Chapitre 20
Vasco s'était couché complètement vidé. Ses yeux hagards avaient perdus tout éclat. Il s'était allongé dans son lit pour s'endormir sans même s'en rendre compte : le noir de la pièce était identique à celui de son esprit.
Il se réveilla tôt le lendemain matin, prit par la fièvre. Sa nuit n'avait duré que quelques courtes heures. Déjà, au travail, il avait senti son corps s'engourdir petit à petit. Sa grande sœur Elvira, avec qui il avait fait sa mission, avait remarqué son état et lui avait d'ailleurs permis de partir plus tôt.
Le mafieu se leva, mais immédiatement ses jambes lâchèrent et il atterrit sur le lit en grognant. Une migraine effroyable s'était emparée de lui et il attendit quelques secondes, yeux fermés, avant de se remettre debout plus calmement.
Il enfila un pull plaid en espérant que ça calme sa chaire de poule, et s'empara des serviettes encore humides de la veille qui traînaient par terre. D'une démarche titubante, le garçon était allé les déposer dans l'entrée. Il se dirigea ensuite vers sa cuisine pour se vautrer sur une des chaises en soufflant.
Il était bon pour quelques jours de maladie et de repos...
Le jeune homme prit une gourde, une boîte de gâteaux secs et du Doliprane, avant de remonter sans sa chambre avec le tout et se lover dans les draps encore chauds de son lit.
Voilà qu'il transpirait, maintenant, et il poussa la couette par terre.
Juste avant de plonger dans un sommeil profond et semi-comateux, il prit le temps d'envoyer un SMS à Chrysis :
[Je suis malade je ne pourrais pas te ramener tes serviettes. Tu peux passer les chercher, elles sont dans l'entrée. Merci]
La princesse ne put passer que durant l'après midi, pendant que Dulce faisait la sieste. Sachant que Vasco était probablement clouée au lit, elle ne toqua même pas à la porte avant d'entrer avec ses clefs. Il lui avait donné un double, quelques année auparavant, et elle ne l'avait jamais perdu. Une chance que la serrure soit restée la même.
Elle vit en effet les serviettes pliées, et posées sur un bac à haltères qui se situait dans l'entrée. Ça lui faisait toujours bizarre de voir cette villa rénovée à neuf, avec tout le rez-de-chaussée transformé en salle de sport privée.
Sur la pointe des pieds, la blonde était montée à la chambre du garçon. L'inquiétude la rongeait, et elle voulait juste savoir s'il allait bien.
Mais alors qu'elle se trouvait au milieu de l'escalier, un cri lui parvint.
Un véritable hurlement de terreur qui s'arrêta aussi vite qu'il était arrivé.
Jamais, jamais auparavant elle n'avait entendu ça.
Son sang ne fit qu'un tours dans ses veines, et sans réfléchir plus la jeune femme courut au plus vite qu'elle pouvait jusqu'à la chambre du garçon.
Elle ouvrit la porte à la volée et fut en premier temps assaillie par la chaleur qui régnait. Les volets n'étaient pas fermés, seuls les grand rideaux empêchait le soleil de trop éclairer la pièce.
Vasco était allongé sur son lit, sourcils froncés et yeux fermés.
Il dormait.
Et il pleurait toutes les larmes de son corps.
Chrysis posa sa main sur le front de l'endormît. Il était brûlant.
Et dans le cauchemar profond qui le hantait, le mafieu interpréta ce contact comme un puissant coup de poing.
C'était un inconnu face à lui. Un inconnu dont il connaissait pourtant le visage. Ce dernier changeait à chaque clignement d'œil, sans qu'il ne le remarque vraiment.
La personne était ensanglantée. Et après lui avoir administré ce coup de poing sur le front, il restait immobile. Il le fixait droit dans les yeux alors que Vasco le frappait, encore et encore.
