Chapitre 5 : Dans le bain des négociations
Bien malgré elle, Élizabeth suivit les gardes dans les rues d'Austeen, non sans envoyer quelques coups de pied bien placés à ceux-ci. Ils étaient toutefois plus forts qu'elle et finirent par lui attacher les poignets derrière le dos et la soulever par les coudes pour la transporter.
Ils empruntèrent le chemin qui entourait la Tour des Anciens pour la contourner. À l'ombre de la tour, se trouvait un immense bâtiment aux briques écarlates qu'Élizabeth n'avait jamais vu. Une centaine de fenêtres ornaient l'édifice et une énorme fontaine trônait devant l'entrée pavée de pierre.
— Bordel, c'est quoi ce château ! s'exclama Élizabeth à la vue du Palais.
Même si sa question était plutôt d'ordre rhétorique, l'Ancien Garcia, devant elle, lui répondit.
— Le Palais des Conseillers. C'est ici que vous résiderez.
Ils s'avancèrent vers les portes du palais qui s'ouvrirent comme par magie à leur arrivée. Les gardes déposèrent Élizabeth au sol une fois la fermeture de celles-ci. Un majordome se précipita vers l'Ancien pour lui retirer sa veste.
— Escortez-la jusqu'à sa chambre et assurez-vous qu'elle y reste, ordonna l'Ancien.
Il se tourna vers Élizabeth pour lui faire une brève révérence avant de la quitter. Sans retenue, cette dernière fit une grimace vulgaire à son dos en même temps qu'un garde l'agrippa par le bras pour qu'elle les suive.
Ils traversèrent un hall d'entrée majestueux dans les tons de beige et d'or. Un lustre de verre les surplombait et deux escaliers tournants au centre de la pièce menaient à une mezzanine. Malgré la situation dans laquelle elle se trouvait, Élizabeth ne put s'empêcher d'admirer l'endroit. Elle pouvait facilement s'imaginer être dans le château d'un conte de fées. Bientôt, une princesse aux cheveux d'or descendrait les marches pour rejoindre son prince charmant. Du moins, c'est ce qu'elle s'imagina. C'était très loin de la petite cabane d'Anya dans les bois.
Ils empruntèrent un des escaliers pour se diriger vers l'aile ouest. Un tapis rouge et doré étouffait chacun de leurs pas dans un corridor couleur argent. Des peintures d'homme et de femme agrémentaient les murs. Élizabeth remarqua que chaque portrait était clairement identifié : Anthonia Bennet, Katherina Durov, Dany Huang, Charles Thompson...
Ils s'arrêtèrent finalement devant une porte ouverte. Les gardes détachèrent les poignets d'Élizabeth pour ensuite la pousser sans ménagement dans la pièce. La porte se referma derrière elle et le bruit d'un verrou confirma que toute tentative d'évasion serait vaine.
Elle se retrouva seule, dans une chambre inconnue, ne comprenant pas vraiment la raison de sa présence en ces lieux. Cependant, elle se dit qu'il y avait pire comme cellule. La pièce, décorée d'une tapisserie jaune-canari, aurait pu être les appartements de cette fameuse princesse qu'elle s'était imaginée plus tôt. Un lit à baldaquin encadré par deux tables de nuit trônait près d'un mur. Une grande porte-fenêtre drapée de rideaux rouge foncé donnait sur un balcon. Une coiffeuse avec miroir, une armoire et un bain sur patte complétaient le décor.
Elle se dirigea vers la fenêtre pour l'ouvrir et sortit sur le balcon. En se penchant par-dessus la balustrade, elle constata rapidement qu'il était beaucoup trop en hauteur pour qu'elle puisse descendre par là. Toute tentative d'évasion de ce côté se solderait par plusieurs fractures ou même une mort douloureuse.
Elle poussa un long soupir de résignation avant de revenir dans la chambre et fermer les rideaux. Elle ne voyait pas comment elle pourrait s'enfuir d'ici et la fatigue ainsi que la lassitude commençaient à s'emparer d'elle. La lune amorçait déjà sa descente dans le ciel, elle se dit alors que dormir lui permettrait peut-être d'avoir l'esprit plus clair demain, afin de réfléchir à la prochaine étape de son parcours sur Proxima.
***
Élizabeth se réveilla en sursaut, lorsque le soleil pénétra brutalement dans la chambre. Une femme se tenait devant la fenêtre et venait manifestement d'ouvrir les rideaux.
— Bonjour ma Dame ! J'espère que vous avez bien dormi !
