
Chapitre 13
Elle est atroce. Cette déesse colérique et malheureuse, cette venimeuse reine amoureuse. J'ai nommé la jalousie. Elle se recroqueville dans vos viscères comme une espèce de monstre... oui, c'est exactement ça, un monstre ! Et puis elle s'enroule autour de votre cœur, y plante le tranchant de ses ongles vernis et mord pour injecter sa toxine. Si elle avait un visage, je suis certaine que ce serait celui de Maléfique, dans "La belle au bois dormant". Avec les cornes pointues et tout.
On ne peut rien contre elle, absolument rien. La meilleure option est de faire semblant de l'ignorer. Même si elle grignote votre sérénité comme un rongeur ne fait qu'une seule bouchée d'un morceau de gruyère. Même si ses mains noueuses vous étranglent amoureusement. Même si elle entache votre âme en faisant ressortir vos côtés les moins reluisants, ceux dont vous préféreriez ignorer l'existence.
Oui, il faut l'ignorer. Ou boire de l'alcool, ça aussi ça marche. Un peu. Sans décoller ma joue de la main qui soutient ma tête alourdie de doutes, j'avance les lèvres pour embrasser ma paille et aspirer une longue gorgée du liquide fluo que contient mon verre. C'est sucré comme du sirop pour la toux et ça brûle un peu la gorge. Je ne sais pas ce que c'est. C'est la troisième fois que la barmaid me resserre.
Elle s'appelle Audi, la barmaid - oui, comme la voiture. En tout cas c'est ce qui est écrit sur sa poitrine. J'aimerais lui demander si son frère s'appelle Peugeot, mais je ne suis pas sûre que ce soit très poli, alors je ne le fais pas. Je ne suis pas certaine non plus de ce qu'elle me fait boire, mais elle a les cheveux violets donc je lui fais confiance. Les gens qui ont les cheveux violets ne peuvent qu'être des gentils.
Je pourrais me teindre les cheveux, moi aussi. Je les voudrais en arc-en-ciel. Rouge. Orange. Jaune. Vert. Bleu. Rose... non... Violet. C'est ça. L'autre jour, Nathan m'a envoyé une vidéo avec une fille qui l'a fait et j'ai trouvé ça... je crois que ça m'a plu. Oui, je pourrais le faire. Je le ferai demain.
Sans arrêter de mordiller ma paille, je pivote à nouveau le menton d'une trentaine de degrés. Je me retourne très discrètement, en tout cas je l'espère. Je n'arrête pas de faire ça depuis une demi-heure. Les articulations de mon cou vont finir par rouiller. Et mon cœur va rouiller aussi, à force d'être délaissé et maltraité.
Mia avait vu juste. À la seconde à laquelle on a quitté la table - et j'exagère à peine -, les vautours se sont rués sur le périmètre. Enfin, si on peut définir les vautours comme suit : groupe de femmes lubriques magnifiquement sculptées, voluptueuses au possible et apprêtées pour la Fashion Week. D'accord, ce serait plutôt des colombes. Des colombes délurées et concupiscentes.
Je ne les aime pas du tout. Je dirais même que je les déteste. Surtout la jolie rousse qui vient de s'installer près de Royce avec un naturel sidérant, comme si cela avait toujours été sa place. Sauf que c'est la mienne ! Elle est assise à l'exacte place que j'ai libérée. Quand je pense que j'ai réchauffé la banquette pour elle !
Je ne sais pas comment elle fait pour que ses boucles soient aussi parfaites, aussi régulières, sans un cheveu rebel qui dépasse. En fait, si je sais. Maman m'en faisait des comme ça quand je posais pour ses photographes. Ça demande beaucoup de produits, un entretien abusif et un temps fou.
C'est tristement inutile.
En plus, c'est moche.
C'est faux. C'est super joli.
Je continue d'épier à la dérobée cette version maléfique de Bella Thorne et j'essaye de positiver. Ça pourrait être pire. Par exemple, elle pourrait confondre les genoux de mon mécanicien avec un siège douillet, comme les deux filles qui sont enroulées autour de Diego et Hunter. Elle, elle est simplement à côté de lui. Sauf que sa jambe nue est collée à celle de Royce et ce simple détail fait battre mon cœur avec plus d'intensité. Ma gorge se serre à m'en faire mal et je palpite d'irritation.
Elle est beaucoup trop près de lui. Beaucoup, beaucoup trop près. De sa position, elle voit sûrement tous les petits points de barbe bleutés qui sont dispersés sur sa mâchoire. Elle se demande s'ils sont piquants et elle a envie de les toucher. Moi je les ai déjà touchés et je sais que ça pique, mais que c'est quand même agréable sur les doigts. Elle doit aussi pouvoir compter les stries argentées qui marbrent ses iris clairs, un peu comme du métal rayé. Elle remarque la petite cicatrice en forme de croissant de lune qui marque sa pommette gauche et elle veut savoir d'où elle vient. Moi, je n'ai pas envie qu'elle sache, ni même qu'elle se pose la question parce que ça ne la regarde pas !
Je crois qu'elle lui parle.
