Chapitre 10.1
Mardi soir, Hanji avait déboulé dans la maison après son séjour chez Erwin. J'étais sur le point de dormir quand elle a envahi mon espace privé. Sur le moment, j'étais plutôt heureuse de la retrouver, alors je ne l'avais pas congédié de suite. Nous avions discuté.
Encore...
Et encore...
Elle jacassait. Mon sommeil en retard me suppliait de la faire partir de ma chambre. Mais une fois qu'elle était lancée, je ne pouvais plus l'arrêter. Elle me décrivait sans gêne ses soirées avec Erwin, elle n'oubliait pas les détails les plus importants et au bout d'une heure, elle m'avait enjambé, plaqué contre le matelas et dans le blanc des yeux, elle m'avait débité ces précieux conseils sur les rapports sexuels. Intérieurement, je faisais la morte. Même si, une oreille écoutait avec attention.
— Il faut être détendue. Si tu es crispée, tu auras mal... Si un truc ne te plaît pas, dis-le-lui sans tarder. Sinon, il va croire que tu aimes bien et recommencer... Les hommes ne devinent rien. Il faut communiquer. Par contre, nous, les femmes, on sait quand quelque chose les stimule davantage. Par exemple, d'après mes expériences, je sais qu'ils adorent entendre leur prénom pendant qu'on jouit. Ils se sentent forts, fiers. À croire que sa relève de l'impossible de faire jouir une femme. Bref.... Empoigne-lui les fesses aussi ! Griffe son torse avec sensualité. Le lendemain, il aura la trace de votre lutte. C'est trop excitant. Tu marques ton territoire !... Ne mets jamais les dents ! Va-s'y tranquille. Avec ta langue, tu lèches le gland. Tu descends au fur et à mesure. Le sexe, c'est de la patience. On la déteste, mais une fois que ça explose, on adore, on la bénit, et on en redemande...
— Très bien, ça suffit. Pourquoi tu me racontes tout ça ? avais-je râlé.
— Qui le fera sinon ?
Je n'avais pas fermé l'œil de la nuit. Résultat, mon cerveau marchait à deux à l'heure et depuis une bonne demi-heure, je maintenais la porte de mon placard ouvert et essayais de savoir ce que je devais mettre dans ma valise. J'avais sorti mes armes, mes couteaux. Juste au cas où. Mais j'avais oublié un détail. Si nous quittions le territoire, je devrais me confronter à la douane. Je ne pouvais rien apporter avec moi et ça m'irritait. Ce voyage ne m'assurait rien de bon. Seulement, c'était une occasion en or de m'incruster dans sa vie privée.
— T'as toujours pas fait ta valise ? s'exclama ma colloc, tu ne comptes pas prendre tous ces... machins, rassure-moi ?
Entre deux doigts, elle souleva un poignard et le dévisagea. Je le lui piquai et le rangeai dans mon tiroir avec les autres.
— Non. Je ne le sens pas, putain.
— Ce n'est pas le moment de faire machine arrière ! intervint-elle, va à la douche et je m'occupe de ton sac.
— Là, je ne le sens pas, mais alors, pas du tout.
Elle me retourna brusquement et me poussa hors de ma chambre en ajoutant d'une voix peu rassurante :
— Chut, femme ! Laisse tata Hanji s'occuper de tout !
Elle me calqua la porte au nez. Je grattai mon front, les yeux au ciel, et m'orientai vers la salle de bain d'un pas nonchalant avec un tas d'appréhension qui me suivait à la trace.
***
Le chauffeur se gara devant notre allée. J'attrapai la bandoulière de mon gros sac et le coinçai sur mon épaule. Dehors, le conducteur en costume et au teint mat m'attendait. Lorsqu'il me vit quitter le seuil de l'entrée, il marcha dans ma direction et me demanda l'autorisation de mettre mon sac dans le coffre. J'acceptai et devant la portière ouverte, je me retournai vers Hanji. Elle remonta ses grosses lunettes et m'attira dans ses bras.
— Tout va bien se passer. Accorde-toi un peu de bon temps.
— Ce n'est pas vraiment envisageable, la contredis-je
— Moi, je pense le contraire.
Je m'installai sur la banquette arrière. Le chauffeur ferma la porte et prit place au volant. Le moteur démarra et malgré ce bruit, ces vitres opaques et teintées, j'entendis cette folle hurler juste avant que nous quittions notre emplacement.
