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Chapitre 19

Ma vision trouble démolit pour reconstruire à sa guise des facettes du visage qui me fait face, mais même en voyant double et en pixels, je ne peux pas ignorer l'aura malfaisante qui se dégage par ondes glaçantes de cet ange démoniaque. Un ange parce que ces traits aussi follement harmonieux et ces courtes boucles d'un étrange blond vénitien ne peuvent qu'être ceux d'un cousin de Gabriel. Démoniaque à cause du néant qui règne dans les deux prunelles habitées. Aussi parce qu'il a des fossettes et que des fossettes, quand on a passé les trente ans, c'est forcément maléfique !

Je serre mes lèvres l'une contre l'autre sans lui répondre. C'est malpoli, j'en ai bien conscience, mais je suis ivre, non ? Les gens ivres ne sont pas forcés de se montrer courtois, c'est là tout l'avantage : on leur pardonne tout ! Nate m'a raconté que son père a uriné dans un pot d'Hortensias en rentrant saoul d'une soirée, une fois, et que sa mère a juste jeté les fleurs sans épiloguer sur l'incident. Il dit que c'est parce qu'on ne peut pas en vouloir aux personnes bourrées, qu'elles ne sont pas elles-mêmes. Moi je pense surtout que sa mère est aussi imbuvable que la mienne et qu'elle ne peut pas reprocher à son époux de se noyer dans l'alcool pour oublier qu'il est coincé à vie avec une sorcière dans un corps de "Barbie et la magie de mode".

- Hein ? je demande parce que les lèvres d'enfant de cœur du démon viennent d'onduler sans que je ne saisisse un mot.

- Lily, je présume, répète patiemment l'homme avec un fort accent d'Europe de l'Est.

Il a la même façon de s'exprimer que Vladimir Poutine quand ce dernier parle anglais pendant ses discours. Il est peut-être russe. Peu importe qu'il soit russe, polonais ou bosniaque, il est surtout flippant ! C'est... je ne sais pas, c'est une sorte d'impression. Je hoche faiblement la tête et tords nerveusement ma bouteille en plastique dans mes mains. Je me souviens bien de lui, à présent. Oui, je me rappelle. Dans ce bar avec Royce, le soir où j'ai appris que mon mécanicien sortait de prison. C'était il y a genre... une éternité. Et ce monsieur lui avait proposé de la drogue ! Il ne l'avait pas dit ouvertement, mais je suis presque sûre que c'était de la drogue.

Je m'écarte instinctivement quand il incline le buste vers moi. Il fait comme s'il n'avait pas remarqué mon mouvement de recul et pousse un verre plein dans ma direction.

- C'est ma tournée, susurre-t-il quand je lève des yeux interrogateurs vers lui.

S'il croit que je vais boire ça, alors il est encore plus fou qu'il n'en a l'air. J'ai suivi des conventions de prévention contre tous les types d'agression au lycée, et ne consommer que ce qu'on nous sert est une des règles d'or pour rester sain et sauf. Comme je n'esquisse pas un geste en direction de son offrande, il arque ses sourcils presque inexistants.

- Je ne bois pas de verres offerts par des inconnus, je décline en haussant les épaules.

Plus amusé que vexé, il sourit. Je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça un sourire, ni même s'il est seulement capable d'avoir l'air joyeux, son visage osseux se déforme douloureusement et ses lèvres s'étirent étrangement pour lui trouer des fossettes déplacées dans les joues.

- Tu as bien raison, il commente simplement pendant que je fixe le col ébène de sa chemise bien coupée.

- Euh... bon ben... je vais..., il va falloir que j'y aille, j'essaie maladroitement de prendre congé.

- Ce n'est pas prudent pour une fille comme toi de se promener seule de nuit, il décrète et son regard abyssal qui se balade à sa guise sur ma figure déclenche des battements désordonnés dans ma poitrine.

Une fille comme moi ?

- Si tu veux, je peux te déposer chez toi.

Je crois que je ricane. C'est nerveux, compulsif. Ça m'échappe tout simplement.