Je m'agite sur mon tabouret. Les danseurs me cachent la vue en gesticulant un peu partout, bras en l'air pour tremper les doigts dans un ciel hors d'atteinte. De ma position, je n'arrive pas à voir s'il lui répond, ni même s'il l'écoute ou lui prête attention. J'espère que non. Mon Dieu, faites que non ! Peut-être que c'est son genre de fille...
C'est le genre de tout le monde.
Et puis la rouquine se décale un peu, la piste de danse se vide relativement pendant ce court laps de temps qui sépare la fin d'un morceau et le début d'un autre et j'aperçois Royce. Je me frotte les paupières de mes poings fermés en essayant d'éclaircir la désagréable vision floue dont les cocktails m'épargnent les détails. Il lui parle ! Je ne sais pas ce qu'il dit, mais il lui parle ! Sa tête est légèrement inclinée, son regard est sur elle et ses lèvres remuent. Ses lèvres remuent !
Plouf !
C'est le bruit mat que fait mon cœur quand il coule dans l'océan, très loin de moi, sans ricocher. Il rejoindra peut-être les ruines de l'Atlantide et il continuera de palpiter entre un groupe de poissons clowns et une vieille sculpture pratique. Non antique. Une vieille sculpture antique.
Qu'est-ce qu'il peut bien lui dire ?
Et elle, qu'est-ce qu'elle trouve à lui raconter ? Moi, j'ai mis des journées entières avant de réunir le courage pour l'aborder et échanger de véritables phrases contenant de véritables syllabes avec lui. Et encore aujourd'hui, je marche sur des œufs aux coquilles déjà fissurées quand je m'adresse au mécanicien. Elle a l'air confiante, sûre d'elle, comme ces célébrités qui se baladent avec des tenues absurdes au Met Gala, mais vous le font oublier d'un sourire éclatant de blancheur. C'est sûrement le genre de personne qui peut sortir des phrases d'accroche ridicules sans passer pour une idiote.
" Hey ! J'ai un problème avec mon portable. Il manque ton numéro."
Ou " Tu t'appelles google ? Parce que je trouve en toi tout ce que je recherche."
Beurk.
Juste Beurk.
Je renifle avec dédain, retire la paille de mon verre et bascule la tête en arrière pour le vider comme j'ai vu le faire plein de fois au cours de la soirée. Sauf que je suis tellement concentrée sur la partie de chasse qui se déroule à une quinzaine de mètres que je rate un peu ma bouche. Une partie du liquide froid vient tremper le col de ma chemise et me rafraîchir le cou.
M'en fiche.
Mike me tend une serviette en papier avec un petit sourire et je le remercie en m'essuyant. Je l'aimais vraiment mieux avec son diastème, maintenant il ressemble à tous les gens qui sourient avec très peu de naturel sur les brochures, chez le dentiste. "Vos dents sont vivantes, pensez à les brosser !". Peut-être que je ressemble à ça moi aussi. Il est assis sur le tabouret à côté de moi. Le dossier "équidés" a rapidement été épuisé et je vois qu'il se démène pour trouver quoi dire, un sujet de conversation. Je ne l'aide pas.
En temps normal, j'essaierais de meubler pour nous tirer de ce moment de malaise, mais je ne le fais pas. Pour le moment, je me fiche bien du silence. Je ne veux pas discuter avec lui. Tout ce que je veux, c'est renverser le contenu de mon verre à nouveau plein sur la tête de la rouquine. On verra bien si ses super boucles tiennent avec un shampoing à la vodka, je songe avec une mesquinerie qui me ressemble peu en regardant la rousse se pencher davantage vers mon obsession personnelle.
Je grimace et plonge le visage dans mon bras replié sur le bar. J'en ai marre. Ce que je ressens en ce moment, je ne veux plus avoir à le ressentir ! J'ai déjà été jalouse quelques fois. Du moins, c'est ce que je croyais. J'ai cru être jalouse des mannequins de ma mère, à qui elle accordait plus d'attention qu'à sa propre descendance. J'ai cru être jalouse de mes camarades de classe dont les parents n'avaient pas oublié d'assister à la cérémonie de remise des diplômes en terminale. J'ai cru être jalouse d'Eve Mason qui ne rougissait pas quand elle passait au tableau et qui avait plus d'amies que je n'ai de taches de rousseurs sur le nez. Mais ces petites déceptions n'étaient que des chatouilles en comparaison avec ce que j'endure en ce moment.
- Eh... Lily, c'est ça ? me hèle l'un des amis de Mike en haussant le ton pour que je l'entende par-dessus la voix amplifiée de Doja Cat.
Je lève le nez et me penche un peu sur le bar pour lui jeter un coup d'œil interrogateur. Je cligne des yeux en essayant d'y voir net malgré l'alcool, la lumière et le chaos. Ah, c'est lui. Je ne me souviens plus de son nom, il me l'a dit tout à l'heure mais... pouf ! Il faut croire que ma mémoire n'a pas jugé l'information assez pertinente. C'est celui qui ressemble à un surfeur Australien. Il a des yeux bleu et vert à la fois et son teint dénonce un usage abusif d'autobronzant.
- Oui, c'est bien ça, je confirme poliment en culpabilisant un peu d'avoir oublié son prénom.
C'était peut-être Shawn. Ou Tyler. Ou Shawn.