— (T/P) ! Pas de protection, pas de rapport !
Je m'enfonçai dans le siège et cachai mon sourire incontrôlable avec le col de mon pull. J'évitai de croiser le regard du conducteur dans le rétroviseur et préférai m'attarder sur le défilement du paysage pendant que lui, parlait à son oreillette.
— Prévenez monsieur Ackerman que mademoiselle (T/N) arrivera à dix-sept heures quarante-neuf.
J'ignorai cette heure plus que précise et tombai mon crâne sur l'appuie-tête. De temps à autre, je fermai les paupières, mais je gardai un œil sur notre destination. Je lisais les panneaux de directions. Les plus récurrents. Le prix du grand vainqueur revenait à l'aéroport. Je déglutissais. Mes craintes se réalisaient et me sautaient à la figure avec un bon gros sourire victorieux plaqué sur leurs faces.
Il aurait pu m'amener n'importe où, dans n'importe quoi. Mais pas dans un avion. De toute façon, je n'avais pas de papier d'identité, pas de passeport. Alors, sans ça, je n'irai pas bien loin.
Devant une grande grille, le chauffeur montra un badge à une caméra. Il nous libéra l'accès et roula en direction des pistes. La moiteur de mes mains s'accroissait à mesure que nous nous rapprochions de ces engins de malheur. Je n'osais même pas regarder les trois avions long-courriers sur ma droite qui recevaient les bagages des voyageurs. Je me rongeais les ongles au lieu de l'intérieur de mes joues déjà bien abîmées. Ce voyage n'allait pas se faire. C'était impossible.
Quinze ans s'écoulaient depuis mon premier et dernier vol. Je m'étais jurée de ne plus jamais monter à l'intérieur. Certainement pas en compagnie du PDG d'Ackerman-K et davantage dans son jet.
En face, je lisais le nom de son entreprise dans une belle police dorée, inscrit sur l'empennage d'un avion. Des lumières jaunâtres éclairaient l'intérieur à travers les hublots et, par rapport à celles que l'on trouvait dans les maisons, cette couleur n'agressait pas ma vue. Elle me donnait plutôt envie de découvrir ce qu'elles y illuminaient.
Je descendis de la voiture et restai accrochée à la portière. La passerelle s'offrait à moi, attendait que je gravisse ses nombreuses marches, mais je ne pouvais pas faire un pas en avant. Pendant ce temps, l'homme en costard récupéra mon sac dans le coffre et je l'interpellai pour le récupérer. Les nombreux agents de sécurité, postés autour de l'avion, gardaient leur position, les mains jointes devant eux. Je m'attendais à ce que l'un d'eux fouille le contenu de mon sac. J'aurais pu me trimbaler avec une arme, un silencieux, tuer leur patron, et me barrer comme si de rien n'était. Personne ne semblait s'en faire. Personne ne m'arrêtait, ne me demandait des papiers.
Je n'avais plus le choix. Pour Eren. Pour notre liberté. Je grimpai la première marche avec une grosse boule emmêlée dans mon ventre. Je pressai la bandoulière et continuai sans jamais regarder derrière moi. Au seuil de la porte, le pilote m'accueillit de son large sourire rassurant. Je l'épiai de haut en bas, examinai ses manches, ses traits ridés, la présence de cernes, le blanc de ses yeux, ses pupilles pour y déceler la moindre anomalie. Il me paraissait aux normes. En bonne santé. Je lui répondis par un faible redressement de mes lippes.
— Bienvenue mademoiselle. Je vous en prie.
Il suivit la direction de sa main et mon visage s'émerveilla en découvrant l'aménagement de ce jet. Je m'aventurai de quelques pas et laissai tomber mon sac près du grand canapé en U d'une couleur beige. Cet intérieur n'avait rien qui me donnait envie de partir à toute jambe. J'en oubliais que nous étions dans un avion, sauf quand je prêtais attention à ces hublots où des LED longeaient les jointures. Elles offraient une atmosphère plutôt conviviale et chaleureuse, mais cette ambiance ne suffisait pas à calmer ma phobie. Davantage lorsque le propriétaire apparut à l'autre bout de la pièce.
— Marc, nous pouvons décoller.
