mon voisin.
5. mon voisin.
Les chambres des filles et moi se trouvent au rez-de-chaussée et je n'ai jamais été aussi heureux qu'elles se trouvent à cet endroit qu'aujourd'hui parce que monter ma valise dans un quelconque escalier, ce n'était pas dans mes capacités, tellement elle est lourde. Là, je n'ai qu'à la tirer et la faire rouler. Je dépasse la salle de bain sur ma droite et arrive au coude, que forme le couloir, où se trouve en face la porte d'Ali. Elle a collé dessus des partitions de piano. Chopin. Vivaldi. Et même... Des groupes de pop. Je ricane en voyant ça et poursuis mon chemin.
La chambre de Noah est tout de suite sur la gauche mais elle n'a pas customisé sa porte, elle. Je lève les yeux vers la mienne et remarque que quelqu'un a peint en bleu et vert mon prénom dessus. Des stickers de cœurs ont été collés tout autour. Des coloriages aussi ont été scotchés en-dessous. Je m'avance et glisse mes doigts sur chacun d'entre eux. Malheureusement, je crois que mon cœur se brise un peu plus à chaque fois. Je finis par entrer dans ma chambre.
Elle a toujours été la pièce au fond du couloir. Cela n'a pas changé et ça me fait plaisir parce que c'est moi qui l'ai choisie quand mon père et George ont acheté la maison. Je ne me souviens pas quel âge je pouvais avoir à l'époque. Tout ce que je sais, c'est que j'ai toujours adoré cet endroit, plus que tous les autres dans la bâtisse. Sûrement à cause du grand mur en pierre qui fait face à l'entrée. Ou alors aux fenêtres qui se trouvent de chaque côté. Je ne sais pas.
Ma porte est à peine ouverte que j'ai l'impression de prendre une claque. Mon lit deux places aux draps bleus est toujours sur ma droite, juste sous la fenêtre ce qui me permettait de sortir et entrer en douce la nuit. Mon bureau est toujours sur la gauche, avec mon vieil ordinateur fixe que j'utilisais seulement pour jouer aux jeux vidéo. Mon tapis sur le parquet est toujours à sa place. Même ma basse n'a pas bougé.
Je rentre ma valise et claque malgré moi la porte de ma chambre. Je peux alors voir mon armoire qui était cachée derrière mais mon regard retrouve très vite ce qui me choque. L'énorme cadre accroché je ne sais comment sur le mur en pierre. Il doit bien faire un mètre de hauteur et deux de largueur. Dedans, ont été assemblés plusieurs dessins fait au crayon de bois et avec une grande précision. Chacun d'eux représente un enfant. A différents âges. En train de dormir. De rire. De jouer. D'écrire. De gratter une basse...
J'ignore qui a fait ses dessins, d'où ils viennent, de quand ils datent, depuis quand ils sont dans cette chambre mais ils me font autant mal qu'ils me font plaisir. Je m'en approche lentement et les détaille longuement. Les traits sont tellement fins, précis... Incroyables !
Je suis cet enfant.
Je suis incapable de les retenir, mes larmes se mettent à couler. Pendant de longues secondes. Peut-être minutes.
Je sursaute quand j'entends des coups mais ceux-ci ne sont pas donnés à la porte mais aux carreaux. Précipitamment, j'essuie mes yeux ainsi que mes joues et renifle plus bruyamment que je ne le veux avant de me tourner vers la fenêtre qui donne sur l'arrière de la maison. Je ne suis même pas étonné de voir quelqu'un derrière celle-ci. Je passe la manche de mon pull sous mon nez et vais ouvrir à cet inconnu qui ne l'est pas tant que ça. Je me mets à genoux sur mon lit pour pouvoir l'atteindre plus facilement.
— Alors c'est vrai ? s'exclame-t-il alors que j'ai à peine tourné la poignée. Tu es de retour ?
Il pousse sur les carreaux et commence à escalader le petit mur. Je tombe en arrière sur mon lit et il m'oblige à reculer pour lui laisser la place pour atterrir. Je souris en le voyant rebondir légèrement sur le matelas. Je ne remarque qu'à ce moment qu'il a un ballon de foot qu'il me lance. Je le rattrape tant bien que mal, évitant de peu de me le prendre en pleine tronche.
— Tes reflexes ne sont pas trop mal.
Je baisse le ballon que je reconnais comme étant celui que j'ai balancé n'importe où tout à l'heure.
— Il a atterri chez moi, dit-il comme si j'avais posé une quelconque question avant de refermer la fenêtre derrière lui.
Et finalement, il me fait face et je peux le voir, réellement le voir. J'ai du mal à le reconnaître. Pourtant il n'a pas tant changé que ça mais il est devenu... presque un homme et ça me fait bizarre. Il a laissé ses cheveux noirs pousser en de jolies petites boucles mais semble avoir perdu une bataille importante contre eux au vu de la touffe informe qui trône sur le devant de son crâne.
Je me retiens de me moquer de lui pour sa coupe et détourne aussitôt mon attention. Je suis alors attiré vers ses yeux marrons qui semblent voleter d'un point à un autre sans jamais se poser sur moi. Mais je remarque tout de même qu'ils ont aussi quelques paillettes vertes autour des pupilles. Malgré les cernes qui les bordent, ils sont vraiment beaux.