La terrienne se redressa dans son lit et se frotta les yeux, souhaitant retirer quelques traces de sommeil. Elle observa la femme aux cheveux bruns qui s'était maintenant dirigée vers la penderie. La Proximienne en sortit deux robes qu'elle examina avec attention avant de jeter un regard calculateur sur la Terrienne.
— Vous semblez avoir une forte poitrine. Celle-ci fera l'affaire, dit-elle avant de déposer une robe bleu poudre sur le lit.
Élizabeth remonta les draps sur son buste. Elle avait dormi en petite tenue, mais elle se sentait tout de même inconfortable face à cette femme déterminée et beaucoup trop énergique pour elle, surtout à cette heure.
— J'ai aussi des sous-vêtements pour vous, dit-elle.
Elle posa sur la robe une petite culotte noire et un long foulard de la même couleur, semblable à celui d'Anya.
— Vous pouvez prendre un bain si vous le désirez. Un déjeuner vous sera servi un peu plus tard. L'Ancien Garcia vous attend dans la grande salle après le dîner pour conclure les négociations. Un garde vous y conduira.
La femme se dirigea d'un pas rapide vers le bain sur patte et ouvrit les robinets. Elle sortit de la poche de son tablier un savon qu'elle déposa sur un plateau de bois au milieu de la baignoire. Son regard revint alors vers Élizabeth.
— Vous n'aurez qu'à fermer l'eau, une fois le bain rempli. Je vous souhaite une bonne journée, lança-t-elle en se dirigeant vers la porte.
Elle s'arrêta brusquement avant de se retirer.
— Oh et j'oubliais ! Ingress viendra vous coiffer et vous parer pour le bal de ce soir. Au revoir, ma Dame!
Elle sortit avant même qu'Élizabeth puisse protester. Avait-elle bien dit un bal ?Des négociations avec les terriens, ça, elle le comprenait, mais assister à un putain de bal ? Beurk ! C'était hors de question! Elle devait absolument s'enfuir d'ici avant ce soir ! Mais en même temps... elle avait fortement envie de profiter de ce bain chaud qui l'attendait. Rien de tel qu'un peu de confort après s'être lavé pendant plusieurs semaines dans une eau froide et boueuse d'une rivière et supporter des bains tièdes chez Alexander. Ses plans d'évasion pouvaient attendre encore un peu, non?
Après plusieurs minutes à relaxer dans le bain, Élizabeth entreprit de s'habiller. Elle tenta à plusieurs reprises d'entourer sa poitrine du foulard noir que lui avait laissé la gouvernante, mais elle n'arriva pas à le faire tenir. Elle finit par abandonner et le roula en boule pour le lancer dans un coin de la chambre. Tant pis pour le soutien !
Elle enfila ensuite la robe déposée sur son lit. Celle-ci était beaucoup plus propre que ses habits de la veille. Elle mit toutefois ses bottines de marche, la femme ne lui ayant pas laissé d'autres souliers.
Une fois ses lacets attachés, elle se leva pour jeter un coup d'œil dans le miroir de sa coiffeuse. Elle avait une drôle d'allure avec ses cheveux blonds mouillés recouvrant ses épaules, sa robe bleu poudre à taille empire — qui, soit dit en passant, dévoilait une trop grande partie de sa poitrine — et ses bottes terriennes. Tom se serait certainement moqué d'elle s'il l'avait vue accoutrée de la sorte. Elle était loin d'être un exemple de féminité, même quand elle portait une robe.
Quelques minutes après avoir terminé de s'habiller, on lui apporta un petit-déjeuner constitué de croissants et confiture, accompagnés d'une boisson chaude qui s'apparentait à un café. Elle dévora son repas, appréciant chacune des saveurs. Il y avait tellement longtemps qu'elle n'avait pas mangé de marmelade ! Et même si son breuvage ne goûtait pas tout à fait le café, elle était tout aussi réconfortante. Elle se sentait presque sur Terre plutôt que sur une planète étrangère.
Après avoir tourné en rond dans sa chambre le reste de la mâtinée, un garde cogna à sa porte pour l'escorter dans une grande salle au rez-de-chaussée. Une table imposante occupait la majeure partie de la pièce. Antonio Garcia ainsi que deux Anciens étaient assis en face de trois autres personnes. Élizabeth constata immédiatement que ces inconnus n'étaient pas des Proximiens. Leurs uniformes appartenaient à la marine spatiale de l'Amérique-Unie : pantalon bleu royal, chemise bleu pâle sous un veston de la même couleur que le pantalon. Des gallons qui indiquait leurs grades complétaient leur tenue.
