mon corps.
44. mon corps.
Ma respiration est saccadée, brouillonne, carrément chaotique quand mon corps repu retombe lourdement sur le matelas. Je me tourne sur le dos et accueille immédiatement Elliott contre mon flanc, une main dans son dos nu pour le garder au plus près. Un de ses bras vient s'enrouler autour de mon ventre tandis que son souffle, tout aussi laborieux que le mien, échoue sur mes pectoraux. Cette sensation est tellement exquise qu'elle me fait fermer les paupières tout en attrapant mon piercing entre mes dents.
Nous restons de longues minutes ainsi, essayant de retrouver notre calme et j'aime ce moment. C'est tendre et calme. J'ai comme l'impression que nous sommes reliés et ce sentiment s'intensifie lorsque sa main posée sur ma hanche remonte lentement le long de mon flanc. Sa douceur me donne des frissons le long de ma colonne vertébrale.
— Avant de te voir torse nu, je n'aurais jamais imaginé que tu avais des tatouages, me chuchote Elliott.
— Ah bon ?
Il ne me répond pas, préférant m'embrasser délicatement le torse à la place.
— Ils ne te plaisent pas ?
Depuis mon épaule, son index glisse le long de ma clavicule. Il suit le contour de mon tatouage en me disant tout bas :
— Je les aime. Pas parce qu'ils sont beaux mais parce qu'ils font partie de toi. Et autant, je ne comprends pas la signification de tatouages de certaines personnes, autant les tiens... Ils sont plutôt limpides...
J'ai déjà quatre tatouages et chacun d'eux représente au mieux ma personnalité. Enfin c'est l'espoir que j'avais en les faisant.
Ma main remonte son dos pour aller s'enfouir dans sa tignasse. Je lui embrasse le crâne avant de lui demander :
— Ils représentent quoi selon toi ?
Il se redresse sur son coude en tournant la tête vers moi. Je remarque alors que ses joues sont toujours rouges à cause de ce que nous venons de faire et ça me fait sourire.
— Celui-ci...
Il trace un trait invisible sur la phrase écrite sur mon flanc. The truth will set you free. Il se mordille un peu la lèvre presque nerveusement.
— C'est ta lubie pour la vérité.
— Ma lubie ? répété-je, médusé par le mot dont il s'est servi.
— La vérité. Toute la vérité. Rien que la vérité, récite-t-il comme si je n'avais pas ouvert la bouche. Je suis presque prêt à parier que c'est ta propre écriture qui a été utilisée.
— Ouais...
— J'aime bien. Et j'aime aussi l'endroit où tu l'as fait. Ton torse est beau.
Je ricane un peu, mal à l'aise. Je tourne un peu la tête pour essayer de cacher mon visage dans l'oreiller. Il ébouriffe mes cheveux et vient me voler un baiser avant de m'affirmer :
— Et il n'y a pas que ton torse qui le soit, Woody.
Il descend la tête sur mon cou et embrasse doucement l'avion en papier qui fait le tour de la Terre, celui dont il a fait les contours au niveau de ma clavicule.
— Facile pour lui. Tu rêves de voyager. De partir. Le plus loin possible d'ici, de ta famille...
Il pince ses lèvres comme s'il se retenait d'ajouter quelque chose. Il me l'a dit, il n'interviendra pas dans mon envie de partir mais je sais qu'au fond, ça ne l'enchante pas du tout. Pas plus que Dae apprécie le fait que Ady parte à Newcastle. Moi-même à sa place, je ne sauterai pas au plafond.
Pour tenter de le réconforter, je lui caresse sa cicatrice du dos de ma main alors qu'il semble me dévorer du regard. Il attrape mon poignet et baisse les yeux sur les derniers tatouages. Il tapote de son index les deux petits mots gravés au-dessus du creux de mon coude, un sourire en coin. Be happy.
— Lui, tu l'as volé.
Je hoche la tête, fier de moi.
— A George.
