Prologue
Royce
12 ans plus tôt...
Je vais crever.
C'est sûr. C'est sûr que c'est à ça que ça ressemble quand on va crever.
J'ai l'impression de peser comme un camion citerne alors que c'est tout l'inverse. En vrai, je dois pas être plus lourd qu'un clebs. En tout cas, c'est moins que tous les types de mon âge. Ça fait trois jours que j'ai rien avalé. Ou alors quatre, j'en sais rien.
Le pire, c'est que j'ai même plus l'énergie d'avoir la dalle. Je sens plus rien du tout. Quand je vais sortir de ce cagibi - si on me laisse sortir un jour - j'aurais pas intérêt à traîner près du terrain vague.
Si les scorpions me chopent dans cet état, je suis mort. Je les ai pas mal cherchés ces dernières semaines. Ces gars sont à gerber. C'est tous des petites putes qui vendent leurs services au plus offrant, mais ils me massacreraient en moins de temps qu'il en faut pour dire merde. J'ai moyennement envie de me faire bouffer par ces insectes.
Mais les pauvres gangs et les camés du coin sont pas le pire. Le pire squatte cette baraque. Si je tombe sur lui comme ça, je suis fait. J'ai le cœur qui douille rien que d'y penser. Je suis sûr qu'il se rappelle même pas qu'il m'a foutu là. Personne s'en rappelle. Tout le monde s'en branle.
Même ma vieille.
Je me demande ce qu'elle fout. Elle a dû se piquer. En ce moment, elle doit être en train de planer ferme et de jouer les zombies au fond de sa piaule. Ou alors elle est en train de se faire sauter comme une chienne dans une chambre juste au-dessus. Mon estomac se réveille juste pour me donner la gerbe.
Y a un truc qui me chatouille le tibia. Ensuite ça me mord carrément. Putain ! Je me force à ouvrir les yeux pour regarder. D'abord, je vois rien. Il fait noir comme dans un trou de balle.
C'est un rat.
Bordel !
Manquait plus que ça.
Il est en train de me bouffer, ce bâtard. Je pisse le sang. Ça me dégouline sur les chevilles. Je trouve juste assez de force pour envoyer le rongeur s'écraser contre la cloison opposée avec ma godasse. Il couine en s'éclatant le crâne et retombe comme une masse. Si ça se trouve, je vais finir comme lui. Quand on viendra ouvrir ma cage, on trouvera deux animaux morts pour le prix d'un.
Y a rien dans ce trou. Juste des chiottes et des caisses vides qui dégagent une odeur de fruits pourris. Cette odeur, mélangée à celle de ma transpi, me donne envie de perdre l'odorat pour toujours.
J'ai un goût de poussière dans la bouche. Et je crève de chaud. À petit feu. C'est ça le pire. Pas la soif, ni la faim. Pas non plus ce placard trop étroit qui ressemble à mon cercueil et rendrait claustro un cadavre.
Non, le pire, c'est ce putain de soleil qui entre par une toute petite fenêtre pour plus rester piégé. La chaleur remplace tout l'air et j'étouffe. C'est pire qu'un sauna. Je suis trempé. Pour de vrai. J'ai les cheveux mouillés et mes fringues se sont scotchées à ma peau comme des algues. Maintenant je capte mieux l'expression "nager dans sa propre sueur". Moi je me noie carrément dedans.
Je décolle ma joue du parquet crade et j'essaye de rouler sur le dos pour savoir à quel point je suis dans la merde. Je me sens comme un vieux croûton périmé. Encore plus périmé que l'ancien qui tient cette échoppe moisie sur Ashby Street. Lui, c'est sûr qu'il morfle quand il se lève le matin, mais moi, j'ai à peine la force de bouger les bras. À chaque fois que j'essaye de me redresser, j'ai l'impression d'être déjà mort.
Sauf que je le suis pas. La faucheuse, je l'encule !
Je les encule tous.
Je vais sortir de ce trou et c'est moi qui vais tous les faucher.
En commençant par lui.
Non, en fait, je le buterais en dernier. D'abord, je le foutrais dans ce cagibi et je le laisserais croupir dedans, suer dans ses costumes trois pièces de bourge de mes deux. J'attendrais que ses muscles fondent avec la chaleur et l'épuisement, ensuite c'est sa gueule que je ferais fondre. Quand il sera plus qu'un pantin éclaté comme moi en ce moment, je le couvrirais d'essence. Je craquerais une allumette et je la lui ferais bouffer.
En vrai, je ferais rien de tout ça.
Je trouve même pas la force de me lever pour aller pisser alors que j'ai la vessie en feu, donc je vois pas comment je pourrais me mesurer à lui. Mais c'est quand même cool de l'imaginer, juste deux minutes.