À l'arrivée d'Élizabeth, l'Ancien Garcia se leva et s'avança vers elle. Ses habits de dandy étaient impeccables, comme la veille. Ses cheveux gris étaient attachés sur ses épaules et sa barbe taillée à la perfection.
— Bonjour Dame Élizabeth. J'espère que vous avez bien dormi.
Comme réponse, Élizabeth lui envoya le regard le plus meurtrier qu'elle put. L'Ancien émit un léger grognement, mais l'invita tout de même à s'asseoir au bout de la table, entre les deux partis. L'Ancien retourna à sa place avant de prendre la parole.
— Avant votre arrivée, Dame Élizabeth, nous discutions des derniers arrangements entre nos deux nations.
Élizabeth jeta un regard vers les représentants terriens. Aucun d'eux n'avait pris le temps de la saluer ou même la regarder plus d'une seconde. Un peu plus et ils faisaient comme si elle n'était pas là. Elle fronça les sourcils, incertaine de la signification de ce désintérêt manifestement volontaire.
Antonio se pencha vers un appareil qui trônait au milieu de la table. Un cube noir de la grosseur d'un pamplemousse, lisse et sans artifice. Il passa sa main sur un des côtés et un hologramme vert fut projeté au-dessus. Élizabeth étudia l'image qui se présentait devant elle et comprit qu'il s'agissait de Proxima B, tournant sur elle-même.
— Voici, général Scott, le territoire que nous sommes prêts à vous concéder.
Un point lumineux apparut au nord-ouest du désert proximien.
— Il mesure sept cent mille kilomètres carrés, ce qui sera amplement suffisant pour votre colonie pendant plusieurs années.
— À quoi ressemble la végétation là-bas ? demanda ce qui semblait être le général, à en croire les galons cousus sur ses manches.
— Plusieurs forêts, quelques plaines de terres fertiles. La ligne orientale touche le désert et il y a de nombreux cours d'eau sur le territoire. La température ambiante est entre dix et vingt-cinq degrés Celsius en fonction du cycle lunaire.
— Cela me semble adéquat, acquiesça le Terrien.
— En échange, vous vous engagez à signer un traité de paix de mille ans ainsi qu'à nous fournir dix hommes et dix femmes qui seront intégrés à notre bassin génétique, en commençant par la Terrienne Élizabeth ici présente.
— Quoi !?
Les six personnes autour de la table se retournèrent vers elle. Elle tenta de se lever, mais un garde derrière elle la rassit brutalement sur sa chaise. Ce qui ne la calma pas pour autant.
— C'est quoi cette putain d'histoire à propos de bassin génétique ?!
— Nous désirons croiser vos gênes avec ceux de nos futurs Seigneurs, répondit un Ancien aux cheveux poivre et sel assis à côté d'Antonio. Nous devons jongler avec beaucoup de maladies congénitales depuis quelques années. Un renouvellement du bassin génétique est primordial pour notre survie.
— Alors en gros vous voulez que je joue les génisses pour vous ?! Et vous, dit-elle en tournant la tête vers les terriens, vous les laissez faire ?!
Le Général la regarda quelques instants. Son visage ne trahissait aucune émotion. Il semblait s'en foutre éperdument. Il se retourna vers Antonio.
— Les termes de votre accord nous paraissent raisonnables, dit-il.
— Non mais vous êtes malade ! cria encore une fois Élizabeth sur le bord de la crise de nerfs. Vous allez les laisser nous traiter comme des animaux sans le moindre remords ?! Et qui choisirez-vous comme prochaine génisse ? Votre femme, vos enfants ? Bandes de trous du cul !
Élizabeth fit une nouvelle tentative pour se relever, mais elle fut rassise aussi brutalement que la dernière fois.
— Donc... reprit Antonio, une touche d'impatience dans la voix. Mon secrétaire s'occupe des papiers et nous signerons l'accord officiellement dans deux jours. D'ici là, j'espère vous voir au bal de ce soir général.
Il fit signe aux gardes d'amener Élizabeth alors que les terriens quittèrent la table. Les hommes d'Antonio s'emparèrent d'elle et l'immobilisèrent après qu'elle eut envoyé un bon coup de pied dans l'estomac d'un des gardes. Ils la ramenèrent dans sa chambre sans ménagement avant de l'enfermer à clé.
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