignit en m'accordant aucune attention. Une douleur brutale naquit dans mon estomac.
— Monsieur Ackerman.
— Monsieur LeDuc.
Ils échangèrent une poignée de main, tandis que je me remémorais ma petite excursion dans le bureau du PDG. Le dossier trouvé était au nom de monsieur LeDuc.
— Mademoiselle, m'appela-t-il étonné.
J'égratignai mes lèvres d'un sourire timide. Livaï me toisa, interloquée.
— Monsieur Ackerman, cette jeune femme vous accompagne ?
Il hocha la tête, les yeux plissés et brillants d'une lueur grave comme s'il attendait qu'on lui annonce l'énorme bêtise que je venais de faire dans son dos. Il se positionna sur mon profil et la surprise agrandit mon regard lorsqu'il glissa son bras là où il a l'habitude de le mettre ; autour de ma taille. Les lèvres du vieux se tendirent en un large sourire chaleureux, cachant sa fatigue marquée.
— Monsieur Ackerman, vous pouvez remercier votre charmante compagne. J'accepte votre marché, déclara-t-il
Le corps musclé à mes côtés se figea. Livaï n'articula pas un seul mot. Seuls ses yeux bleus parlaient pour lui. Un rayon éclatant étincelait à l'intérieur, dirigé vers l'ancien qui ajouta :
— Elle a de très bons arguments. Vous avez la perle rare à vos bras. Gardez-là précieusement, Monsieur Ackerman.
La chaleur envahit mes joues, mal à l'aise face à ses dires que je ne méritais pas. Seulement, Livaï ne sembla pas partager mes pensées, car il retrouva ses esprits et répondit à Monsieur LeDuc d'une voix ferme.
— Soyez sans crainte. Je ne compte pas la laisser à qui que ce soit.
Un avertissement. Ça sonnait comme une mise en garde contre le reste du monde. Surréaliste pour mes oreilles. Et pour mon cœur ? Il ne connaissait pas ce sentiment auquel il devait se confronter actuellement. C'était chaud. Rapide. Douloureux, mais supportable.
Je m'accrochai à sa veste et penchai mon visage au creux de son cou, respirant les effluves de son parfum.
— Nous verrons les détails un autre jour. Je viendrais au Japon d'ici peu. Je vous souhaite une belle fin de soirée. Mademoiselle, au plaisir de vous revoir.
Livaï le salua d'une poignée de main et dès que le futur PDG à la retraite se retourna, il se positionna face à moi, m'empêchant toute tentative de fuite. J'agrippai son biceps, mon palais asséché et mon ventre dans un état lamentable. Je suivis l'avancée de ses doigts sur mon bras, pendant que l'autre me serrait avec fermeté. Elle se moula à ma joue, prodiguant par sa chaleur une vague de frisson beaucoup trop forte pour mes membres endolories. Je fermai les yeux, m'autorisant à succomber un instant, mais lorsqu'il arrêta ses caresses sur ma pommette, je me confrontai à lui, ses iris glaçants dirigés au second plan.
Je jetai une œillade derrière mon épaule et échappai l'air de mes poumons en apercevant Furlan, la lèvre supérieure fendue. Il nous toisait contre son mur, ignorait les autres invités. Il enfouit ses poings dans ses poches, rêvant d'en envoyer un à son frère.
— C'est vous...
Ses doigts survolèrent mon profil et glissèrent sous mon chignon. Son index et son pouce s'enfoncèrent dans ma peau avec douceur et débutèrent de lents mouvements circulaires. Je luttai pour ne pas me plonger dans le noir et quand ma tête manqua de tomber à la renverse par son poids lourd, Livaï la bloqua sur sa clavicule. J'enserrai sa taille, passant un bras au chaud sous sa veste de costume et soupirai aux vibrations de sa voix dans mon oreille.
— S'il tient à sa vie, il ne t'approchera plus.
Je mordis mes lèvres, le visage caché dans son cou pour qu'il ne voie pas l'impact qu'ont ses mots sur moi. Si seulement il pouvait parler de mon boss. Si seulement une personne pouvait m'aider sans risquer d'y perdre la vie. Que j'aimerais hurler « STOP » à cette vie.
— Rentrons.
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