Après cette semaine de dingue, je n'aspirais qu'à une chose, non, deux ! Prendre un bain bien chaud et boire un verre de vin. Au lieu de cela, j'ai eu la grande idée d'accepter l'invitation de mes collègues – comme si on ne se voyait pas assez au taf –, et voilà comment je me suis retrouvée là, devant la porte de ce bar miteux.

Dès mon arrivée, l'odeur de transpiration mêlée à celle de l'alcool m'agresse, la musique me perce les tympans et l'éclairage quasi lugubre perturbe ma vue. Ça annonce la couleur ! Je ne sais par quel miracle, je repère enfin Ethan, accoudé au comptoir, quelques bières trônant devant lui. Les autres abusent régulièrement de sa gentillesse, je ne serai donc pas étonnée qu'il se soit dévoué pour aller passer la commande. Je m'avance vers lui en évitant les regards de ces gros dégueulasses assoiffés d'ivresse comme de sexe. Je vous jure, ils me baisent avec leurs yeux ces porcs ! Je salue mon collègue d'une tape sur l'épaule, demande un mojito au barman – il m'en faudra sûrement plusieurs pour supporter une soirée dans cet endroit –, puis, un plateau chargé pour lui et les mains pleines pour moi, nous nous enfonçons dans la salle pour rejoindre le reste de la troupe. Une fois les consommations distribuées, je prends place au milieu de la bande, avale une grande gorgée de ma boisson avant de me caler dans le fond de mon siège. Les minutes passent, tous sont d'humeur festive, mais je n'arrive pas à les suivre. Je les observe, sans un mot. Ils parlent, rient, chantent même parfois, mais à mesure que le temps défile, mes pensées prennent le dessus, m'entraînant vers des ailleurs que j'aimerais ne jamais avoir connus. À cette époque où ne pas voir, ne pas entendre aurait été préférable. À cette époque où j'aurais béni le son du silence.

Sophie, la correctrice du journal local pour lequel je bosse, me sort de mes ténèbres en me proposant un autre verre. J'aurais envie de lui crier « file-m'en un litre tout de suite qu'on n'en parle plus ! », mais je hoche simplement la tête et lui indique ce que je souhaite. J'ai bien conscience que ma froideur la surprend, mais là, je ne peux pas feindre la jovialité, pas même avec elle. J'use chaque jour de mon masque spécial « je vais bien, tout va bien ! » lorsque je suis en compagnie, pourtant, c'est au-dessus de mes forces ce soir, comme chaque année à cette date depuis maintenant 12 ans.

Bienvenue dans ma vie. Je suis Lucie, 27 ans, journaliste de presse écrite, biographe à mes heures perdues et reine des faux semblants.