Premier délire-Ma Muse
Mr Bossello se décida à quitter son bureau peu après 20h, un sourire aux lèvres. Sa nouvelle secrétaire était très satisfaisante, il se félicita de son recrutement.
Il commença par ordonner tous les papiers étalés devant lui. Il les rangea dans les dossiers de couleur pour Mlle Misty et déposa tous ceux avec le tampon rouge spécifique dans le premier tiroir de droite. Il ouvrit le tiroir, en extirpa un petit pistolet et déposa les dossiers au fond. Il replaca par-dessus l'arme à feu puis ferma le tiroir et donna un tour de clef. Il rangea négligemment la clef dans la poche gauche de son pantalon.
Il récupéra ensuite son manteau sur le dossier de son siège en cuir. Il le plia sur son bras gauche, remit le siège à sa place, légèrement poussé sous le bureau. Il fouilla sa poche droite, quitta le bureau en fermant la porte, donna un tour de clef dans la serrure supérieure et deux dans la serrure inférieure.
Il descendit les trois marches qui menaient aux ascenseurs, un sourire toujours plaqué sur le coin de ses lèvres. Une fois dans la cabine, il sélectionna le sous-sol et l'ascenseur se mit à descendre lentement. Il regarda sa montre hors de prix, réfléchit un instant. Il serait chez lui pour 20h 30, sa femme serait contente. Il se dit alors qu'il enverrait sa fille se coucher sans manger, il n'avait pas envie de la voir ce soir. Il trouverait forcément un prétexte.
Lorsque les portes métalliques s'ouvrirent sur l'immense parking de la société, Mr Bossello repéra immédiatement sa voiture. Le chauffeur l'attendait déjà derrière la vitre teintée. Il bondit en dehors, voyant son patron et se précipita pour ouvrir sa porte et prendre son manteau. Mr Bossello se plaça sur la siège arrière gauche, juste derrière son chauffeur, qui démarra aussitôt la voiture.
« A-t-on une course à faire, Monsieur ?
-Non, filez chez moi. »
Ce fut tout ce qu'il dit à son chauffeur de la soirée. Il ne lui adressa plus un mot jusqu'à ce que celui-ci le laissât chez lui, son manteau retourné sur son bras.
Mr Bossello ouvrit la grande porte de la villa et confia son manteau au valet de l'entrée. Sa femme se précipita pour l'accueillir et l'abreuver de paroles. Il ne lui accorda que peu d'attention, préférant s'écrouler dans le canapé, tout grand et en costume qu'il était. Il se servit un whisky avec deux glaçons qui tintèrent agréablement. Il hésita un instant à y faire fondre une aspirine mais se rappela soudain qu'il s'était fait une promesse en rentrant chez lui. Sa femme appela justement :
« Annunziata ! Viens saluer ton père ! »
La petite fille ne se fit pas attendre. Du haut de ses huit ans, elle déboula dans le salon et approcha de son père. Elle n'aimait pas son père. Coléreux, égocentrique, sans pitié, c'était ainsi qu'elle le définissait. C'était un homme qui se vengeait sur elle de sa peur des femmes et même si la gamine n'en avait pas conscience, elle en souffrait énormément.
Timidement, elle le détailla. Il semblait toujours fatigué, comme lorsqu'elle courait à l'école. Elle se demandait s'il ne rentrait pas de son travail à pied.
Sa mère se plaça derrière elle et couva son mari d'un regard protecteur, puis poussa l'enfant vers l'homme en disant :
« Ton père a beaucoup travaillé aujourd'hui... Allons, fais-lui un bisou, qu'attends-tu ? »
Annunziata dépose sur la joue de Mr Bossello un petit bisou humide. Celui-ci se mit à sourire gentiment et dit à sa fille :
« Tes bisous sont toujours aussi doux ma chérie. »
La petite fut heureuse de cette déclaration et se mit à montrer les trous dans ses dents. La petite souris de la maison était aussi riche que le père d'Annunziata. Il lui rendit son bisou et elle rigola en disant :
« Ah Papa, tu piques ! »
Le père rit avec sa fille et l'accueillit sur ses genoux. De là-haut, la petite se mit à raconter des histoires qu'elle pensait incroyables, à parler de ses camarades et de la maîtresse pas toujours gentille. Son père s'enquit de ses résultats. Elle lui parla de ses 18 et de ses 20 et il la félicita. Et puis rapidement, elle l'énerva et il eut envie de tranquillité. Alors il plaça son verre presque vide à-côté du coude d'Annunziata, ce même coude qu'elle envoyait régulièrement dans tous les sens en expliquant sa vie d'enfant qu'on n'écoute pas. Et le verre fut propulsé dans les airs déversant le reste de son contenu sur l'homme et sur le canapé hors de prix, avant de rencontrer le sol et de se briser en mille morceaux. La mère poussa un grand cri qu'il n'était pas rare d'entendre dans la villa :
« Annunziata !! »
La petite se referma aussitôt, comme la pauvre petite qui était arrivée. La mère continua, tout en appelant la domestique :
« Qu'as-tu fait, petite sotte ? Benedetta, venez tout de suite, il faut nettoyer ! Annunziata a renversé le whisky de son père ! »
Ledit père se leva, posant sa fille à terre. Et de sa splendide force masculine, il imposa le silence à sa femme.