Ma tête est tellement lourde. Pourquoi est-ce qu'elle est aussi lourde ? Chaque note électrique de la musique que diffusent les baffles est un coup de marteau à l'intérieur de ma boîte crânienne. En plus la chanson est vraiment vulgaire, je trouve. Je frotte le bout bizarrement engourdi de mes doigts sur le bois du bar pour m'assurer qu'ils sont toujours là. C'est le cas.
- T'es pas une habituée, je me trompe ? lance le surfeur.
Je mets presque une minute entière à comprendre qu'il s'adresse toujours à moi. Il n'a pas d'accent Australien. Il ne surfe peut-être pas, après tout. Pourquoi est-ce qu'il me parle ? Si ça se trouve, il compte essayer de me draguer. C'est ce que font les garçons aux bars. Ils payent des verres aux filles et ensuite elles se retrouvent coincées avec eux. Je n'ai pas envie de me faire draguer dans une boîte de nuit. C'est un peu présomptueux de ma part de sauter sur cette conclusion, mais...
- Habituée de quoi ?
En posant la question, je fais légèrement pivoter mon tabouret pour repérer Mia. Elle est quelques mètres plus loin, en train de faire du charme à trois hommes en même temps. Oui, trois ! Aucune chance qu'elle remarque mes appels à l'aide muets. Argh ! Mia !
- T'es pas une clubbeuse, clarifie Mike en posant le menton sur son poing fermé sans me lâcher des yeux.
Je reporte mon attention sur eux, dépitée. Puis je les fuis à nouveau en fixant les danseurs agités sur la piste. Tout le monde danse, même les murs dansent. Ils avancent, reculent et se dédoublent étrangement comme dans ces attractions étranges qui jouent sur les illusions d'optique pour vous faire douter de vos sens. Les miens, de sens, sont tout ce qu'il y a de moins fiable en ce moment.
- Pourquoi vous dites ça ? je demande au bout d'un instant.
- Ça se voit, répond le blond. T'es une petite fille sage. Alors, qu'est-ce que tu viens faire ici ?
- Je ne suis pas une petite fille sage ! je me défends avec virulence en portant mon verre à mes lèvres pour leur donner tort.
Voilà ! Les petites filles sages ne boivent pas, il me semble !
- C'est de l'alcool, je précise en leur montrant ma boisson.
Les deux se mettent à rire. Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle. Je fais exactement comme eux, ils ne devraient pas se rendre compte que je suis autant à ma place ici que dans une base militaire. Si c'est aussi évident que ça, si même en vidant des cocktails, accoudée à un bar, je ne trompe personne, je comprends mieux pourquoi je n'arrive pas à intéresser Royce.
- C'est pas un problème, j'ai rien contre les gentilles filles sages, moi.
- Je ne suis pas une gentille fille sage !
- Ok. T'as l'air un peu perdue, remarque-t-il quand même en me faisant un clin d'œil.
Soit ça, soit il avait une poussière coincée sous la paupière. J'espère que c'est la poussière parce que les clins d'œil en 2020, ça fait plus vieux pervers que jeune homme charmeur.
- Je ne suis pas perdue.
- Je te paye un verre ?
Ha ! Le fameux verre ! J'en étais sûre !
- Non ! je m'exclame vivement avant de compléter un peu plus gentiment. Pas besoin. Mais merci de... proposer.
Il lève les deux mains en l'air comme pour me dire "c'est toi qui vois" et enchaînes avec ses questions.
- Tu t'amuses ?
Si je m'amuse ?
Comme une petite folle. J'adore ça, suer à grosses gouttes au milieu d'une boîte de nuit déchaînée. J'adore faire la conversation à de quasi-inconnus qui ont les coudes soudés au bar et proposent de payer des verres à tire d'aile aux demoiselles qui ont le malheur de croiser leurs regards. J'adore sentir mon cœur ahaner d'angoisse à force de me demander si une fille plus jolie que moi est en train de convaincre Royce de... de... de... d'explorer son anatomie ou n'importe quoi de ce genre ! Et cette sensation de malaise qui me perfore les poumons, comme pour me rappeler que je ne suis pas censée me divertir en ce moment, que quelque chose de grave est arrivé, même si je n'arrive pas à me souvenir quoi... oui, ça aussi j'adore !
En plus, la musique me donne mal à la tête.
- Non, je réponds honnêtement parce que l'alcool semble avoir aggravé les lacunes de communication entre ma cervelle et ma bouche. La musique me donne mal à la tête.
J'ai vraiment dit ça. Je viens de dire à deux jeunes adultes, probablement des étudiants ou de futurs étudiants comme moi, que "la musique me donne mal à la tête". J'ai quoi ? Cinquante-six ans ? Les gens de notre âge ne disent pas ce genre de trucs. Ils "s'éclatent", ils "font la bringue". J'ai l'air d'une mère de famille, une fonctionnaire presque retraitée et propriétaire d'un chat persan qui répond au nom de Tipex. Je ne veux pas avoir de chat qui s'appelle Tipex. Encore moins un persan, cette race à toujours l'air de fulminer. C'est à cause du nez retroussé.
Le surfeur me sourit sans se formaliser de mon honnêteté.
