Chapitre 15
Quelques jours plus tard, voilà que Chrysis marchait seule sur un petit chemin de terre bordant la côte et ses ravins. Aucun garde du corps ne la suivait, mais en échange elle avait promis d'activer la géolocalisation de son téléphone et d'envoyer quelques sms réguliers à Haris.
Cette dernière était à la villa, jouant à la maman de substitution pour Dulce. Kim et Noah, qui adoraient la petite, étaient venu leur tenir compagnie. Antoni, lui, avait malheureusement été retenu par sa famille.
Elle finit enfin par apercevoir une silhouette familière, allongée près du bord, jambes pendantes dans le vide. Nous étions en soirée, et tandis que le soleil se couchait petit à petit quelques étoiles commençaient à apparaître dans le ciel.
Il n'y avait pas beaucoup de vent, mais malgré tout la position du jeune homme restait très dangereuse, au vu du ravin près duquel il était. Sans un mot, la princesse s'assit à ses côtés, puis s'allongea, dans la même position. Un fourmillement parcourut son ventre, et elle se dit que c'était sûrement dû à l'idée du vide qui se trouvait sous ses pieds. La chute serait mortelle.
Quelques secondes de déroulèrent en silence. La jolie blonde n'osait pas parler. Après tout, la parole était au garçon, qui devait à présent répondre à la question qu'elle lui avait posé. Ce dernier finit donc par dire :
— J'aurais été heureux.
Quel rapport avec la Mafia ? Chrysis fronça les sourcils, déstabilisée, et le jeune homme continua :
— Tu m'as aussi demandé si j'aurais été heureux, d'être père à dix-sept ans. La réponse est oui. J'aurais probablement pleuré, peut-être même serais-je passé par la rage, la colère. Le désespoir. Mais on aurait fini par s'en sortir. Et j'aurais été heureux.
— Je l'ai appelé Dulce Sonhador Apo Ti Thalassa.
Je sais. Avait-il pensé, mais sans le prononcer à voix haute.
— À quel point t'ais-je fait souffrir ?
— Tu as fait ce qui te paraissait bon pour nous tous, et tu as souffert toi aussi. On a tous souffert, à notre échelle.
Ce n'était pas une réponse, et la princesse refusa de s'en contenter.
— Et c'était quoi, ton échelle. Qu'est-ce qui s'est passé chez toi pendant mon absence, Vasco ?
Plein de choses, pleins de choses horribles, Chrysis. Oh, si tu savais... Pensa-t-il tout en se remémorant les mots horribles qu'ils avaient dit et écrits ces dernières années.
— Ça, c'est aussi ta réponse à la question de l'autre jour. Murmura-t-il tout en levant son bras gauche, dont il avait retroussé la manche. La jeune fille observa le tatouage qui s'y trouvait. Un symbole, mi-horloge mi-rose des vents transpercé de part et d'autres par deux flèches, et ornés de motifs aux allures féériques.
— Tu te souviens de la signification de ce motif ?
— Oui... tous les membres de la Mafia tracent ce cercle, d'une moitié horloge et d'une autre rose des vents, dès qu'ils ont prêtés allégeance à la Grande Européenne. Du plus petit soldat jusqu'à Parrain. Mais le tien est déjà là, dit-elle en posant délicatement ses doigts sur sa hanche, et celui-ci est bien plus développé...
Le garçon acquiesça, prit une inspiration, et continua :
— Tu n'imagines même pas ce que j'encours, ce que tu encours en conséquence à ce que je vais te dire.
— Tu es le père de ma fille. Tu... es mon premier amour. Nous ne nous sommes jamais rien cachés. Alors qu'importe les risques.
Pour la première fois depuis le début de leur conversation, il tourna sa tête vers elle. La première choses qu'il vit furent ses cheveux blonds, ondulés, qui semblaient l'entourer d'une auréole angélique. Puis sont joli visage, sa peau bronzée, ses yeux marrons sertis d'or. A chaque fois qu'il la voyait, son coeur en même temps s'emplissait des joies et s'accablait d'une grande tristesse. Joie qu'elle soit là, avec lui. Tristesse qu'en réalité il l'ait perdue.
— La Mafia d'aujourd'hui à des bases socialistes. Oui, nous avons une hiérarchie, mais les règles d'ascension sont les mêmes pour tous et chacun obéit aux mêmes choses et risque les même conséquences. Mais il y a quand même une Elite : le Parrain et sa famille, le Consigliere, le Sottocapo qui est le bras droit, et les Capis. Et pour distinguer tout ce monde... il y a ce tatouage. On peut l'acquérir à partir de dix-huit ans. La majorité. Quand tu t'es volatilisée, mon refuge a été la Grande Européenne, je m'y suis investi, de plus en plus. Parce qu'elle permettait d'inhiber mon désarroi. D'avoir de nouveau projets. Alors, à mes dix-huit ans, j'ai décidé de m'engager encore plus. Tu avais disparu, et avec toi l'idée d'un jour m'éloigner de ce monde.
Le jeune mafieu laissa retomber son bras le long de son corps. Il avait terminé, et attendait maintenant la réaction de son interlocutrice :
— Tu as aimé t'engager ainsi ?
— J'ai détesté. J'ai haïs ça de toute mon âme. Mais j'ai continué avec toute la rage que je trouvais en moi, car au moins ma colère et ma haine se projetaient sur autre chose que toi.
Ça y'est, le soleil s'était entièrement couché et on voyait de plus en plus d'étoiles.
Chrysis déglutit, alors qu'elle sentait la culpabilité s'installer de plus en plus dans tout son corps.
— J'aimerais te dire à quel point je suis désolée, mais ça me parait tellement égoïste. Car ton pardon ne fera qu'alléger mon cœur aux dépends du tiens.