J'aime bien l'idée de le voir partir en cendre. Je trouverais ça trippant de le regarder clamser sans avoir à lever un doigt. Le feu ferait tout à ma place. Et le fait qu'il parte en fumée... comme s'il avait jamais existé... je sais pas, ça a quelque chose de poétique. Ou pas, après tout, je connais que dalle à la poésie.
Voir son portrait en pensée me chauffe le sang.
C'est bien. J'ai besoin d'avoir la haine pour recommencer à fonctionner. Je me concentre sur son visage pour me mettre en colère. Je veux dire vraiment en colère. Je le fixe dans ma tête jusqu'à ce que cette boule de rage se réveille dans mon ventre.
J'imagine ses grosses boucles brunes de pédé, ses chemises à mille dollars, sa barbe hyper bien taillée, son regard de monstre. Même quand il sourit aux gens, il a ce regard-là. Moi, je le vois. Dans ses yeux, je vois très bien ce que les autres ignorent, ce qu'il est à l'intérieur. Une bête. Et les bêtes, on les égorge.
Je pense à ses rides. Il commence à en avoir un peu. J'adore les regarder parce que ça veut dire qu'il est en train de vieillir. Pour l'instant, il est beaucoup trop fort mais à un moment, il sera vieux. J'attendrais que ça arrive et au moindre signe de faiblesse de sa part, je le casserais en deux.
Je serre les poings et me tords le cou pour ne pas me faire écraser par la vague de violence qui me traverse le corps comme une décharge électrique. Brutale. Ma tête se remplit d'images sanglantes et ma vision devient rouge. J'ai le cœur qui cogne comme un dingue et les bras qui palpitent. Ça m'arrive de plus en plus souvent.
Quand ça vient, j'ai l'impression que je vais tout réduire en cendre. Où alors que c'est moi qui vais me consumer.
Je pousse sur mes pieds en appuyant le dessous de mes semelles contre la paroi d'en face pour me redresser. Je colle mon dos contre le mur en grognant. J'ai le cerveau en bouillie, mais au moins, j'ai retrouvé un peu d'énergie. Je ressemble moins à une larve.
Un bruit au-dessus de ma tête me fait lever les yeux. Quelqu'un est en train de cogner contre la fenêtre à soufflet, tout en haut du mur. Je sais qu'elle donne sur une ruelle déserte. La vitre est trop crasseuse pour que je vois quelque chose, mais je connais qu'une personne qui pourrait passer par là et avoir l'idée de toquer.
Je galère à avaler ma salive, elle passe pas. En haut, ça frappe toujours. Je devrais l'ignorer. Je veux pas qu'il me voit comme ça. Ce que j'aimerais, c'est que personne me voit comme ça. Comme un morceau de mec. Mais j'ai trop envie de sortir d'ici, si je reste coincé entre ces quatre murs pendant une journée de plus, je vais avaler ma chique. En plus, je sais qu'il dégagera pas tant qu'il m'aura pas vu.
Eh puis merde !
Je fais un effort de malade pour pousser sur mes mains et me remettre debout. Mes jambes ont du mal à me porter, mais elles ont pas intérêt à me lâcher devant témoin. Je suis obligé de me tenir courbé parce que je suis devenu trop grand pour ce placard. Je passe plus dedans en entier depuis que j'ai neuf ans.
Je pousse le loquet rouillé pour baisser le soufflet. La lumière du jour m'agresse direct et je plisse les yeux pour les protéger. Comme je m'y attendais, je me retrouve face à Diego. J'ai son visage en gros plan, ce con a dû s'allonger à plat ventre sur le trottoir. Y a pas à dire, il est vraiment con.
Il a une espèce de mouvement de recul quand il me voit. Ses yeux noirs deviennent ronds comme des pneus derrière ses cheveux en bordel et il s'écarte un peu pour mieux m'étudier. Il m'examine comme un toubib. Je dois avoir une sale gueule parce qu'il se met à jurer en espagnol.
- ¡ Joder ! ¡Santa mierda ! ¡Coño de su madre !
Il fait ça parfois, quand il est choqué. Ça me soule ! Il me soule. Je déteste la tronche qu'il tire. Je déteste qu'il soit dehors et moi coincé ici comme un animal. Je me passe l'arrière de la main sur le front pour essayer d'enlever la sueur qui me mouille les sourcils. À mon avis, je réussis qu'à me foutre encore plus de saleté sur le visage.
- Qu'est-ce tu fous là ? je râle méchamment avec une voix toute cassée.
Je suis debout depuis moins d'une minute et j'ai déjà la tête qui tourne. Je vais gerber. Pour de vrai. J'ai les jambes qui tremblent comme les pattes d'un putain d'agneau mais je me démerde pour le cacher. Diego grimace et rampe sur ses coudes pour se rapprocher de l'ouverture. À sa place, je ferais pas ça, je dois avoir une haleine de poney.
Il me fixe avec ses sourcils froncés et son air inquiet. C'est ridicule.
