Chapitre 13: La lame de brouillard
Élizabeth se réveilla avec un mal de tête lancinant. Sa gorge était sèche, son dos la faisait souffrir et du sable s'était incrusté dans les moindres replis de sa peau. Tous les éléments étaient réunis pour qu'elle souhaite retourner dans le monde des rêves. Malheureusement, le sommeil l'avait définitivement quitté, sans espoir de retour.
Elle prit soudain conscience qu'Arkadi était toujours lové derrière elle. Son bras lui servait d'oreiller et sa main droite, elle, s'était tout naturellement déposée sur son sein. Elle hésita un moment entre la retirer sans ménagement ou la laisser là, à cheval entre sa peau et son débardeur.
La sensation de cette main puissante sur sa poitrine était loin d'être désagréable. Elle réalisa soudain qu'elle n'avait pas dormi dans les bras d'un homme depuis des lustres, et ce, malgré les six mois passés seule dans l'espace avec deux représentants de la gent masculine. Elle avait toujours considéré Tom comme un grand frère et pour ce qui était de Maxim... eh bien c'était Maxim. Séduisant, mais beaucoup trop sérieux pour elle.
Tandis qu'Arkadi...
C'est pourquoi, malgré la chaleur qu'il dégageait, la sueur qui s'accumulait entre leurs deux corps, ainsi que sa main posée sur son sein, elle ne bougea pas d'un iota. Cette proximité était réconfortante et elle aimait ce sentiment de sécurité que lui conférait ce corps puissant qui l'enveloppait.
C'est avec une pointe de déception qu'elle le sentit desserrer sa prise, retirant ses doigts un à un avec précaution. Une fois sa main rétractée, il se détacha lentement d'elle pour se retourner sur le dos, tel un gentleman. Elle fit mine de dormir encore quelques instants, mais regrettait la chaleur de son corps contre le sien.
Après une dizaine de minutes, elle se permit de s'étirer et de bâiller faussement. Elle se retourna vers lui. Il posa son regard doré sur elle.
— Bien dormi ? demanda-t-il.
Bien qu'un peu enrouée, sa voix était douce et attentionnée.
— Mm-mmh.
Il tendit la main vers son visage pour replacer une mèche rebelle derrière son oreille. Un frisson parcourut l'échine d'Élizabeth alors que ses doigts glissèrent sur la peau délicate de sa nuque. Il l'observa un moment, en silence.
Elle ne put s'empêcher de penser à ses propres yeux probablement bouffis par les larmes de la veille. À ses lèvres asséchées et son visage sans aucun doute brûlé par le soleil. Elle devait être hideuse en plus de ressentir cette honte qui vous hantait après avoir craqué. Arkadi était sans doute aussi épuisé qu'elle, mais ne se plaignait pas. Il avait même pris le temps de la consoler malgré les âneries qu'elle lui avait jetées à la figure. Franchement, elle ne méritait pas cette gentillesse de sa part.
Il finit par lui sourire et quitter son regard pour fixer la toile au-dessus d'eux.
Ils demeurèrent un moment ainsi, étendus en silence, cherchant tous les deux la force de continuer cette marche sans espoir.
Arkadi la trouva avant elle. Il poussa un soupir, contracta ses abdominaux pour se redresser et se glissa hors de l'abri. Élizabeth, elle, ne se sentait toujours pas d'attaque. Son mal de tête était encore présent et ses muscles protestaient au moindre mouvement. Néanmoins, elle puisa en elle le peu d'énergie qui lui restait pour se lever et aider son compagnon à démonter le campement.
Ils reprirent leur route, vers cette oasis qui n'existait peut-être pas. Ou pire, qui se trouvait peut-être dans une tout autre direction.
Après ces cinq jours de marches dans cet enfer, Élizabeth avait de plus en plus de mal à suivre le rythme. Elle devait se concentrer sur chacun de ses gestes pour ne pas glisser dans le sable ou tomber. Pour passer le temps et éviter de sombrer dans la folie, elle entreprit de compter chacun de ses pas, puis une fois rendue à mille, elle recommença à zéro. Une pas de plus, et encore un autre et un autre...
Après un moment, elle en oublia de compter et tenta d'occuper son esprit sur autre chose. Elle s'en remit à son partenaire de marche. Ilpourrait peut-être détourner ses pensées de cette fatigue et cette impression de progresser dans une fournaise.
— Tu crois qu'on aurait dû rester dans le vaisseau ? lui demanda-t-elle sans trop réfléchir.