Le pilote acquiesça et repartit en refermant la porte. Mon cœur, déjà mis à rude épreuve, agressa ma cage thoracique. Les souvenirs de l'autre soir me narguaient au visage. Ce qu'il m'avait fait... ce que moi, j'avais osé faire devant lui... Je voulais l'effacer de ma mémoire. Je passai une main dans mes cheveux et m'assis au bord du canapé. J'évitai le regard hypnotique du PDG en m'attardant sur le grand écran de télévision, posé sur une large commode. Seulement, son corps s'interposa entre nous et ma vision tomba d'elle-même sur le tissu noir de son pantalon qui moulait à la perfection les muscles de son fessier et de ses hanches. Le rythme de mon pouls se décupla et s'aggrava lorsqu'il s'accroupit à hauteur du meuble. Je détournai la tête, enfonçai mon pouce et mon index dans mes yeux pour me punir de réagir ainsi aux moindres mouvements de cet homme.
Il piqua une bouteille de vin, deux verres et referma la petite vitrine en prenant soin de la verrouiller. Il se redressa avec un dos toujours aussi droit et réduisit notre distance de trois enjambées. J'évitai sans cesse ses prunelles électrisantes, et me demandai même si ce n'était pas mieux de céder que de fixer ce torse vêtu d'un pull gris bien trop étroit pour ses biceps.
Il me tendit un verre et je l'acceptai sans rechigner. Je n'étais pas contre l'idée de boire un peu. Je l'observai déboucher la bouteille de grand cru et il m'en servit en prenant soin de ne pas en reverser. Un liquide sombre tournoya sous mes yeux et avant qu'il ne termine dans mon estomac, je rompis le silence.
— Où allons-nous ?
Je plantai enfin mes prunelles dans ses yeux bleus et il me tardait de vider mon verre d'une traitre. Vider la bouteille serait même parfait. Il n'avait pas le droit de me regarder avec autant d'intensité. Assis face à ce mur en béton me rapetissait et me donnait la sensation de ne pas pouvoir m'échapper. D'être vulnérable. Le ressentir m'horripilait.
— Jeudi, je donnerai une conférence au Congrès de Paris, me révéla-t-il
J'inspirai profondément, les lèvres retroussées et massacrées par mes dents. La France. J'avalai ce vin cul sec et regrettai qu'il ne soit pas plus agressif.
— Pourquoi m'avoir demandé de vous accompagner ?
Ma voix sonnait vide. Comme ce verre. Je louchai sur cette bouteille pendue par la main ferme de cet homme. Malheureusement, ce dernier le reboucha et le rangea à nouveau dans le meuble. Ensuite, il tournoya ce Cru sous son nez, en huma son parfum, et en apprécia une petite gorgée.
— Je présume que c'est pour t'éviter de commettre un nouveau délit.
J'esquissai un faible sourire. Son calme me surprenait, tandis que le mien se perdait pour se mêler à cette boule de nerf coincée dans mon ventre depuis ce moment où ces gémissements ont atteint mes tympans. Ils avaient enregistré ce son strident et s'amusaient à me les faire écouter.
— Vous devriez revoir votre sécurité et surtout, dire à votre RH d'être plus sévère et exigeant sur le recrutement, crachai-je
Je ne reconnaissais pas mon timbre empli de reproche. Pourquoi râlais-je à cause de ça ? Pourquoi avais-je envie d'étriper cette femme ? Et pourquoi un rayon argenté animait soudain ces iris bleutés délicieusement magnétiques ?
Le liquide rougeâtre s'écoula dans sa tranchée, me laissant le loisir de suivre le va-et-vient de sa pomme d'Adam. Aucun battement de cil ne nous empêchait de rompre ce contact visuel de plus en plus suffocant. Mon palais s'asséchait alors qu'il gardait toujours la délicate odeur du vin en lui. Et comme si mon cœur ne battait pas assez frénétiquement, celui-ci multiplia son rythme et aggrava l'humidité de mes paumes, dont une glissa autour du pied. Je redoutais qu'il le sente lorsqu'il me débarrassa le verre des mains. Il le déposa dans le petit placard avec le sien. L'unique moment où il ne plantait plus son regard sur ma personne. Seulement, dès qu'il se retourna, la sérénité du PDG s'évapora dans les airs et se fit dévorer par la puissance dévastatrice de son aura ténébreuse et électrisante.