- On va arranger ça, alors.
Sur ce, il se lève et contourne Mike pour venir s'asseoir à ma droite. Maintenant je suis encerclée. En plus il a déplacé son siège pour le rapprocher du mien et je ne peux plus bouger à moins de vouloir engager mes genoux dans un duel contre les siens ou ceux de Mike. Génial. Maintenant, j'ai vraiment envie... non, j'ai besoin que Mia revienne.
- Arranger quoi ? j'interroge distraitement Shawn-Tyler en enfonçant mes ongles coupés court dans mes paumes pour résister à la tentation de me retourner et vérifier les avancées de la rousse.
- Tu t'emmerdes, on va faire en sorte que tu t'éclates. T'es jolie, tu devrais sourire.
- Donc si j'étais laide, tu me demanderais de faire une tête d'enterrement ?
- Si t'étais laide, je te dirais rien, je serais pas là. Mais t'es loin de l'être, alors...
Je fronce les sourcils et lui jette un mauvais regard en plissant les lèvres d'indignation.
- Eh, c'était une blague. Désolé, elle était mauvaise. Alors, tu fais quoi dans la vie ?
J'ai l'air d'avoir trente ans pour qu'il me pose cette question ?
On a dit cinquante-six.
Je ne réponds pas et recule un peu parce qu'il est bien trop proche et que je n'ai pas forcément envie de savoir qu'il a mangé un cheeseburger à son dernier repas. Un cheeseburger et aussi quelque chose qu'il a trempé dans de la sauce barbecue. Je déteste la sauce barbecue.
- Alex..., râle Mike en passant un bras devant moi pour écarter son ami envahissant.
Je lui en serais reconnaissante si la manœuvre ne l'obligeait pas également à se coller à moi. Maintenant je suis coincée en sandwich entre les deux garçons. Je suis la saucisse dans le hot dog, celle qui met tous les moyens en œuvre pour s'échapper de l'autre côté du casse-croûte quand on mord dedans. Un comble pour une végétarienne. Au moins maintenant, je sais que le surfeur ne s'appelle ni Shawn, ni Tyler.
- Quoi ? s'étonne Alex à quelques centimètres de mon visage.
Oui, c'était bien un cheeseburger.
- Laisse la tranquille.
Hé ! Je connais cette chanson ! Nathan l'écoutait tout le temps ! Pendant une période, à chaque fois que je démarrais sa bibliothèque musicale, je tombais sur le morceau. Elle est de qui déjà ?
- C'est bon, je veux juste discuter avec elle. Y a pas ton nom dessus que je sache.
Ça fait La-la, la-la-là. La, la-la, la-la ! La, la, la, la !
- Attends, t'es sérieux ? Je l'ai vu en premier.
Je suis sûre que Mr Google ne la retrouvera jamais avec aussi peu d'informations. C'est bien dommage. Il faudra que je demande à Nate.
- Tu déconnes ? Je l'ai repérée il y a une heure.
Je me concentre pour saisir les paroles de la chanson, mais c'est comme une espèce de bouillie indistincte. Pourquoi les chanteurs articulent-ils tous aussi mal ? Ce sont eux qui devraient prendre des leçons d'orthophonie, pas moi.
- Et moi, il y a sept ans !
Hein ?
- Est-ce que vous parlez de moi ? je bredouille quand leur dialogue flou s'imprime dans mon esprit avec une qualité acoustique plus que médiocre.
- T'as déjà eu ta chance, alors, conclut Alex sans prendre la peine de me répondre. T'es pas son genre, ça crève les yeux. Eh, blondie, c'est ton genre ou pas ?
Il m'a appelée Blondie.
Je croise tour à tour le regard de chien battu que m'adresse mon souvenir d'enfance et celui, un peu trop sûr de lui, que l'autre fait courir sur ma personne. J'aimerais bien répondre qu'aucun d'eux n'est mon genre, si tant est que j'en ai un, mais ce serait plutôt indélicat et offensant donc je muselle solidement mon honnêteté sur ce coup-là.
- Je bois de l'alcool, je me contente de répéter en glissant à nouveau ma paille dans ma bouche pour aspirer le poison.
Le poison à un goût de jus de fruit, cette fois. Avec une légère amertume qui s'attarde sur la langue après chaque gorgée. Mike et le surfeur échangent un regard amusé. Ils pensent que je ne les vois pas, mais c'est le cas. Ils se moquent de moi, j'en suis sûre. Grand bien leur fasse.
Je me concentre sur les deux hommes qui sont en train de se disputer à cause d'une certaine Maria, trois tabourets plus loin. L'un d'eux est le mari de la concernée, mais je n'arrive pas à déterminer lequel avec certitude. Vu les insanités qu'ils se lancent comme des balles de tennis, cette femme doit être vraiment géniale. Je continue de m'intéresser à leur duel verbal un petit moment. Quand je me rends compte que c'est indiscret, je m'oblige à reporter mon attention sur les garçons inintéressants qui m'entourent.
- Quoi ? je m'offusque parce qu'ils me fixent tous les deux comme si j'avais deux mentons.
- J'adore ton accent, c'est trop sexy, remarque Alex en me décochant un énième sourire de dentifrice.
- Euh... merci, je chuchote en rougissant un peu.