- Qu'est-ce qu'il t'a fait, cabron ? il s'énerve en revenant sur l'anglais.
Rien de fou, cette fois.
- Occupe-toi de ton cul, je le rembarre sec.
J'avais prévu de lui demander un coup de main, mais c'est mort. J'y arriverais pas. Je me dégoûte assez sans avoir une dette envers lui.
- Comment tu savais que j'étais là ? je croasse.
- Je savais pas. Mais comme t'avais disparu de la circulation, je suis entré et j'ai demandé où...
Je le détruis du regard et il se tait illico en voyant la gueule que je tire.
- Putain ! Je t'ai dit de pas t'approcher de cette baraque ! Je t'ai dit de pas entrer !
Je balise rien que de l'imaginer se perdre dans le bordel et tomber sur sa clique. Mais il lui ferait rien, j'essaye de me rassurer. Il aurait rien à y gagner. Et Diego lui appartient pas, contrairement à moi. N'empêche, je préfère qu'il se tienne loin de la maison des horreurs.
- Désolé, mec. Mais je te trouvais nulle part ! Je flippais grave et... quoi ? Qu'est-ce t'as ? il s'arrête en me voyant me marrer.
Enfin, j'essaye de me marrer, mais j'ai la gorge tellement sèche que je fais que tousser. Je ris parce qu'il est complètement débile, voilà pourquoi.
- Rien. C'est bon, tu m'as vu. Je vais bien alors tire-toi !
J'essaye de refermer le battant de la fenêtre mais il met aussitôt sa main pour la maintenir ouverte. Je lutte contre lui une seconde mais je suis tellement vidé que je laisse tomber avant de m'humilier encore plus.
- Tu vas pas bien du tout. T'as vraiment une sale gueule, pendejo.
Ça y est. Je lui fais pitié. Je me hérisse.
- Vas te faire foutre ! je crache, dégouté. Tu t'es vu ? Toi t'as pas besoin de passer trois jours dans une cave pour ressembler à rien ! Vas-y, casse-toi.
- Quoi, ça fait trois jours que t'es là ? ¡ Joder de mierda !
- Barre-toi, je te dis.
- Mec...
- T'es sourd ?
- Je vais pas te laisser.
- Ça va, t'inquiète.
- Non ça va pas ! Je vais te faire sortir, il lance en commençant à reculer.
Je passe vite mon bras par la fenêtre pour le retenir. J'agrippe son poignet en y mettant toute ma force pour qu'il ne se rende pas compte à quel point je suis faible.
- T'as pas intérêt ! Eh, tu m'écoutes ? Tu rentres pas ici, je t'ai dit !
- Lâche-moi.
- Je te jure que si tu entres, je t'adresse plus jamais la parole.
- Qu'est-ce qui te fait croire que ça me fait quelque chose ?
Je le relâche. Je réponds rien. Parce que j'ai rien à répondre. J'ai été un peu trop prétentieux sur ce coup. C'est vrai, qu'est-ce qu'il en a à foutre que je lui cause ou non ? Je sens un peu de sang me monter au visage et je recule pour pas qu'il le voit.
- Relax, je vais pas entrer. Bouge pas, je reviens.
- Où est-ce que tu veux que j'aille ? je marmonne, mais il a déjà détalé.
C'est gênant mais je me sens encore plus mal maintenant qu'il est reparti. Il tient quand même parole, ce con. Il est de retour au bout de trois minutes. Il s'accroupit près de la fenêtre et pousse une canette de soda et une épingle à cheveux de gonzesse dans ma cellule.
Je déglutis en fixant les deux bricoles. Je me baisse pour les ramasser sous les yeux de Diego. Je le remercie pas, je suis assez mal comme ça. De toute façon, il n'attend rien de moi. Depuis le temps, il sait à quoi s'en tenir. Je décapsule direct la boisson et je la vide d'une seule traite.
C'est sucré. Et froid.
Putain de bordel de merde, ça fait du bien !
Je sais pas si c'est dans ma tête mais j'ai l'impression que ça me redonne un peu de force. Un tout petit peu. Je froisse le métal entre mes mains pour pas perdre une goutte de limonade, après ça je jette l'emballage dans un des cageots vides.
- Reste dehors, je te rejoins, je dis à Diego en refermant la fenêtre avant de m'agenouiller devant la porte de la pièce.
Je tords l'épingle à cheveux avant de la foutre dans le trou de la serrure. Les serrures, ça me connait. Un peu et je pourrais les ouvrir avec des brins de paille. En trois secondes, je suis dehors.
Je croise personne dans les couloirs. La veine, j'en ai pas souvent, alors quand ça m'arrive, je me pose pas de question. Je trace. J'ai mal partout. J'ai l'impression que je vais tomber en pièce comme une vieille auto. Faut que je sorte d'ici. Vite.
