11. mon orientation sexuelle.

Je rêve. D'un livre. D'une musique. D'un film. D'une série. D'une pomme. D'un tambourin. D'une météorite. D'une licorne. D'un miracle... De quelque chose qui me sorte de cette situation. Mais plus Elliott s'éloigne de moi pour rejoindre les vestiaires, plus mon esprit se fait à l'idée que je vais devoir attendre au bord de ce terrain, dans le froid de Janvier.

Je le regarde tapoter l'épaule d'Ady pour qu'il lâche Dae et le suive mais il ne semble pas ravi de le faire. Il lui vole un dernier baiser sous les moqueries d'Elliott puis ils disparaissent tous les deux dans le bâtiment sous les gradins. Mais le plus incroyable à ce moment-là... c'est Dae qui exécute quelques pas de danse - m'impressionnant au passage.

Je passe une main dans mes cheveux, regrettant de ne pas avoir pris un bonnet ou un sweat à capuche pour me protéger du vent et reprends place contre la rambarde, en soupirant. Dae me rejoint tout guilleret, passe un bras sous le mien et m'annonce :

— Ady est trop adorable !

Je ricane en baissant le visage. Je ne les connais pas mais je n'ai aucun doute avec le fait qu'ils soient vraiment fous l'un de l'autre ces deux-là et c'est mignon à voir à notre âge. Peut-être un peu optimiste aussi. Puis le silence s'impose entre nous bien que je ne pensais pas que cela puisse être possible avec une personne comme Dae et pourtant, il faut que je me rende à l'évidence, il n'a rien à me dire. Mais il est hors de question que je reste, je ne sais combien de temps, dans le froid et dans un tel silence, alors je me lance dans l'inconnu :

— Ca... ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

— Un peu plus de huit mois !

Il dit ça avec un immense sourire aux lèvres qui s'entend dans sa voix. Avec fierté. Et il peut l'être, fier, parce que de nos jours et à leur âge, c'est quand même rare.

— Vous êtes mignons ensemble.

— Merci.

Je tourne la tête vers lui. Ses joues sont toutes rouges et il semble soudain tout timide. J'ai l'impression d'avoir un nouveau Dae avec moi. Alors c'est ça l'amour. Ça rend les gens ainsi ?

— Et toi ? Tu as laissé quelqu'un dans ton ancien lycée ?

Si les premières secondes, je ne comprends pas trop sa question, la traduction fait vite son chemin jusqu'à mon cerveau. Je secoue la tête.

— Non.

J'ai dû avoir deux petites-amies dans ma vie et c'étaient des filles d'ici, pendant les vacances. J'ai dû passer plus de temps à les draguer qu'à réellement sortir avec elles mais c'était toujours assez pour moi. En y réfléchissant, je me rends compte que je ne me souviens même pas de leurs prénoms aujourd'hui.

Je relève les yeux quand des voix se font entendre un peu plus loin. Un homme d'une trentaine d'année semble faire des remontrances à deux retardataires. Il leur assène cinq tours du terrain supplémentaires pendant l'échauffement et leur fait signe de déguerpir rapidement.

— C'est pas un marrant, celui-là !

— Rick ? Jamais avec le rugby ! me répond Dae, en haussant une épaule.

— Content de ne pas faire du rugby alors.

— C'est aussi notre prof de sport.

— Merde, grogné-je en suivant du regard celui qui m'obligera donc à courir sous la pluie.

Dae rit légèrement et me tapote l'épaule.

— T'inquiète pas, il est cool quand même.

Plus ledit Rick s'approche de nous, plus je me dis qu'il n'a rien à envier à la carrure d'Elliott. Instinctivement, je me rapproche de Dae qui fait la même taille que moi à quelques centimètres près et fronce les sourcils en comprenant que nous sommes les prochaines victimes de ce Rick – depuis quand les élèves appellent leur prof par son prénom au fait ?

— Tu te souviens de ce qu'on s'est dit la semaine dernière, Dae ?

— Bien sûr, monsieur !

— Alors pourquoi me ramènes-tu un nouveau supporter ? lui demande le prénommé Rick en me montrant du doigt.

— Je ne suis pas un supporter, interviens-je.

— J'espère parce que sinon, je vous vire du terrain, c'est clair ?

Je hoche la tête alors qu'il insiste :

— Dae ! Est-ce que c'est clair ?

— Oui, oui, souffle-t-il à côté de moi.

L'entraîneur fait demi-tour et va organiser un parcours avec des plots sur la pelouse.

— Qu'est-ce qu'il t'a dit la semaine dernière ? me renseigne auprès de Dae.

— Que mes encouragements pouvaient peut-être déconcentrer certains joueurs de son équipe.

— Tes encouragements ? A un entraînement ?

— Bien sûr ! Ils ont besoin d'être soutenus à n'importe quel moment.

Et quand il dit ça, il est très sérieux. Pour lui, il semble vraiment important d'apporter son soutien aux gars même lors d'un simple échauffement.

— Ton Rick-là n'est pas du même avis, affirmé-je, en pointant de l'index l'entraîneur qui ne cesse de nous jeter de coups d'œil septiques.

— Ouais... Allez, viens, on va s'asseoir !

Il me prend la main et m'emmène avec lui vers les gradins. Quand nous passons près des vestiaires, nous croisons quelques joueurs en tenue mais personne que je connaisse – en gros ce n'est ni Elliott, ni Adonis – et personne qui semble intéresser Dae.