Qu'est-ce que je pourrais répondre d'autre ? Je ne pense pas avoir déjà été associée à cet adjectif de près ou de loin de toute ma vie. En principe, j'ai le droit aux mortellement ennuyeux "mignonne" ou "adorable". Adorable, c'est ce que l'on dit d'un chiot à peine éclos. Quand ils ont encore des bouts de placentas accrochés à la fourrure et qu'ils gesticulent comme des chenilles dans leur cocon. Je ne suis pas "sexy", moi. J'ai un sac panda en peluche et il m'arrive encore de mettre des barrettes quand mes cheveux sont de mauvais poil. Ces choses-là vous disqualifient d'office pour le poste, il me semble. Mais la rousse, elle, elle est sexy.
Elle est même hyper hyper sexy !
- Tu parles de toi à la troisième personne du singulier ? demande Mike en riant avec les yeux.
Mince ! J'ai dit ça à haute voix ?
- Non, je ne parle pas de moi.
- Alors, c'est de moi que tu parles ? m'asticote le surfeur qui n'est pas Australien.
- Pourquoi, tu réponds au pronom "elle" ?
- Je réponds au pronom que tu veux, ma belle. Mais mon préféré, c'est le "nous".
Je ne réagis pas. S'il essaye de faire une plaisanterie, je ne suis pas en état de la comprendre. J'aimerais simplement savoir comment j'en suis arrivée là. J'aurais dû rester à la table avec Royce et les autres. Je ne serais pas en train de me demander en ce moment même si l'homme dont je suis amoureuse est en train de succomber aux "charmes" d'une autre fille. J'en ai assez. Je veux rentrer ! Tout de suite ! Je ne sais pas où mais je veux rentrer !
Pour couronner le tout, Mike a passé un bras sur le dossier de mon siège et, entre ça et le nez du blond que je ne veux pas risquer d'effleurer par mégarde, j'ai à peine l'espace pour bouger.
Mais je m'y risque quand même. Je me contorsionne en faisant bien attention à n'abîmer aucun de mes voisins d'un coup de coude ou de tête accidentel et cherche à nouveau Mia dans la foule exaltée. Je ne mets pas beaucoup de temps à la trouver. Elle s'est mêlée à une bande d'étudiants ivres. Elle boit un shot de je ne sais quoi sur le torse nu d'un garçon allongé qui a beaucoup trop d'abdos. Ils n'ont même pas l'air vrais, ses abdos. On dirait que quelqu'un les a dessinés dans de la pâte à modeler couleur chair.
J'avais interdit à mes yeux de s'aventurer ailleurs, mais ce sont de vilains garnements qui n'en font qu'à leur tête. Avant que je ne puisse trouver une bonne raison de ne pas le faire, je furète du côté des banquettes pour retrouver notre table.
La rousse est toujours là. La teinte vive de sa chevelure pourrait faire office de panneau de signalisation ou de gilet fluorescent, mais ce n'est pas elle que je remarque en premier, ni le fait que sa cible ait posé un pied sur l'assise en cuir, rendant toute tentative d'approche particulièrement ardue. Je trébuche sur un regard familier et mon cœur perd superbement l'équilibre avant de s'écrouler de tout son poids.
Il a beau être loin et flou, il n'y a aucun doute là-dessus, c'est moi que Royce regarde. Moi, pas elle. Je devrais être aux anges, sur un petit nuage en partance pour le pays des merveilles. Sauf que non. Comment je pourrais aller bien alors qu'il me toise sans une once d'affection. Même à cette distance, je le vois fulminer et ses prunelles réfrigérantes me pulvérisent. Il a cette même expression dangereuse que je lui voyais au début, quand il me détestait cordialement. Est-ce qu'il va recommencer à me détester ?
Non !
Je cligne des yeux et dégage rapidement les boucles humides et emmêlées qui font obstacle à ma vue. J'essaye de déglutir sans y parvenir. Je n'y arrive vraiment pas ! J'ai comme un oursin géant coincé en plein milieu de la trachée.
"Ci-gît Lily Williams (2002-2020), une enfant un peu idiote qui nous a quittés trop tôt parce qu'elle n'arrivait pas à avaler sa salive". C'est ce que dira ton épitaphe.
Royce me fixe toujours. Il ne cille pas. Ses yeux, durs comme le roc et froids comme la banquise, ne dévient pas une seconde de leur trajectoire. Même quand la rouquine s'incline par-dessus sa jambe repliée pour s'adresser à lui d'une voix que j'imagine de velours, il continue de me jauger avec morgue. Quand elle pose une main sur son genou, il ne bronche toujours pas, ni ne lui accorde un semblant de coup d'œil. Mais il la laisse faire.
Elle le touche ! Elle le... elle... et lui, il... Il a beau ne pas paraître s'en rendre compte, moi je m'en rends compte. Je m'en rends vraiment, vraiment compte. Et c'est comme d'être perdu au milieu de l'océan et de se faire malmener par des vagues sportives, ballotter dans tous les sens par une houle cruelle.
La jalousie a deux meilleures amies. L'insécurité et le chagrin. Toutes les trois, elles sont le genre de pestes amères et désagréables qui s'attardent dans la cour de récréation après la sonnerie pour commérer avec mépris sur les autres filles de la promo.