Y a quelques clients qui traînent dans le salon rouge mais personne d'important. Deux-trois poireaux trop occupés par les "distractions" qu'ils ont sur les genoux.
J'aime pas cette pièce. Il fait sombre, y a de la fumée partout et ça pue l'encens et cette odeur bizarre qui se dégage des meubles et décos en bois. Les putains arrêtent pas de glousser comme des poules. Elles font semblant, je le sais, ces mecs sont encore moins drôles que moi. Elles font sûrement semblant pour tout.
Je me faufile discrètement entre les poufs et fauteuils. Au dernier moment, un des vieux cons sur les canapés m'appelle.
- Eh, l'avorton...
Il a une voix pleine d'alcool. Je me tourne pas pour voir qui c'est. Je lui fais un doigt d'honneur bien chien avant de claquer la porte derrière moi et de foncer vers les escaliers en bois. Tout est en bois dans cette baraque. Les meubles, les murs, la charpente... Il doit trouver ça classe, mystérieux ou je ne sais quelle connerie.
Le bois, ça prend feu facilement.
Je m'accroche à la rampe pour m'aider, mais je me rate quand même sur plusieurs marches. Une d'entre elles me taille le tibia. Pas celui que le rat a pris pour un casse-croûte, l'autre. J'atteins le premier étage et je me faufile dans un boyau de la baraque. Ici aussi, il fait tout sombre. Il fait sombre partout dans ce bordel. C'est comme si on était tout le temps la nuit.
Mais j'ai parcouru ce couloir tellement de fois que je marche presque les yeux fermés. J'ignore les bruits de baise qui traversent les murs. Je passe devant des portes fermées sans m'arrêter jusqu'à trouver la bonne. J'ai le bide qui se tord de malaise. J'hésite une minute entière avant de l'ouvrir. Je tends l'oreille mais aucun "son" sort de cette pièce.
Je pousse le battant avec ma chaussure. J'entre. Ça pue le crack. On dirait une odeur d'eau de javel, mais je sais ce que c'est. C'est pas de l'eau de javel. Il fait nuit aussi dans cette chambre. La seule trace de lumière vient d'une lampe à huile décorative sur la table de chevet, juste à côté d'une ligne de poudre dispersée. Encore une connerie vintage inutile. Je fixe la petite flamme pendant trente secondes.
J'ai presque l'impression de la sentir brûler à l'intérieur de mes côtes.
Faudrait pas que la bougie se casse la gueule. Elle pourrait facilement toucher les rideaux trop longs qui balaient le sol juste à côté. Et avec tout ce bois...
Ce serait sacrément dommage.
- Royce ? C'est toi ?
Je me retourne lentement vers le lit. Elle est assise là, toute seule. Elle est recroquevillée dans les draps comme un animal malade. Comme une poupée en chiffons. Elle a sa mauvaise voix, celle de quand elle est droguée. Ça me donne mal au ventre. Je grimace et me détourne pour foncer vers la commode en chêne, juste à côté de mon ancienne couchette.
Ça fait des années que je dors plus ici, mais mes affaires sont toujours là. J'ouvre violemment le premier tiroir. Il se déboite et s'écrase par terre. J'entends ma mère glapir derrière, mais je fais comme si j'étais sourd. Elle m'appelle encore. Je l'ignore encore.
Je ramasse un t-shirt, un vieux jean et un caleçon. Je vais m'enfermer dans la petite salle-de-bain pour me changer. Je laisse mes fringues sales par terre. Je bois direct au robinet du lavabo et j'en profite pour me débarbouiller le visage.
Quand je retourne dans la chambre, elle s'est levée. Elle porte une toute petite robe de nuit. Je déteste la croiser quand elle est presque à poil. Je suis son rejeton, pas son client. J'ai pas envie de voir tout ça.
En plus, elle ressemble à rien. Y a trois tonnes de nœuds dans ses cheveux noirs, son maquillage a dégouliné et elle a encore maigri. Bientôt, on lui verra les os. Comme avec Michael Jackson. Avant, je la trouvais belle. Y a super longtemps. Elle doit toujours l'être un peu sinon, on payerait pas pour elle.
Elle s'approche. Je serre les dents. Je la regarde de travers sans bouger.
- Royce, mon bébé... tu étais où ? Je n'ai pas eu de tes nouvelles, elle chuchote.
Je déteste quand elle me parle gentiment. Ça aussi, ça me donne mal au ventre. Elle pose la main sur ma joue. Je me dégage direct en attrapant son poignet pour l'éloigner comme si elle m'avait brûlé. C'est presque ça. Je veux pas qu'elle me touche avec ses mains qui touchent déjà tout plein d'hommes. Qui le touchent lui et tous ses potes, aussi.
- Me touche pas !
