Chapitre 50
Vasco avait insisté quinze bonnes minutes auprès de Chrysis, pour qu'elle l'aide à se lever. Il voulait déjeuner avec tout le monde, et non alité dans ce lit dont il avait déjà marre.
Se redresser avait été l'étape la plus difficile. Réveiller ses abdominaux endoloris et endormis fut très douloureux. Il passa son bras gauche autours des épaules de la jeune femme, qui l'aida délicatement à avancer.
Vasco ne connaissait pas le bâtiment, et ils ouvrirent donc toutes les portes une par une, jusqu'à ce qu'ils croisent Joâo dans les couloirs.
Le mafieu n'avait pas de bandana, mais Chrysis déduisit que c'était le même homme qui était resté avec eux la veille. La jeune femme s'arrêta net devant l'homme pour le dévisager, tandis qu'il semblait l'ignorer délibérément et focaliser toute son attention sur Vasco.
L'air de famille entre les deux garçons était frappant, et aussitôt une multitude de question assaillirent la jeune femme : était-ce son frère ? Son cousin ? Et surtout, si c'était le cas, avait-elle le droit de le savoir ?
L'homme avait la trentaine, les yeux verts, les cheveux châtains coupés à la garçonne. Il finit pas se tourner vers elle avec un visage qu'on ne saurait dire froid ou chaleureux.
— Bonjour. L'avait-il salué, lui adressant ainsi la parole pour la première fois.
Chrysis était tellement perturbée par la situation qu'elle ne remarqua pas tout de suite la main qu'il lui tendait. Elle s'en emparant maladroitement.
— Bonjour, monsieur.
Un rictus était apparu sur le visage de l'homme :
— Pas de monsieur ici. La Mafia est une famille. Je m'appelle Joâo.
— Bonjour Joâo.
— Vous cherchez les parents ?
Vasco avait hoché la tête, et Joâo les avait donc invité à le suivre.
Les parents. Chrysis n'arrivait pas à décrocher son visage de l'homme.
— C'est vraiment ton frère ?
Les deux hommes se retournèrent vers elle d'un même mouvement.
— Surprise. Ironisa la plus âgé en regardant son cadet. Il reprit rapidement son sérieux pour rajouter :
— J'espère qu'il est inutile de te rappeler que cette information est confidentielle.
La princesse déglutit, saisissant parfaitement ce qui se passait.
— Oui.
— Tant mieux. Une mort abominable est réservée aux traîtres, ce serait dommage d'abîmer ton joli minois.
Malgré sa blessure, Vasco s'était redressé avec un air autoritaire, et avait fusillé son frère du regard. Joâo avait jaugé son interlocuteur, testant sa manière de protéger la jeune femme.
Leur duel visuel dura quelques secondes à peine, durant lesquelles la tension était grimpée à une vitesse hallucinante.
Puis, l'aîné des Osabio avait ouvert sans un mot la porte qui se tournait derrière lui. Soraia, qui sirotait un chocolat chaud, se retourna d'un seul coup vers eux, surprise par leur brusque arrivée.
Le visage de la femme s'illumina en voyant ses fils, ainsi que Chrysis. L'inquiétude se lisait néanmoins sur ses traits lorsqu'elle inspecta Vasco du regard, mais elle ne fit aucun commentaire.
— J'ai préparé des pommes de terre sautées, avec du bœuf et des poids plats. Je n'avais rien d'autre sous la main... Ça vous va ?
Les deux garçons acquiescèrent simplement, et Chrysis fit de même. Elle était surprise par la situation. Ne sachant trop pourquoi, la princesse imaginait que la femme du Parrain ne cuisinait pas. Qu'elle avait des cuisiniers et des serveurs, qui venaient mettre son couverts et lui préparer des repas raffinés.
Sa propre mère ne cuisinait pas, et elle avait inconsciemment calqué son modèle familial à celui des Osabio.
— Ou est papa ? Souffla Vasco d'une voix engourdie.
— Oh, il est très occupé, un problème de dernière minute à régler avec les japonais. Ils n'arrêteront jamais de poser problème... soupira-t-elle. Mais prenez la porte là, et profitez-en pour lui dire que c'est l'heure du déjeuner.
Elle avait pointé une porte dans un coin de la pièce, et le jeune homme y entraîna Chrysis sans plus attendre.
Leurs visages convergèrent immédiatement vers le grand canapé noir qui s'y trouvait, au fond contre le mur. Le Parrain y était assis, visage fermé. Vêtu d'un costume noir, un ordinateur posé sur ses genoux croisés, il semblait prêt à arracher les yeux des orbites de quiconque lui adresserait la parole.
Et Dulce était à quatre patte sur le canapé, à côté de lui, avec des gros lego éparpillés un peu partout autours d'elle. La petite essayait tant bien que mal de faire tenir une tour sur l'épaule se l'homme, qui n'y prêtait pas attention.