J'ai l'impression que sa mâchoire s'est développée tout comme sa barbe mais cette dernière n'arrive pas à cacher sa vieille cicatrice. Aucun poil ne semble vouloir pousser dessus. Il se l'était faite quand nous étions partis en randonnée, en pleine nuit, dans la forêt derrière l'église de Barnard Castle. Il était en train de m'aider à monter au flanc d'une colline quand il avait fait la plus grande chute que ces arbres aient pu voir dans toute leur existence. Il s'était ouvert tout le bas de la joue gauche.
Je m'en étais tellement voulu ce jour-là parce que c'était moi qui avais voulu escalader cette petite montagne et c'est lui qui avait assuré mes arrières. Mais il ne m'avait jamais dénoncé à nos parents. Il avait inventé une fausse excuse et m'avait affirmé que si c'était à refaire, il n'hésiterait pas une seule seconde à me sauver encore et encore.
Cette anecdote était la meilleure pour expliquer notre lien. Expliquer que malgré le fait que je venais chez mon père que pour les vacances, il avait toujours été mon meilleur ami. Mon confident. Ce garçon était la personne que j'aimais le plus quand nous étions plus jeunes mais notre relation avait été un autre dommage collatéral de mon éloignement avec mon père. Et comme les filles, il m'avait vraiment manqué.
— Elliott, chuchoté-je pour moi-même comme pour réaliser qu'il était vraiment en face de moi.
— Heureux que tu n'aies pas oublié mon prénom. Je t'avouerai que j'ai eu des doutes à certains moments.
Il se lève de mon lit et dépoussière inutilement son jean. Quand il se redresse, j'ouvre les yeux en grand.
— Putain mais tu as pris quoi pour pousser comme ça ?
Il doit faire un mètre quatre-vingt-dix, peut-être deux mètres. Un sourire apparait sur ses lèvres mais il le cache bien vite en baissant la tête en avant.
— Il semblerait que ce soit génétique...
Si c'est génétique, je n'ai vraiment aucune chance de grandir plus que ça. Je vais devoir me faire à mon mètre soixante-dix. Je soupire tandis qu'il fait un tour de la pièce, regardant chaque détail comme je viens de le faire. Quand il arrive à ma valise, il la fait tourner sur elle-même à plusieurs reprises et me demande sans me regarder :
— Tu restes combien de temps cette fois ?
Je hausse les épaules même s'il ne peut pas me voir avant de lui dire :
— J'emménage ici. Enfin si je ne me fais pas virer...
— Virer d'où ?
Cette fois, j'ai le droit à son regard profond. Il me regarde enfin, me détaille, cherche les différences depuis la dernière fois et je sais qu'il en trouvera bien plus que moi chez lui.
— Du lycée ou d'ici. Peut-être les deux.
Son regard se fait plus triste avant qu'il ne se détourne et ça me fait bizarre de le voir comme ça parce que dans mon souvenir, Elliott a toujours été un mec joyeux, heureux, extraverti et amusant. Il était la joie de vivre et je ne veux pas que ça, ça ait changé. Tout mais pas ça.
Il abandonne ma valise pour s'appuyer contre le mur entre l'armoire et la porte. Il lie ses mains devant lui et ma respiration a un raté. Il est impressionnant parce qu'en fait, il n'y a pas que sa grande taille, il y a aussi sa carrure. Il ferait de la natation ou un truc de ce genre que ça ne m'étonnerait pas. Il relève les yeux vers moi et me demande :
— Maintenant, dis-moi... Tu ne connais pas les réseaux sociaux ou les messages ?
— Pourquoi ?
— Pour donner de tes nouvelles, du con. Ça fait vingt-un mois que tu n'as pas mis les pieds ici et dix-neuf que je n'ai plus de messages. Heureusement que ton père m'a dit que tu étais en vie sinon j'aurais commencé à penser que tu t'étais fait kidnapper par des extraterrestres.
Je retire mes jambes de mon lit, tournant ainsi volontairement le dos à Elliott. Je triture quelques secondes le trou qui se trouve dans mon jean au niveau de mon genou et lui réponds finalement une partie de la vérité :
— Je n'ai pas de compte sur les réseaux. Pour les messages... J'ai cassé mon téléphone ce qui n'a pas trop plu à ma mère. Elle a refusé de m'en acheter un de tout l'été et puis... à la rentrée, je n'avais plus envie d'en avoir.
— Tu n'avais plus envie d'en avoir ? répète-t-il. OK.
J'entends le bruit de ses pas sur le parquet puis je vois sa silhouette passer devant moi. Il se dirige vers la fenêtre. Il l'ouvre mais fait finalement demi-tour pour me confronter :
— Merde alors ! Ça fait plaisir d'apprendre que tu n'avais juste plus envie d'avoir de mes nouvelles alors que moi je m'inquiétais pour toi.
Il pose son pied sur mon lit pour pouvoir enjamber le mur plus facilement. Il est à cheval quand je réagis. Je lui attrape le bras et me retrouve à genoux devant lui, je ne sais comment.
— Je suis désolé. Ça a été un peu compliqué pour moi. Je... Je ne cherchais pas à te fuir.
Elliott tourne la tête vers moi et sonde ma sincérité quelques secondes.
— Tu as de la chance que je t'aime bien, Woody !
Je ricane à ce surnom stupide. Quand nous étions gamins, il s'est rendu compte qu'il n'y avait pas de surnom possible avec mon prénom alors il a cherché avec mon nom. Dashwood. Wood. Woody. Ma main qui lui tenait le bras descend jusqu'à la sienne et la serre. De sa main libre, il tapote ma joue, un petit sourire en coin.
— Allez je te laisse t'installer. On se voit plus tard vu qu'on a à priori plus que quelques jours de vacances cette fois.
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