mon lapsus.
34. mon lapsus.
Je tire sur les manches de mon pull pour qu'elles puissent recouvrir mes mains gelées. Le chauffage de la petite voiture de Sun n'a pas encore réussi à complètement éloigner le froid extérieur. Je frissonne avant de jeter un coup d'œil au dehors. La nuit ne va pas tarder à tomber et j'en viens à espérer que je n'arriverai pas trop tard à la maison pour pouvoir faire un risotto pour le dîner. J'avais aperçu la recette sur le cahier de George. Je suis en train de faire, dans ma tête, la liste des ingrédients dont je vais avoir besoin quand j'entends Sun se racler légèrement la gorge.
Mon regard se porte immédiatement sur lui. J'aime bien Sun. Il est agréable, entre son calme apparent et son sourire charmeur. Son regard rieur à n'importe quel moment. Sa voix grave et posée. Mais à cet instant, je vois bien à la manière dont il serre un peu trop le volant qu'il y a quelque chose qui le préoccupe. Je fronce les sourcils et attends qu'il prenne de lui-même la parole. Cependant, quelques minutes plus tard, il est assez clair qu'il n'osera pas le faire.
— Tu veux en parler ?
Il me jette un coup d'œil, un sourcil relevé, avant de reporter ses yeux sur la route. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive pour lui avoir demandé ça. Pour n'importe qui, ce n'est pas grand-chose mais pour moi, c'est inhabituel. Un grand pas en avant. Je crois que ce village me transforme ! Ou alors qu'il me ramène à celui que j'ai peut-être été un jour...
— Du fait que Sun est un super surnom et que tu en es trop jaloux ? me répond-t-il finalement, un peu moqueur.
— Hein ? Quoi ? m'exclamé-je, perdu.
— Ou du fait que tu me trouves absolument irrésistible ?
Et là, ça fait tilt ! Il fait référence à notre conversation dans la véranda de ses parents, la nuit où j'ai embrassé Elliott dans la forêt. Je souris.
— Je suis démasqué. Moi qui pensais être discret, c'est loupé !
Son rire envahit l'habitacle, réchauffant l'atmosphère par la même occasion. Les frères Lim ont cette incroyable capacité à vous enflammer le cœur juste avec leurs mots, leurs gestes, leurs rires ou simplement leur présence.
Les minutes s'égrènent avec une ambiance plus sereine dans la voiture mais malgré tout, je continue de voir que quelque chose le dérange. Prenant conscience que nous sommes bientôt arrivés chez mon père, je reprends la parole :
— En fait... Si on fait abstraction de ton incroyable beauté, juste deux minutes, j'aimerais savoir ce qui te tracasse.
Je le vois se mordiller la lèvre avant qu'il ne lâche prise. Ses épaules s'affaissent un peu tandis qu'il bredouille :
— Je... Tu... Qu'est-ce qui est arrivé à Dae ?
Je suis étonné par sa question et il doit le remarquer parce qu'il poursuit :
— Tu as dû le voir mais mon frère et moi... On est un peu comme chien et chat. Et ça ne date pas d'hier.
Ah ça oui, je m'en suis rendu compte. Il aurait fallu être aveugle et sourd pour passer à côté de ça, je crois.
— C'est compliqué entre nous, alors forcément... Quand il arrive à la maison en pleurs, il n'est pas très enclin à se confier à moi. Et moi... Je n'ose rien demander.
J'ai peu vu Sun mais une chose est sûre, il n'est pas le genre à laisser transparaître ses sentiments contrairement à Dae. Cependant, là, il n'y arrive pas vraiment. Son visage doux et harmonieux en temps normal ne peut camoufler la tristesse qu'il ressent d'être dans une telle situation avec son petit frère.
— Il... Des abrutis l'ont...
J'ai à peine commencé ma phrase que Sun pile et se gare tant bien que mal sur le bas-côté. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à s'arrêter comme ça ? Surtout que nous ne sommes plus qu'à quelques mètres de chez moi.
— Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? s'écrie-t-il en se tournant vers moi, légèrement paniqué.
Je distingue son angoisse. Elle est presque palpable dans le peu d'espace qu'il y a à notre disposition dans cette voiture. Elle m'étoufferait si je ne ressentais pas cet amour qui l'accompagne. J'ignore pour quelle raison Dae et Sun ont du mal à se supporter mais je suis sûr que l'homme qui est en face de moi à cet instant, aime sincèrement son frère. Alors je lui dis le peu que je sais pour essayer d'atténuer sa peur, renforcer son attachement.
— Je ne sais pas exactement. Je suis arrivé trop tard, je n'ai pas tout vu... Mais avant d'intervenir, j'ai juste entendu des insultes et... des bruits.
— Des bruits ?
Je hausse les épaules. Je ne peux pas lui dire que je pense que Marcus a frappé Dae. Je ne peux pas confirmer ce que je lis dans le regard à présent soucieux de Sun.
— C'était à propos de quoi les insultes ? Ses origines ou son orientation ? m'interroge-t-il avant de se corriger lui-même. Non laisse...