Je recule immédiatement. Je la relâche parce que ses yeux commencent à se remplir de larmes. Elles vont bientôt déborder. Elle va se mettre à chialer. Elle chiale tout le temps. Je déteste quand elle pleure. Ça me fait mal partout à l'intérieur. Ça me donne encore plus l'impression d'être une merde.
- C'est bon, arrête, je lâche en reculant vers la porte.
- Tu m'as manqué.
Mon cul.
- Tu étais parti ? elle demande d'une toute petite voix.
- Ouais voilà, c'est ça.
- Tu t'en vas ?
J'arrête de lui répondre. Je sors en refermant la porte derrière moi. Je me retape tout le couloir dans le sens inverse. Je traverse la baraque en me cognant presque contre les murs tellement je suis fatigué. Je suis quasiment libre. Aucune trace de lui et de ses chiens. Il me reste plus qu'à passer le patio et je suis libre.
Peut-être que la chance se décide enfin à me filer des miettes...
Mais non.
Je freine net en mettant le premier pied dans la petite cour. J'ai envie de rembobiner. De pas avoir poussé cette porte. Ils sont là, assis autour de la grande table, près de la fontaine. Ils sont presque au complet. Sept plus lui, il en manque qu'un, je calcule dans ma tête.
Il m'a pas encore cramé, Il me tourne le dos.
Je sais pas de quoi ils parlent tous. Y a pleins de papiers étalés devant eux alors ils causent probablement de leurs grands projets pour engranger encore plus de thune. Ils se prennent pour les rois du monde avec leurs costumes de millionnaires. De vrais guignols. Ils vident leurs verres de vin en discutant avec leurs grosses voix. La sienne porte plus que toutes les autres et elle me donne envie de disparaître.
D'ailleurs, c'est ce que je m'apprête à faire. Je recule en quatrième vitesse pour détaler comme une fiotte. C'est pas le moment de jouer les caïds. Parce que je perdrais. Mais en reculant, je croise le regard de l'un d'entre eux.
Warren Marshall.
Il fait partie de ceux dont j'ai enregistré les noms.
Ses yeux de cochon se braquent sur moi et ses lèvres se mettent à sourire.
Merde.
- Hé ! Is', regarde qui est là !
Merde. Merde. Merde.
Je suis fait.
Comme ce rat que j'ai buté en bas.
Ces mecs... je suis leur jouet. C'est des dogues et moi je suis l'os qu'ils adorent ronger.
D'un coup, ils se tournent tous vers moi, lui compris. Je me fige comme une bête devant une carabine à pompe sans savoir si je peux encore me tailler. Non, y a pas moyen. Je sais très bien que je vais pas le faire. Pas maintenant que tout le monde me regarde.
- On dirait qu'il s'est perdu, rigole le gros Bobby en tirant sur son cigare avant de se mettre à tousser.
C'est ça, étouffe toi et crève.
- Allez, amène-toi, Roycy, embraye Nicolaï avec son accent russe complètement éclaté en passant une main dans ses cheveux blonds.
Roycy t'emmerde, pédé.
- Allez, approche gamin. Promis, on va pas te mordre.
Je carre les épaules et redresse le menton, mais à l'intérieur, je suis mal. Je déguste. Je serre les poings pour que personne voit que j'ai les mains qui tremblent. S'ils se rendent compte que j'ai peur, je suis mort. Ils adorent ça. Surtout lui.
Pour l'instant, il dit rien. Il me fixe en silence avec ses yeux de fou. Pourquoi personne d'autre que moi ne se rend compte qu'il est fou ? Peut-être parce que les autres sont aussi dérangés.
- Ouais, Is', dis à ton poupon qu'on va pas lui faire de mal. Regarde-le, il ose même pas venir dire bonjour.
Ils s'y mettent tous sauf lui et son frangin. Ouais, Aaron non plus l'ouvre pas.
- C'est vrai qu'il est pas très bien élevé, le môme. Il a pas de père, alors c'est à toi de lui refaire son éducation, Isaiah.
Celui-là, j'ai pas encore son nom. Pour l'instant, j'ai jamais entendu personne le prononcer devant moi. Mais j'ai noté sa plaque d'immatriculation l'autre jour, alors je devrais pas tarder à le trouver pour compléter ma liste. Je le mitraille avec mes yeux sans bouger.
- Comment va ta mère, petit ? relance Marshall. Ça fait un bail que je lui suis pas passé dessus.
- Elle va mieux depuis qu'elle voit plus ta petite queue, rigole un autre.
- Ah, cette chère Billie... c'est ma préférée, décrète Bobby en me regardant droit dans les yeux avec son sourire de pervers. Le nombre de trucs qu'elle sait faire...
Mon visage se met à cuire. Je vois tout en rouge pétant. Ça recommence à me brûler à l'intérieur. Comme si j'avais une créature enfermée avec mes boyaux. Ou... une bête. Quand elle enrage, je deviens son esclave. C'est pas le moment, mais je peux plus rien décider quand ça m'arrive.
