Du bordel et des boîtes - CO d'Ath&Ja
Bonjour !
Ici @AthenaetJacquotte et on m'a missionnée pour vous parler de mon coming-out*. J'en avais déjà parlé sur le Petit Guide LGBT+ de @Chicken-on-a-raft, je vais donc simplement retranscrire ici ce sue j'y avais dit, pour ceux qui ne l'ont pas lu, et parce que le fameux guide LGBT+ a été supprimé. 😊
J'ai écrit il y a de cela plusieurs mois une lettre ouverte à mon amoureux. Je la publie ici sans son accord, puisqu'il aurait aimé qu'elle reste intime. Pour moi, elle ne l'a jamais été et elle est destinée à d'autres jeunes qui comme moi, se sont cherchés et se cherchent encore (c'est là tout le principe de la lettre ouverte).
Rien n'est fictif ni romancé, j'ai essayé de reproduire au plus juste mes émotions dans ce moment-là, pour les transmettre et m'en souvenir même des décennies plus tard.
[J'y fais référence au projet "Pensées" que j'ai mené avec l'aide de @timetoliveandlaught . Vous trouverez le livre dans l'une des listes de lecture de ce compte, la couverture est marquée d'un post-it "Pensées".]
Bonne lecture !
"Mon amour,
Je ne t'écris pas assez, c'est vrai. Je ne sais pas quoi te dire. Enfin non, j'aimerais te dire mille choses incroyables et mille autres banales, mais lorsque je m'installe avec une feuille et un crayon, rien ne vient plus. Parce que ces mille et mille choses, je devrais te les raconter, non pas te les écrire.
Lorsqu'on m'a proposé d'écrire pour faire réfléchir, j'ai tout de suite pensé à toutes les causes que je défends. Mais finalement, aucune d'elle ne m'a plus inspirée que les autres. Pensées... Pensées... Un bien petit mot pour tant de concepts. En moi, une seule et unique pensée est constante, une seule et unique occupe tout l'espace : toi. Tu es mon unique véritable préoccupation.
Je ne t'écris pas assez, je ne te raconte pas assez mes journées ; que nous reste-t-il, dès lors ? Peu, si peu, trop peu. Et à cela s'ajoute mon manque de communication : comment se peut-il que toi, toi qui occupe toutes mes pensées, toi, il n'y a que toi, et que tu penses que je ne pense pas à toi ?
Alors d'accord, écrivons, il nous restera ça. Mais dans ce cas, écrivons ce qui vaut la peine d'être écrit.
Tout à l'heure, une pensée a traversé mes paupières closes : j'ai repensé à avant. Avant toi, avant tout, avant ma nouvelle vie. Lorsque je suis arrivée là où je suis maintenant, j'étais ce que l'on peut appeler un véritable bordel. Prenez la caverne d'Alibaba, foutez-y un tremblement de Terre. Mixez le tout, faites réchauffer à 40°C pendant deux mois d'été.
Lorsque je suis arrivée là où je suis maintenant, j'étais amoureuse. Amoureuse d'une fille. La belle affaire ! J'ai réfléchi longuement à cette situation, après. Et tout à l'heure, ces réflexions me sont revenues.
Je sais que nous en avions déjà beaucoup parlé, pourtant aujourd'hui j'ai encore envie de te raconter, librement, comment tout ça est arrivé. Mais pas n'importe comment, comme j'ai pu le faire avant : étape par étape, de manière logique, sans me précipiter.
La première fois que tu te découvres une nouvelle orientation sexuelle, il se passe des choses dans ta tête que je me dois de décrire dans cette première lettre. En premier lieu, tu te sens perdu. Imagine, tu apprends que les règles qui régissent tout ton univers sont totalement fausse. Blanc, c'est noir. Haut, c'est bas. Droite, c'est gauche. Bordel ! Comment on se remet de ça ? Tu as vraiment l'impression de réapprendre à marcher, un peu comme dans Limitless. Sauf que là, t'as pris aucune drogue : t'es à jeun, t'es amoureux, et t'es complètement paumé. Et pourtant, tu vois mieux. Tu vois autrement. Tu vois double. Tu vois bi !
Très rapidement vient le test. Tu as un besoin vital de savoir jusqu'où vont ces nouveaux désirs. Alors tu mates. Je sais mon amour, tu trouves ça horrible. Personnellement, je considère la pornographie exactement comme le fait de mater : c'est parfaitement virtuel. Je pense, et tu le sais, qu'on peut très bien mater avec un immense respect. Tu n'es pas d'accord. Je le respecte parfaitement ! Cependant pour la jeune bi que j'étais, mater, c'était un besoin vital. J'avais besoin de confronter le bordel à l'intérieur de moi à une vision beaucoup plus vraie des choses : est-ce que mon cœur bat si je m'imagine avec une femme ? Mais alors, est-ce qu'il bat encore si je m'imagine avec un homme ? Oui, c'était le cas, et ça m'émerveillait autant que ça m'effrayait. J'avais l'impression de me scinder en deux.