Il se repositionne face à la route et bascule la tête en arrière. Il retire ses lunettes pour se frotter les yeux en soupirant. Pendant un long moment, le silence s'insinue entre nous, lui laissant le temps de digérer le fait que son petit frère a des problèmes au lycée.
— On a envie de croire que le monde évolue, qu'il s'améliore, qu'il apprend de ses erreurs, murmure-t-il. J'essaie toujours de me persuader que... Tout ira bien pour Dae. Je fais tout pour, à ma façon mais... En fait, il y a encore et toujours des crétins qui pensent qu'être différent d'une manière ou d'une autre, c'est... Mauvais.
Il a un petit ricanement triste. Il penche la tête vers moi et plonge son regard embué de larmes dans le mien avant de me demander de manière rhétorique :
— Comment on peut sérieusement penser que Dae est mauvais ?
Il ferme les yeux pour retenir ses pleurs. Dans un instinct quasiment primitif, je défais ma ceinture et m'élance pour le prendre dans mes bras. Les yeux grands ouverts par mon geste, je tente d'analyser la situation, cherchant quelque chose à dire à Sun ou à faire mais c'est le vide sidéral dans mon cerveau. Je me contente alors de lui caresser légèrement le dos pour le réconforter en lui affirmant :
— Ce connard ne lui fera plus jamais de mal. Ne t'inquiète pas.
Je le sens déglutir alors qu'il a sa tête dans mon cou. Il pose une main sur mon flanc avant de serrer avec force mon pull. Il renifle, prend une profonde inspiration avant de chuchoter :
— Merci.
Son souffle chaud tombe sur ma peau encore froide, me faisant frissonner. Je ferme les yeux en me maudissant pour cette réaction inappropriée. J'ignore s'il l'a remarqué mais en tout cas, il ne bouge pas et n'ajoute rien. Je continue alors de faire glisser mes doigts dans son dos par-dessus son pull rose qu'il a mis juste avant de partir de chez lui.
Puis soudain, comme s'il se réveillait d'un sommeil, il se redresse me surprenant au passage. Il s'essuie les joues bien qu'aucune larme n'ait coulé dessus et remet ses lunettes. Il détourne le regard et me redit :
— Vraiment merci d'avoir été là pour Dae.
Une de ses mains reprend sa place sur le volant et avant qu'il ne passe la première pour redémarrer, je pose délicatement ma main sur son avant-bras et lui déclare :
— Je suis là pour toi aussi, tu sais.
Il me jette un regard, surpris par mes mots avant de me sourire avec une pointe de reconnaissance. Il se penche vers moi et m'embrasse la joue avant de me répéter encore des remerciements. Nous reprenons notre chemin qui ne dure pas trente secondes. Il se gare dans l'allée de la maison, derrière le break de mon père et laisse tourner le moteur. Après ce que nous venons de nous dire, je ne sais pas comment prendre congé alors je dis la première chose qui me passe par la tête :
— Tu crois que tu pourras m'apprendre quelques plats coréens ?
Il rit un peu en se demandant surement d'où cette question sort. Mais il ne trouvera pas de réponse parce que même moi, je l'ignore. Je sais qu'il travaille au restaurant de chez ses parents et qu'il est plutôt doué. Mon père me l'a dit ainsi qu'Elliott et je crois qu'en y réfléchissant, Dae a dû y faire référence aussi. C'est pour dire !
— J'ai un commerce à faire tourner, je te rappelle.
— Quel rapport ?
— Mes parents ont un resto dans la rue principale alors si je t'apprends nos recettes, ta famille ne ramènera plus ses fesses chez nous ? Alors c'est hors de question !
— Ne t'inquiète pas pour ça, mes pères adorent trop votre resto pour arrêter d'y aller du jour au lendemain. Et je ne pourrai jamais te surpasser ô grand manitou de la cuisine coréenne !
— J'aime beaucoup quand tu m'appelles comme ça, étonnamment ! Si tu continues de me donner ce surnom, je pourrai peut-être faire quelque chose pour toi.
Je rigole en baissant les yeux sur mes mains. Je remarque alors qu'elles étaient crispées à mes genoux. Je les retire et lui réponds :
— Ce deal me convient à merveille, grand manitou !
Cette fois, je sors de la voiture, la contourne et me plie en deux pour être au niveau de la vitre que Sun a ouvert en entier.
— Merci de m'avoir raccompagné.
— C'est le moins que je pouvais faire pour toi !
Il me fait un clin d'œil, un grand sourire collé à ses lèvres pulpeuses. Sun fait marche arrière pour quitter l'allée et c'est quand je regarde son véhicule disparaître que je me rends compte de ce que j'ai dit à Sun...
Mes pères.
Ce n'est rien. Juste deux mots et pourtant, ça me fait bizarre de les avoir dits. Je me passe les mains dans les cheveux et les décoiffe sans ménagement. Mais le plus incroyable, c'est que je pense que j'aime bien les dire. Je ricane et en m'emparant de mon anneau entre mes dents, je fais demi-tour.
Là, son épaule appuyée contre le mur de chez moi, une veste et un sac dos qui m'appartiennent entre ses bras croisés, Elliott me fixe...
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