- Si je ne bois pas les verres que m'offrent les inconnus, je ne monte pas non plus en voiture avec eux ! je théorise devant son air surpris.

- Ah oui ? Ce n'est pas ce que j'ai entendu dire...

- Comment ça ?

- Peu importe. Tu es ici toute seule ?

Dans la tumeur brumeuse qu'est devenu mon esprit, une sirène stridente retentit, comme celles des ambulances en Angleterre, qu'on entend arriver des kilomètres à la ronde. "Tu es ici toute seule ?" Ça ressemble fort à une question de psychopathe qui va me proposer des bonbons, m'injecter de l'anesthésiant pour cheval et me traîner dans un van aux vitres teintées pour se livrer à un rituel satanique ou me faire des trucs encore plus glauques. Alors là, même pas en rêve !

Pin-pon, pin-pon, vocifèrent les sirènes imaginaires dans mes conduits auditifs surmenés.

- Non ! Je suis venue avec des amis.

- Des amis ?

Je me tords le cou et jette un rapide coup d'œil par-dessus mon épaule pour essayer d'apercevoir les "amis" en question, mais la foule compacte qui me sépare de mon groupe comme un océan empêche deux pays de se tenir chaud me les dissimule. Mince !

- Oui, je confirme en essayant d'insuffler le plus d'assurance possible à mon ton. Des amis hommes très musclés, avec plein de tatouages. Ils viennent du Nord et ils savent se battre, et...

Un rire brise mon élan. Enfin, en procédant par élimination, j'en viens à la conclusion qu'il y a plus de chance que ce son désincarné et très peu naturel soit un rire qu'une crise de toux. On est en été, ce n'est pas la saison des rhumes.

- Du calme moy angel. Je ne suis pas un pervers venu ici pour t'enlever, dit le Russe et cette remarque fait éclore un éclat d'humour inquiétant au fond de son regard.

- Oui, c'est ce que doivent dire les pervers avant de kidnapper leurs victimes, je fais bêtement remarquer en grommelant dans la barbe blonde qui n'a jamais poussé à mon menton. Bon, je suis désolée, Monsieur, je suis attendue, alors...

- Est-ce que Royce est là ? tranche l'homme de son timbre onctueux et coupant à la fois.

- Hein ?

- Royce Walters. Est-ce qu'il est parmi les hommes musclés et tatoués ? me questionne-t-il tout en me jaugeant avec amusement.

Je gonfle mes poumons d'une longue et profonde inspiration. Je ne peux pas expliquer ce qui me pousse à mentir ensuite. Peut-être que c'est à cause des substances que cet homme a proposées à Royce devant moi, l'autre jour. Ou parce que, comme Damoclès se fait chatouiller le front par la pointe d'une épée, mon mécanicien risque à tout moment d'être renvoyé en prison, et que cet énergumène-là a "problèmes" d'inscrit sur le front. Et en lettres sanglantes, s'il vous plaît. Comme ce message sur le mur de Poudlard : "La chambre des secrets a été ouverte. Ennemis de l'héritier... prenez garde". Je ne veux pas qu'il s'approche de Royce ! Cette certitude disperse un peu mon blizzard mental.

- Non, je réponds calmement d'une voix inflexible dont je ne suis pas peu fière.

Je ne sais pas si le... si ce Vadim me croit, en tout cas, il ne cherche pas à me contredire. Il me rafraîchit la nuque avec ses yeux qui caressent mon visage. Ses yeux incolores et profondément enfoncés dans leurs orbites sont comme deux crevasses vides et je me dis que c'est l'effet qu'a le mal sur l'homme. Il attaque l'âme, la ronge comme de l'acide et on peut la voir pourrir et se disloquer à travers les vitres du regard. La première fois que j'ai vu Royce, la première fois que j'ai croisé ses prunelles silencieuses, j'ai pris un coup.

Mais, là c'est très différent. L'âme de celui-là est à un stade avancé de décomposition, comme une peau de banane qu'on a oubliée dans le jardin et qui se fait dévorer par les insectes. Ce n'est pas très flatteur, mais c'est tout ce qui me vient, là.