Je me forçai à rester de marbre, à épier ses mouvements ; le roulement de ses muscles gonflés, la fine ligne droite de ses lèvres, cette petite mèche sur son front caressant sa tempe. Je relevai mon attention à mesure qu'il se rapprochait. Il ne s'arrêtait pas. Il dépassait les limites. Son corps tombait sur le mien pendant que je plaquais une main sur son pectoral pour l'inciter à stopper son avancée. Inciter. Non exiger. Ce n'était pas avec une petite pression sur son torse qu'il allait reculer. Et je ne faisais pas non plus le nécessaire pour le repousser de toutes mes forces.
Je contractai mes abdominaux pour ne pas m'allonger sur le canapé, comme il le désire. Je maintenais une distance qu'il semblait exécrer au plus profond de son être. Ainsi, il couvrit le dos de ma main de sa paume brûlante. Il bloqua son genou au bord du canapé et accouda son bras sur le dossier à ma droite. Son souffle envahit mes narines et bloqua mes voies respiratoires. Inspirer ne m'avait jamais paru aussi difficile. Surtout quand son eau de Cologne venait y ajouter son grain de sel.
Il pencha son visage près du mien, sa bouche à hauteur de mon oreille. Je la sentais me frôler, me chatouiller et cette sensation contracta avec violence les muscles de mon entre-jambes. Ma poitrine se gonflait sous ce corps dominant. Mon pouls frappait dans chaque parcelle de ma peau et s'aggravait à la naissance de son timbre de ténor dans mon tympan.
— Elle m'implorait. Elle hurlait mon prénom comme un mantra.
De l'eau glacée se déversa sur mon corps ébouillanté. Mon sang se figea dans mes veines, tandis qu'il caressait mes cheveux d'une tendresse incohérente. Il survolait mon front et se laissait guider par mes mèches en désordre. Il contemplait la crispation lente de mes traits. L'incompréhension gagner du terrain.
— Jamais satisfaite, elle en redemandait.
— Cessez ça... articulai-je dans un souffle.
Mes ongles se plantaient dans son pull. Son petit jeu n'aurait pas dû m'atteindre et pourtant, la rage s'écoulait dans mes membres à la vitesse d'un tsunami. Sa satisfaction brillait dans son regard malicieux. Et par pur plaisir de voir la noirceur se noyer dans le mien, il ajouta :
— Oh, mais je ne t'apprends rien... Tu as très bien entendu son manque posséder son corps.
— ASSEZ !
Il arrêta mon poignet avant que mes doigts agrippent son col. Sa satisfaction brûlait ses iris, tandis que mon cerveau bouillonnait et que des injures frappaient la barrière de ma bouche pour en sortir. Ce connard se redressa, me toisant avec cette aura qui lui prodiguait une inacceptabilité désespérante. Il relâcha mon poignet et me tourna le dos. Il retourna près de la porte et m'accorda une dernière attention, soulignée par de belles et tendres paroles venant de lui.
— Tu ferais mieux de t'attacher. On va décoller. T'as pas intérêt à me déranger.
Il claqua la porte et je bondis de ce canapé. Je sautai par-dessus la table, propulsée par une colère noire et accourus vers cette entrée jusqu'à ce que mes pieds s'immobilisent nets. Je jetai un œil inquiet sur les hublots et remarquai que le paysage défilait lentement. Mon bas-ventre se tordit. Mon souffle se décupla. Comme sonnée, j'amenais mon corps fébrile sur un siège et serrai la ceinture au maximum autour de ma taille. J'écrasai mes mains humides sur mon visage et soupirai à en décrocher mes poumons.
Les vrombissements des moteurs éclatèrent dans mes oreilles et me volèrent un gémissement. Entre mes doigts, j'osais regarder un œil sur la piste et l'avion prit de la vitesse jusqu'à décoller. Mes tympans se bouchèrent un quart de seconde et une grimace déforma mon visage.
Treize heures de vol... Jamais je ne tiendrais. Quand j'avais des missions dans le sud du Japon, je privilégiais la voiture. Je m'en fichais de faire seize heures de route si c'était pour m'éviter de prendre l'avion. Et quand, on me demandait de travailler sur des îles, je prenais toujours le bateau. Mais jamais, ô grand jamais, ce bout de ferraille !