Vasco et Chrysis restèrent bouche-bée face à la scène, quelque peu choqué de retrouver l'enfant en train de jouer sur le Parrain, qui était en plein négociation d'affaire avec l'un de ses plus grands ennemis.
Dulce, surprise de leur arrivée, laissa maladroitement tomber quelques cubes de couleur par terre. Inacio releva lentement la tête, pour se détacher de l'écran de son ordinateur. Il ne cilla pas : visiblement la situation lui semblait parfaitement normale.
— Bonjour, papa.
— Bonjour, Vasco. Il reporta son regard sur la jeune femme. Bonjour, Chrysis.
— Je... le déjeuné est prêt.
L'écran de l'ordinateur se referma sur les genoux du mafieu.
— Nous arrivons.
Pas j'arrive mais nous arrivons. Vasco ne put contenir sa surprise. Son père avait toujours eu du mal avec l'emploi du « nous », et voilà que pour parler de Dulce ça lui sortait comme quelque chose d'on ne peut plus naturel.
Le Parrain s'était levé, avait réajusté sa veste de costume, puis avait attrapé la main que Dulce lui tendait, pour l'aider à son tours à descendre du canapé.
Chrysis était sur le cul. Pardonnez la vulgarité de l'expression, mais c'est bien la plus parfaite pour décrire l'état d'esprit qui habitait la princesse. Elle n'arrivait pas à concevoir qu'en quelques heures à peine, son enfant se soit tant habitué à Inacio Osabio.
Le Parrain de la Grande Mafia Européenne n'était donc pas un monstre...
Juste un méchant qui avait raison de l'être.
Vasco le lui avait répété des années durant, et pourtant ce n'était que maintenant qu'elle acceptait de l'admettre.
— Papa !
L'homme, qui était arrivé jusqu'à la porte, s'immobilisa lorsque son fils cadet l'interpella.
— Chrysis m'a dit tout ce qui s'est passé, hier.
Cette fois-ci, il se retourna de tout son corps vers les deux tourtereaux, attendant la suite en silence.
Vasco, qui était toujours appuyé sur la jeune femme, se redressant autant qu'il ne pouvait, et dit :
— Merci.
Les lèvres du Parrain se redressèrent en ce qui aurait pu être l'ébauche d'un sourire. Il baissa légèrement les yeux et la tête, de ce même mouvement qu'on fait parfois pour remercier à son tours.
Alors qu'il repartait, sans Dulce cette fois, la petite fille l'interpella vivement :
— Papa-plussss ! Attends !
Elle trottinait vers lui en tendant sa main, cherchant avec impatience le moment où il lui donnerait la sienne.
Vasco regarda Chrysis en fronçant les sourcils :
— Elle a dit « papa plus » ou c'est moi ?
— J'ai entendu la même chose... Murmura la jeune femme, complètement perdue.
Il arrivèrent dans la première pièce, où tout le monde était déjà attablé.
— Comment est-ce que Dudu vous appelle ? Lança vivement le jeune homme. Sa mère rentra machinalement sa tête dans ses épaules en rougissant, tandis que son père tourna la tête vers l'enfant, pour répondre :
— Maman-plus et papa-plus.
— Mais... ça n'a aucun sens.
— En effet. Gromella le Parrain en se pinçant l'arrête du nez, avant de continuer :
— Nous lui avons proposé grand-papa et grande-maman. Et Dulce nous a demandé pourquoi « grand » parce que nous ne touchions pas le plafond avec nos têtes « comme Antoni ». Et après avoir eu nos explications, votre fille a décrété que c'était plus pertinent de dire « plus ».
Vasco pouffa sincèrement, tandis que Chrysis était devenue encore plus rouge que Soraia. Gênée, la princesse ne savait pas si elle devait ou non réprimander sa fille pour cette prise d'initiative incongrue.
— Sérieusement ? Avait alors lâché Joâo en levant les sourcils.
Alors que ses parents ne répondait pas, il continua, mi-amusé mi-râleur :
— Donc si un jour vous avez d'autres petits enfants, ils vont appelleront aussi Papa-plus et Maman-plus ?
— Au moins, c'est original. Lui avait répondu sa mère en souriant.
— Ça, tu peux le dire. Avaient alors renchéris Inacio et Joâo d'une même voix.
— Attendez... Lança soudainement Chrysis. Je ne sais pas si j'ai le droit de le savoir mais... Dulce est la première de sa génération dans votre famille ?
— Oui.
— Ah.
Juste ah. C'était sortit tout seul, et maintenant que tous les regards avaient convergé sur elle la jolie blonde se sentait comme une idiote. Mal à l'aise, elle essaya de se récupérer et renchérit :
— Mais, heu... tu as d'autres frère et sœurs Vasco ?