- Mais tu le connais, n'est-ce-pas ?

Pourquoi est-ce qu'il pose des questions dont il connaît déjà les réponses ? Maman fait ça parfois, et c'est pour me coincer, en général. "Lily, comment s'est passée ta séance photo, cet après-midi ? C'était bien ?" Et toi, comme une idiote, tu réponds que c'était impeccable, sauf qu'elle te tombe dessus parce qu'elle sait déjà que tu l'as séchée pour aller danser devant les caméras de surveillance d'un supermarché ou chasser des Pokémons sauvages avec ton meilleur ami. Ma mère n'a hérité de presque aucun instinct maternel, mais, manque de chance, la nature lui a quand même fait cadeau de ce superpouvoir de maman qui consiste à savoir si son enfant ment.

- Un peu, je confirme, de plus en plus mal à l'aise.

Pourquoi est-ce qu'il me parle de Royce ?

Pourquoi est-ce qu'il me parle, d'ailleurs ?

Et pourquoi les biscuits durs deviennent mous alors que les biscuits mous deviennent durs ?

Enfin, non, ça on s'en fiche. On traitera ce dernier problème quand on ne sera plus piégé dans une discussion glauque avec un individu encore plus glauque. Mon cerveau, qui ressemble en ce moment à une espèce de gadoue visqueuse, ne parvient pas à s'inquiéter vraiment. Par contre, c'est comme si le reste de mon corps répondait à un instinct de conservation qui me dépasse, quelque chose qui doit dater de l'époque où on était des bonhommes poilus exposés à des prédateurs préhistoriques. Mon duvet se met en garde-à-vous sur ma nuque poisseuse, mes paumes deviennent moites et les doigts que je dissimule derrière mon dos sont secoués de petits tremblements. C'est insensé.

- Un peu, répète l'autre, songeur, en trempant les lèvres dans le verre dont je n'ai pas voulu. Vous êtes amis, tous les deux ?

"Je n'ai pas envie qu'on soit amis. C'est plus clair, comme ça ?" cingle la voix de mon obsession au fin fond de mon esprit.

- Non, je réponds honnêtement en m'accordant un nouveau coup d'œil éclair en direction de notre banquette.

Je ne vois rien de plus qu'une marée humaine prête à jeter sur le rivage une horde de membres en sueurs, de talons aiguilles et de tissus chatoyants. Ça me donne le tournis. Et comme ça, d'un seul coup, mon énergie se quitte... Enfin, elle me quitte, aspirée hors de mon corps par un vortex infernal. Je me sens brutalement fatiguée, du type d'épuisement qui vous prend par surprise et semble s'installer en vous pour toujours. Je chancelle et m'agrippe vivement au dossier du siège voisin pour garder mon équilibre. J'ai envie de rentrer me coucher. Quand je me rappelle que je n'ai plus vraiment de lit qui m'attend nulle part, mon éreintement se change en abattement et je m'entends renifler.

Je pourrais grimper sur ce bar et m'allonger dessus pour ne plus jamais me réveiller. Avec Nate, une fois, on s'est enfermés sans le faire exprès dans sa salle de bains. La porte a claqué, le verrou était cassé. Comme ses parents étaient en déplacement, on a passé une nuit entière dans la baignoire avant que la gouvernante finisse par se rendre compte de notre "disparition" au petit matin. Ce n'était pas si terrible, sa baignoire est immense et on avait roulé des serviettes de bain pour faire des oreillers. Chez lui, toutes les serviettes sont parfumées à la rose ou au citron. J'avais trouvé ça plutôt cool, comme du camping.

- Mais vous vous entendez bien, remarque Vadim sans poser de point d'interrogation.

Je me frotte les yeux d'un poing fermé et secoue mollement la tête pour lui faire comprendre que je ne saisis pas ce qu'il me dit.

- Royce et toi. Vous vous entendez bien.

Là où l'intonation devrait monter à la fin de la phrase, elle reste plate et je n'entends toujours pas de question.

