CHAPITRE 1
L'Entente. Cet Etat basé sur un mode d'action militaire et dirigé par l'Armée. Sortie victorieuse de la Troisième Guerre mondiale qui avait ravagé le Monde, l'Entente est contrôlée par une poignée d'hommes politiques puissants et riches. L'ordre et la discipline règnent partout dans le pays.
Enfin, partout sauf dans ma famille.
- Jay, souffle ma mère excédée en me tirant hors de la maison. Nous allons encore être en retard ! s'exclame-t-elle pendant que je marche tranquillement vers le portail.
Je lui fais un clin d'œil pendant qu'elle se rue vers la bouche de métro la plus proche :
- Relax, ce n'est qu'une simple représentation, je tente de relativiser en la suivant.
- Une simple représentation ? Je te rappelle que Pete Jefferson lui-même assiste à ce concert !
Ah oui, Pete Jefferson. Bras-droit du chef de l'Armée, c'est l'un des hommes les plus puissants de l'Entente. Le concert public que nous allons voir serait l'occasion pour lui de s'exprimer sur la principale préoccupation actuelle : GIAN, cette organisation terroriste qui préoccupe de plus en plus notre gouvernement.
Ma mère composte nos billets en regardant nerveusement l'horloge. Le métro est devenu l'unique moyen de se déplacer rapidement aujourd'hui pour les civils. Les voitures ont été presque totalement détruites lors de la Troisième Guerre mondiale, ultime affrontement entre les pays belligérants qui dirigeaient le Monde à l'époque. Bilan du conflit : plus de la moitié de la population mondiale a disparu, un tiers des surfaces terrestres est inhabitable de par les résidus des produits radioactifs et l'avancée technologique a été stoppée en plein élan.
Les derniers vestiges de la grandeur de l'Amérique sont désormais conservés dans des musées ou exclusivement réservés à l'Armée, notamment les voitures. Nous ne pourrions de toute façon pas nous en procurer. Malgré la puissance du gouvernement, les civils sont pauvres et avoir un revenu modeste est aujourd'hui le principal défi de la majorité de la population.
"La population gronde mais l'Entente est sourde" je pense avec un vague sourire amer.
Je vis avec mes parents et mon petit-frère de 12 ans, Kyle. Cette boule de nerf tourne constamment la tête à mes parents et surtout à mon père. Homme à la stature impressionnante, Edmond Marler possède un caractère de chien. Cependant ce dernier disparaît toujours à la simple vue de sa famille, remplacé par un immense sourire. Mon père a travaillé dans l'armée en tant que sous-officier. Malheureusement une blessure à la jambe, "son éraflure de guerre" comme il aime dire, l'a empêché de monter plus haut dans les galons et il est devenu simple serrurier. "Eraflure" de la taille de son mollet qui lui avait permis néanmoins de rencontré Holly White, jeune infirmière en formation. Après quelques rendez-vous à l'eau de rose le verdict était tombé : maman est tombée enceinte. Coup de chance, ils étaient fous l'un de l'autre et décidèrent de s'installer ensemble moins de deux mois après leur rencontre. Maman accoucha alors de la plus adorable des nouveaux-nés, j'ai nommé : moi !
Mes parents ont toujours fait leur possible pour que nous ne manquions de rien et nous sommes l'une des seules familles que je connaisse qui n'ait jamais du jeuner une journée par manque de nourriture.
Je regarde un instant ma mère qui piétine frénétiquement le sol du long serpent métallique. Elle n'est jamais rassurée lorsque nous plongeons sous terre, le noir total entourant notre wagon et avec seul bruit le grincement du métro contre les railles rouillées. Je lui prends la main et lui adresse un regard que je veux réconfortant. Etre sous terre ne m'a jamais affectée, je suis le genre de personne à penser que ce calme inquiétant est parfois le seul endroit où l'on peut se sentir en sécurité.
Le métro avance à vive allure et la sortie du tunnel est bientôt visible.
L'engin semble alors se stopper net et la violence de l'arrêt nous propulse brutalement vers l'avant. Des cris se font entendre et je retiens ma mère juste à temps pour qu'elle n'aille pas s'écraser contre un des barreaux argentés. Le métro ne parcourt qu'une dizaine de mètres avant d'être entièrement à l'arrêt. La lumière semble vaciller et les gens encore debout se regardent nerveusement.
- Mais qu'est-ce qui se passe ? rouspète ma mère d'une voix légèrement tremblante.
Je raffermis ma prise autour de son poignet et colle mon visage contre la paroi vitrée qui nous sépare du conducteur. Nous sommes dans le premier wagon et je peux facilement discerner une vingtaine de silhouettes postées devant nous à l'entrée du tunnel. Les ombres fluettes sont immobiles et nous font face, semblant être nimbées d'un halo lumineux.
Je toque en direction du conducteur et ce dernier se retourne vers moi rapidement. Il semble paralysé par la peur et se lève en tremblant. Un frisson traverse ma colonne vertébrale. Cette situation est loin d'être normale. Cherchant difficilement le trousseau de clé de ses mains agitées de soubresauts, l'homme essaie d'articuler quelque-chose qui reste hors de portée de mes oreilles du fait de la paroi insonorisée qui nous sépare.
La vitre épaisse de l'avant du métro vole alors en éclat et une multitude de balles transpercent le corps du conducteur. Je plonge immédiatement vers le sol, entraînant ma mère avec moi. Les missiles ricochent à l'intérieur du wagon et une multitude de corps sanguinolents s'effondrent au sol. Un concert de hurlements envahit le bref silence désormais révolu et je me retourne vers ma mère, envahie d'une peur bleue. Rien n'importe désormais plus que ma mère, les autres passagers étant relégués au rang de simples présences.
