Chapitre 11: Le vol d'Icare
Une certaine euphorie s'empara d'Élizabeth lorsqu'elle sentit le vaisseau quitter le sol. Piloter lui manquait et c'est maintenant qu'elle le réalisait. Elle était restée trop longtemps sur cette planète, c'était le moment de partir d'ici ! Une fois qu'elle aurait récupéré ses amis, bien sûr.
Le sourire aux lèvres, elle fit prendre un peu d'altitude au vaisseau avant de le propulser vers l'est.
Une fois stabilisé, elle activa le pilote automatique et se pencha sur l'ordinateur de bord.
— Tu peux me lire les coordonnées inscrites sur ton bras ? demanda-t-elle à son co-pilote.
Voyant qu'il ne répondait pas, Élizabeth se tourna vers le Proximien. Celui-ci tenait fermement les appuie-bras de son siège, le visage livide. Il fixait le paysage devant lui.
— Arkadi, ça va ?
Il prit soudain conscience de sa présence et pivota la tête vers elle.
— Euh oui. Ça va.
— Les coordonnées...
— Ah ! Euh... oui.
Il lâcha un des accoudoirs, qui semblait sur le point de céder, pour lui lire les chiffres sur son avant-bras.
Elle les entra dans son ordinateur et le laissa calculer leur trajectoire.
— Éli ?
— Hmmm ?
— Il y a des latrines à bord du vaisseau ?
Élizabeth quitta des yeux son écran pour scruter à nouveau le visage du Proximien. Il était blafard et de grosses gouttes de sueur perlaient sur ses tempes.
— Oh ! Oui ! Deuxième porte à droite !
Arkadi se débattit avec sa ceinture avant de se lever d'un bond et courir vers les toilettes. Quelques secondes plus tard, elle l'entendit vomir ses tripes dans la cuvette.
Un mélange de pitié et d'amusement envahit Élizabeth. Avoir le mal des transports était désagréable, mais c'était plutôt cocasse de voir ce colosse si vulnérable tout à coup.
Lorsqu'il revint s'asseoir le plus dignement possible, Élizabeth réprima un fou rire. Son teint encore un peu olivâtre laissait supposer qu'il ne se sentait guère mieux. Avec un peu de chance, son estomac était maintenant vide et il prendrait du mieux dans les prochaines minutes.
La jeune femme fixa son attention sur la programmation de l'itinéraire sans dire un mot, afin d'éviter de froisser son orgueil masculin.
Après quelques bips, l'écran devant elle lui projeta la carte de Proxima B ainsi que la destination liée aux coordonnées reçues. Celles-ci pointaient du côté occidental du désert, en permanence exposé à la lumière du soleil. L'ordinateur lui révéla plusieurs statistiques sur cette région du globe, dont les températures ambiantes.
— Quarante-cinq degrés Celsius ! Bordel ! J'espère qu'ils sont encore vivants !
Elle n'obtint aucune réaction de la part d'Arkadi, qui devait être concentré à retenir un autre spasme de son estomac.
— Nous devrions arriver dans une heure terrienne, si tout va bien. On peut se reposer un peu en attendant.
Pour toute réponse, Arkadi se leva précipitamment pour retourner vomir dans les toilettes.
Le voyage risquait d'être long pour lui...
***
Une heure plus tard, Élizabeth cogna doucement à la porte du cabinet.
— Arkadi ? murmura-t-elle. On arrive dans quelques minutes, tu devrais venir attacher ta ceinture.
Après quatre aller-retour aux toilettes, le Proximien avait décidé de rester enfermer dans celles-ci.
Elle ouvrit la cabine avec précaution pour découvrir une image désolante. Le colosse, assis par terre près de la cuve, avait le dos contre le mur, les genoux remontés et la tête molle. Ses cheveux étaient détrempés et ses yeux dorés, sans éclats. Il semblait désemparé.
Élizabeth lui tendit la main.
— Viens. On arrive. Ça ira mieux bientôt.