- Qu'est-ce que tu regardes, l'anglaise ? s'intéresse Alex en se retournant à son tour pour se pencher vers moi.
Je romps le contact visuel avec le mécanicien quand la brûlure glaciale de son regard devient trop pénible à supporter.
- Rien du tout, je marmonne et mon chuchotement est emporté par la musique comme une plume par une violente bourrasque. Tu peux te décaler s'il-te-plaît ? j'ajoute plus fort pour être sûre qu'il entende ma requête.
- Me décaler ?
- Oui. Est-ce que tu peux éloigner ton tabouret pour que je descende du mien ?
- Quoi, tu veux partir ? Maintenant ?
- Oui, maintenant, j'insiste en ravalant de toutes mes forces une envie de pleurer qui me perfore la gorge de part en part.
- Attends un peu, on vient à peine de...
- Non ! Maintenant !
- Écoute bébé, t'as pas besoin de...
Bébé ? Bébé ? Bébé !
- Je ne suis pas un bébé ! Et toi, mâche du chewing-gum !
Sans me focaliser sur son air ahuri, je pousse avec le dessous de mes converses les pieds métalliques de son siège pour l'obliger à reculer. Quand je me suis ménagé assez d'espace, je me laisse glisser de mon propre tabouret. Il est plus haut que je l'imaginais et je manque de m'étaler par terre quand le bout de mes tennis heurt le sol instable. Ce dernier semble se précipiter à ma rencontre pour m'assommer, mais je me redresse juste à temps pour éviter une collision. On est peut-être en train de vivre un séisme de faible amplitude parce que la planète vacille légèrement autour de mon axe... enfin du sien... peu importe !
J'avance prudemment d'un pas, bras écartés et mains ouvertes au cas où le monde se remette à trembler. C'est comme d'être en apesanteur, de flotter au milieu d'un brouillard d'agitation. J'ai l'impression d'être un cosmonaute en pleine excursion spéciale... spatiale. Je suis Neil Armstrong ! Une fois j'ai vu un documentaire quand... c'était plutôt un film en fait, et... Je glisse sur une flaque de liquide rose et me rattrape à un poteau électrique.
Le poteau électrique est une femme déguisée en Maya l'abeille. Elle n'est pas vraiment déguisée en abeille, mais elle porte une robe fourreau jaune et noir alors c'est tout comme. Je la relâche aussitôt, mais ça ne l'empêche pas de m'insulter. Si j'étais déguisée en insecte, je n'insulterais personne. J'essaye de lui expliquer que je l'ai prise pour un poteau éclectique... enfin électrique, mais elle est déjà passée à autre chose. Quand je parviens à me stabiliser avec un succès plus ou moins flagrant, je titube jusqu'à la petite secte de délurés que Mia a rejointe.
Je l'empoigne par le bras pour attirer son attention et l'écarter de l'homme aux abdos en pâte à modeler. À l'instant où elle me voit, son visage s'éclaire d'un franc sourire et elle passe son bras autour de mes épaules.
- Hey toi ! Ça va ? elle s'égosille, un peu trop guillerette pour être dans son état normal.
Ma théorie ? Possédée par un alien radieux de passage sur notre planète bleue.
- Non ! je crie en m'approchant de son oreille pour m'assurer qu'elle perçoive ma réponse ainsi que ma détresse.
- Quoi ? elle hurle en retour.
- J'ai dit... Non !
Elle avance la lèvre inférieure pour adopter une expression déçue avant d'éclater de rire. Je la secoue parce que je suis très sérieuse et elle m'embrasse sur le nez.
- Je veux partir, je m'époumone près de son visage, mais Cardi B me coupe violemment la parole pour lister toutes les choses superficielles qu'elle affectionne.
Les dollars, les diamants, les Balenciaga...
Les Balenciaga, c'est moche.
- Tu veux essayer ? me propose Mia en ignorant ma requête pourtant claire.
Son menton désigne le garçon allongé dont les abdominaux servent de dessous-de-verres. Je souffle fort par le nez.
- On essaye la voile ou le saut en parachute. Ça, c'est des trucs qu'on a envie d'essayer, Mia ! Mettre ma bouche sur le ventre d'un inconnu, ça non, je ne veux pas !
En disant cela, je secoue la tête et lève les yeux au ciel. Il est tout plein de jolies couleurs, le ciel. Elles grossissent, dansent et vivent au-dessus de nos têtes.
- Wow, t'es de mauvais poil, toi.
- C'est de ta faute ! Est-ce qu'on peut retourner à la table ?
Je tire encore une fois sur son bras avec une grimace d'angoisse.
- Attends, qu'est-ce qui est de ma faute ?
Je me retourne à temps pour me rendre compte que la rousse est à nouveau en train de faire la conversation à mon mécanicien. Je ne la vois pas très bien, mais elle est probablement en train de battre des cils en rythme avec la musique, de se mordiller et de s'humecter les lèvres ou de faire toutes les choses ridicules que font les jolies filles pour attirer l'attention des hommes. Mon estomac se prend pour une danseuse étoile, il exécute des pirouettes dans tous les sens sans se soucier une seule seconde d'être rempli d'un tas de cocktails mystères.