Arkadi essuya quelques gouttes de sueur qui s'étaient accumulées sur son front.
— Non. On a pris la bonne décision.
Elle se concentra encore une fois sur ses pieds qui avançaient dans le sable, avant de continuer.
— Peut-être que j'aurai pu le réparer ?
— Peut-être, mais peut-être pas. C'est impossible d'en être certain et les regrets ne servent à rien.
Cette étonnante sagesse qui sortait de sa bouche du colosse la fit sourciller.
— Tu es toujours aussi philosophe lorsque tu es en train de cramer dans le désert ?
Arkadi éclata de rire, ce qui surprit encore plus Élizabeth. C'était la première fois qu'elle l'entendait s'esclaffer ainsi, sans retenue.
— Va savoir pourquoi, j'apprends à être de plus en plus philosophe avec toi, finit-il par répondre entre deux gloussements.
Élizabeth ne comprenait pas vraiment ses propos, mais son cerveau qui bouillait sous le soleil n'avait pas la force de les analyser. D'autant plus que son mal de crâne se raviva de plus belle.
Elle ramena donc son attention sur ses pieds qui traînaient dans le sable. Étrangement, elle eut l'impression que le sol se mit à bouger, fuyant de plus en plus sous ses pas. Elle secoua la tête, mais cela n'y changea rien. Elle s'arrêta et ferma les yeux un instant pour les reposer. Juste un petit moment...
— Éli ?! Éli ?!
Elle rouvrit les yeux. Son corps se trouvait sur les genoux d'Arkadi. Son visage au-dessus d'elle, il la regardait, paniqué.
— Éli, ça va ?
— Hmm... ?
— Tu t'es évanouie, Éli.
Elle tenta de se redresser, mais elle fut prise d'un haut-le-cœur insupportable. D'un geste vif, elle se tourna sur le côté pour éviter d'envoyer le contenu de son estomac sur Arkadi.
— Merde ! finit-elle par dire après avoir essuyé sa bouche. Merde merde merde !!
— Quoi !?
— Insolation !
— Inso quoi ?
— Mon corps est trop chaud...
— Oh ! Attends !
Arkadi enleva son sac à dos pour l'ouvrir et en sortir sa gourde. Il retira son chandail qu'il imbiba d'un peu d'eau avant de tapoter le front d'Élizabeth.
— Tu veux que je monte la tente, pour te mettre à l'abri du soleil ?
Élizabeth hocha la tête et ferma les yeux.
Elle les rouvrit. De l'eau coulait dans sa bouche. Arkadi était toujours au-dessus d'elle, mais cette fois-ci sous la toile. Il tenait une gourde près de ses lèvres et l'incitait à boire. Elle avala quelques gorgées avant de tousser et refermer ses yeux.
Elle sentit le contact frais d'un linge humide sur son front, sur son cou, sa poitrine, ses bras, ses jambes...
Elle rouvrit les yeux et aperçut un homme au regard gris acier penché sur elle. Elle reconnut immédiatement Antonio Garcia ! Que faisait-il en plein milieu du désert ?! Elle tenta de se redresser, mais une main puissante la plaqua au sol.
Une vive douleur déchira son poignet droit. Elle dirigea son regard vers celui-ci et vit une lame lui trancher les veines. Elle cria de toute ses forces avant de s'évanouir à nouveau.
L'odeur du sable. La brise qui caressait son visage. Une goutte de sueur se frayant un chemin jusqu'à ses reins. La chaleur réconfortante d'Arkadi. La puanteur du fumier.
Du fumier !?
Élizabeth ouvrit les yeux en sursautant. Elle se trouvait à califourchon sur une bête imposante et poilue. Des bras musclés entouraient sa taille et son dos reposait sur le torse chaud d'un homme.
— Tout va bien, luciole, chuchota Arkadi près de son oreille. Nous sommes sauvés. Tu peux te reposer.
Elle laissa son corps s'appuyer sur celui d'Arkadi et ferma les yeux.
***
Élizabeth se réveilla dans une pièce peu éclairée. Elle sentit son corps reposé dans un lit, un mince drap le recouvrant. Elle le souleva pour constater qu'elle était entièrement nue. Son crâne lui faisait un mal de chien, elle avait la gorge sèche et un bandage recouvrait son poignet droit.
Elle jeta un regard autour d'elle. Meuble de chevet rudimentaire, commode, table et chaises en bois meublaient la pièce dans laquelle elle se trouvait. Des rideaux noirs ne laissaient passer qu'une légère lumière.