- Est-ce que Royce s'entend bien avec des gens ? je rétorque d'une voix très lasse parce que je ne sais pas trop ce que mon mécanicien voudrait que je réponde à ça.

Je suis en revanche pratiquement sûre qu'il n'a pas envie d'être associé à moi devant ses connaissances. Il m'a assez fait comprendre que notre... rapprochement ne doit pas s'ébruiter. Je ne peux pas lui en vouloir. Si je fricotais avec moi, je crois que je n'aimerais pas non plus que les gens le sachent. Je ne sais pas si ça a du sens.

- Je suppose que non, concède l'homme en tentant encore un sourire. Tu le connais bien, on dirait.

J'aimerais me rengorger. J'ai envie de dire que je connais plein de choses sur Royce. Comme par exemple, qu'il boit son café noir sans aucun sucre ou qu'il fait rarement ses lacets, mais les coince dans ses bottes. Je sais qu'il n'aime pas la chaleur, les foules, les espaces confinés, les gens qui parlent trop et Boyd. Je sais qu'il s'habille à la va-vite, parce qu'il ne prend pas la peine de rentrer sa ceinture dans tous les passants de ses jeans. Je sais qu'il tire sur ses cheveux quand il est contrarié et qu'il fume trop.

Mais je me tais parce qu'au fond, je ne sais rien. Tout ça, ce ne sont que des miettes, grappillées sans permission et qui, dès que l'on s'extirpe de ma cervelle embourbée, ne sont plus si importantes. Les choses importantes, je ne les connais pas.

- Pas tellement, j'élude d'une voix blanche. Il travaille chez nous.

- Oui, j'ai entendu ça.

- Pourquoi est-ce que vous me parlez ?

- Je te demande pardon ?

Mince, j'ai posé la question à voix haute ?

- Je suis désolée, j'ai bu beaucoup d'alcool, je suis bien élevée normalement. C'est juste que je ne vous connais pas et que...

- Tu ne parles pas aux inconnus, complète l'inconnu.

Je me limite à un hochement de tête un peu navré.

- Tu me rappelles quelqu'un, lâche-t-il alors sur le ton de la confidence sans vraiment répondre à mon interrogation.

Oh... Et bien, c'est drôle parce que lui aussi me rappelle quelqu'un. Scar dans le Roi Lion. Je ne sais pas, c'est dans le sourire, le regard... Je garde cette impression pour moi, bien au chaud dans mon cerveau.

- Ah. Qui ça ? je fais semblant de m'intéresser alors que ma tête alourdie tente de se poser sur mon épaule.

Elle est comme une grosse boule de bowling, et je ne parle pas de celles en plastique qu'on donne aux enfants qui apprennent à jouer, non, les vrais que vous vous faites tomber sur les pieds. La musique me donne mal au crâne. Pour de vrai. Et mon cœur s'épuise de devoir calquer son rythme infatigable.

- Une fille que j'ai... connue.

- Une fille ?

- Bianca.

Bianca comme dans Bernard et Bianca ? J'ai vu le dessin animé avec Nate il y a une petite centaine d'années. Je ne m'en souviens presque plus.

- Ah, je dis encore, à court de pensées. Je lui ressemble ?

- En quelque sorte. Tu pourras demander Royce, il sera probablement d'accord avec moi, sur ce point.

Avant de pouvoir me raisonner, à supposer que mon état me le permette, je me renfrogne. Alors Royce aussi connaît cette fille ? Une fille qui me ressemble ? À quel point est-ce qu'il la connaît ? Et à quel point est-ce qu'elle me ressemble ? Je ne devrais pas m'emballer pour si peu.

Cette fille peut parfaitement être la cousine de Royce - ce qui, à bien y réfléchir, ne serait pas franchement dans mon intérêt, puisque personne ne veut sortir avec le sosie de sa cousine. Ou alors, c'est plus qu'une cousine. Enfin, moins. Enfin, autre chose. Je ne sais pas ce qui serait le pire : que je présente des similitudes avec quelqu'un qui a les mêmes gènes que Royce ou que je sois la pâle copie d'une de ses anciennes conquêtes.

