Les jours suivants furent consacrés à l'élaboration de réserves de nourriture pour le voyage de retour vers la Terre. Élizabeth et Tom s'occupèrent d'amasser le plus de fruits et noix possible dans les environs. Anya leur avait expliqué lesquels étaient comestibles et avait également installé des séchoirs près de la remise.

Pendant ce temps, Maxim et elle s'assuraient d'augmenter les stocks de viande. Ils attrapèrent des poissons, des tamins ainsi que quelques gibiers plus imposants. Ils en firent de la viande séchée, salée et fumée pour varier leur alimentation. Au bout de ces trois jours, il ne restait plus qu'à attendre que le soleil, la fumée ou le sel fasse son œuvre.

La quatrième éclipse passée, Maxim et Anya entreprirent le voyage vers Austeen, les sacs remplis de peaux prêtes à être échangées contre quelques crédits. Ceux-ci serviraient à payer le forgeron qui pourrait leur fabriquer la pièce de métal pour le vaisseau.

Leur deuxième excursion vers la ville fut beaucoup plus facile que la première. Parce qu'il était maintenant plus en forme, Maxim réussit à suivre la cadence d'Anya. Ils ne s'arrêtèrent que pour manger en milieu de journée et arrivèrent à Austeen juste avant le lever de la lune.

Comme ils étaient attendus chez Alexander, ils piquèrent à travers Austeen pour se rendre dans le quartier des Anciens. Anya sentit que Maxim ralentit le pas à l'intérieur de l'enceinte d'Austeen. Il était vraisemblablement distrait par les passants qu'ils croisaient, les habitations ou les détails qu'il n'avait pas remarqués lors de leur première visite. Mais cette fois-ci, Anya ne s'en irrita pas. Au contraire, le fait qu'il s'intéresse ainsi à sa culture et à son mode de vie lui réchauffait le cœur d'une manière inattendue.

Ils arrivèrent bientôt dans le quartier des Anciens, devant la maison d'Alexander. Stuart, le majordome imperturbable, les reçut avec toute l'indifférence du monde, malgré les salutations amicales d'Anya. Il les conduisit dans le salon où Alexander était plongé dans un ouvrage, assit dans son fauteuil préféré près de la cheminée.

— Dame Anya et Sieur Maxim, Milord, annonça Stuart de son ton monocorde.

Alexander déposa son livre et les accueillit d'un grand sourire chaleureux.

— Ah ! Vous voilà ! J'ai beaucoup de choses à vous dire ! Mais avant, le voyage vous a sans doute creusé l'appétit ! Passons à table ! Stuart, peux-tu nous apporter les plats ?

Ils s'installèrent dans la salle à manger pour discuter, Anya assise à côté de Maxim et Alexander en face d'eux.

— Arkadi vous a transmis mon message ? débuta Alexander en attendant que la nourriture leur soit servie.

— Oui, confirma Anya. Il nous a dit que les Anciens voulaient rencontrer Maxim.

Alexander hocha la tête avant de tourner son attention vers ce dernier.

— Ils auraient aimé rencontrer vos amis également, mais si je comprends bien, ils n'ont pas fait le voyage avec vous ?

— Non, il reste encore quelques tâches à accomplir avant notre départ.

— Je vois..., répondit Alexander tout en se frottant la barbe, le regard absent.

Maxim profita de son silence pour le questionner à son tour :

— Pouvez-vous me confirmer que vous avez un propulseur en votre possession ?

— Peut-être bien. Nous avons conservé la navette qui a conduit nos ancêtres sur Proxima, mais nos connaissances technologiques sont plus avancées qu'il n'y paraît. Nous choisissons de vivre dans la simplicité, en respectant le rythme de vie de cette planète, mais plusieurs d'entre nous croient qu'une certaine prudence est de mise quant à notre avenir sur Proxima.

— Qu'est-ce que tu veux dire, Dada ?

— Certains Anciens redoutent l'arrivée de Terriens ici. Cela pourrait menacer notre mode de vie. Proxima est un monde paradisiaque pour des civilisations qui n'ont pas su prendre soin de leur planète.

— Tu veux dire que les Anciens sont prêts à nous défendre si un envahisseur voulait nous chasser ? s'exclama Anya.

— Ce qui inclut probablement des armes, des vaisseaux et des propulseurs..., déduisit Maxim.

Alexander acquiesça, sans en ajouter davantage.

C'est ce moment que Stuart choisit pour entrer avec des assiettes fumantes remplies de viandes et de légumes. Il les déposa sur la table avant de s'installer dans un coin, droit comme un piquet, le regard fixé sur le mur derrière Alexander.

— Et pourquoi les Anciens désirent-ils nous rencontrer ? demanda Maxim après l'interruption de Stuart.

— Plusieurs de mes collègues hésitent à vous laisser repartir. Les Terriens ne sont pas au courant de notre présence sur Proxima. Il est important que ça reste ainsi le plus longtemps possible.

— Et si nous promettions de ne rien leur dire, d'inventer une histoire qui expliquerait notre retour.

— C'est ce que tu devras plaider devant le Conseil, après-demain.

Anya jeta un œil vers Maxim pour sonder sa réaction. Celui-ci fronça les sourcils et évita son regard. Il lui semblait mécontent, mais tentait de le dissimuler sans trop y réussir. Il concentra son attention sur la nourriture devant lui et débuta son repas en silence. Elle comprenait bien sûr sa frustration, mais une petite partie d'elle espérait que les Anciens décident d'interdire leur départ de Proxima. Maxim serait contraint de rester ici, avec elle. Néanmoins, ces pensées étaient égoïstes et elle les balaya aussitôt.

Sous la table, elle glissa discrètement sa paume sur la cuisse de Maxim afin de le réconforter. Il tourna la tête dans sa direction, lui serra la main en retour puis étira les commissures de sa bouche dans un sourire forcé.

Pendant le reste du souper, Alexander tenta de changer le sujet de la conversation. Il prit des nouvelles du campement, de ses chasses et d'Arkadi. Après un temps, Anya sentit que l'humeur de Maxim redevenait plus calme et il participa un peu plus à la discussion, surtout quand son grand-père questionna Maxim sur ses impressions d'Austeen et leur mode de vie.

À la fin du repas, Alexander leur annonça qu'il était fatigué et souhaitait se coucher. Il les invita à faire de même. Mais juste avant de quitter la table, il s'adressa à Stuart, toujours dans un coin de la pièce.

— Stuart, je crois finalement qu'une seule chambre sera nécessaire pour nos invités ce soir.

Surpris, Maxim recracha une gorgée d'eau qu'il venait de prendre, aspergeant la nappe et les assiettes au passage.

— À moins que je me trompe, déclara Alexander, en regardant Anya avec des yeux rieurs.

— Non, une seule sera suffisante, bredouilla Anya qui sentait ses iris devenir violets.

— Parfait ! Alors une seule chambre ! On se voit demain matin pour le petit-déjeuner. Vous aurez toute la journée pour mettre en place une stratégie lors du Conseil. Ils vous attendent après-demain, au coucher de la lune.

Alexander s'apprêta à quitter la pièce, mais s'arrêta dans le cadre de porte, les yeux pétillants de malice.

— Oh... et bonne nuit.