Chapitre 10 : C'est un départ!
Élizabeth accrochée à lui et la corde bien en mains, Arkadi fit quelques bonds agiles sur le mur du Palais afin de débuter sa descente en rappel. Malgré sa dextérité et sa force naturelle, il fut difficile de se concentrer. Le corps de la jeune femme, qu'il avait vu nu quelques minutes plus tôt, soit dit en passant, était soudé au sien. Son odeur, si singulière, chatouillait délicieusement ses narines et il manqua perdre pied à quelques reprises.
Malgré ce léger détail, il finit par toucher le sol en un seul morceau.
Il s'apprêtait à détacher ce petit corps collé à lui, lorsqu'il s'aperçut que les yeux de la Terrienne étaient toujours fermés et ses bras encore crispés autour de son cou.
— Tu peux ouvrir les yeux, luciole, lui murmura-t-il à l'oreille.
Un œil noisette incertain apparut derrière l'une de ses paupières, suivi de l'autre.
Il lui offrit un sourire rassurant avant de dérouler le foulard qui les liait afin qu'elle puisse toucher terre. Elle retira ses bras au même moment, le rouge aux joues. Il détacha ensuite la ceinture qui les unissait à la taille et la libéra complètement.
Elle recula de quelques pas, fit mine de replacer ses vêtements et réajusta sa queue de cheval.
— Bon, c'est par où ? demanda-t-elle d'une voix rauque.
Elle s'éclaircit la gorge, évitant son regard avec minutie. Elle tentait, en vain, de dissimuler qu'elle venait d'avoir la peur de sa vie.
Arkadi ne put s'empêcher de sourire à nouveau face à ce petit bout de femme orgueilleux. Il lui avait découvert un point faible et il s'en délectait. Il s'approcha d'elle sans un mot, l'attrapa par la main et la guida vers une haie d'arbustes. Ils longèrent cette barrière naturelle jusqu'à ce qu'ils quittent la cour du Palais et atteignent la route qui contournait la Tour des Anciens. Après un rapide détour dans une ruelle avoisinante, où Arkadi avait dissimulé ses vêtements, ils filèrent hors de la ville pour se diriger en direction du vaisseau.
En chemin, Arkadi évita soigneusement d'emprunter les sentiers. Il piqua dans les bois, qu'ils connaissaient par cœur pour les avoir patrouillés à maintes reprises.
La lune était sur le point de se coucher lorsqu'ils s'arrêtèrent quelques instants pour permettre à la Terrienne de reprendre des forces. Elle semblait épuisée, même si elle ne s'était pas lamentée. Son corps, toutefois, parlait pour elle : son rythme de marche était plus lent et sa respiration plus saccadée.
Il décrocha une petite gourde qu'il gardait toujours à sa ceinture pour la lui remettre. Elle l'accepta sans hésiter et s'assit à même le sol, recouvert d'une mince couche de feuilles mortes. Elle prit une gorgée et ferma les yeux quelques instants.
— Nous ne sommes plus très loin. Tu penses être capable de piloter malgré ton manque de sommeil ? lui demanda-t-il.
— Oui, répondit-elle avant d'avaler une autre lampée d'eau. On nous entraîne conduire dans toute sorte de conditions à l'académie. Ce ne sera pas la première fois que je pilote malgré une nuit blanche.
Il ignorait la signification de l'expression « nuit blanche », mais l'important était qu'elle puisse les mener dans le désert le plus vite possible.
Un silence tomba entre eux, ce qui mit étrangement Arkadi mal à l'aise. Il réalisa soudain qu'il ne connaissait pas vraiment la femme devant lui, hormis le fait qu'elle venait d'une autre planète et qu'elle n'avait pas la langue dans sa poche. Quelle avait été sa vie avant ce séjour forcé sur Proxima ? Avait-elle des parents qui espéraient encore son retour ? Des frères, des sœurs ou même un conjoint ? Alors qu'il s'apprêtait à la questionner sur ce qu'elle comptait faire une fois ses amis retrouvés, Élizabeth leva ses yeux noisette vers lui et prit la parole.
— Ça vous arrive d'utiliser des moyens moins primitifs que la marche pour vous déplacer sur Proxima ?