Nous montons une dizaine de marches mais il en loupe une et finit étalé par terre, se rattrapant grâce à sa main libre. Cependant, il m'entraîne dans son élan et j'atterris sur lui sans ménagement, lâchant sa main au passage.

— Excuse-moi, lui soufflé-je, les deux mains de chaque côté de sa tête.

— C'est plutôt à moi de m'excuser, m'affirme-t-il.

— Ouais...

— Euh... Tu peux peut-être te lever maintenant, non ?

Gêné, je me relève brusquement en m'excusant à nouveau pendant qu'il ricane un peu. Nous allons nous installer l'un à côté de l'autre. J'enfouis mes mains dans mes poches pour les garder à une température pas trop basse.

— Je peux te poser une question personnelle ?

— Je suis étonné que tu me demandes l'autorisation ! le taquiné-je légèrement.

— Elli m'a dit d'y aller doucement avec toi, m'apprend-t-il, souriant. Il a peur que je te fasse fuir, je pense.

— Peur totalement justifiée !

— A ce point ?

— Ouais. Parce que du peu que j'ai vu de toi, je peux t'affirmer qu'on ne pouvait pas être plus différents.

Il semble réfléchir un instant à mes mots.

— Et ça pose problème ?

— Non, je ne crois pas, lui dis-je honnêtement. Il va juste falloir que je prenne l'habitude d'avoir quelqu'un d'aussi joyeux et... tactile que toi autour de moi.

— Je comprends...

— Alors cette question personnelle que tu voulais me poser ?

— Ah oui ! s'écrie-t-il.

Il sautille un peu sur son assise, me faisant rire. Il avait oublié.

— Tu es de quel bord, toi ?

— Pardon ?

Aucun doute, il ne parle pas de politique. Je sais pertinemment à quoi il fait référence mais ça me laisse pantois. Ce n'est pas le genre de questions qui vient dans la conversation dès le premier jour ou n'importe quel jour en fait. C'est quelque chose de personnel, d'intime et pour moi, ça ne rentre pas dans l'étape de « connaissance ».

— Quelle est ton orientation sexuelle ?

— Est-ce si important ?

Il hausse les épaules avant de me déclarer, un très léger sourire en coin :

— Pour certains ? Oui, très !

Je fronce les sourcils à cette réponse que je ne comprends pas parce que ma question nous concernait tous les deux. Savoir quel genre de personnes je rêve de mettre dans mon lit est-il si important pour notre future possible amitié ? Mais lui, parle d'autre chose mais je ne sais pas quoi.

— Je suis bi.

— C'est per-fect ! chantonne-t-il.

Mes paupières papillonnent comme pour prendre conscience que Dae n'est pas un mirage, qu'il est bien réel mais il va me falloir vraiment beaucoup de temps pour m'habituer à ce mec.

Le reste de l'équipe arrive sur le terrain ce que Dae remarque aussitôt. Il se lève et applaudit de toutes forces tout en bougeant son bassin. Même depuis ma place, je vois les éclairs que lui lancent les yeux du prof. Le plus rapidement possible, j'attrape le bras de Dae et le tire vers moi.

— Tu veux te faire virer ou quoi ?

Il perd l'équilibre en riant et s'écroule sur moi. Et là, alors qu'il se redresse pour reprendre sa place, son minuscule poing devant sa bouche pour se cacher, j'ai l'impression de... De voir une licorne parce que ce petit mec est aussi mignon, mystique et joyeux qu'une de ces créatures.

— Tu as raison, convient-il en calant ses mains sous ses cuisses.

Il fait bouger ses jambes et je vois bien que malgré le fait que ça ne fasse que cinq secondes qu'il est calme, il s'ennuie déjà. Un vrai gosse ! Je lève les yeux au ciel, amusé.

Le silence revient ce qui me fait grimacer mais très vite, la voix de l'entraîneur donnant ses instructions aux joueurs attire mon attention. Je tourne la tête et mon regard s'accroche aussitôt à Elliott. A mon ami en short et tee-shirt. Moi qui suis assez frileux, je me demande vraiment comment il peut faire.

Tandis qu'Elliott commence à courir autour du terrain, je tente de faire la conversation avec Dae qui ne semble plus tenir en place :

— Juste comme ça... Tu sais ce que je fais assis dans ces gradins ?

Il me sourit avant de poser sa tête sur mon épaule ce qui me crispe complètement. Je ne connais pas ce mec et il... Chacun de mes muscles est tendu et j'ai l'impression que mes jambes attendent le signal pour partir en courant, le plus loin possible. Je serre mes poings cachés dans mes poches pour tenir bon et ne pas rejeter Dae comme je rêve de le faire. Je dois juste garder à l'esprit que pour lui, c'est normal d'avoir un tel comportement. Je commence à jouer avec mon anneau quand il me murmure :

— Elliott voulait que tu sois là. Et puis tu fais partie de la bande maintenant.

— Ah bon ?

Je ne sais pas ce qui m'a pris mais j'ai chuchoté comme lui. Comme si nous nous disions de grands secrets ou que quelqu'un pouvait nous entendre mais nous sommes les seuls à être installés sur ces blocs en béton, les personnes les plus proches sont en train de sauter sur place sur le terrain.

— Oui.

Je fais partie de la bande ? Alors que je suis arrivé ce matin ? Que je ne leur ai presque pas adressé la parole ?

— Tu ne sais pas qui je suis... Comment tu peux savoir que tu veux bien de moi dans la bande ? l'interrogé-je.

Après tout, nous étions bloqués un moment ici alors autant en savoir un maximum.

— Elliott t'aime beaucoup. Je n'ai pas besoin de plus.