La plage. Quelle invention horrible pour les jeunes femmes (et certainement jeunes hommes) qui se découvrent bi. Comment peut-on ne pas regarder ? Tout est découvert, tout est offert à la vue. J'ai pu, au-delà du test, connaître petit à petit mes goûts en matière de femmes. Cerner un peu tout ce bordel –tu sais, un peu comme ces enfants de 7 ans à qui on dit de ranger leur chambre dans des boîtes : ils en gardent toujours une nommée « boîte à bordel » ou un autre nom plus classieux comme « boîte à trésors » où ils entassent tout ce qu'ils ne savent pas ranger, tout simplement parce qu'il existe des choses qui ne se rangent pas. A cette étape de mon auto-découverte, j'ai essayé de ranger cette sexualité toute nouvelle dans des boîtes, au moins des boîtes très larges : « je suis attirée par les femmes noires », « je suis toujours attirée par les hommes ». Mais ces boîtes changeaient tellement... « Je suis attirée par ce jeune homme un peu laid qui passe tout l'après-midi à regarder la mer et à écrire », « je suis attirée par cette jeune fille un peu rondouillette qui semble mal dans sa peau mais qui est adorable derrière ses lunettes bleues », « je suis attirée par cette véritable bombe à la peau mate, sous son chapeau et derrière ses lunettes noires, qui se fait bronzer –et mater- au soleil de Marseille »... etc, etc, etc. Les boîtes, ça ne marchait pas.
Dans tout cela, la seule chose dont j'étais sûre était que j'aimais cette fille qui portait le même prénom que moi, que je l'aimais à la folie et qu'elle hantait mes nuits, au point de me réveiller en pleurant, le ventre tordu de douleur et le cœur au bord des lèvres, prête à rendre mon repas.
Il est beaucoup de jeunes bi qui se retrouvent seuls lorsqu'ils découvrent leur double sexualité. Parce que leur famille les rejette, parce qu'ils ont peur de parler avec leurs amis ou parce que ces mêmes amis ne sont pas de vrais amis, et qu'il est préférable de ne pas le leur dire –surtout à ceux du même sexe. Je me suis moi-même retrouvée seule, même si ça n'était pour aucun de ces cas. Ayant déménagé très loin de la ville où j'étais née et où j'avais passé jusque-là toute ma vie, je n'avais plus aucun ami. J'ai le bonheur d'avoir une tante extraordinaire à qui j'ai beaucoup parlé. Elle m'a aidée et m'a montré que je n'étais pas un monstre, et elle m'a même donné ses propres goûts en la matière lorsque nous étions seules avec son bébé sur la plage, à regarder les garçons et les filles autour de nous. Je sais aujourd'hui qu'elle a fait tout cela pour me prouver à quel point je devais dédramatiser la situation.
J'ai eu beaucoup de mal à l'avouer à mes parents. Pas qu'ils soient fermés, mais je considérais que c'était quelque chose d'intimement personnel. En un sens pourtant, j'avais absolument besoin de leur en parler. C'est pour moi la troisième étape de la découverte de ma sexualité. Après l'hébétude et le test, avouer à mes parents que les troubles qu'ils m'avaient vue traverser étaient simples : j'éprouvais, moi une jeune femme, des sentiments profonds et forts pour une autre jeune femme.
Mes parents ont été très compréhensifs. Ils m'ont soutenue, ils m'ont questionnée et m'ont même défendue par la suite, lorsque cette jeune femme s'est mis en tête de me faire du mal pour m'éloigner d'elle. Car ce fut la quatrième étape : rassurée, j'assumais presque ma nouvelle dualité. J'avais donc décidé d'avouer à cette jeune fille, qui n'était autre qu'une amie très proche, mon amour fou à son égard. Elle vivait désormais à 300 kilomètres de chez moi, aussi fut-il difficile d'en parler sérieusement avec elle. Et quand bien même, lorsque je réussis à l'atteindre et à lui avouer mes sentiments, elle me rejeta et fit tout pour que je m'éloigne d'elle.
J'ai très mal vécu ce rejet. J'ai eu énormément de mal à l'accepter : j'avais fait tant d'efforts pour elle, j'avais fait tant de chemin grâce à elle. Je l'adulais presque, chose vilaine en amour : elle est si violemment tombée de son piédestal qu'elle a emporté avec mon cœur entier.
Oui mais entre-temps, je t'ai rencontré. Toi, un jeune homme sensible et merveilleux, photographe et pianiste dans l'âme. Un jeune homme si incroyable qu'il a su me prendre avec tous mes états d'âme. Ce cœur en miettes, il l'a ramassé avec une pelle et une balayette, et il s'est calmement attelé à le reconstruire. Pièce par pièce. Oh mon amour. Un puzzle gigantesque. Et moi, comme une folle, je m'acharnais à t'empêcher de me reconstruire. Je te blessais, je te portais des coups, de plus en plus durs. J'étais une telle loque humaine...