Mais tout comme Achille avait traîné le corps d'Ulysse autours de Troie sans prévenir à en faire un lambeau de chaire humaine, Vasco frappait son interlocuteur sans le défigurer. Chaque plaie, c'est sur lui qu'elle prenait forme. L'homme était ensanglanté du sang du mafieu, non du sien. Alors As hurlait pour masquer sa peur, tapait si fort qu'il était sur le point d'en vomir.
Il y avait tant de sang, tant de...
« Meurtrier » semblait lui souffler l'individu a l'oreille. Il ne bougeait pas. Et son visage changeait. Toujours. Il les connaissait. Il les tuait tout. Tous...
Tant de douleur.
La voix, qui n'était jusqu'ici qu'un écho vibrant dans sa tête, se fit soudainement plus claire. Plus féminine.
Meurtrier, meurtrier, meurtrier...
— Vasco !
Elle l'appelait ! Qui l'appelait ?
— Vasco !
Le visage en face de lui était à présent celui de Chrysis. Une Chrysis couverte d'un sang poisseux, qui hurlait son nom à la mort en le secouant.
— Vasco, réveilles-toi. Je t'en prie, As...
Il ouvrit les yeux en sursaut.
Le corps recouvert de sueur, le visage de larmes. Complètement désorienté, il se redressa brutalement dans son lit et faillit entrer en collision avec la blonde penchée sur lui. Encore à semi conscient, ses yeux s'ouvrirent d'effroi et il recula autant qu'il put, jusqu'à ce que son dos heurte le mur.
— As, As, chut... c'est moi, Chrysis. C'était un cauchemar, c'était un cauchemar.
Il renifla, comme prenant conscience de la situation, et passa nerveusement ses mains tremblantes sur ses yeux et son front.
— Désolé, je, je...
— Chut, ça va aller d'accord ? Ça va aller.
Il acquiesça, à moitié convaincu, et son corps se détendit d'un seul coup alors que la jeune femme posait sa main sur sa joue d'un geste réconfortant.
— Tu es brûlant. Lui dit-elle doucement, à demi voix.
— Je m'en doute. J'ai chaud... Sa voix était rauque, et il enleva tant bien que mal le pull doudoune qu'il n'avait pas enlevé, et qui lui descendait jusqu'aux genoux.
A présent en simple short, il soupira d'aise. Son corps entier était trempé de sueur.
La princesse lui foura sa gourde dans les mains, ainsi qu'un médicament :
— Avale moi ça, je vais te faire couler un bain.
Et elle sortit de la chambre pour revenir quelques minutes plus tard.
— Tu vas réussir à te lever ?
Il ne le savait pas lui même, et pour toute réponse tenta l'expérience. Aussitôt, un mal de crâne le saisit et des points noirs commencèrent à danser devant ses yeux. La jolie blonde vint se plaquer contre lui pour le soutenir alors qu'il chancelait :
— Ok, on va attendre quelques secondes que ton corps s'adapte, tu me dis quand c'est bon.
Il hocha la tête pour toute réponse, et se concentra du mieux qu'il pouvait sur sa respiration. Chrysis observait son visage las, et son corps qui tremblait. Sa musculature développée était toute molle, et elle était sûre que si elle pointait son index sur ses pectoraux, il s'enfoncerait allègrement.
— C'est bon je pense. Finit-il par dire d'une voix fatiguée. Elle le soutint donc jusqu'à la salle de bain et le fit s'asseoir sur le rebord de la baignoire. L'eau chaude fumait et était recouverte d'une épaisse couche de mousse.
— Tu te déshabille, tu entres, puis je rentre pour éviter que tu te noies si jamais tu as la bonne idée de t'évanouir.
Les deux rirent nerveusement et s'exécutèrent.
Quand Chrysis rentra à nouveau dans la pièce à peine une minute plus tard, Vasco était entièrement allongé dans la baignoire jusqu'aux épaules, et sa nuque reposait sereinement sur le bord. Il avait les yeux fermés mais l'entendît quand même entrer.
— Merci. Murmura-t-il sans bouger d'un millimètre.
— Tu es dans cet état depuis quand ?