Arkadi hésita avant de répondre. Depuis quand la marche était-elle une activité primitive ?
— Si tu veux connaître nos modes de transport, les Seigneurs ou Anciens ont parfois des montures pour les longs trajets. Les autres doivent économiser pendant plusieurs années afin de se le permettre.
— Et en tant qu'éclaireur, tu n'as jamais cru qu'une monture aurait été pratique ?
Arkadi sentit une pointe de mépris dans sa voix. Il fronça les sourcils.
— Disons que j'avais l'intention de mettre mes crédits sur autre chose de plus important... Avant l'arrivée de Maxim...
— Quelle autre chose ?
— Laisse tomber, siffla-t-il entre ses dents avant de détourner le regard.
Une légère brise souffla dans les branches qui les surplombaient, accompagnant le silence qui s'était à nouveau immiscé entre les deux étrangers.
— Maxim l'aime vraiment, tu sais, reprit doucement Élizabeth. Il voulait rester ici pour elle... Il est prêt à tout pour la protéger.
— Il a intérêt ! Sinon il aura affaire à moi ! Bon, on y va ?
Il n'avait pas envie de s'attarder davantage sur ce sujet encore douloureux pour lui. Anya avait fait son choix, il devait l'accepter. Toutefois, c'était sa plus vieille amie. Il devait la protéger, coute que coute.
Élizabeth se leva sans un mot de plus et lui tendit sa gourde.
Soudain, elle chancela et se rassit d'un geste rapide. Elle ramena ses genoux contre sa poitrine et pencha sa tête entre ceux-ci. Sa respiration était saccadée, ses muscles crispés.
— Ça va ? Qu'est-ce qui t'arrive ?!
Elle prit une grande inspiration et ferma les yeux avant de lui répondre.
— Je suis un peu étourdie... Mais ça devrait passer.
Elle porta une main à l'arrière de son crâne alors qu'Arkadi lui tournait autour, ne sachant quoi faire.
— J'ai... j'ai cogné ma tête au sol plus tôt dans la soirée. Ça doit être ça.
— Attends, laisse-moi voir.
Il s'accroupit près d'elle et dégagea quelques mèches de cheveux à l'endroit où elle avait posé sa main. Elle se raidit à son toucher, mais cela ne l'arrêta pas. Il inspecta à tâtons son cuir chevelu et sentit sous ses doigts une légère protubérance.
— Pas de sang, seulement une bosse. Ça devrait aller, mais vas-y lentement en te redressant.
Élizabeth releva la tête et acquiesça. Il lui tendit la main, mais elle regarda un instant, comme si elle hésitait à la prendre. Elle finit toutefois par glisser sa paume délicate dans la sienne et il l'aida à se redresser. Elle s'appuya un moment sur lui, ses jolis yeux noisette fixant le vide. Quelques grains de sablier plus tard, elle secoua la tête et cligna des yeux.
— C'est bon, je ne vois plus trente-six chandelles.
— Quoi?Où ça des chandelles ?
Un mince sourire habilla ses lèvres de la Terrienne.
— Laisse tomber. En bref, je suis prête à partir.
Arkadi hocha la tête et reprit les devants pour les guider. Arkadi accéléra leur cadence de marche tout en s'assurant qu'Élizabeth suivait bien derrière lui. Bientôt, le personnel du Palais se réveillerait et se découvrirait sa fuite. Ils devaient quitter cette forêt avant que les Anciens ne soient alertés.
Un peu avant d'arriver à leur destination, Arkadi fit signe à Élizabeth de ralentir et de garder le silence. Ils se faufilèrent entre les branches et les buissons et aperçurent enfin le vaisseau, une centaine de mètres devant eux.
Près de celui-ci, trois gardes dormaient autour d'un feu de braises. Un quatrième faisait le guet appuyé sur un arbre. La passerelle de la porte était descendue, contrairement à la dernière fois, preuve qu'ils avaient réussi à trouver le code pour l'ouvrir. Arkadi se retourna et se rapprocha d'Élizabeth. Il se pencha vers elle pour lui donner ses instructions, tout en espérant que le vigile un peu plus loin n'ait pas de variation auditive.