Avec la fugacité des bougies que l'on souffle, mes idées noires sont balayées par la question que me pose Vadim. La question la plus absurde que Dieu lui-même ait jamais entendue, et pourtant, en quelques centaines de milliers d'années, il a dû en voir des vertes, des pas mûres et des encore moins mûres.

- Est-ce que tu crois que Royce Walters pourrait être amoureux de toi ?

Voilà. Bam ! Sans transition aucune, pas même un vieux fondu ou un tourbillon un peu ringard de PowerPoint des années 2000. Je déglutis de travers. Est-ce que Royce pourrait être amoureux de moi ? Bien sûr que oui. Dans mes rêves ! C'est vrai, il m'arrive d'en faire de très bizarres. Je sais que les songes le sont de toute manière par définition, mais les miens défient parfois les limites de l'étrange.

Bouchée bée, je fixe le fou en face de moi en battant mécaniquement des paupières. Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre ? Je cligne des yeux une fois, deux fois, trois fois. Dix fois. J'attends de voir s'il y a une chute à la blague. Si c'est le cas, elle a intérêt à être épique parce que jusque-là, c'est un flop total. Mais il n'y a pas de chute. Vadim attend. Sans me libérer une seconde de l'étreinte empoisonnée de ses yeux, il dessine des motifs aléatoires du bout des doigts sur le bar. Probablement des incantations maléfiques.

- Est-ce que vous êtes fou ? je m'informe très sérieusement.

- Tout dépend à qui te le demandes. Mais je suis très intelligent. Tu ne réponds pas à la question ?

- Non.

- Non tu ne réponds pas ou non tu ne penses pas qu'il puisse avoir ce genre de sentiment pour toi ? s'impatiente l'homme et son irritation fait davantage transparaître les distorsions de son accent.

- Non, Royce n'est pas... je commence avant de racler ma gorge serrée et de secouer la tête tellement c'est absurde. Vous êtes sûr qu'on parle de la même personne ?

- Mais il tient à toi, n'est-ce pas ? insiste Vadim en laissant de côté mon trait d'ironie.

- Je ne... je ne crois pas. Pas comme ça. Il me supporte. Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Est-ce que vous êtes psy ou un truc dans le genre ?

S'il est thérapeute, c'est moins grave que ce que je le pensais. Peut-être que ce n'était pas de la drogue, dans ce petit paquet qu'il a essayé de refourguer à Royce, peut-être que c'était une espèce de potion magique pour soigner les troubles comportementaux aigus de la bipolarité agressive. Bon, d'accord, j'ai inventé cette maladie.

- Pas vraiment. Je devrais considérer cette voie, tu crois ? se moque le Russe.

Bon, ben je retourne à l'option du dealeur.

- Non, vous ne m'avez pas l'air très bon, je lui déconseille en arrachant l'étiquette de ma bouteille sans raison.

Il hoche le menton.

- Très bien. À l'occasion, tu rappelleras à Royce qu'il me doit un service.

Un gloussement malvenu m'échappe et j'essaye - trop tard - de le rattraper en recouvrant ma bouche de ma paume. Je me pince le dos de la main pour me faire taire quand les narines de mon interlocuteur frémissent.

- J'ai dit quelque chose de divertissant ? il s'enquiert et rien sur son expression ne vient démentir l'intérêt poli qu'il semble porter à la conversation.

Rien si ce n'est cet éclat cadavérique au fond des deux bourgeons vides qu'il a à la place des yeux.

- Royce ne vous doit rien du tout, je déclare, secouée par le toupet de cet homme.

- Ah non ?

- Non. Royce ne doit rien à personne et même si c'est le cas, vous pouvez attendre... vous pouvez attendre qu'il neige à gros flocons sur Key Haven pour qu'il vous rende service s'il n'en a pas envie, je me moque.

- Je pourrais l'y obliger, glisse sournoisement Vadim sur le ton de la plaisanterie.

Sauf qu'il ne plaisante pas.

Je me hérisse et le fixe, sourcils froncés.