Nous prîmes de l'altitude. Je m'ordonnais de ne pas regarder à travers la fenêtre, seulement, c'était plus fort que moi. Je devais surveiller... Quoi ? Aucune idée. Mais je devais être à l'affût d'une petite anomalie, même si, mes chances de sortis étaient maintenant nulles.
Lorsque la lumière orange s'éteignit sur l'alarme de la ceinture, je me détachais et me forçais à rejoindre le canapé pour m'allonger. Je me maintenais à tout et m'écroulais. Je me recroquevillai, les bras enlaçant mon ventre comme pour le protéger. Je glissai une main chaude sous mon vêtement et massai ma peau en formant des cercles autour de mon nombril. Je fermai les paupières et me préparai à affronter treize putains d'heure de vol.
Impossible.
Ce chiffre rongeait mes terminaisons nerveuses. Ma tête tanguait comme si mon corps se trouvait dans un bateau pris au piège dans une tempête. Plus je nous imaginais nous éloigner du Japon, plus ma panique s'intensifiait. Mes dents s'écrasèrent l'une contre l'autre, à la limite de se déraciner face à ma peur.
Pendant les premières heures, j'essayais de dormir. Enfin, je me forçais à rattraper mes heures de retard. Et je ne peux pas dire que ce soit une franche réussite. Je cauchemardais. Des flashs de mon enfance possédaient mon esprit et m'aspiraient dans un monde étouffant.
Je quittais la France. Je pleurais toutes les larmes de mon corps de petite fille, refusant de partir. Je m'accrochais à tout ce que je trouvais et la femme de mon père frappait ma main pour lâcher prise et me tirait. Elle m'engueulait pour que je monte dans la voiture et que je me taise.
À l'aéroport, je ne calmais pas mes caprices. J'avais un infime espoir que mon père intervienne et ne cesse cette plaisanterie. Cependant, il restait impartial avec des traits fatigués. Son visage s'amaigrissait jour après jour. Il ne servait plus rien et c'est ma belle-mère qui s'occupait de tout. Passeports, billet, valises, tandis qu'à côté, je criais à en cracher mes poumons.
Avant de rentrer dans l'espace d'embarquement, elle m'avait emmenée de force aux toilettes. Quand nous étions seules, elle me fessait, se déchargeait sur moi. Elle me tirait les cheveux, cognait ma tête au carrelage du mur. J'étais sonnée, marchant entre les voyageurs avec aucune notion d'orientation.
Installée sur mon siège, près du hublot pour que je ne coure pas dans l'allée, elle avait serré ma ceinture et au décollage, j'avais tourné ma tête près de l'ouverture. Je repérais la tombe de ma mère, du moins, je l'imaginais. Je voyais ma maison s'éloigner pour toujours. Et là, je hurlais à nouveau. Je me débattais, suppliant pour qu'on me libère et pour me calmer, ce monstre m'avait donné deux somnifères. À mon réveil, je me trouvais dans mon nouveau lit, dans ma nouvelle maison.
Une... Deux... trois... sept... huit heures. Ma transpiration collait mes vêtements à ma peau. Je remplissais ma bouche de mon sang à force de martyriser l'intérieur avec mes dents. Je m'y acharnais avec aucune volonté pour arrêter. Et à travers cette barrière dentaire, des larmoiements brisaient le silence de cette pièce.
Lorsqu'une violente nausée s'accrocha à ma gorge, je me relevai et plaquai ma main sur cette dernière. Je me disais que marcher, dégourdir mes jambes me ferait du bien, alors j'effectuai quelques enjambées maladroites et respirai le plus calmement possible. Je piquai du nez. Tenir debout usait mes ressources bien limitées. Ainsi, je me rallongeai, pris mon front entre mes paumes moites et me rassurai en pensant qu'il ne me restait plus que quatre heures.
Je réussis à un moment à m'endormir. Peut-être pendant cinq-dix minutes, car une secousse me réveilla en sursaut. Je posai mes pieds au sol avec rapidité, les coudes sur mes cuisses, pris de panique. Une seconde turbulence secoua le jet. Elle dura... Trop longtemps... J'étouffai. Mon palpitant décolla ma peau. Je hurlai dans ma main en l'écrasant au maximum pour que personne n'entende. Je me positionnai en boule dans le fond du canapé, rêvant d'être dans ma maison, Hanji assis à mes côtés gueulant sur son film.