- Regarde, je chuchote en criant dans l'oreille droite de Mia.
- Quoi ?
- Regarde là-bas... notre table.
Ma Colombienne s'essuie les yeux avec les paumes de ses mains et se concentre pour chercher l'origine de mon trouble. Elle met moins de dix secondes à comprendre.
- Lily, ils sont juste en train de parler...
- Oui et à ton avis, de quoi est-ce qu'ils peuvent bien être en train de parler ? j'ironise en fronçant très fort les sourcils. De la moiteur de l'été ?
- Ben... pour l'été, je sais pas, mais...
Elle se remet à rire et moi je fulmine. Je fulmine parce que si elle ne m'avait pas emmenée au bar, si elle n'avait pas insisté pour m'éloigner de Royce, on n'en serait pas là ! Je ne me sentirais pas aussi mal. Je lui tourne puérilement le dos et commence à m'éloigner, les poings serrés le long de mes cuisses. Elle me rattrape avant que j'ai fait mon troisième pas. Elle me court après et me barre le passage.
- Eh eh eh ! Où tu vas comme ça ?
- J'y retourne et je vais dire à cette femme qu'elle n'a pas le droit de prendre ma place !
- Hein ?
- Sur la banquette. Elle est assise à ma place, alors je vais lui demander de me la rendre !
- Tu peux pas faire ça.
- Si ! Et je vais le faire, je m'entête en me tordant le cou pour vérifier que la rouquine n'a pas décidé de grimper sur mon mécanicien.
Ce n'est pas le cas.
Pas encore.
J'essaye à nouveau d'avancer et Mia me retient à nouveau.
- Putain, Lily... calme-toi, ok ?
- Non, pas ok ! Tu ne comprends pas... je... Juste arrête. Tu ne comprends pas, je répète moins fort avec abattement.
- J'comprends pas quoi ?
- Je ne veux pas... il faut que tu arrêtes de... Je veux juste Royce !
Boum. Ça m'a échappé. Mia n'a pas l'air choquée, pas autant que moi en tout cas. Elle se tait. Elle attend. Alors j'embraye.
- Tu ne dois plus essayer de me coller avec d'autres garçons qui ne m'intéressent même pas, je m'emporte. Tu ne dois plus me dire si j'ai le droit de vouloir ce que je veux ! Tu es mon amie, tu dois juste... tu dois être d'accord avec moi, tu dois cautionner toutes mes bêtises, ok ?
- Ok.
- Non mais... oh ! Ok ?
- Ok. Maintenant, c'est toi qui m'écoutes. Royce va rien faire, il va pas s'envoyer cette meuf, il risque même pas de poser les doigts sur elle, tu peux me croire.
- Tu n'en sais rien, je râle même si ses paroles apaisent légèrement le vent de panique qui refroidit mes poumons.
- Si, j'en suis sûre. Sûre et certaine. Mais toi, tu vas me faire confiance et rester bien sagement ici.
- Pourquoi ? je l'interroge, à bout de patience.
- Je veux juste lui faire une petite frayeur. Faut qu'il se sorte les doigts du cul.
- Je ne comprends rien.
- Walters. Il doit capter que t'as pas besoin de lui, que si tu veux, tu peux avoir n'importe quel gars ici.
- Mais je ne veux pas !
Ses lèvres foncées se tordent en un sourire diabolique que les néons clignotants rendent un peu effrayant.
- Ça, il n'est pas obligé de le savoir.
- C'est tordu ton histoire, je marmonne sans être sûre qu'elle m'entende.
De toute façon, elle n'aurait pas eu l'occasion de me répondre parce qu'un raffut encore pire que celui que diffusent les enceintes géantes du club fait exploser les décibels. Un cri grave, un bruit de verre qui explose et Mia est violemment projetée sur moi. On manque toutes les deux de nous casser la figure. Quand on se retourne, c'est pour voir se rouler au sol les deux hommes qui se disputaient au bar pour leur Maria. Comme à peu près tout le monde aux alentours, on les regarde se bagarrer d'une manière qui rappelle les animaux, se cracher des insultes que la musique avale à moitié et se rouer de pathétiques coups de poings.
Des gens applaudissent comme si on assistait à un numéro de Clown, d'autres sifflent entre leurs doigts comme je n'ai jamais su le faire et hurlent des encouragements à l'un ou à l'autre des lutteurs en confondant ce triste règlement de compte avec un véritable combat de boxe. Pourquoi est-ce que les gens raffolent autant de la violence ? Pourquoi est-ce qu'ils en font une source de divertissement ? Mystère et boule de gomme. Moi, je me dis juste que cette Maria est une fille bien cruelle de laisser deux hommes se faire saigner pour elle.
Et puis mes yeux errants tombent sur la table - notre table - et mes organes s'enflamment d'une pure panique qui n'a rien à voir avec la débâcle à laquelle on assiste.
Royce n'est plus là.
Et la fille non plus.
Royce et la fille ne sont plus à la table !
Royce et... Oh mon Dieu !
Non, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas...
Je suis comme dans le brouillard. Un brouillard fait de confusion, de tourments et de peine.