Voilà, je le savais ! Je vois très bien où il veut en venir. Il va causer des ennuis à Royce ! Aussi sûrement que sept et sept font... font... bref, c'est sûr ! C'est peut-être un dealeur de drogue ou même un baron du crime ! Bien qu'il paraisse un peu jeune pour l'emploi, je constate qu'il en a le profil. Oui, il ne lui manque plus que le gros cigare fumant entre les lèvres et le chapeau à la Al Capone ! Quel genre de service un homme de ce genre peut attendre d'un ancien délinquant ? À mon avis, ce n'est pas pour un contrôle technique ou un conseil en mécanique. Je ne veux pas que Royce ait des ennuis ! Je ne veux pas qu'il retourne en prison !

La peur perce des petits trous dans mon estomac. C'est douloureux, ça me pince la gorge. Et aussi, ça me donne des ailes ! Pas des ailes d'ange à plume blanches, des ailes de dragon cracheur de feu, rugueuses et pleines de piquants ! Envolés mes frissons, je regarde maintenant le bonhomme droit dans les yeux. Il faut bien ça pour le fusiller du regard.

- Non, vous ne pouvez pas, je lui renvoie avec colère, les poings serrés près de mes flancs.

- Non ?

- Non. Il est plus fort que vous, de toute façon ! je lui assène en haussant insolemment les épaules.

Elles ne répondent plus très bien alors j'arrive juste à les faire tressauter, mais c'est l'intention qui prime. J'ai envie de donner un coup de pied dans ceux de son tabouret pour marquer le coup, mais je me retiens à tant. Je ne suis pas aussi hardie.

- Pour une aussi petite chose, tu m'as l'air bien sûre de toi.

En disant cela, il ne sourit plus vraiment. Plus du tout. Il se penche légèrement vers moi et étrécit ses yeux de démons. Il essaye de m'intimider, je crois. Même pas peur. Je ne me dérobe pas et puise dans mes cordes vocales pour rétorquer de la voix la plus ferme que j'ai en réserve :

- Je suis sûre de Royce. Et je sais qu'il pourrait vous écrabouiller.

Je lève ma bouteille presque vide devant son visage émacié et froisse le plastique pour qu'il comprenne où je veux en venir. Il suit le mouvement, bizarrement fasciné, et hausse ensuite les sourcils, comme déstabilisé.

- On a une langue bien pendue, hein ? Je crois que je vois ce qui lui plaît chez toi.

S'il cherche à m'amadouer, c'est râpé. Pas alors que je suis en train d'imaginer Royce dans ces affreuses combinaisons mandarine que portent les détenus américains. Mon esprit aux penchants dramatiques me le montre, encore plus lugubre que d'ordinaire, ses deux poings imposants crispés autour des barreaux d'une cellule comme dans Prison Break, le visage marqué par de nouvelles ombres et des cicatrices toutes neuves. Ce scénario me donne autant envie de pleurer qu'il me fait monter la moutarde au nez. Pas de la moutarde ! De la sauce chili ultra piquante.

L'autre continue de me scruter avec une sorte de moue divertie. Comme si tout ça était un jeu. J'ouvre la bouche pour lui conseiller d'aller là où est sa place : au diable. Mais je n'en ai pas le temps de le faire parce que, pile à cet instant, un bras très musclé s'enroule tendrement autour de mon ventre. En même temps, un corps chaud vient se coller derrière moi et une barbe hérissée comme un buisson me griffe un peu la joue.

- Hé, poupée, pourquoi tu traînes ? souffle une voix enjouée, presque câline, contre mon oreille.

La voix d'Hunter ! Comment est-ce qu'il m'a appelée ? Je me raidis de surprise et pivote le menton pour l'interroger d'un regard stupéfait. Je crois halluciner quand il fond sur mes lèvres. J'ai juste le temps de me détourner assez pour que sa bouche rate sa cible : ma bouche à moi ! Son aberrante tentative se transforme en bisous sur la joue. Qu'est-ce que...

Non, mais il est malade ?