Elle tourna la tête à gauche et y découvrit Arkadi, assoupi, la bouche ouverte, sur une minuscule chaise en bois près du lit. Sa posture semblait très inconfortable.
Elle se pencha vers la table de nuit et attrapa une gourde qui s'y trouvait. Elle prit une grande gorgée d'eau afin de soulager sa bouche asséchée. En avalant, elle s'étouffa. Sa gorge irritée la faisait souffrir. Elle toussa à plusieurs reprises ce qui n'aida pas à son mal de tête.
— Bien dormi ?
Elle tourna la tête vers Arkadi, maintenant réveillé. Son regard doré était posé sur elle.
— Mm-mmh
Il sourit, s'avança sur le bout de la chaise qui craqua sous son poids et se pencha vers elle, son visage à quelques centimètres du sien. Sa main se posa sur ses cheveux pour les caresser doucement.
— Tu m'as fait peur, luciole.
Élizabeth sourit, ne sachant quoi répondre. Une chaleur agréable se propagea dans sa poitrine. Il avait les lèvres gercées, la peau de son visage était brûlée à plusieurs endroits, mais ses yeux dorés qui l'observaient avec tendresse la troublaient.
Elle se souvint alors d'un détail:
— C'est toi le pervers qui m'as mise à poil ?
Une lueur de panique traversa son regard. Il se redressa comme un piquet sur sa chaise.
— Non non ! C'est Anya ! C'est elle ! Elle voulait te rafraîchir et faire ta toilette. Je te jure que j'ai quitté la chambre à ce moment !
Ses mains étaient levées devant lui, en signe de défense.
Élizabeth gloussa face à cette réaction excessive.
Le colosse se détendit légèrement sur sa chaise, mais une certaine méfiance perdurait dans son regard.
— Ça va, je te crois, le rassura-t-elle.
Elle étira les lèvres dans son sourire le plus sincère. Arkadi lui sourit en retour avant de se pencher de nouveau vers elle.
— Si c'est Anya qui s'est occupée de moi, ça veut dire que nous avons réussi? demanda-t-elle. Nous les avons retrouvés ?
— C'est plutôt eux qui nous ont retrouvés. Tu veux que j'aille leur dire que tu es réveillée ? demanda-t-il tout en recommençant à lui caresser les cheveux.
Élizabeth secoua la tête. Elle était bien, là, maintenant, alors qu'Arkadi veillait sur elle. Elle se sentait enfin en sécurité.
Elle ferma les yeux en soupirant d'aise, se laissant bercer par les doigts du Proximiens qui jouait dans ses mèches blondes. Elle s'apprêtait à sombrer de nouveau dans le sommeil lorsqu'on toqua à la porte.
Le colosse se redressa aussitôt, comme un enfant pris en flagrant délit.
La porte s'ouvrit, laissant place à Tom et Maxim. Un sourire radieux s'empara du visage de ce dernier, lorsqu'il croisa le regard d'Élizabeth.
— Tu es réveillé ? demanda Maxim en s'approchant.
Élizabeth acquiesça lentement.
— T'en as mis du temps à nous rejoindre, la petite ! s'exclama Tom en s'asseyant sans ménagement sur son lit.
— Hmm, on est où au juste ? demanda-t-elle.
— À New Hope, répondit Maxim.
— Ouais, je sais. Pas très original comme nom, ajouta Tom. Nous sommes dans une ville située à la frontière occidentale du désert.
— Et comment sommes-nous arrivés ici ?
— Léandro et son équipe nous ont retrouvés, répondit Arkadi.
Il était, jusqu'ici, resté silencieux sur sa chaise.
— Eh bien ! Il en a mis du temps ! s'exclama Élizabeth.
— En fait, hésita Maxim en se frottant les sourcils, si vous étiez restés dans le vaisseau, il vous aurait retrouvé avant...
— J'aurais bien voulu te voir à notre place ! tempêta Élizabeth avant de ressentir une vive douleur lui vriller le crâne.
Elle regretta immédiatement son emportement. Elle était encore trop faible pour les engueuler.
— Je crois qu'on devrait la laisser se reposer, proposa Maxim en la voyant se masser les tempes.
— Ouais, et toi, mon pot, dit Tom en s'adressant à Arkadi, tu vas aller te coucher immédiatement. Tu la veilles depuis trop longtemps. Tu dois dormir. Je vais prendre le relais.
Arkadi jeta un regard hésitant à Élizabeth. Même si elle aurait aimé qu'il reste, elle lui fit tout de même signe d'y aller.
Il se leva et Tom prit sa place sur la chaise pour la veiller.
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