J'ouvre la bouche sans réfléchir.
- Allez tous vous faire foutre, je lâche fort avant de cracher par terre.
J'ai le cœur fou comme si j'avais piqué un sprint. Je suis trop con. Trop con. Je garde une main sur la poignée, derrière moi, au cas où je devrais décamper en urgence. Autour de la table, ça se met à siffler. Ils sont excités, ces chiens. Ils ont flairé la partie de chasse.
- Eh, Is', tu vas pas laisser passer ça, si ?
- Ouais, Is', donne lui une bonne leçon à cet insolent. Faut qu'il se rappelle qu'il est sous ton toit.
Comme si je pouvais l'oublier.
Il se lève.
Merde.
Il me regarde et il parle. Sans lever la voix, calmement comme si tout allait bien. Comme s'il était pas en colère.
- Viens ici, Royce.
Merde !
Je recule instinctivement. C'est bon, je me tire.
- Fais pas l'idiot, il dit en lissant sa veste de costume noire. Tu sais comment ça se passe quand tu m'écoutes pas...
C'est vrai. Je sais. C'est gravé dans ma peau.
Et peu importe où je vais, il me retrouve toujours.
J'hésite. J'arrive pas à avaler ma salive, j'ai les jambes qui fatiguent de plus en plus et j'ai du sang dans la bouche parce que je me suis mordu la langue sans le faire exprès, mais je reste droit comme un poteau pour pas les satisfaire.
- Amène-toi si t'es un homme.
Ça y est. Il m'a coincé. Je pourrais plus m'enfuir maintenant qu'il a dit ça. Il le sait très bien.
Je prends une inspiration vite fait. Et j'y vais. En traversant le patio, je plonge mes mains au fond de mes poches pour donner l'impression que je fais une petite balade. J'essaye de marcher droit pour pas qu'ils se rendent compte que j'ai plus que quelques grammes d'énergie. Mais lui, il le sait. C'est lui qui m'a enfermé y a trois jours sans rien à bouffer.
Je m'arrête en face de lui et j'attends.
- Qui t'a fait sortir ?
Impossible que je parle de Diego. C'est mort de chez mort. Je préfère encore retourner passer une semaine dans la cave.
Je hausse une épaule. Je hausse toujours la même depuis qu'il m'a déboîté l'autre quand j'avais huit ans.
- Une de tes putes m'a ouvert.
- T'es sûr ?
- Ouais.
- C'est drôle, il dit en enfonçant les doigts dans la poche de son pantalon, parce que c'est moi qui ai les clés.
Il agite le trousseau devant mon nez. Elles font un bruit de métal en se cognant les unes contre les autres. Et il les jette dans la fontaine, à côté de nous. Je les regarde couler au fond sans réagir.
- Ramasse-les.
Quoi ?
Je fronce les sourcils et il répète avec un ton encore plus froid.
- Ramasse-les, c'est un ordre.
Les autres ont enfin fermé leurs gueules, mais ils nous regardent comme si ils étaient au cinoche. Il leur manque juste les popcorns.
Je flaire l'arnaque, mais j'ai pas le choix.
Je serre les dents et je me penche pour rattraper les clés dans le bassin. J'aurais pas dû. J'ai juste le temps de mouiller le bout de mes doigts avant de sentir sa main appuyer sur ma nuque.
Je bascule en avant. Mes genoux se cognent hyper fort contre le sol. Avant que mon front touche la surface, j'agrippe le bord de la fontaine pour lutter. Je pousse de toutes mes forces jusqu'à ce que j'ai l'impression que ma tête va éclater. Mais c'est pareil que d'essayer de remorquer un fourgon à mains nues. Impossible. Il appuie encore plus à l'arrière de mon cou et me plonge la tête dans l'eau froide.
Putain !
Une seconde, j'entends les rires des autres, et après le silence. Les rebords en pierre me scient le ventre. L'eau me rentre dans le nez. J'ai même pas eu le temps de prendre une inspiration. Je cherche pas à me débattre parce que c'est débile. J'ai aucune chance et je me viderais juste de mon carburant plus rapidement. Déjà que je suis presque à sec...
Donc j'attends. J'essaye de me rappeler combien de temps on peut rester sous l'eau avant d'être refroidi. Je crois que Diego m'a dit un jour qu'y a un champion de plongée qui a tenu un truc comme dix minutes sans respirer. Je sais même plus pourquoi il me parlait de ça, des fois quand y a rien à dire, il se met à raconter des trucs sans intérêt. Il parle de sa frangine ou des conneries qu'il voit à la télé.
Moi, je suis pas un champion de plongée.
J'en peux déjà plus.
J'essaye de compter les secondes, mais j'ai trop de mal à me concentrer alors je m'emmêle et je recommence plusieurs fois.