— Je me suis réveillé ce matin, et c'était déjà pas joyeux. Depuis je dors ou somnole.
— Ce bain chaud devrait déjà aider à éliminer les bactéries.
— Oui, merci.
— C'est normal. Dit-elle en souriant doucement alors qu'il ouvrait les yeux et tournait la tête vers elle pour dire d'un air malin :
— Si près de mon corps nu... Tu résistes ?
— Ta gueule ! Avait-elle répondu en éclatant d'un rire franc.
Il rit doucement, mais une quinte de toux le pris brusquement. Chrysis remarqua que les yeux du garçon étaient encore rougis pas les larmes.
— Tu as rêvé de quoi ? Avait-elle alors demandé. Vasco se renfrogna légèrement et ses yeux se voilèrent :
— Je ne sais pas.
Elle sut qu'il mentait mais ne le releva pas. S'il n'avait pas envie de le lui dire, elle ne pouvait le forcer en aucun cas.
C'est que le mafieu avait honte, au fond de lui, que la femme l'ait vu dans un tel moment de faiblesse. Mais il était tellement vidé de toute énergie que son corps l'empêchait de se redresser, faire semblant d'aller mieux pour nourrir son égo. Il doutait même d'avoir encore le contrôle sur ses muscles.
Il referma les yeux et se laissa aller dans ses pensées, au rythme du clapotis de l'eau sur son corps. Et il dut penser bien plus longtemps que prévu, car la voix douce de Chrysis lui parvint aux oreilles :
— L'eau est froide, il faut sortir.
Croyant probablement qu'il s'était assoupi, la princesse lui caressait doucement le crâne. Il ronronna intérieurement et ouvrit les yeux tout en disant :
— Sors, je te rejoins à la porte dès que c'est bon.
— Ça va aller ?
— Promis. Au pire je glisse et serais élu mafieu avec la pire mort du Portugal.
Chrysis rit doucement et sortit de la pièce. Le garçon l'avait rejoint quelques minutes plus tard, toujours vêtu d'un short. Il s'appuyait maladroitement contre les murs pour trouver son équilibre et elle l'aida donc à retourner dans son lit.
La princesse se dirigea ensuite vers les fenêtre qu'elle ouvrit en grand, après avoir tiré les rideaux. Le malade frissonna, mais ne protesta pas.
Elle s'empara ensuite de la grosse couette pour l'enlever du drap, qu'elle reposa seul sur le lit :
— Avec le chauffage il va faire bien assez chaud dans ta chambre, la couette n'arrangera rien et se fera bien trop transpirer.
— Si tu le dis... souffla-t-il tout en se laissant glisser entre le coussins tout en remontant le tissu jusqu'à sa poitrine. Les yeux de son interlocutrice glissèrent sur la chambre pour l'examiner. C'était la même qu'il y a trois ans : la meilleure pièce de la maison, dans l'angle, dont une grande fenêtre donnait sur la mer et l'autre sur sa villa à elle. Mais il avait tout réaménagé. Aucun meuble n'était identique à ceux qu'elle avait connu, même le lit. Elle finit par poser les yeux sur la table de chevet où gisait une boîte de gâteaux secs.
— Tu veux que je t'apporte à manger ?
— Je serais bien incapable d'avaler quoi que ce soit.
Chrysis s'assit sur le rebord du lit, et posa sa main sur le front masculin.
— Ta fièvre a un peu baissé. Avait-elle constaté, et il renchérit :
— Elle ne devrait pas tarder à remonter.
Ses paupières commençaient déjà à se fermer, et il étouffa un bâillement qui finit en quinte de toux. Il grogna :
— Tu veux bien refermer les fenêtres ?
— Oui, bien sûr. Tu préfères fermer les volets ou les rideaux ? Avait-elle répondu doucement tout en se relevant.
— Les rideaux.
Ces derniers était d'un bleu océan, légèrement transparent. La lumière entrait quand même dans la pièce, mais restait tamisée.