« Laisse-moi faire, je vais lui faire passer l'envie d'être aussi maladroite. »
L'enfant immédiatement comprit que l'on parlait d'elle et fondit en sanglots incontrôlables. Le père lui décocha aussitôt une telle gifle que sa tête aurait pu se dévisser si elle n'avait pas été bien attachée. Annunziata s'arrêta de pleurer et ouvrit de grands yeux, tant la douleur était cuisante. Son père la contourna et quitta la pièce. Il percuta Benedetta la domestique sur son passage et lui intima de faire attention. Il monta se réfugier dans la chambre de son ménage et s'enferma dans la salle de bain attenante. Il prit une douche puis se coucha, espérant faire passer cette insupportable migraine qui lui tombait sur les yeux. En s'endormant, il revit la scène avec Annunziata et un petit rire lui échappa.
*
Détroit - Ma muse
Juliette était perchée tout en haut de leur toit. Le toit où ils s'étaient retrouvés tellement de fois, où il l'avait étreinte pour la dernière fois. Elle pouvait sauter, là, se décider à mettre fin à la souffrance, pourtant elle ne voulait pas. Elle commençait à apprécier la douleur qui l'étreignait. Elle se sentait à sa place.
Elle avait emmené quelque chose de spécial, dans son sac à dos. Elle l'ouvrit et se déshabilla. Elle enfila la combinaison de Mercutio et regarda longuement le masque. Elle fixa les trous où elle aurait dû placer ses yeux. Elle fixa ces trous béants comme s'ils étaient des puits vers le fond de son âme. Elle y chercha la lumière. Elle resta là presque vingt minutes à fixer ses propres yeux à-travers ces immenses points noirs, ils prenaient toute sa vue, il n'y avait rien en elle. Elle voyait le fond de son âme et le fond de ses pupilles, les larmes avaient tout emporté, la douleur avait tout asséché. Elle était un terrain vague, et les vagues s'étaient retirées. En elle, il y avait la place de tout recommencer, mais la terre était si aride à présent, ses yeux était si injectés de sang que rien n'aurait poussé en elle, rien n'aurait pu être semé. Il fallait qu'elle trouve de l'eau pour arroser son âme, sans quoi son cœur aussi se réduirait en cendres.
Elle attrapa au fond de son sac son MP3, glissa ses écouteurs dans le creux de ses oreilles, et plaça ensuite le masque sur ses yeux. Elle le noua dans sa nuque de manière à maintenir les écouteurs en place.
Elle saisit son MP3 et fit défiler les chansons. Maintenant que ses yeux remplissaient les trous béants de son âme, elle voyait exactement où elle voulait aller, où elle devait aller pour trouver l'eau qui lui permettrait de rejoindre Roméo.
Elle appuya sur Play, et les premières notes envahirent sa tête en même temps que les larmes envahirent ses yeux.
