nos je t'aime.
66. nos je t'aime.
La Lune qu'Elliott m'a offerte prend place juste sur le dessus du tas que forment mes vêtements dans mon sac. Je le referme consciencieusement, me concentrant seulement sur mes mouvements, les attaches, les boutons pour ne pas penser à ce que je suis en train de faire, ce que cela signifie réellement...
Je prends une profonde inspiration et laisse mon regard faire un tour de ma chambre. Tout est bien rangé. C'est surement la première fois depuis mon retour en janvier que rien ne traîne. Aucun habit sur le sol. Aucune pile de livres ne cache ma table de chevet. Même mon lit est fait au carré. Mes yeux s'arrêtent sur ma fenêtre fermée et mon cœur se serre dans la seconde. Je déglutis.
L'anse de mon sac en main, je sors de la pièce et referme lentement la porte derrière moi pour ne pas réveiller mes sœurs. Vu qu'elles n'étaient pas ravies que je m'en aille, j'ai préféré leur dire au revoir hier soir pour éviter les larmes aujourd'hui quand je prendrai la route avec notre père.
Je pose mes affaires aux pieds d'un fauteuil du petit salon et rejoint mes pères qui sont déjà en train de discuter à voix basse, un mug entre les mains. Quand je les salue, ils se tournent vers moi comme un seul homme. Un soupçon de tristesse traverse leur visage un court instant. Alors que je commence à sortir les affaires dont j'ai besoin pour me servir une tasse de lait, George me demande :
— Elliott n'est pas avec toi ?
Mon geste reste en suspens, le bras en l'air au moment où je refermais le placard.
Elliott...
Je déglutis difficilement et ferme les paupières avec force. Je prends une profonde inspiration et rabats finalement la porte en tentant d'être le plus naturel possible.
— Il dormait bien à la mai...
Du coin de l'œil, je vois mon père lui attraper le poignet pour l'empêcher de continuer sa phrase. Oui, il devait dormir à la maison. Dans mes bras. Et il l'a fait... En tout cas, en partie. Je soupire et alors que je prends la bouteille de lait dans le frigo, George sort de la cuisine sans ajouter un seul mot.
— Il est parti avant ton réveil ? m'interroge mon père en prenant appui sur le plan de travail derrière lui.
Il croise les bras devant lui et attend patiemment ma réponse. Sa voix est douce, presque apaisante. Je termine de verser le liquide et vais le mettre dans le micro-ondes. Je m'installe dans la même position que mon père, lui faisant ainsi face.
Elliott...
Quand mon réveil a sonné, j'ai passé mon bras à l'aveugle sur le matelas. Même si je m'y attendais un peu, je n'ai pas pu retenir mes larmes quand je me suis rendu compte que sa place était belle et bien vide et qu'il n'était plus là.
— Ouais, soufflé-je enfin.
Ma mâchoire se serre instinctivement. Je ne suis pas en colère après lui, ni même déçu. Mais j'ai comme un poids sur le cœur maintenant.
— George m'a fait le même coup, dit-il simplement.
Mes yeux s'ouvrent sous la surprise.
— J'ai rencontré George à New-York mais pour diverses raisons, j'ai dû partir pour finir mes études à Leeds. Je l'ai laissé là-bas sans être certain qu'on pourrait se revoir et encore moins rester ensemble... Pendant notre dernière nuit, il est parti.
Je me passe une main dans les cheveux, abasourdi par les similitudes de nos situations.
— Je sais ce que tu ressens. Ce que ça fait de se réveiller seul dans son lit le matin du départ. C'est terrible. On se sent encore plus abandonné.
— Mais ça s'est bien fini pour vous, lui rappelé-je.
— Et ça se finira bien pour vous aussi, m'assure-t-il.
Je baisse les yeux sur mes pieds et dans mon for intérieur, je me mets presque à prier qu'il ait raison mais je sais que j'attends beaucoup trop d'Elliott.
— C'est vraiment dur ce qu'on leur demande de faire. De nous aimer tout en nous laissant partir. Nous faire confiance et nous attendre pendant un temps non défini. C'est l'incertitude, le trou noir pour eux. Ils ont peur. En tout cas, c'est ce que George m'a dit...
Je me passe une main sur le visage et ne porte même pas attention au bip strident qui annonce que ma boisson est chaude. Je prends la parole :
— Tu n'avais pas le choix, toi. C'était pour tes études... Moi... moi, je pars consciemment, sans la moindre obligation. J'ai décidé de partir, de faire ce voyage, de l'abandonner... Je ne sais pas s'il me le pardonnera quand il se rendra compte de mon égoïsme.
— Il te pardonnera comme il l'a fait pour tes deux ans d'absence. Et oui, c'est peut-être un peu égoïste de ta part de partir, c'est vrai mais... Il faut l'être de temps en temps quand c'est notre bonheur qui est en jeu. Moi-même, je l'ai été avec toi, me déclare-t-il.