Arkadi tourna son regard vitreux vers elle et glissa sa paume moite dans la sienne pour se relever. Elle le guida jusqu'à son siège et boucla sa ceinture le plus délicatement possible, comme elle l'aurait fait avec un enfant.
Elle s'assit ensuite dans son fauteuil pour retirer le pilote automatique, reprenant le contrôle du vaisseau. L'engin entama sa descente pour s'approcher de la terre ferme et ralentir sa vitesse.
Une fois la couche de nuages percée, ils aperçurent le fameux désert se dévoiler devant eux. Il s'étendait à perte de vue, dans une suite de dunes dorées parsemées de vaguelette sablonneuses érodées par la force du vent.
Élizabeth, qui avait toujours rêvé de voir un jour le Sahara, fut émerveillée face à cette étendue sans fin très différente de la forêt luxuriante qu'ils venaient de quitter quelques heures plus tôt.
Toutefois, lorsqu'elle réalisa qu'aucune végétation, pas même un petit cactus ou buisson, n'était visible à des kilomètres à la ronde, le doute l'envahit. Qu'arriverait-il à ses amis s'ils ne parvenaient pas à les retrouver ? Ils n'avaient aucune chance de survivre dans cet environnement hostile.
Quittant un instant le désert des yeux, elle étudia la carte sur son écran pour une meilleure vue d'ensemble. Son regard fut attiré par un point bleu au nord-ouest. Peut-être était-ce une oasis ? Pouvaient-ils s'être réfugiés à cet endroit ? Elle se pencha davantage sur le moniteur en plissant des yeux, mais, au même moment, celui-ci s'éteignit. Elle releva la tête et constata que l'intégralité du vaisseau était affectée par cette panne. Le tableau de bord n'affichait aucune lumière et les propulseurs étaient beaucoup trop silencieux.
— Oh bordel !!
Elle sentit Arkadi se crisper près d'elle, s'agrippant encore plus fort à son siège. Elle appuya frénétiquement sur les commandes, mais plus rien ne fonctionnait.
— Merde merde merde !!!
Le vaisseau planait tel un oiseau en plein vol et perdait de l'altitude beaucoup trop rapidement. C'était inévitable, ils allaient s'écraser d'une minute à l'autre.
Sans plus attendre, Élizabeth enclencha la navigation manuelle. Elle tira sur le gouvernail et redressa l'angle de l'astronef. Elle ne pouvait éviter la chute, mais elle pouvait au moins tenter de la contrôler.
Une secousse ébranla l'habitacle. Ils avaient frôlé une dune. Celle-ci ralentit légèrement leur vitesse, mais une autre beaucoup plus imposante se présenta face à eux. Ils foncèrent droit dessus. Elle fut anéantie par l'impact et un nuage de sable recouvrit la vitre du cockpit. Pendant quelques secondes, l'obscurité les entoura, ce qui provoqua un gémissement guttural de la part de son passager.
Le vaisseau continua sa course, pulvérisant dune après dune. Une nouvelle secousse se fit sentir au moment où l'engin toucha terre. Celui-ci glissa sur plusieurs mètres, dans un grondement épouvantable. Après ce qui parut une éternité, il finit sa course, immobilisé le nez enfoncé dans un dernier vallon doré.
Un silence de mort s'abattit dans le cockpit.
Élizabeth relâcha son souffle, qu'elle devait retenir depuis un certain temps. Elle réalisa qu'elle agrippait le gouvernail à s'en défaire les jointures. Elle les détendit et tourna la tête en direction d'Arkadi pour s'assurer qu'il allait bien. Celui-ci avait les yeux gros comme des balles de tennis et sa respiration était saccadée. Dans sa paume droite se trouvait l'appuie-bras qui avait cédé sous sa force. Il sembla le réaliser, car il ouvrit ses doigts pour le laisser tomber au sol.
Un immense désespoir mêlé à une frustration incroyable s'empara Élizabeth.
— Bordel de vaisseau de merde !! Tu pouvais pas fonctionner pour une fois !