Des frissons dressaient mes poils. Je claquai des dents, agitée par des tremblements incontrôlables. Et je ne repoussais pas ces bras fermes soulever mon buste et me blottir à l'intérieur d'une source de chaleur inqualifiable. Aussitôt, j'agrippai un bout de tissu et reposai ma tête sur un coussin de muscle. Il referma cette barrière protectrice et m'apporta à mon grand regret un réconfort que je n'aurais trouvé nulle part ailleurs. Je sentis ses doigts brûlants passer sous mon pull. Ils remplaçaient les miens et réalisaient des petits ronds, tandis que son autre main caressait mon avant-bras. Il apaisa mes pulsations cardiaques et à mesure que mon corps se détendait, je glissai mon bras dans son dos et imitai son toucher. J'entendis ses battements réguliers, parfois ils s'agitaient, mais retrouvaient vite contenance. Puis, cet homme produisit l'impossible ; je relâchai mes gardes et sombrai dans le coma.
À moitié dans les vapes, Livaï gesticula sur le canapé. Il me murmura de me lever et un gémissement de ma part remplaça une réponse convenable. Il me souleva et je ne lui facilitai pas la tâche. Je ne supportai pas mon poids face à mon manque de sommeil. Debout, je trébuchai et mon seul repère était cet homme indéchiffrable. Je le suivis, ou plutôt, il me conduit vers la sortie et le vent frais de la nuit glaça ma chair. Je retroussai mes bras contre ma poitrine et descendis de la passerelle sous le regard attentif du PDG.
En bas, une voiture noire nous attendit. Le conducteur rangea nos affaires dans le coffre et nous ouvrit la porte arrière. Livaï me poussa avec prudence, plaçant sa main sur ma tête pour éviter que je me prenne le toit, et s'installa ensuite. Je me réfugiai dans le fond, tombai ma tête sur la fenêtre teintée, et me rendis compte où nous étions lorsque la voiture s'engagea sur la route.
Il roulait à droite. Je m'habituais difficilement à tous ces panneaux d'indication en français. Quelques heures après, en hauteur dans les collines, je contemplais les lumières de la ville à travers les arbres et un peu plus loin, des éclairages blancs dévoilèrent une grande maison en bois.
Le conducteur arrêta le moteur dans l'allée gravillonnée et les deux hommes sortirent simultanément. Le temps d'assimiler l'information et de porter ma main à la portière, Livaï ouvrit cette dernière et m'aida à en sortir. Une vague de frisson déchira mes pores pendant que l'homme d'affaires m'emmena dans la maison.
Nous la traversâmes dans le noir, éclairé par cette immense vue sur la ville illuminée, et il m'orienta à l'étage dans une grande chambre aux lumières tamisées. Mes yeux se posèrent immédiatement sur ce lit bordé aux draps violets. Je me rapprochai, rêvant de m'abandonner dans ce cocon et ne réagis pas en sentant le corps de Livaï dans mon dos. Il glissa ses doigts le long de mon cou, longeant ma clavicule. Il engouffra sa tête dans le creux, huma l'odeur de ma peau et je me tendis au contact de ses lèvres. Je me plongeai dans le noir, laissai cette vague de plaisir me submerger et basculai mon visage sur le côté.
— Jeudi soir, des personnalités importantes, la presse, les photographes seront présents. Cette soirée est la plus importante de l'année et je veux que tu sois présente, révéla-t-il d'une voix calme.
Il poursuivit après une pression de ses lèvres sur ma nuque.
— Tu as la journée pour te trouver une tenue appropriée. Je laisse mon chauffeur à ta disposition. Mais fais attention. Il surveillera tes moindres faits et gestes et m'avertira dès que tu tenteras quoi que ce soit de mal opportun.
Je me surpris à avoir la force de dessiner un rictus narquois et à articuler de faibles mots.
— Vous ne me croyez toujours pas...
Il m'emprisonna dans son bras, m'écrasant contre son torse en béton. Je me maintins à sa manche et redressai mon visage, les cils entrouverts.
— Il t'emmènera au Congrès à vingt heures.
Je pivotai lentement vers lui. Je croisai ce bleu ensorcelant avec une lueur d'inquiétude dans mes prunelles. Il déposa deux doigts sur ma mâchoire, son pouce entreprenant de contourner mes lèvres. Il se rapprochait d'elles et entre ces dernières, il me susurra :
— Je serais là à ton arrivée.
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