Ce tatouage est le même que celui de mon beau-père. La seule différence est l'emplacement, le sien est en dessous du coude. C'est le premier que je me sois fait. C'était il y a deux ans, pour mes seize ans, juste avant d'écouter la conversation de mes parents. C'est George qui m'avait accompagné chez un tatoueur de Leeds. À l'époque, être heureux était la seule chose que j'espérais. Aujourd'hui, j'ai compris que nous ne pouvions pas l'être sans sacrifice.
Elliott me sort de mes pensées en reprenant la parole :
— Et celui-ci est le plus complexe.
Nous baissons tous les deux les yeux sur l'intérieur de mon avant-bras.
— Dans sa réalisation comme dans sa signification, poursuit-il.
C'est le dernier que je me sois fait. Il date d'à peine quelques semaines. C'est l'argent que mon père m'a envoyé pour Noël qui me l'a payé. Je tourne un peu mon bras pour pouvoir le détailler moi aussi. Je l'adore mais je suis d'accord avec Elliott, il est plus complexe. Il est comme moi.
— Il y a cette flèche là... qui transperce... Je ne sais pas exactement ce que c'est. Une boussole ? Un chronomètre ? Une montre ?
— C'est une rose des vents.
— Le truc des marins pour naviguer ?
— Oui. Mais c'est aussi une sorte de montre de ce côté. Elle compte le temps qui passe comme un sablier.
— Ça veut dire quoi pour toi tout ça ?
J'hésite un instant. Je n'ai pas peur de lui dire, ni honte. Ça n'a rien d'extraordinaire mais j'ai peur de ne pas trouver les bons mots.
— La flèche, c'est une manière de dire qu'il faut aller de l'avant. Une fois lancée, une flèche ne peut pas faire demi-tour, elle a un cap et le garde. Elle doit traverser le temps et l'espace, peu importe les obstacles.
— Ne jamais plier...
Il embrasse ma peau, juste sur les veines de mon poignet. À plusieurs reprises. Mais son visage est fermé. Cela me fait alors penser à ce matin, quand il était avec mon père. Il s'allonge à nouveau, collé à moi. J'aimerais profiter de ses caresses, de ce silence apaisant entre nous, de cette intimité qui me fait vibrer, de cette envie qui reflue encore et encore. Mais j'en suis incapable. La scène sur la falaise me revient sans cesse et surtout leur mine déconfite qui n'était pas en cohérence avec l'ambiance joyeuse du moment.
— De quoi vous parliez avec mon père ?
— Hein ? s'exclame-t-il, perdu. Quand ça ?
— Sur la falaise !
Je sens son corps se tendre contre moi quand il comprend enfin à quoi je fais référence.
— Je me souviens plus.
— Me prends pas pour un con, Elli, s'il te plaît.
Il reprend ses caresses sur mon torse du bout des doigts mais je les attrape à la volée. Je lie nos mains et insiste :
— Je sais pertinemment que tu t'en souviens.
Il ne me répond toujours pas. Je renifle. Je commence à m'énerver et je n'aime pas ça. J'aimerais juste qu'il me dise la vérité.
— Merde, Elliott !
Il retire sa main de mon étreinte en me lançant sèchement :
— On discutait, c'est tout.
— Non, ce n'est pas tout.
— Si. Qu'est-ce que tu veux que ce soit ?
— Je sais pas mais vu la tête que vous faisiez, vous n'étiez pas en train de parler météo ou des lieux.
Il se redresse brusquement et s'assoit en tailleur, me tournant délibérément le dos.
— Tu veux entendre quoi ?
— La vérité, lui réponds-je, en me relevant à mon tour. Juste la vérité.
— Tu me fais chier avec ta vérité, tu le sais ça ?
— Pourtant, c'est tout ce qui compte, Elliott.
— Non, ce n'est pas tout ! s'énerve-t-il.
Il se lève et tourne sur lui-même pour chercher son boxer. Dès qu'il le trouve, il l'enfile et poursuit sa pensée, face à moi cette fois :
— Tu n'as jamais pensé que les gens pouvaient mentir pour de bonnes raisons ? Que parfois une omission était bien meilleure que ta fichue vérité ? Qu'un mensonge pouvait protéger ?
