Chapitre 14
Vers six heures du matin, Chrysis se réveilla, assoiffée. Encore à moitié endormie, la princesse avait allumé la lumière, ce qui lui fit brutalement cligner des yeux. Elle s'était levée en grognant, décidée à aller se remplir un verre d'eau, quand un bruit de pas se fit entendre dans le couloir.
Plus précisément un bruit d'enfant qui courrait.
La blondinette maugréa quelques mots inaudibles, car d'ordinaire Dulce n'avait pas le droit de se lever tant que sa mère n'était pas réveillée.
Tout en s'attachant tant bien que mal les cheveux en un chignon haut, elle ouvrit sa porte pour jeter un coup d'œil dans le couloir.
Dulce apparut en effet. Elle sortait des toilettes. N'ayant plus de couches la nuit depuis peu, on avait donc mis un pot à la petite fille dans les WC. Toute fière, elle l'utilisait fréquemment la nuit.
Encore habillée de sa tenue de la veille, la fillette avait les cheveux en bataille mais semblait bien réveillée. Chrysis se rappela immédiatement que Vasco avait dormit ici.
Dans le lit de sa fille.
Dans leur lit de leur fille, précisément.
Un rictus se forma sur son visage alors qu'elle pensait que cela aurait pu être très drôle si jamais Dulce avait fait pipi au lit, au lieu d'aller sur le pot...
L'enfant aperçut sa mère et ses yeux s'illuminèrent d'un seul coup.
— Maman ξύπνησα réveillée ! Dudu plus dodo !
Elle semblait ravie de voir sa génitrice debout, lui ôtant le poids de devoir aller se recoucher. La jeune femme, elle, regretta instantanément d'être allée pointer le bout de son nez dans ce couloir.
Adieu la grasse matinée, il était six heures du matin et elle n'avait plus moyen de se recoucher.
En effet, Chrysis avait passé ses deux premières années de mère, seule avec sa garde du corps, à s'occuper elle-même de son enfant. Elle avait donc refusé tout proposition de gouvernante pour l'aider dans cette tâche une fois arrivée au Portugal.
— Vasco fait encore dodo ?
L'enfant hocha fortement la tête, avant de se diriger vers l'escalier en disant :
— Manger !
Chrysis soupira et, décidée à laisser dormir son ex petit-ami, elle suivit sa progéniture. Cette dernière engouffra deux bols de céréales et une douzaine de fraise. Son appétit d'ogre était compréhensible, étant donné qu'elle n'avait pas dîné la veille.
C'est une heure plus tard, vers sept heures, que le jeune homme arriva dans le salon où jouaient la mère et la fille.
L'enfant était trop occupés par les Playmobiles avec lesquels elle s'amusait pour saluer le garçon. Mais la princesse, elle, se leva :
— Bonjour. Sers-toi dans la cuisine pour le petit-déjeuner.
— Ne t'inquiète pas, je vais y aller.
— Non. J'insiste.
Voyant qu'il était surpris par le ton sec qu'elle venait d'employer, et se renfrognait, le jolie blonde rajouta.
— Haris va aller faire une balade avec Dulce en fin de matinée. On en profitera pour parler.
Le jeune homme avait bien lut dans les yeux de son interlocutrice qu'il n'avait guère le choix, et il hocha donc la tête.
Les deux ex —encore amoureux, mais laissons-les dans le déni— se croisèrent à peine de toute la matinée.
Néanmoins, la garde du corps n'avait pas manqué de surveiller le mafieu d'un œil sévère. Ce dernier avait beau être dans les bonnes grâces de sa protégée, ce n'était pas pour autant qu'elle allait baisser ses gardes envers un individu aussi dangereux.
Un mafieu ! Il avait fallut que la princesse choisisse un mafieu !
Mais quelle merde...
Sa mère, la reine Léna, avait quant à elle choisi un garde du corps qui était à l'époque complètement borderline. Celui qui était à présent le roi. À croire que les choix amoureux hors-normes étaient de famille.
Et elle ne croyait pas si bien dire...
Vers onze heure, comme prévu, Dulce et Haris partirent faire une balade avant le déjeuner. La princesse s'assît sur le canapé, et attendant que Vasco sorte de la douche.
Ce dernier arriva quelques minutes plus tard, cheveux trempés et avec ses habits de la veille. Il s'assit à ses côtés, sans pour autant la regarder :
— Que veux-tu ?
— On va jouer à un jeu, toi et moi.
Elle non plus ne lui jetait pas un regard, se contentant de fixer le mur en face d'elle.
— Quel jeu ?
— C'est très simple. Je vais te dire une vérité que tu ne sais pas. Puis ce sera à toi. Et ainsi de suite. Je pense As, enfin non j'en suis intimement persuadée, que c'est absolument nécessaire de mettre cartes sur table.
Malgré la ponctuation de son discours, elle n'avait pas repris sa respiration une seule fois. D'un voix neutre, le garçon répondit :
— Jouer cartes sur tables ? C'est toi qui...