Trente-cinq, trente-six, trente-quatre... merde... trente-sept...
J'ai l'impression que mon cœur va éclater comme un ballon percé.
Cinquante-neuf, soixante, soixante-et-un...
J'ai envie de respirer. J'en ai besoin à crever. C'est un cauchemar. Comme de clamser encore et encore et encore.
Quatre-vingt-trois... quatre-vingt-quatre...
Je vais mourir, cette fois, c'est sûr.
Cent-douze, cent-treize, cent-quatorze...
Il veut vraiment me donner la mort ?
Cent-vingt-deux...
Cent-vingt-deux
Cent-vingt-deux
J'avais prévu de pas le faire, mais je me débats quand même. Mon corps me laisse plus le choix. J'agite les bras comme un noyé pour essayer de sortir. Je bois la tasse et je m'étouffe. L'eau a un goût d'algue... un truc bien dégueu et bien rance. J'ai pas envie de crever là-dedans.
Au moment où je crois que c'est la fin, la main sur ma nuque se relâche. Elle me laisse remonter et reprendre mon souffle. J'aspire tout l'air que je peux en crachant. Mes poumons se remettent à pomper. Et il m'enfonce à nouveau.
Bordel de merde !
Je me noie à nouveau.
Cette fois je compte plus. Ça sert à rien. Dans mon corps, je crois que plus rien fonctionne correctement, tout dégénère à cause du manque d'oxygène. C'est l'horreur. Ça fait trop mal. Comme de la torture.
J'aurais largement préféré qu'il me taillade avec un de ses canifs en argent. Ce genre de douleur là, je peux très bien le supporter, maintenant. Je peux même l'endurer sans grimacer ni même émettre un seul son. Mais ça... ça c'est cent fois pire.
Une seconde avant que je prenne une inspiration dans l'eau, on m'arrache brutalement de la fontaine. Je tousse en essayant d'aspirer tout l'air de l'univers en même temps. Je vois des taches bizarres qui flottent partout autour de moi. Je claque des dents comme un con. Je me sens encore un peu mort. La noyade m'a pas tué mais c'est l'humiliation qui me bute, maintenant.
Je me serais effondré comme une masse si la main qui m'a tiré de l'eau me retenait pas par l'arrière de mon col trempé. C'est pas la sienne à lui parce qu'il est devant moi.
- T'es pas bien ? Qu'est-ce qui t'a pris, putain ? crie le type qui m'a sorti du bassin sans me lâcher.
- Calme-toi, Chris, je lui donnais juste une petite leçon de politesse. J'ai bien le droit, non ?
Je lève les yeux vers le mec. Je le reconnais. C'est le neuvième, celui qui manquait à l'appel tout à l'heure. Chris Williams, la dernière recrue en date du petit club. Il est sur ma liste, lui aussi.
Quand j'ai repris assez d'air pour tenir debout, je me dégage sèchement de sa prise pour l'obliger à lâcher mon T-shirt. Il me libère.
- T'étais en train de le noyer ! il siffle. C'est un gosse, bordel ! Et vous, qu'est-ce que vous foutez ?
Je le fusille du regard même s'il me voit pas. Je veux pas de sa pitié, à ce connard. S'il a besoin de soulager sa conscience, il a qu'à sauver des baleines, moi je m'en balance de sa compassion de merde. En général, ça l'emmerde pas plus que ça que je morfle. Et il a du culot de me traiter de gosse, il a quoi... vingt-quatre ? Vingt-cinq ans ?
Connard.
- J'ai rêvé où tu viens d'essayer de faire la loi dans ma propre maison, Christopher ?
Le blond la boucle. Il baisse les yeux, mais je le vois serrer les poings.
- Allez l'ami, lance Bobby sur le ton de la plaisanterie. Fais pas ta vierge effarouchée. Ce môme est un morveux et c'est pas comme si on l'avait tué. Détends-toi.
Williams soupire et se passe une main sur le visage. Le maître de maison lui met un bras autour des épaules comme à un pote ou à un gentil neveu sans plus me jeter un regard.
- Allez Chris, t'es pardonné. Que je te reprenne plus à me dire comment je dois m'occuper de mes affaires, il dit sur un ton d'avertissement qu'il cache par un faux sourire. Alors, dis nous plutôt comment va ta petite ?
- Arrête, l'appelle pas comme ça, râle le blond sans essayer de se dégager de la prise.
- Et Vicky, comment elle va ? le charrie le russe.
- Vicky va très bien, répond sèchement Williams qui fait encore la gueule.
- Tu la sautes toujours ?
- La ferme.
Ils ont assez joué pour aujourd'hui, ils sont passés à autre chose. Plus personne me prête attention. Je profite de leurs bavardages pour me tirer. J'ai plus rien à craindre techniquement, mais je traîne pas. Je pousse le portail en fer forgé et gagne la rue en m'essuyant le visage avec mon T-shirt mouillé et tout déformé.