L'intéressé chercha des yeux l'approbation de son père, qui acquiesça, avant de répondre :
— Je suis le dernier de cinq enfants. Il y a trois filles entre Joâo et moi.
Woaw.
Peut-être qu'elle avait pensé à voix haute, parce que tout le monde la dévisageait. Ou bien les dévisageait-elle encore plus.
Ça faisait trop d'un coup. Son As avait une famille, bien complète et totalement différente de ce à quoi elle s'imaginait, et qui faisait à présent partie de sa vie, était compliqué à digéré.
Sans oublier le poids de ce secret. Jamais elle ne pourra le dire à ses propres parents, à ses propres frères et sœurs, à Kim, à Antoni, à Noah, ou même Haris. Et elle allait devoir apprendre à Dulce à faire de même. L'épée de Damoclès qui pendait déjà au desssus de leurs têtes venait de s'affûter dangereusement.
Et d'ailleurs, Noah et Haris, comment allaient-ils ? Ils étaient encore à l'hôpital, apparemment. Mais allaient-ils s'en remettre rapidement. Et Bestiole ?
— Chrysis ?
La voix de Vasco l'avait brusquement ramené à la réalité. La jeune femme papillota des yeux, et tourna sa tête vers lui.
— Oui ?
Il avait posé sa main sur sa cuisse et l'observait d'un air inquiet.
— Tu es toute blanche.
— Ah bon ?
Merde, sa voix allait à deux à l'heure. Comme si elle avait décidé dans son consentement de parler au ralenti. Ne comprenant pas ce qui se passait dans son corps qui s'engourdissait peu à peu, Chrysis se retourna vers Vasco, assis à ses côtés.
Elle avait battu des cils une fois, et il devint flou. Deux fois, trois fois, puis le noir total.
En fait, elle ne sut dire si il avait fait noir avant ou après que son corps ne percute le sol, sans qu'elle ne puisse y faire quelque chose.
La princesse avait perdu tout contrôle d'elle-même. Les voix autours d'elles se mélangeaient sans qu'elle n'y comprenne rien, et elle était incapable de voir ou de parler. Néanmoins, elle sentait tout. Elle sentait une main prendre la sienne et la serrer, tandis que deux bras la soulevaient de terre pour l'emmener autre part. On l'allongea sur un lit, sûrement celui où elle avait dormis, et quelqu'un caressa délicatement sa joue.
Puis, plus rien du tout.
Ça sembla lui durer l'espace d'un battement de cils. Chrysis ouvrit les yeux, un peu sonnée, et se redressa sur le matelas.
Une main se posa délicatement sur son épaule, et elle aperçut Vasco qui l'observait tendrement.
— Ne te lève trop vite, tu vas perdre l'équilibre.
— Ça va aller, j'ai juste eu une absence de quelques minutes... Dit-elle tout en se massant la tête. Face à elle, le mafieu fronça les sourcils :
— Quelques minutes ? Chrysis, ça fait deux heures que tu es dans ce lit.
Deux heures ? Elle regarda autours d'elle d'un air éberlué. Seul Vasco était présent dans la pièce.
— Ma mère dit que tu as fait une chute de tension.
Elle hocha la tête, sans trop écouter.
— Ou sont les autres ?
— Devant la télé. Dulce présente Bestiole à mes parents et Joâo.
Dulce présentait leur chiot hyperactif et déréglé au Parrain de la Mafia, sa femme et son héritier.
Sa tête recommençait à tourner et elle grimaça.
— Je rêve ?
Le jeune homme rit gentiment :
— Non, je t'assure.
— Oh mon Dieu...
— Comme tu dis.
Il lui embrassa tendrement la joue, avant de rajouter :
— Et ce n'est pas tout.
— Ce n'est pas tout ?
Vasco grimaça. Il avait visiblement peur que son interlocutrice ne refasse une syncope. Voyant qu'il hésitait, la jeune femme insista :
— Dis moi !
— Tes parents.
— Quoi, mes parents ?!
Son ton était parti dans les aigus, et son cœur avait accéléré d'un seul coup. Elle sentait les palpitations dans sa poitrine.
— Vasco ! Quoi mes parents ?
— Mon père m'a dit les avoir contactés.
— Ton père les a contactés ?! S'égosilla-t-elle.
— Et il a dit qu'on allait les voir...
— On va les voir ?!
— Laisse moi parler !
Visiblement, il était tout aussi stressé qu'elle, ce qui le rendait fébrile.
— Mais on va les voir ?
— Oui, Chrysis...
— Quand ?
Pourvu qu'elle ait quelques jours devant elle, pour préparer le terrain...
— On part dans deux heures.
Deux.
Heures.
Chrysis, qui se redressait dans le lit, se laissa retomber.
— Oh la merde... Chuchota-t-elle.
Sa vie partait en cacahuète.
— Comme tu dis.
Oh. La. Merde.
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