Ça m'amuse que tu sois ma muse
Dis moi si ça t'amuse aussi
Ou bien si tu refuses
Le fluide ne s'use que si l'on en abuse
Et si ça m'use parfois ma muse
Tellement ça fuse de toute parts
D'antennes en satellites
Ou pylônes au hasard
Je ne regrette pas
Mais
Ne le répète jamais à personne
Et surtout garde ça pour nous, alone
Les braises incandescentes sont encore
Sous la cendre froide
Autrement dit, "Sois toujours
Au rendez-vous"
Ça m'inspire chaque fois que je respire
Ton essence complice, qui goutte à goutte
S'immisce en moi
Que s'éloigne le pire, que s'effacent les frontières
Que s'affinent les contrastes et s'encrent nos mystères
Les nerfs se changent en air
Flottant autour des météores
Et la petite musique se glisse
Entre les interstices
Mais
Ne le répète jamais à personne
Et surtout garde ça pour nous, alone
Les braises incandescentes sont encore
Sous la cendre froide
Autrement dit, "Sois toujours
Au rendez-vous"
Ça m'amuse que tu sois ma muse
Ça colle des ailes à mes labiales
Ôte à mes mots la muselière
Impose des lettres capitales
Alors veux tu que je te dise
Je prends ce que tu donneras
La pierre est précieuse et magique
Maintenant je sais que tu es là
D'antennes en satellites autours des météores
Je peux puiser dans ton calice
Je peux creuser dans ta mine d'or
Et sois au rendez-vous
Au rendez-vous
*
Juliette s'élance dans le noir de la nuit. Agile, elle passe de toit en toit, elle saute, roule, escalade. Elle est comme un faucon fondant sur sa proie, elle va chercher l'eau. Elle se précipite, s'élance vers Roméo, elle glisse entre les lames de l'ombre. La musique résonne en elle, elle peut encore entendre Roméo chanter ces paroles tandis qu'elle vole, plane en-dessous des étoiles et sous le doux regard de l'être aimé.
Elle atterrit bientôt sur le toit qu'elle cherchait à rejoindre, celui que Roméo lui a soufflé. Elle s'accroche au bord et descend en rappel le long des fenêtres. Ombre parmi les ombres, elle se faufile jusqu'à la fenêtre qui a été mal fermée. Elle glisse ses doigts dans le minuscule interstice, arrive juste à y passer un ongle. Elle tire de toutes ses forces. Soudain, son ongle se brise et une vive douleur la traverse de part en part, faisant surgir sur ses joues des larmes chaudes. Le sang commence à goutter sur le rebord de la fenêtre.
Plic.
Elle cherche à sa ceinture son couteau et cherche à sortir la lame en essayant d'épargner son doigt blessé.
Plic.
Elle arrive à la glisser dans l'interstice. Elle appuie dessus de toutes ses forces, oubliant la douleur.
Plic.
Elle est faite de douleur. Elle en est emplie. Elle ne pensait pas que la douleur physique était si différente de la douleur morale. Pourtant, elle a tellement mal dans son corps depuis que Roméo n'est plus là pour en prendre soin.
Plic.
Le verrou cède enfin, il se rabat dans un cliquetis. Juliette s'accroche au-dessus de la fenêtre et se met à tirer dessus. Elle coulisse dans un petit grincement, et comme une araignée géante, Juliette entre dans la chambre où Mr Bossello dort profondément. Il peut dormir profondément en effet, puisque dans son whisky, il y avait un puissant somnifère. Enfin, plutôt dans les glaçons qu'avaient préparés Benedetta, une ancienne amie chère de Roméo.
L'homme ronfle. Juliette s'approche doucement du lit. Elle le détaille. C'est lui que lui a indiqué Roméo ? Est-ce que c'est lui qui a l'eau ? Est-ce que c'est lui qui a les réponses à ses questions ?
Les pensées de Juliette se taisent aussitôt. Elle a confiance en Roméo. Il lui a montré la voie, il doit forcément avoir raison.
Elle monte agilement sur le lit, attrape les poignets de Bossello et les noue dans son dos avec une corde. Elle saisit fermement cette prise et tire l'homme hors du lit.
Plic.
Elle remarque qu'elle fout du sang partout. Elle tire Bossello jusqu'à la salle de bain et tandis qu'elle fait couler de l'eau dans la baignoire, elle fouille les tiroirs et les placards à la recherche d'un pansement. Elle trouve du sparadrap et des compresses, elle les saisit et s'assoit sur le bord de l'évier pour recouvrir son ongle douloureux.
Le sang cesse de goutter.
Lorsque l'eau brûlante a rempli la baignoire, elle enfile ses gants noirs en cuir. Elle descend de son perchoir et éteint la lumière. Dans une quasi-pénombre, elle saisit l'homme qui ronfle et le balance à l'eau.
« Que ! Que- quoi, qu'est-ce que c'est ? »
Il maintient difficilement sa tête hors de l'eau, il bafouille, comprend vite la situation. Juliette approche alors et lui file un coup de talonnette. Il gémit.
« Bonjour, Bossello.
-Qui es-tu ?
-A cause de toi et des autres, je ne suis plus personne.
-Montre-moi ton visage. »
Juliette ne répond pas, elle allume la lumière. Bossello se contorsionne pour la voir, face contre l'eau. Il réussit à apercevoir son visage et ses yeux s'agrandissent.
« Je te connais pas !