Mes pensées, jusqu'ici confuses et cotonneuses, se transforment en un essaim d'abeilles furieuses. Prises de frénésie, elles bourdonnent avec férocité. Elles deviennent folles. Elles répandent une ribambelle d'images et de flashs cauchemardesques dans mon esprit. Si Royce et cette fille sont partis ensemble, s'ils sont en train de... si tous les deux, ils...
Je n'ai pas envie de penser à ça, je ne veux pas imaginer ce genre de chose.
Je me mords la joue pour retenir les larmes irrationnelles qui me brûlent les yeux et je continue de fixer avec effroi l'endroit où ils se trouvaient tous les deux, il y a moins d'une minute. Je fixe la place vide sur la banquette comme si j'assistais à un mirage et que Royce allait réapparaître dans la seconde. Mais il ne réapparaît pas et un écœurant goût amer se met à imprégner mon palais.
- Les filles ? Vous allez bien ? me réveille la voix du surfeur qui vient de nous rejoindre. Eh l'anglaise, ça va ?
- Oui, je croasse sans vraiment le regarder.
Je suis toujours dans mon brouillard.
La mort dans l'âme, j'observe le sol brillant sur lequel les lumières ambulantes bondissent et les chaussures de marques se baladent. J'aimerais bien qu'il s'ouvre d'un seul coup sous nos pieds, que les dalles froides se déchirent brutalement comme du papier et que l'on soit tous avalés dans un cratère sombre où les pensées ne captent pas plus que la 4G. Ou alors qu'il m'aspire juste moi, parce que les autres n'ont rien demandé et que ce serait égoïste de les entraîner dans ma chute.
- Pourquoi tu pleures alors ? Tu t'es fait mal ? insiste Alex.
Il est encore là, lui ?
Tant pis, tant mieux, peu importe. Rien n'est important dans le brouillard.
- Je ne pleure pas, je le contredis en pinçant les lèvres. J'ai quelque chose dans l'œil.
- Ah, toi aussi ? Ces deux timbrés se sont assommés à coups de bouteilles au bar et Mike dit qu'il a peut-être un bout de verre planté dans la cornée. À mon avis, c'est du flan, mais bon... Oh Mike ! Amène tes miches, je les ai trouvées !
Une main plaquée sur sa paupière gauche, Mike trottine jusqu'à nous en se frayant à petits coups d'épaules un passage au milieu de la foule excitée. Il s'arrête juste à côté de moi. Un peu trop près à mon goût, mais je ne lui fais pas de remarque parce qu'il a peut-être un fragment de bouteille de bière dans l'œil et que, quand on a un fragment de bouteille de bière dans l'œil, on a à peu près tous les doigts... tous les droits.
- Lily ? Pourquoi tu pleures ?
Je trouve cela plutôt prévenant de sa part de s'inquiéter pour mes pauvres larmes insignifiantes alors qu'il va peut-être finir à moitié aveugle et qu'alors il lui faudra probablement porter un bandeau de pirate jusqu'à la fin de sa vie.
- Je ne pleure pas.
- Euh... je vois encore très bien avec mon œil droit et je t'assure qu'il y a des larmes qui coulent sur tes jo...
- Je ne pleure pas !
- Ok... je crois que j'ai un bout de verre, tu peux regarder ?
Depuis mon brouillard, je hoche rapidement la tête et m'approche de lui pour jeter un coup d'œil. Je n'y vois pas très clair, alors je ne sais pas trop vraiment comment je pourrais l'aider, mais je fais de mon mieux. Je tire un peu sur sa joue pour l'obliger à ouvrir la paupière. Quand c'est fait, je m'avance pour planter mon regard dans sa prunelle. Je m'attendais à découvrir un spectacle effrayant digne d'un épisode de Happy Tree Friends avec un globe oculaire à moitié retourné dans l'orbite, une profonde entaille suintante et un affreux mélange de sang et de liquide lacrymal. À la place, je fais face un iris d'un bleu délavé et une pupille parfaitement intacte.
- Non, je ne vois rien, j'affirme en l'examinant une dernière fois juste pour être sûre.
- T'as de trop beaux yeux, commente Mike avec une voix un peu vague qui ressemble à de la purée de pomme de terre.
- Oh. Euh... merci. Et toi tu as des yeux... parfaitement fonctionnels.
Quand j'entreprends de rétrograder, il me retient en plaquant une paume sur ma joue et en essuyant mes larmes inexistantes avec son pouce. Eh ! Ça ne va pas, non ? Avant que je puisse me dérober, un grand torse puissant et familier se plaque brutalement contre mon dos, répandant une tornade de chaleur dans toutes mes cellules. L'instant qui suit, une voix grave, féroce comme un puma, découpe mon brouillard.
- Vire ta main de là si tu veux pas que je t'explose les doigts.
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Hola tout le monde!
C'est le retour de la voix de fin de chapitre! Aujourd'hui exceptionnellement je poste deux chapitres, parce que je vous adore et parce que... et bien c'est une raison suffisante, non ? Plus sérieusement, je sais qu'un chapitre par semaine c'est peu et que, par conséquent, on peut avoir l'impression que l'intrigue traîne en longueur. Je vous en mets donc un deuxième en espérant vous rassasier 😉
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