Il silence prit place. Les deux jeunes gens osaient à peine respirer, bien que le bruit des vagues s'écrasant sur la falaise empêchait à leur ouïe d'entendre autre chose.
— Tu as raison. Finit par lâcher Vasco. Mais ce n'est pas parce que je souffre que je veux que tu souffre autant que moi. Je veux le meilleur pour toi, Chrysis... Le garçon prit le temps de se redresser pour observer la mer qui s'agitait quelques mètres sous ses pieds, et il reprit :
— J'ai toujours voulu le meilleur pour toi.
Ses cheveux blonds brillaient à la lumière de la lune. Il se leva, fit un pas en arrière pour s'éloigner du vide qui devenait vertigineux. Les deux anciens amants s'observèrent quelques secondes, avant que Vasco reprenne la parole :
— Alors je te pardonne. Si ça peut te libérer, te permettre de sourire sincèrement, de respirer à pleins poumons, de regarder Dulce avec tout l'amour qu'elle mérite en te disant « je suis une mère merveilleuse ». Je n'ai même pas besoin de tes excuses, Chrysis. Je te pardonne et je te le répèterais autant qu'il faut pour que tu ailles mieux. Même si je dois en pleurer la nuit, en hurler dans le noir. Je te pardonne.
Si Chrysis, au lieu de laisser des larmes envahir ses joues, lui avait demandé « pourquoi », sûrement As aurait-il répondu « parce que je t'aime trop ».
Mais au lieu de ça, la princesse était restée figée, à l'observer, sans réussir à parler tant l'émotion l'envahissait. Son interlocuteur avait cligné plusieurs fois des yeux, comme s'il revenait à la réalité. Il baissa la tête et, sans un mot de plus, tourna les talons pour disparaître dans la nuit au bout de quelques secondes.
Et les deux explosèrent en sanglots loin l'un de l'autre, jurant qu'ils ne désiraient pour se consoler que les bras de cet amant perdu dont l'amour subsistait pourtant dans leurs cœurs déchirés.
Cette nuit-là, le quatrième héritier du Parrain revint chez lui les yeux vides et épaules hautes. Il accrocha une arme à sa ceinture, son Beretta 92. Il attrapa un bandana, et demanda à son père un nom.
Le Parrain comprit immédiatement ce que son fils désirait et lui donna celui d'un directeur de boîte de nuit. Ce dernier avait, il y a peu, dénoncé à la police la collaboration qu'il avait avec la Mafia pour entretenir dans son sous sol un point relais de trafic de prostitution. La Grande Européenne avait perdu plusieurs millions sur ce coup-là, et l'homme avait besoin d'un correction pour montrer l'exemple.
Et l'exemple fut fatal, car le coupable n'eut que le temps de voir une silhouette noire s'approcher de lui. Juste un ombre, entourée d'une auréole blonde. C'était un ange jouant au diable, pensant naïvement que ce serait moins douloureux d'être du côté des méchant.
Vasco avait laissé sa victime hurler. D'abord de peur, puis de douleur, et enfin de résignation.
C'était tellement agréable d'entendre ce cri lui percer les tympans. Au moins, ça masquait le bruit sourd de sa propre détresse qui pulsait dans ses tempes.
Pourtant, lui-même continuait à pleurer. Il s'en foutait, laissant les armes couler sur ses joues, être imbibé par le tissu de son bandana, qui lui frottait le visage presque jusqu'au sang.
Et le jeune mafieux tira une balle, une seule, en pleine tempe. Puis lâcha un flingue sur le matelas —pas son Beretta dont il ne pouvait se séparer— et positionna le corps pour faire penser à un suicide. Suicide aux yeux de la justice. Meurtre pour tous ceux concernés par ce message.
Et, sans jamais arrêter de pleurer, Vasco Osabio était rentré chez lui. Il croisa le regard de sa mère, remplis de tristesse. Et au lieu de se jeter dans sa bras comme il désirait tant le faire, le jeune homme accepta le verre d'alcool que lui tendait son grand frère et le bu d'un seul coup.
Chrysis, de son côté, était rentrée à pieds chez elle. D'un pas mou, le corps las, les yeux rivés vers le sol. Elle se sentait vide, si vide qu'elle ne savait même plus si des larmes continuaient ou non à couler sur son visage.
Elle ouvrit mollement la porte de la villa. Noah, qui était resté jusqu'au coucher de Dulce, était encore ici et vint à sa rencontre. La blonde comprit qu'elle pleurait encore, seulement quand son meilleur ami vint subitement la serrer contre lui, l'embrassant dans les cheveux et lui chuchotant que tout irait bien.
Noah aimait beaucoup Vasco. Mais il aimait Chrysis encore plus. Alors, en cet instant, la seule chose qu'il se demandait était :
— Il a fait quelque chose de mal ?
Les cheveux blonds de la jeune fille lui collaient aux joues et il s'efforça de les décoller doucement, alors qu'elle répondait entre ses sanglots :
— Rien... Justement. Il a tout fait bien... tout fait bien...
Elle avait encerclé son meilleur ami de ses bras, en serrant toujours plus fort.
Je te pardonne.
Ces mots résonnaient en elle comme si on battait son âme à coups de marteau.
Oh, qu'est ce qu'elle aurait préféré qu'il la haïsse, car probablement aurait-ce été plus facile de ne plus jamais le voir plutôt que d'espérer vainement à une seconde chance.
⭐️⭐️⭐️
Enfin un chapitre avec une très —trop— longue pause qui a durée tout l'été...
Mais à partir de maintenant, rassurez vous, on retourne sur le modèle de deux publications par semaine : les lundis et jeudi ❤️
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