-Moi je te connais, connard. »
Elle attrape violemment ses poignets et d'un coup de lame, elle les lui tranche sèchement. Il sursaute, ça ne doit pas être agréable. Mais le mieux, ça sera son agonie. Juliette s'assoit au bord de la baignoire, au sol. L'homme essaye de la regarder mais n'y parvient pas vraiment. A bout de force, il se noiera bientôt dans un bain de son sang. Comme Roméo avant lui.
Juliette regarde ses mains. A-t-elle vraiment tué cet homme ? Il n'est pas mort, il est là devant elle. Il attend la fin... Et puis il avait tellement tué avant elle. Elle regarde le rouge sur la lame, le sang, le même que celui qui gouttait de son doigt. La même couleur. La même odeur. Et pourtant tellement plus sale...
Il demande :
« Vous allez attendre que je meure, pour m'empêcher de crier ?
-Vous pouvez crier tout ce que vous voulez, personne dans cette maison ne se réveillera.
-Alors qu'attendez-vous ?
-Je veux savoir votre dernière parole. Juste avant que vous mourriez.
-Vous êtes folle ! »
Elle ne répond pas. C'est lui qui est fou. Il a semé tellement de mal...
« J'ai tout le temps qu'il faudra, dit-elle avec un sourire. »
Il la regarde longuement, en se tortillant de manière peu gracieuse. Puis il déclare franchement :
« J'ai toujours pensé que je serais descendu d'un balle.
-Non, j'ai besoin de vos dernières paroles. Pour ça vous devez agoniser.
-Et j'ai toujours pensé que ce seraient mes ennemis qui me feraient assassiner. Je n'ai jamais eu l'idée qu'une gamine simulerait mon suicide. »
Juliette sourit. Elle aime bien qu'on l'appelle gamine. Roméo disait ça aussi. Ma gamine. Elle a raison, c'est bien Roméo qui l'a guidée ici.
« Je ne simule pas votre suicide. Je veux que les autres sachent que leurs fesses chauffent.
-Pourquoi tu me tues ?
-Parce que Roméo me le demande. Et maintenant, ta gueule où je te découpe encore pour que tu te vides plus vite, comme un vulgaire porcinet. »
Il se passa un long moment avant qu'elle n'entende sa tête plonger. Le bain était presque rempli au point de déborder. Sa tête entrant en contact avec l'eau en fit passer par-dessus bord et déborder sur le carrelage blanc et le tapis bleu. Elle se leva et tira sur ses cheveux pour lui faire relever la tête hors de l'eau.
« A qui penses-tu ? »
Il ne répondit pas et la regarda dans les yeux. Elle s'énerva rapidement et lui hurla :
« A qui tu penses ?
-A cette pute qui m'a sucé tout à l'heure.
-Connard. »
Elle relâcha sa tête et des bulle remontèrent petit à petit, puis de grosses bulles d'un coup. Elle attendit quelques secondes et lui fit relever la tête en tirant une nouvelle fois les cheveux de sa nuque. Il aspira une grande bouffée d'air et souffla pendant quelques secondes. Elle réitéra sa question. Il réitéra sa réponse. Elle le replongea dans l'eau, et cela jusqu'à ce qu'il dise du bout des lèvres :
« Je veux pas mourir.
-Personne ne veut mourir. A qui tu penses ?
-A la seule personne que j'ai jamais aimé.
-Qui ?
-Ma fille.
-Celle que tu tabasses ?
-Je voulais un fils et j'ai eu une conne de fille. Mais j'aurais bien aimé qu'elle devienne comme toi.
-Et qu'est-ce que tu voudrais lui dire à ta fille ? »
Il ne répondit pas. Elle lui reposa sa question. Il garda le silence... Soudain, elle vit ses yeux se voiler, comme s'il ne la regardait plus vraiment. Il était mort.
A ce moment-là, Juliette se mit à pleurer. Elle avait failli. Pour la seconde fois, les paroles de Roméo s'envolaient avec lui.
*
Le lendemain matin, la secrétaire de Bossello découvrit le pistolet du tiroir posé sur le bureau. Tous les dossiers tamponnés du logo rouge spécifique avaient disparu et la clée avait été accrochée à une corde trempée de sang : elle pendait du lustre du plafond et produisait un bruit continu de gouttelettes.
Plic.
Plic.
Plic.
Plic.
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Bonjour à tous ! J'espère que ce chapitre vous a plu ! N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ma version "badass" de Roméo et Juliette ;)
Personnellement je me suis éclatée à l'écrire. Chaque chapitre devrait pouvoir se détacher du livre, un peu comme des nouvelles et toujours de ce type. Voilà voilà !
Je vous aaaaaime !
Ath&Ja
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