J'ai l'impression d'être encore dans l'eau et de pas pouvoir reprendre mon souffle correctement. Je marche vite. Je longe le trottoir défoncé la tête basse, je me déchire les paumes avec mes ongles. Ça recommence. J'ai encore des images de sang et de feu dans la tête, des cris de gens qui brûlent, mais cette fois, c'est comme si on avait monté le volume au max.
Je crève de chaud. J'ai comme une bombe au fond de la poitrine. Je préfère pas être à côté quand elle va péter, mais j'ai pas trop le choix. Je respire super fort pour essayer de calmer ce qui m'arrive... dedans. J'essaye de calmer mon monstre, celui qui vit à l'intérieur de moi. Mais je peux pas. C'est trop puissant. Plus que moi.
Et ça me rend fort. Je sens même plus la fatigue.
- Royce ! Eh mec ! Royce ! Espérame !
C'est Diego.
Je l'avais complètement zappé. Il court dans mon dos. J'accélère même si je le sèmerais pas.
- Eh cabron ! Attends-moi, merde !
Il dérape derrière moi et m'attrape par l'épaule pour que je m'arrête. Je le chope à la gorge sans réfléchir et je le colle à la façade. De toutes mes forces. Il agrandit les yeux sous son rideau de boucles. Il ouvre la bouche et lève les mains en l'air. Il me fixe sans rien dire. Je sais ce qu'il regarde. Mes cheveux trempés qui dégoulinent sur mon visage, mes vêtements pleins d'eau, mon air pitoyable...
- Dis un truc et t'es mort, je chuchote près de sa tête.
Il hoche le menton très vite de haut en bas et je le lâche.
- J'ai un truc à faire.
Je lui tourne le dos et je continue de marcher. Je sais très bien où je vais. Tout est clair dans ma tête. C'est pas moi qui décide, c'est ce truc, à l'intérieur de moi. Je fais ce qu'il veut, je m'en fous.
- Je peux venir ?
- Non. Tire-toi.
- Je veux venir.
- Ce que tu veux, c'est pas mon problème. Tire-toi.
Il se tire pas. Il continue de me suivre comme un petit chien. Qu'il fasse ce qu'il veut après tout, je m'en cogne. Je pousse la porte de la quincaillerie du coin en arrivant devant. Je fonce dans les rayons pour trouver ce que je cherche. Un bidon d'essence. J'en ramasse un moyen en plastique rouge. Le symbole d'avertissement en forme de flamme me donne presque envie de sourire.
Presque.
Diego me regarde faire sans rien dire.
Je me dirige vers la sortie avec ma boisson. Quand je passe devant le comptoir pour chourer un briquet, le vieux Jimmy m'interpelle:
- Hé ! Walters ! T'as de quoi payer, au moins ?
Il vient se planter devant moi pour me barrer la route. J'actionne le briquet pour faire sortir la flamme.
- Non, mais j'ai de quoi allumer ta boutique alors viens pas m'emmerder.
Je sors sans attendre de voir sa réaction et il essaye pas de m'arrêter. Diego recommence à me courir après. Il balise.
- Qu'est-ce tu fous, mec ? Tu vas faire quoi avec ça ?
- Un barbecue.
- Non, arrête, je suis sérieux ! Qu'est-ce tu vas faire ?
- Un barbecue.
- Royce...
Je me stoppe net et il me rentre dedans. Je le pousse et je me tourne pour le fixer méchamment.
- Est-ce que tu vas être un problème ?
- Non.
- Alors ferme-la ou casse-toi.
Il la ferme. Il dit rien jusqu'à ce qu'on soit de retour près du bordel et même là, il continue de se taire. Je ralentis en apercevant ce que je cherchais. Elle est trop belle. Comme une top model, mais en mieux. Les top models sont pas aussi fraîches. Elle est parfaite. Toute sage, garée au bord du trottoir comme une gentille fille.
Une Porsche Spyder. C'est sa préférée. Je le sais parce que c'est presque tout le temps celle-là qu'il amène quand il vient. Il préférerait sûrement que je brûle une de ses catins plutôt que de me voir toucher à ce bijou. Il l'adore. Ça se comprend, elle est géniale avec ses jantes en argent et ses ailerons de la mort. Ça me rendrait presque triste.
Presque.
Je la regarde encore quelques minutes.
Sans rancune.
Ma bête s'est calmée. Elle sait que je vais plus me défiler.
- Si tu veux te tirer, c'est maintenant, je lance sans quitter la bagnole des yeux.
- No.
- Ok.
Je débouchonne le bidon et fais gicler la totalité du contenu sur le toit de la caisse. Je la noie exactement comme il m'a noyé. Ensuite je balance l'emballage vide sur la chaussée.
Et j'actionne le briquet.
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