— Je suis prête à répondre à toutes tes question. Le coupa-t-elle. Je sais que c'est de ma faute, mais je ne veux plus qu'il y ait de secrets entre nous.
Elle se retourna vers lui pour plonger ses yeux dans les siens et continuer :
— On n'est peut être plus ensemble, mais on doit recommencer a s'accepter. À être transparent. Parce que c'est comme ça qu'on fonctionne, et qu'on fonctionnera toujours. Toi, moi, nous, on se dit tout.
Elle avait si chuchoté le « nous » qu'il en était inaudible. Vasco inspira longuement, sans vraiment réfléchir, juste pour chercher à faire le silence dans toutes ses pensées qui se bousculaient entre elles.
C'est vrai qu'il y avait toujours eu cette confiance entre eux. Cette confidence presque instinctive, vitale. Ça faisait tant de bien de pouvoir se déblatérer sa vie comme à un autre soi-même.
Chrysis sourit doucement. Elle était si belle, et il ne put empêcher à son corps de se détendre petit à petit. D'une voix douce, elle l'encouragea :
— Vas-y, commence. Pose-moi une question.
Le jeune homme laissa quelques secondes de suspens, même s'il savait quelle question il allait poser.
Rêvait-il ?
La blondinette allait-elle enfin lui offrir cette réponse, qu'il cherchait depuis presque trois ans ?
Il laissa son dos retomber dans les coussins moelleux, tout en gardant la tête légèrement tournée vers son interlocutrice pour garder le contact visuel.
— Pourquoi tu es partie, Chrysis ?
Pourquoi tu m'as abandonné ?
Elle s'était préparé à cette confrontation et savait pertinemment qu'il allait lui demander ceci, mais malgré tout la jeune femme s'était décomposée.
Elle d'humecta les lèvres, comme pour choisir ses mots, et se lança d'une voix douce et légèrement tremblante :
— Tu te souviens de mon anniversaire de seize ans ?
— Bien sûr.
C'est la dernière fois qu'il l'avait vu.
— On était ados, et tout ce qui va avec.
Elle sourit, et Vasco ne sut si c'était de tristesse, de rancune ou de moquerie. La princesse continua :
— Les émotions qui se décuplent, le cerveau qui turbine à une vitesse folle à la moindre pression, les décisions prisent sur des coups de folies dictées par d'irrationnelles pulsions. Elle lâcha un rictus de regret. Je ne voulais pas m'en aller au début. Et si je suis partie, As,ce parce que quand j'ai voulu t'annoncer que j'étais enceinte...
Elle déglutit, laissa quelques secondes du suspens durant lesquelles elle regardait le plafond, comme pour se rappeler de ce moment :
— Tu n'as pas très bien réagis. Et cette réaction, au plus profond de moi, je l'ai interprétée comme un ordre qui me disait « casse toi c'est la meilleure solution ».
— Comment ça j'ai mal réagis ?
— Tu ne te souviens pas ? La voix de la blondinette était fébrile. Aussi fragile qu'un verre de cristal soumis à des ultrasons.
— Je...
Si, en fait.
C'était caché au fin fond de sa mémoire, cet instant précis où effectivement l'adolescente lui avait sous-entendu l'arrivée d'un enfant.
Mais putain.
Comment avait-il pu être aussi con ?
À sa soirée d'anniversaire, Chrysis portait une robe à paillettes couleur crème qui lui collait au corps. Ses longs cheveux blonds étaient séparés en deux sublimes tresses africaines volumineuses, dans lesquelles il s'était lui-même appliqué à placer quelques fleures bleues claires. Elle était sublime, comme d'habitude.
Sous l'emprise de l'alcool ils avaient dansé, ris, s'étaient embrassés, bousculés.
Vers la fin de soirée, sa petite amie s'était affectivement dirigée vers lui en trottinant, grand sourire grave sur ses lèvres.
À y repenser, maintenant, c'était probablement un sourire d'espoir. Espoir qu'il accepter la situation, espoir qu'il lui dise qu'il l'aimerait quoi qu'il arrive.
Espoir qu'il lui donne n'importe quelle autre réaction que celle qu'il avait eut en réalité.
— Aaaas ?
Chrysis lui avait fait un câlin, que le garçon avait accueillit avec joie.
— Oui ?
— J'ai une questionnnnn.
Il sourit tendrement. La princesse était très sociable, à l'aise en société, savait s'affirmer. Mais malgré tout, au plus profond de son être un certain manque d'estime de soi persistait. Et ce manque se révélait avec l'alcool, alors qu'elle posait des interrogations sorties de nulle part.
«Tu m'aimerais toujours si j'étais collectionneuse de fourmis ? » Lui avait-elle demandé quelques instants plus tôt.
— Je t'écoute.
— Tu penses quoi des enfants ?