Un immense sentiment de soulagement m'envahie lorsque je vois qu'elle n'a rien. Elle semble légèrement sonnée mais le sang qui la recouvre n'est pas le sien. Elle se relève rapidement et m'entraîne avec elle. Sur la cinquantaine des personnes qui comptaient le compartiment, moins d'une vingtaine sont encore debout. Un homme hurle sur ma droite, semblant tenir quelque-chose entre ses bras. Je reconnais avec peine le corps d'un enfant mais je suis incapable de dire s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon. Le corps criblé de balles pend mollement dans les bras de son père dont les hurlements terrifiants finissent par s'atténuer, remplacés sûrement par une muette vague de douleur.
Sous le choc, j'ai l'impression d'être spectatrice du carnage autour de moi. Aucune émotions, aucun ressenti ne vient briser l'enveloppe dense qui s'est renforcée autour de moi.
Ma mère me tire vers elle, la prise ferme malgré ses yeux terrifiés. Plusieurs passagers enjambent les corps et s'acharnent sur les portes afin de sortir. Nous n'en faisons rien, nous savons très bien qu'il est impossible de sortir de notre prison de ferraille. Incapable de parler, je ne quitte pas des yeux ma mère. La terreur m'a finalement envahie et malgré l'adrénaline, je ne peux esquisser le moindre geste.
Les portes sur ma droite volent alors en éclat, projetant d'autres corps au sol. La lumière encore vacillante s'éteint désormais entièrement et c'est dans l'obscurité que je distingue des hommes cagoulés pénétrer le wagon. Les hurlements se sont tus, la peur pèse dans le petit espace et les visages terrifiés sont réduis au silence.
Les inconnus écrasent sans ménagement les victimes au sol afin de se frayer un chemin jusqu'au centre de l'espace. Un jeune homme tente de se sauver en sortant hors du wagon mais l'un des hommes en noirs l'abat d'une simple balle dans la nuque.
Je me crispe et retient un hurlement. J'ai reconnu ce groupe armé : le GIAN. Le symbole de l'iris voilé orne chaque avant-bras des inconnus. Je me rapproche doucement de ma mère et retint des larmes de détresse : nous n'avons aucune chance de nous en sortir. Les extrémistes du GIAN ne sont pas admirés pour leur bonté et leur mode de vie pacifique. Plusieurs attentats ont récemment secoué l'Entente et le nombre de survivants se compte sur les doigts de la main.
- Mettez-vous en ligne ! hurle celui qui se démarque comme le chef du commando armé.
Nous nous exécutons rapidement et j'essuie les larmes qui me strient le visage. Je n'allais pas pleurer. Pour ma mère. Pour mon père. Pour Kyle.
Le père tenant son enfant ne bouge pas, semblant ne pas être assez connecté au monde réel pour comprendre ce qu'on lui dit. L'un des cinq hommes lui arrache le corps inanimé des bras avant de l'envoyer voler non loin de moi. Le père se jette vers son enfant en hurlant mais il est stoppé en plein élan par le membre du GIAN. Ce dernier l'attrape à la nuque et le tire vers le haut.
- Relèves-toi, dit-il avec hargne.
Incapable de réagir, l'homme subit, le corps parcouru de pleurs.
- Relèves-toi espèce de merde ! hurle cette fois-ci le soldat.
Personne ne vient en aide à la victime, l'instinct de survie primant sur la solidarité.
Personne sauf elle. Je regarde avec effroi ma mère se précipiter vers l'homme et le hisser délicatement debout.
Le GIAN repousse ma mère avec violence avant d'abattre le père d'une balle en pleine tête. Puis il tire brutalement ma mère vers lui jusqu'à ce qu'elle ne soit plus qu'à quelques centimètres de son visage cagoulé :
- Te mêle pas de ça sale...
- Maman ! je crie en me précipitant vers elle.
Le soldat se tourne alors vers moi, son pistolet orienté vers la tempe de ma mère :
- Bouge pas pétasse ou je la fais sauter.
Je m'immobilise instantanément, la peur s'emparant du moindre de mes membres. Ma mère me regarde terrifiée mais malgré cela elle m'adresse un léger sourire. Je la regarde, désemparée. Pas elle. Je vous en prie, tout le monde mais pas elle.
Devant mon obéissance, le soldat rigole froidement :
- Bonne idée de m'avoir écoutée. Malheureusement je ne résiste quand même pas à l'idée de la buter celle-là.
La scène semble se passer au ralenti. Son pistolet qui se rapproche. Paniquée, je croise le regard de ma mère, résigné mais doux. Le doigt qui commence à appuyer sr la détente. Elle me considère un instant, l'amour qu'elle me porte illuminant ses yeux. Je vois ma mère s'affaisser avant même d'entendre le son claquant du tir.
Je hurle, le sang de ma mère sur mon visage :
- Maman !
Je me précipite vers son corps désormais sanglant, envahie d'un effroi incommensurable. Le corps inanimé de ma mère. Dans mes bras. Son sang coulant sur le sol qu'elle piétinait il y a encore quelques minutes.
Un vide s'empare de mon esprit et j'ai l'impression de mourir à mon tour, submergée par la douleur. J'ai cessé de hurler, ma voix désormais éraillée ne peut plus produire un seul son. C'est à peine consciente que je sens quelqu'un me tirer vers le haut sans ménagement. Lui. Son pistolet cette fois-ci menaçant mon visage, mon corps, ma vie.
La douleur s'efface aussitôt, remplacé par le sentiment pervers de la haine. Je le fixe avec hargne et un minuscule sourire apparaît sur mon visage.
Je vais le tuer.
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