Il baisse la tête un court instant comme s'il déterminait s'il devait poursuivre ou non.
— J'avais peur qu'un matin, en me réveillant, je me rende compte que tu n'avais pas attendu ton anniversaire. Mais je pensais que si je te disais que j'étais contre cette idée, tu prendrais la fuite encore plus vite. Les enfants comme toi...
— Un enfant à problèmes, le coupé-je, un sourire aux lèvres.
Après tout, c'est à cause de ça et de cette étiquette dont mes anciens proviseurs m'avaient affublé que je me trouve dans cette cuisine quelques mois plus tard à parler à mon père comme j'en ai rêvé pendant deux ans, sans me l'avouer.
— La majorité des adolescents se font un plaisir de faire l'inverse que leurs parents leur préconisent. Alors, je t'ai aidé à trouver de l'argent... Pour gagner du temps. Juste un peu de temps pour nous. Pour moi de te voir un peu dans nos vies.
J'entends encore Elliott me dire à quel point mon père m'aimait et que le fait qu'il m'aide ne voulait pas dire qu'il voulait que je te parte. Je me demande aujourd'hui pourquoi je ne l'ai pas cru alors qu'il le connaissait bien mieux que moi. Peut-être la peur de laisser cet espoir naître en moi pour finalement mourir dans l'œuf. D'être tout simplement déçu et de tomber de haut à nouveau.
— Tu as bien fait...
Il hausse les épaules.
— Je ne sais pas... En tout cas, je suis heureux de la manière dont les choses se sont finalement passées. Tu as retrouvé ta place à la maison et c'est le plus important.
Je hoche la tête, un peu gêné alors que je ne devrais pas. Mon père me parle juste à cœur ouvert. Je lui tourne le dos, ne sachant pas quoi lui dire et récupère ma tasse qui n'est plus aussi chaude que je le désirais mais tant pis.
— J'ai entendu Sun te proposer de faire un crochet par la Corée pendant ton voyage.
Je reprends ma place, reconnaissant qu'il ait changé de conversation.
— Ouais, confirmé-je. Ils ont encore de la famille là-bas qui accepterait de m'héberger d'après lui.
Je prends une gorgée et ferme les yeux sous le plaisir.
— Tu vas y aller alors ?
— Sûrement. Ça me ferait plaisir de voir là où Dae et Sun ont vécu leur enfance. De les connaître un peu plus du coup. Et ça a l'air d'être un chouette pays.
— En effet...
Il se mordille la lèvre inférieure avant de soupirer.
— Et l'Allemagne alors ? lâche-t-il soudainement. Ça te plairait ?
— L'Allemagne ? Pourquoi ?
— Je... On n'en a pas parlé tous les deux mais... Ton père, il vit à Berlin maintenant.
Ma bouche s'ouvre, sous la surprise. Je ne m'attendais pas à avoir ce genre de discussion juste avant que je parte. J'espérais seulement un câlin et des encouragements, pas que nous parlions de mon géniteur. En plus, à son regard triste, son petit sourire forcé et ses rides sur le front, il n'y a aucun doute sur le fait que ce sujet ne le réjouisse pas plus que moi.
— Je ne sais pas si ta mère t'en a parlé. Si je devais t'en parler...
— Elle ne m'en a pas parlé. Enfin... Elle m'a bien dit qu'il avait des origines allemandes mais pas... euh... Non, bafouillé-je.
— Est-ce que... Tu voudrais le rencontrer ? Parce que je pense qu'il serait toujours d'accord. Si on demande à ta mère, elle pourra sûrement...
— Non, le coupé-je dans son monologue. Je... Je sais que beaucoup de personnes qui ont été adoptées ont... besoin de retrouver et rencontrer leurs parents biologiques et je le comprends totalement mais... Ce n'est pas mon cas, je crois. En tout cas, pas pour le moment.
Je pose ma tasse dans l'évier, prends une grande inspiration et continue :
— Savoir à quoi ressemble mon géniteur, ce qu'il fait comme métier ou ce qu'il aime faire pendant ses vacances, ne changera rien à ma vie actuelle. Je n'ai pas besoin d'un modèle paternel parce que... J'en ai déjà un. Même deux. Pour moi, j'aurais toujours tes yeux et ta petite taille. J'aurais le même amour que toi pour le foot et les mêmes passions pour la musique et la cuisine que papé. Je n'ai pas besoin de plus.
Ma dernière phrase a à peine passé la barrière de mes lèvres que mon père se précipite pour me prendre dans ses bras. Il m'étouffe presque mais je ne dis rien et l'imite. Je profite même de cette étreinte alors que les mots « je t'aime » sont prononcés plusieurs fois maladroitement mais avec sincérité...
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