La cinquième étape fut le choix. Choisir entre toi et elle, entre le Paradis et l'Enfer. Tu étais persuadé que je la choisirais elle, elle faisait tout pour que je te choisisse toi. Aimer un fantôme et me blesser à vie, ou aimer un homme merveilleux et le blesser encore longtemps, sans savoir si je serais capable de lui offrir tout ce qu'il m'avait déjà offert ? Tu avais fait tant pour moi, dans l'ombre, veillant jusqu'à des heures impossibles pour me réconforter, accroché à ton téléphone alors que je te délaissais. Je me sentais tellement mauvaise de te faire encore et toujours du mal, parce que j'étais incapable de te renvoyer l'amour que tu éprouvais pour moi. Pourtant, au fond, je le savais : je t'aimais !
La sixième étape fut une lettre. Une simple lettre d'adieux, une lettre à sens unique. Adressée à elle : veux-tu de moi, ou est-ce que je disparais ? La réponse n'est pas arrivée, j'ai disparu de sa vie, et c'est là que s'est entamée la guérison. Près de toi, faisant surgir du fond de ma tristesse telle une archéologue l'amour que j'éprouvais pour toi. T'en offrant des parts de plus en plus grandes, à mesure que je les déterrais de tout le malheur qui était enfouis là, à mesure que je grattais et frottais la poussière pour m'en extraire, la vraie moi, celle que j'aurais toujours dû être. Et on a tenu. A un fil des fois, mais l'amour ténu et tenace qui se liait entre nous, nous l'avons tenu. Nous l'avons gardé et le gardons encore.
Tu t'es beaucoup plaint de mon côté bisexuel. Lorsque je suis arrivée au lycée, j'ai repéré des filles et des gars. Et toi, tu étais au-dessus de tous les autres. C'était pourtant difficile : après tout ce chemin extrêmement douloureux, je m'en voulais presque de régresser, de revenir en arrière, de lâcher mes convictions de bi et de sortir avec un jeune homme. J'avais l'impression de trahir ce que l'on m'avait offert. C'était la septième étape de la découverte de ma bisexualité. Je croyais dur comme fer que l'on m'avait offert un immense cadeau, que c'était une grande vertu et un grand bienfait pour cette terre que de savoir qu'il existait plusieurs sexualités. J'étais persuadée d'être investie d'une mission divine, que l'on m'envoyait pour sensibiliser le monde à la cause homosexuelle. De là, tomber amoureuse d'un jeune homme devenait faillir à ma tâche.
J'ai essayé de côtoyer d'autres bi. J'avais un grand besoin de connaître ce monde nouveau. Tu en souffrais tellement, mais ce besoin sourd en moi surpassait tout. Je l'ai fait à plusieurs reprises, tu t'es tellement éloigné de moi. Je t'ai récupéré tant de fois en larmes, roulé en boule près de notre radiateur –notre repère. Je n'arrivais pas à cesser de te faire souffrir. Tu devais tellement t'en vouloir d'être tombé amoureux de la seule fille du lycée capable de te faire autant souffrir.
La mission divine dont je te parlais, j'ai rencontré d'autres homosexuel(le)s qui s'en sentaient investi(e)s. Ils croyaient eux aussi être les détenteurs d'un grand don. Certains, que tu connais aussi, en sont venus à haïr ces « idiots d'hétéros ». Comment peut-on aller si loin ? Ils gâchaient tout... Alors j'en ai beaucoup parlé avec toi. On y a réfléchi. Je suis revenue à toi et j'ai cessé de fréquenter d'autres bi. Petit à petit, je me suis fait de vrais amis. Je ne croyais plus être investie d'une mission, je ne me sentais plus supérieure, je me sentais uniquement nulle de m'être comportée ainsi avec toi. Alors j'ai tout fait pour t'aimer en grand, et cet amour, tu me l'as rendu puissance dix milliards.
J'ai compris avec toi, et en réfléchissant, que je ne suis pas bi. J'aime les gens. Cette jeune personne qui portait le même prénom que moi, elle m'a appris à ne plus me limiter au sexe d'une personne. A présent, je sais voir une personne comme une personne, dans son intégralité, sans même chercher à savoir si c'est une femme ou un homme. Je peux me sentir attirée par quelqu'un d'autre, homme, femme ou que sais-je, mais toujours prédomine mon amour pour toi. Je ne te tromperai pas, parce que tu es la plus belle chose que l'on m'ait offerte. Le plus beau cadeau de l'univers...
J'ai définitivement tourné le dos à cette année de tourmente en écrivant un roman. Please, make me dream. C'est exactement ça que je te demandais : s'il te plaît, dans ce monde de douleur, offre-moi un rêve. Ce roman est sorti d'un coup, avec une volonté incroyable, et bien qu'il ait pu te déranger, il a entièrement purgé mon âme. C'est en cela que m'aide l'écriture : elle fait le vide. Chaque mot que j'écris est un mot que je pense, et c'est un mot sur lequel je ne reviendrai plus : il ne fait plus partie de moi. Il fait partie du livre.
C'est publiquement que je t'avoue mon immense amour, et que je te demande le pardon de tous les torts que je t'ai causés.
Je t'aime infiniment.
Ta belle. ♥"
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