— J'y ai pensé mais... Je suis pas d'accord.
— Quelle tête de con, tu fais parfois !
— Pardon ? m'écrié-je, choqué. Je te demande juste de me dire de quoi vous parliez avec mon père, pas de m'expliquer la création du monde, Elliott. Pourquoi c'est si dur de...
— On parlait de toi, merde !
À peine les mots sont sortis de sa bouche, que nous nous figeons tous les deux. Nous nous défions du regard. Je suis le premier à me reprendre. Je sors brusquement du lit et remets mon short parce que si nous devons avoir une discussion sérieuse, je préfère ne pas être à poil.
— Vous parliez de moi ? Pour dire quoi ?
En faisant bien attention à ne pas croiser mon regard, il tend le bras et attrape son tee-shirt qui était sur le dossier de ma chaise. Il l'enfile rapidement et aux gestes saccadés qu'il a, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il est aussi énervé que moi à présent.
— Elliott !
— C'est bon ! marmonne-t-il, en passant une main dans ses cheveux. Arrête de dire mon prénom comme ça.
Il souffle bruyamment. Il s'appuie sur le mur derrière lui, croisant les bras devant lui. Ses yeux fixent inlassablement un point sur le sol.
— Tu veux que...
— Il me disait juste à quel point il était heureux que tu sois avec nous, me coupe-t-il en relevant la tête vers moi.
Je suis pétrifié.
— Quoi ? Non !
— Si !
Il contourne le lit pour venir s'asseoir dessus, à un mètre de moi. Un soupir passe ses lèvres avant qu'il m'explique :
— Je sais que tu es persuadé que ton père te déteste et veut que tu partes le plus vite possible mais... C'est faux.
— Je t'ai dit...
— Je sais ce que tu m'as dit. Il n'a pas voulu de toi, qu'il fait tout pour que tu puisses partir à ta majorité et tout mais si tu prenais dix minutes de ton précieux temps pour parler avec ton père plutôt qu'à organiser ton départ, tu saurais ta précieuse vérité.
— Ah bon ? Laquelle ?
Je me mets devant lui, bien droit et attends qu'il m'en dise plus.
— Celle qu'il t'aime plus que tout !
Je secoue la tête, presque paniqué. C'est comme si j'essayais d'éloigner l'espoir qui m'envahit. Puis la peur prend soudain le dessus.
— Tu lui as répété ce que je t'ai dit ?
— Que tu écoutais aux portes ? Non ! Je ne le ferai jamais parce que ce n'est pas à moi de le faire.
Je suis soulagé.
— Mais c'est chiant sérieux ! Je me retrouve au milieu de vous deux alors qu'il suffirait que vous vous parliez. Toi qui veux absolument la vérité, réclame-la !
Je ferme les yeux. J'y ai pensé. Je me suis imaginé tellement de fois le faire mais la peur me faisait toujours faire demi-tour. Les mains d'Elliott se posent sur mes hanches et m'obligent à me rapprocher de lui, entre ses jambes.
— Écoute Woody ! Je... Je sais que tu veux partir et je t'ai dit que je ne ferai rien pour te retenir. C'est ton choix et je le respecte mais... S'il te plaît, avant, parle avec Louis. Tu ne peux pas tout quitter sans tout savoir. Vous en avez besoin tous les deux.
Je me mordille la lèvre, incertain.
— Sinon ta phrase n'a plus aucun sens, affirme-t-il en tapotant mon tatouage sur les côtes.
Il a raison. Alors je me contente de hocher la tête ce qui semble lui suffire. Un magnifique sourire illumine ses yeux. Il se redresse un peu pour pouvoir se mettre à la hauteur de mon visage et m'interroge :
— On vient d'avoir une dispute, non ?
Je hausse les épaules avant qu'il ne continue :
— Parce que je crois qu'il y a marqué dans le règlement des couples qu'après une dispute, il faut absolument une réconciliation sur l'oreiller...
Je ricane et le laisse m'emporter loin, très loin, de cette vérité que j'attends et m'effraie...
Quatre-vingt-quinze...
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