La blonde décida de rester jusqu'à ce que Vasco s'endorme à nouveau, après lui avoir précisé que si ça allait mal il ne devait pas hésiter à l'appeler.
Malgré les médicaments, la fièvre avait recommencé à monter et Vasco se replongea rapidement dans un état presque comateux. Ses paupières tombaient de fatigue et ses poils se hérissaient au moindre mouvement.
La jeune femme se surprit à l'observer somnoler avec une profonde affection. Elle ne chercha pas à la supprimer mais en fut déstabilisée.
— Chrysis ?
Il l'avait appelé d'une petite voix, à peine audible.
— Oui ?
— J'arrive pas à dormir. Sa voix tremblait anormalement.
— Pourquoi ?
Il se mit à fixer le plafond, mal à l'aise, avant de répondre faiblement :
— J'ai peur de faire des cauchemars. Je veux pas...
Il déglutit et elle remarqua qu'il luttait pour ne pas se plonger dans les bras de Morphée.
— Tu n'en feras pas forcément.
— Si. Son visage se teintait de souffrance. J'en fais toute les nuits, toutes les nuits je les vois...
— Qui vois tu ?
Il renifla et se frotta les yeux, comme pour empêcher les larmes de couler.
— Les gens que j'ai tués. Toutes les nuits ils viennent. Je revois leurs visages. Tout le temps... Depuis des mois et des mois je rêve d'eux. Je veux que ça s'arrête Chrysis, je veux que ça s'arrête. Et tout à l'heure, je... à la fin... c'était toi. C'était toi qui avais pris leur place...
Elle avait envie de pleurer à l'entente de cette voix brisée. En comprenant que c'était elle qui l'avait transformé ainsi. Que par sa disparition elle avait enclenché son engagement dans la Mafia. Ce travail de brute et de tueur qui lui avait permis de refouler sa tristesse. Mais à quel prix...
Tout ça, c'était à cause d'elle.
Pour l'inviter à la regarder, elle posa délicatement sa main sur la joue du mafieu, où quelques larmes solitaires s'étaient déjà aventurées sans qu'il ne semble s'en rendre compte.
— Ça n'arrivera jamais. Ferme les yeux. Pense à la mer. Pense au rire d'Antoni, aux blagues de Kim, à la voix apaisante de Noah. Pense au bruit des vagues qui glissent sur le sable, des mouettes qui volent au dessus de l'écume.
Il semblait s'exécuter car son corps se détendait petit à petit, alors la jolie blonde continua en murmurant :
— Pense aux sensations de la planche de surf quand on est lancé sur les vagues. Pense au sable brûlant sous nos pieds l'été. A l'odeur du sel et des algues. Pense aux pic niques dans des vieilles cryptes. Pense aux gens qui s'applaudissent à tout vas au skate parc. Pense à la sensation que procure les câlins qu'on fait à nos amis. Au contact de leurs bras qui t'encadrent. Pense à...
Mais elle se stoppa dans sa tirade, constatant qu'il dormait. Chrysis retira sa main du visage du malade et chuchota une dernière fois avant de partir :
— Pense a Dulce qui réclame tes bras, pense que ça me rend si fière et si heureuse, même si je n'ose pas l'admettre.
Et juste avant de quitter la pièce, elle aperçut sur le bureau de chambre un papier. Avec son écriture. Elle sut d'avance ce qui y était noté puisqu'elle même l'avait écrit. Et elle était persuadé d'avoir raison. La fille de la reine et le fils du Parrain de la Mafia : leur amour était impossible. Et ça faisait terriblement mal à l'accepter.
Chrysis ne douta pas une seconde que le jeune homme avait pleuré en lisant ce message.
Son cœur ce serra à cette pensée et des yeux se voilèrent.
Nous ne pouvons pas faire autrement. Essayait-elle de son convaincre par sa raison, sans même comprendre que si son âme devait se matérialiser en cet instant même, elle serait accroché à Vasco de toutes ses forces en suppliant de ne plus les séparer.
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