— Je vais m'occuper du garde. Toi, tu files droit à l'intérieur, lui chuchota-t-il à l'oreille.
Élizabeth hocha la tête en même temps qu'elle se mordillait les lèvres.
Il retira ses vêtements en silence avant de les tendre à Élizabeth. Celle-ci les saisit, mais baissa les yeux, le rouge aux joues, comme si elle le voyait ainsi pour la première fois. Il esquissa un sourire moqueur et eut une envie irrésistible de la taquiner. Cependant, il devait se concentrer sur son objectif.
Il fixa son attention sur sa température corporelle et il sentit de légères démangeaisons parcourir sa peau, signe qu'elle devenait translucide.
D'un pas discret, il s'approcha du guetteur. Il n'avait, pour l'instant, aucun plan en tête, il savait seulement qu'il devait le neutraliser. Sans trop réfléchir, il s'empara d'un petit caillou qu'il lança à la gauche du garde. Celui-ci tourna la tête dans cette direction. Arkadi en profita pour se jeter dessus et lui asséner un bon coup sur la tête. Il s'effondra aussitôt dans un bruit sourd.
Arkadi entendit ensuite Élizabeth détaler derrière lui, fonçant droit vers le vaisseau. Il vit les autres hommes qui dormaient près du feu s'agiter sur leur couche. Il n'y avait pas un moment à perdre, il se retourna pour rejoindre la terrienne en quelques enjambées.
Il dut cependant freiner brusquement, manquant la percuter de plein fouet. Elle s'était arrêtée net en haut de la passerelle ; un Ancien s'y trouvait, les yeux ahuris, une brosse à dents dans la bouche. Sans perdre un instant, Arkadi passa devant Élizabeth, attrapa l'individu par le collet et l'envoya valser quelques mètres plus bas.
— Vite ! On doit décoller ! cria-t-il à Élizabeth qui regardait, stupéfaite, le pauvre homme gémir sous la passerelle.
Il la poussa à l'intérieur sans ménagement avant de s'y engouffrer à son tour. Elle reprit ses esprits, lança à Arkadi ses vêtements qu'elle tenait toujours et se dirigea vers le panneau de contrôle. Après quelques « bip », le processus de fermeture de la porte s'enclencha.
Arkadi la suivit par la suite à l'avant du vaisseau, où trois fauteuils blancs se trouvaient devant une baie vitrée et un tableau de bord. Elle se glissa dans celui du milieu et lui indiqua celui de droite avec son menton.
— Attache ta ceinture, ça va secouer.
Le colosse enfila ses vêtements, mais hésita pour le reste. Il n'avait pas de ceinture de pantalon, est-ce vraiment nécessaire d'en avoir une pour voler ?
Il s'assit tout de même dans le fauteuil qui, de toute évidence, était fait pour des hommes de plus petites tailles. Il observa la pilote, sans contredit dans son environnement, appuyer sur une série de boutons. Elle attrapa par la suite deux bouts de tissus de chaque côté de son siège pour les relier ensemble sur ses hanches. Ah ! Voilà la ceinture dont elle parlait.
Il tenta de l'imiter, mais n'arrivait pas à comprendre comment fonctionnait la boucle de métal qui servait d'attache. Il finit par faire un double nœud et le serrer le plus fort possible, juste avant de sentir une vibration sous ses pieds. Élizabeth appuya sur un dernier bouton et tira un levier à deux manches vers le bas.
Une secousse ébranla le vaisseau. Il eut l'impression que son cœur remonta jusqu'à sa gorge d'un coup alors que l'engin quittait le sol. Arkadi ferma ses paupières, retenant une envie soudaine de vomir. Il entendit des branches frotter et se briser sur les parois de métal. Il s'aperçut au même moment que sa mâchoire était crispée et que ses mains broyaient les appuie-bras de son siège. Il tenta de se détendre et finit par ouvrir les yeux. . À travers la baie vitrée, il constata qu'ils étaient maintenant au-dessus des arbres. La forêt qu'il connaissait si bien, devenait de plus en plus petite, pour se transformer en un amoncellement de points verts, bleus et rouges à travers les nuages.
C'est à ce moment qu'Arkadi réalisa qu'il volait. Pour la toute première fois et, il l'espérait, la dernière !
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