Il avait froncé les sourcils :
— Eh bien c'est mignon et petit. Un peu comme toi. Avait-il terminé en rigolant.
Seulement, elle ne lui avait pas vraiment rendu son rire sur le coup :
— Et pourquoi on n'a pas d'enfant alors ?
— Parce qu'on est trop jeune, et nos deux mondes trop différents pour assurer une certaine sécurité. Vasco avait embrassé son interlocutrice avant de continuer :
— Contentons-nous de nous-mêmes.
— Et si je voulais un enfant ?
— Tu es ivre morte Chrysis. Lui avait répondu l'adolescent, et face aux yeux de cocker de la jeune fille il avait continué :
— C'est irresponsable de vouloir ça. Ça gâcherait tout, on ne pourrait plus vivre notre relation pareil, ni nos vies. Ça chamboulerait tout. On devrait même le cacher. Crois-moi, cette idée ne doit pas être de l'ordre du jour tu divagues complètement.
Il avait parlé assez sèchement malgré l'alcool. Assez, du moins, pour refroidir la princesse qui avait caché sa tristesse derrière un faux sourire en bredouillant un « oui, tu as sûrement raison ».
Confronté à ce souvenir qui venait brusquement de refaire surface, Vasco déglutit avec peine. Une boule s'était formée dans sa gorge, à un tel point qu'il s'étonnait de ne toujours pas sentir de larmes salées couler sur ses joues.
La voix douce de son interlocutrice le ramena à la réalité. Elle-même ressentait une certaine souffrance a l'évocation de ce moment, qui avait été décisif pour elle. Et voir la détresse de Vasco ne faisait qu'empirer son propre état interne, qu'elle réussit néanmoins à camoufler.
— Cette question n'est pas comprise dans la jeu, mais aurais-tu été heureux ? Je t'aurais dit, à la soirée, que je n'avais pas mes règles et que j'avais acheté un test de grossesse à faire le lendemain. Tu aurais appris et serais devenu père si jeune, avec tous les conflits que nous aurions engendré... Je ne doute pas que tu aurais été un merveilleux père, As, mais aurais-tu été heureux ?
Le jeune homme s'était pincé l'arrête du nez. Il avait cherché ses mots, longuement. Posant visiblement pour la première fois le pour et le contre de la situation.
Jusqu'ici, il n'avait vu que le mal : une ex qui lui avait brisé le cœur en disparaissant sans explication pour revenir deux ans et demi plus tard avec un gosse. Son gosse.
Mais il n'avait pas réussi à admettre que c'était aussi les décisions d'une adolescente paniquée et qui a cherché à préserver le père à ses dépends.
Alors qu'il venait de prendre une inspiration pour se prononcer, d'une manière probablement maladroite. Haris et Dulce étaient rentrés de la balade.
Timing mauvais, ou au contraire parfait selon certains avis.
Tout compte fait, les deux étudiants s'étaient à nouveau donnés rendez-vous quelques jours plus tard.
Juste avant de partir, le garçon avait chuchoté :
— Et quelle est ta vraie question alors, Chrysis, si ça ne concerne pas mon bonheur ?
Était-il amer ou simplement blessé, la princesse n'aurait su le dire. Mais dans tout le cas, son cœur se pinça en voyant l'état affecté de son interlocuteur.
Elle baissa les yeux vers ses doigts, refermés sur l'avant bras gauche du blond. Il portait des manches longues.
— Tu m'avais dit que tu ne t'engagerais jamais dans la Mafia.
Ce n'était pas une question, mais Vasco comprit très clairement à quoi la jeune femme faisait allusion. Son tatouage, qu'il n'avait pas adolescent. Le motif représentant l'emblème de la Grande Européenne était obligatoire pour signifier l'adhésion d'un membre. Le sien était bien caché sur sa hanche, de sorte à ce qu'il ne soit visible que s'il se déshabillait entièrement.
Voir à nouveau ce motif, mais en plus développée, gravé sur le bras, avait en effet dû questionner la princesse.
Tout compte fait, c'était très bien que leur prochain rendez-vous ne soit que quelques jours plus tard. Vasco avait ainsi le temps de réfléchir. À ce qui venait de lui être révélé. Et surtout à ce que, à son tours, il allait ou non dévoiler.
Parce que Vasco Osabio était le fils du Parrain. Une telle place hiérarchique était tout aussi dangereuse pour lui que pour ses proches. Et surtout, gardée secrète. Chrysis en savait déjà trop sur lui, et bien assez pour poser des motifs de condamnation à mort de la part de la Mafia. Voulait-il prendre le risque de la mettre à l'écart de la situation ? Quitte à aller à l'encontre de tous ses principes et lui mentir ?
⭐️⭐️⭐️
Et voilà, on sait enfin pourquoi Chrysis a décidé de partir du jour au lendemain... Vous pensée que sa réaction a été extrême ? Ou au contraire, que c'est compréhensible face à la situation et aux paroles de Vasco ?
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