Dès que j'essaye de m'écarter pour échapper à cette proximité forcée, son bras de géant se contracte discrètement pour m'en empêcher. Je rêve ! J'écrase son pied sous ma converse. Je bascule tout mon poids dans la jambe concernée, mais il ne bronche pas alors je continue de tirer sur sa main pour me libérer. Sans succès. Ok. Il est fou, lui aussi.

- Hunter.

Vadim et moi avons prononcé ce nom d'une même voix. Lui sur le ton rêche qui dit "je ne m'attendais pas à te voir ici" et moi sur le ton offusqué qui clame "Les fusibles ont sauté ou quoi ? Lâche-moi tout de suite !". Ce n'est probablement pas à moi que le colosse répond platement :

- Boss.

Boss ? Je vais lui en donner, moi, du boss !

Il n'y a aucune trace de sa légèreté habituelle dans le timbre du blond. Il a l'air... diffèrent. Pas lui-même. Je suis si peu habituée à l'entendre s'exprimer de cette voix morne que je m'immobilise sagement. Mon irritation se dissout, remplacée par l'incompréhension. J'arrête de lutter contre son étreinte. Quand je me retourne vers lui, mon cœur appuie sur la pédale de frein, en suspension dans le vide.

Toute la bonne humeur du monde qui nourrit généralement les expressions du blond s'est évaporée. Envolée. Disparue. Bien qu'il étire les lèvres dans un simulacre de sourire, ça sonne aussi faux qu'une note de musique discordante. Et puis, il a courbé l'échine. Hunter se fait petit ! C'est la première fois que je le vois agir de la sorte et ça ne me plaît pas du tout.

- Désolé de couper court, mais...

- Je t'ai autorisé à parler ? l'interrompt brusquement le démon humain.

Euh... Pardon ?

J'arrondis les yeux en me demandant si le russe n'a pas quelques problèmes de vue, en plus de ses troubles mentaux évidents. Sinon, comment expliquer qu'il s'adresse sur ce ton à un homme qui fait le double de sa corpulence ? En principe, je ne cautionne pas la violence. Non, vraiment pas. Mais s'il prend l'envie à Hunter de faire ravaler à cet importun son air suffisant, de quelque façon que ce soit, je ne lui en tiendrai pas rigueur.

Rien ne se passe. Hunter s'efface, muet comme une tombe aux fleurs flétries et aux gravures presque estompées.

- Je t'écoute, lui accorde finalement le fou après avoir pris tout son temps pour siroter une gorgée d'alcool.

- On doit rentrer, reprend le géant maintenant qu'il a la "permission".

- On ? répète Vadim dont le regard exécute plusieurs allers-retours indiscrets entre Hunter et moi.

- Ouais... je... 'faut que je la ramène chez elle, cafouille mon ami.

- Pourquoi toi ?

- On sort ensemble, annonce très vite le colosse alors que sa main broie mon poignet dont elle semble vouloir faire de la confiture de cerises. C'est tout récent. Elle... ben, c'est ma meuf, quoi.

Allons bon. Je préfère ne rien dire. Consciente qu'il se passe quelque chose - quelque chose qui me dépasse, que je ne suis pas en mesure de saisir - je conserve docilement le silence.

- Intéressant, remarque Vadim, un sourire énigmatique cousu sur les lèvres. Dans ce cas, je ne vous retiens pas.

Hunter hoche vivement la tête, son soulagement aussi apparent que les phares allumés d'une Volvo. D'une pression sur mon épaule, il m'invite à le précéder. On a pas fait un pas que l'homme ordonne encore :

- Dis à Royce que je m'impatiente. Je n'ai pas besoin de vous rappeler comment je fonctionne, il n'y a jamais de deuxième avertissement.

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Devinez qui est de retour? La voix de fin de chapitre! Une semaine qu'on ne s'est pas vus (malheureusement, je ne peux pas me permettre de vous mettre deux chapitres toutes les semaines). Je tiens à vous souhaiter une très bonne année 2022, de la réussite, de la santé, de belles rencontres et bien sûr du bonheur ! Pour fêter cette nouvelle année, je vous mets aussi le chapitre 20! J'espère qu'il vous plaira!


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