Elle frappa avec violence le tableau de bord, libérant la colère qui l'envahissait. Le sort s'acharnait sur elle. Jamais elle n'arriverait à quitter cette foutue planète !
— Que... qu'est-ce qui s'est passé ? couina le colosse.
— Je n'en sais rien ! Tout allait bien et pouf ! Vlam ! Le courant est parti, comme ça ! C'est pas comme si on manquait de lumière pour les panneaux solaires ! On est dans un PUTAIN de DÉSERT ! Bordel de merde !!
Arkadi tenta de se lever, mais la ceinture l'en empêcha. Il se débattit violemment sur son banc, tel un poisson pris dans un filet de pêche. Élizabeth se précipita pour l'aider avant qu'il ne déboite le siège au complet.
Une fois libéré, il bondit sur ses pieds, les muscles tendus. Le colosse semblait prêt à tout détruire sur son passage.
Élizabeth jugea prudent d'ouvrir la porte au plus vite pour relâcher la bête. Elle enclencha le processus d'ouverture manuel qui libéra un jet de pression. Elle poussa ensuite sur le panneau de métal de toutes ses forces ce qui fit descendre la passerelle.
Un nuage de sable se souleva lorsque celle-ci toucha le sol. Une lumière éblouissante accompagnée d'une bouffée d'air chaud pénétrèrent dans le vaisseau.
Arkadi sortit en vitesse, ne semblant pas incommodé par le changement de luminosité. Ça, ou il s'en foutait éperdument.
Élizabeth, elle, attendit que ses yeux s'habituent avant de descendre.
Elle le retrouva à l'extérieur, à quelques mètres de la passerelle où il prenait de grandes respirations. Son visage avait repris une couleur naturelle et son corps était plus détendu.
À son approche, il se retourna vers elle.
— Est-ce que tu sais si on est à proximité de notre destination ?
— Nous étions à un kilomètre des coordonnées quand tout a lâché. On doit maintenant être un peu plus loin, mais aucun moyen de le vérifier. Le tableau de bord et ne fonctionne plus.
— Tu peux le réparer ?
Élizabeth ricana devant la naïveté d'Arkadi. Ce dernier fronça les sourcils, irrité, ce qui étouffa le rire de la jeune femme qui se racla la gorge.
— Euhm... je peux regarder s'il n'y a pas un problème de connexion entre le générateur et les panneaux solaires. C'est Tom l'expert, ça serait étonnant que je réussisse à faire quelque chose.
— C'est bon, pendant ce temps je vais gravir cette dune, annonça-t-il en pointant l'endroit le plus élevé des environs. Je vais avoir une meilleure vue d'ensemble de notre situation.
Elle acquiesça malgré le fait qu'elle trouvait un peu ridicule de partir en éclaireur dans un désert aussi grand. Peut-être était-ce sa façon à lui de réagir à la cette situation.
Le colosse partit de son côté et elle se retourna vers le vaisseau, réfléchissant à la prochaine étape. Que s'était-il passé ? Pourquoi avait-il subitement cessé de fonctionner ? Tom était un des meilleurs mécaniciens qu'elle connaissait. Il avait travaillé plusieurs heures à réparer l'engin lors de leur séjour chez Anya. Elle avait de la difficulté à croire qu'il avait oublié un détail ou mal fait son travail.
Un long soupir de découragement s'échappa de ses lèvres, mais elle retroussa tout de même ses manches avant de se diriger vers le panneau électrique.
Une heure plus tard, après avoir fait le tour de toutes les connexions, Élizabeth arriva à la conclusion que ses connaissances en mécanique et en électronique n'étaient pas assez avancées pour comprendre le problème. De plus, c'était de plus en plus difficile de se concentrer : la chaleur était insupportable autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du vaisseau.
Arkadi revint également bredouille de son expédition. Du haut de sa dune, il n'avait vu que du sable à perte de vue.
C'était officiel : ils étaient dans un désert au soleil éternel, loin de toute civilisation et sans moyen pour s'en sortir.
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