Mortal
— Sif, un mot, je te prie.
Elle s'arrête. Fait un signe de tête aux Trois Guerriers, qui poursuivent leur chemin, alors qu'elle revient à pas mesurés jusqu'au trône. Une fois qu'ils sont seuls, Loki abandonne la pose nonchalante et l'attitude détachée qu'il affichait jusque là, se lève, et descend une à une les marches qui le séparent de la jeune femme. Elle prend une profonde inspiration, lève les yeux, déchirée par l'impression de ne plus connaître cet homme.
— Loki. C'est ton frère. Tu dois le laisser revenir.
La souffrance qu'elle entrevoit dans ses yeux, ses poings crispés, lui fait instantanément savoir qu'il s'est passé quelque chose. Quelque chose de plus douloureux que tout ce qu'il a vécu auparavant. Quelque chose qu'il ne veut pas admettre, qu'il dénie encore.
— Pourquoi ? répond-il d'un ton brusque, trop brusque pour être sincère. Tu as très bien vu comment il se comporte, quand il se croît roi. Il va nous précipiter dans une guerre sans merci contre les neuf autres Mondes. Odin l'a banni pour une bonne raison.
Sif se fige, stupéfaite par la virulence de sa réplique. Par l'appellation, aussi.
— Tu as dit « Odin ». Pas « père ».
— Il n'est pas mon père.
Ce n'est qu'un souffle, mais la peine contenue dans sa voix heurte la jeune femme comme un bélier. Il souffre. Essaie d'intérioriser, mais n'y parvient plus. Elle voit une larme solitaire couler le long de sa joue, ose à peine murmurer :
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je suis...
La fin ne semble pas vouloir passer. Pas telle qu'il voudrait la formuler. Alors il biaise, le dit différemment. Même si la douleur ne semble pas faiblir.
— ... le fils de Laufey.
Le silence qui suit cette déclaration s'alourdit de seconde en seconde, alors que Sif peine à comprendre d'abord les implications de cette affirmation. Le brouillard glacé de l'horreur qui a envahi son cerveau l'empêche de réfléchir, de réagir. Loki, lui, guette sa réaction, entre
Puis, lentement, les connexions s'établissent. Elle comprend tout ce que cette simple phrase veut dire. Il n'est pas seulement le fils de Laufey, il est aussi un géant du froid. Un Jötun. Ces monstres, cette menace perpétuelle qui plane sur Asgard. Loki. Un géant du froid.
Instinctivement, elle recule. Un pas seulement, un pas minuscule, mais un pas qui semble creuser un fossé infini entre eux. Lorsqu'elle s'en rend compte, il est trop tard. Ses traits, habituellement lisses, sont plissés de souffrance silencieuse. Il recule, lui aussi, un éclat meurtrier au fond des yeux. Elle se mord les lèvres, angoisse et peine la déchirant presque de l'intérieur. Elle voudrait avancer vers lui, mais la tension qui émane de lui l'en dissuade. Là, tout de suite, il pourrait la carboniser sur place si elle fait quelque chose de travers.
— Va. Après tout, ta loyauté va à Asgard. Va sauver le véritable roi. Ne laisse pas un géant du froid sur le trône.
La nuance glacée dans sa voix, qui a bien du mal à masquer la douleur, lui donne l'impression que l'abîme s'est ouvert sous leurs pieds, et les avale tous les deux. Ils plongent dans l'obscurité de l'incertitude, de l'absence de confiance. Ils se noient dedans, détruisent un peu plus à chaque seconde ce qu'ils ont construit durant des siècles.
Il se déteste. Plus qu'il ne la déteste, elle, pour son rejet, il se haït, lui. Elle le voit. Mais elle est encore trop chamboulée. Trop perturbée par cette révélation inattendue, qui semble tout changer. Alors elle se détourne, le regard absent, obéissant aux ordres et à sa loyauté. Délaissant son cœur aux pieds du trône, délaissant le prince qu'elle aime tant, avec le goût amer de la trahison au fond de la gorge.
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