
- Chapitre 4 -
Quinze heures neuf.
Je fixai l'horloge du salon tout en regardant par une des fenêtres qui permettaient d'observer le quartier. Personne. En même temps, c'était dans vingt et une minutes qu'il devait arriver. Le stress qui me rongeait de l'intérieur, depuis une semaine, m'empêchait de tourner la page de Bluebird pour savoir si les antagonistes allaient découvrir la supercherie des héros.
Je ne savais sur quoi j'allais tomber avec lui. J'avais imaginé des scénarios les plus farfelus les uns que les autres, mais tous étaient illogiques.
Lorsqu'il m'avait sorti « J'accepte. », j'avais crus l'avoir forcé à le faire - surtout quand j'avais remarqué ses yeux qui me foudroyaient - mais j'étais plutôt heureuse de l'avoir fait. J'avais aussi été fière de mon mensonge, sur ma « preuve » imaginaire. Y avait-il un mal à vouloir vérifier qu'il n'était pas mêlé à quelque chose qu'il regrettera après ? Pour lui, oui. Il m'avait évité avec grâce et gentillesse toute la semaine - ce qui m'avait valu quelques moqueries dans mon dos.
Si seulement il pouvait arriver en avance que cela s'arrête !
Ding dong !
Mon peureux de cœur explosa de sorte à ce que je lâche mon livre, qui fit un petit « boum ! » quand il tomba à mes pieds. Je me ressaisis très vite et m'approchai doucement de la fenêtre pour vérifier que c'était bien lui - histoire de ne pas avoir la honte avec un de mes voisins.
Mais la chance, se disant que ce n'était pas encore assez drôle, fit en sorte que mon pied droit percute le tapis et que je tombe par terre, avec l'élégance d'une danseuse étoile.
Badaboum !
« Aïe ! Merde ! », ne pus-je m'empêcher de crier, avec une sensation de déjà-vu.
Ding dong !
J'attrapai mon sac en bandoulière, où mon portable était au chaud depuis hier soir avec mes clés de maison, et m'avançai vers la porte d'entrée. Avec une main un peu tremblante - non, je n'exagérais pas -, je l'ouvris ni trop vite ni trop lentement pour paraître la plus naturelle possible.
Il était là, tranquillou, appuyé au mur, un casque dans la main tandis que l'autre s'occupait de pianoter sur son téléphone. Une 50cc était derrière lui, un sac de sport avec un autre casque dessus.
Il releva ses yeux bleus vers moi, tout en rangeant son téléphone dans sa poche de pantalon - moi, si je faisais pareil, il tomberait par terre.
« T'en as mis du temps ! me lança-t-il.
- Bonjour à toi aussi Adrien, dis-je en tournant la clé vers la droite dans la serrure de la porte pour qu'elle se verrouille.
- Bonjour, Manon. Tiens et dépêche-toi. »
Le « Prince », qui n'en avait pas le caractère, me tendit un casque avant de se diriger vers son deux-roues.
« Tu sais, tu peux encore abandonner ton idée de venir avec moi et rester chez toi, au frais, en train de faire je ne sais pas quoi pendant que j'y vais. T'as juste à effacer cette vidéo et à oublier cette histoire.
- Non, merci. », répondis-je avec un petit sourire, qui s'était invité tout seul sur mon visage puisque j'étais tout sauf joyeuse.
J'entendis un petit « Merde. » de la bouche d'Adrien, qui annonçait la couleur de cet après-midi.
« Au fait, c'était quoi ce « badaboum ! », tout à l'heure ? C'était tes parents ? demanda Adrien, un peu étonné, car je lui avais assuré qu'ils seraient chez des amis.
- T'inquiètes, c'était rien. J'ai juste fait tomber une babiole sans aucune valeur.
- Elle devait peser une tonne, ta babiole. »
Connard.
Adrien mis le contact sur sa 50cc, je me mis comme je le pouvais de sorte à ne pas le prendre par la taille - vous savez, comme dans les films - et le destrier du « Prince » roula à toute allure sur la route.
•••
« On y est, m'informa mon conducteur.
- T'es sûr ?
- Si t'as trop peur, tu peux encore rentrer chez toi en bus. »
Adrien s'engouffra et disparut dans la pénombre de la ruelle, qui dégageait une odeur nauséabonde, suivit de moi qui étais obligée de lui emboîter le pas. On ne pouvait pas dire que ce quartier était très charmant avec tous ces immeubles délabrés, ces poubelles renversées, des fois accompagnées de cadavres de souris, et cette ambiance de mort imminente me dérangeait plus que tout !
Au fond de la ruelle se trouvait une porte solitaire. Adrien n'hésita pas à frapper sur celle-ci. L'instant d'après, une paire d'yeux marron apparut dans un petit trou, ce qui me sursauter, mais ni Adrien ni l'autre personne ne le remarqua.
« Mot de passe, ordonna la voix grave des yeux marron.
- Laisse-moi passer ou je t'explose. »
Mais il était malade ! Il croyait vraiment avoir une chance de te passer ?!
Pourtant, la porte s'ouvrit sans un mot de plus, à mon plus grand étonnement, et Adrien rentra à l'intérieur. J'avais dû faire de même.
Derrière cette porte se trouvait le porteur des fameux yeux marron. Il devait mesurer au moins un mètre quatre-vingt et, d'après ses cheveux blonds en bataille et ses vêtements froissés, ce garçon - d'environ vingt-deux ans - ne devait pas trop se préoccuper de son apparence.
« Salut Jean ! Comment ça va ?
- C'est plutôt à moi de te demander ça ! rigola le géant, tout en faisant un high five avec Adrien. Dépêche-toi, l'autre combat est bientôt terminé ! Mais... »
L'ami d'Adrien me dévisagea comme si j'étais la chose la plus répugnante qu'il n'avait jamais vue de sa vie. Ça faisait hyper plaisir.
« C'est qui, celle-là ? questionna le titan en me désignant de la tête, d'un air grincheux.
- Je ne suis...
- On s'en fout de qui elle est, me coupa Adrien. Allez, on y va. »
Il me tira par le bras, m'épargnant ainsi la foudre de son ami. Je n'osai rien dire. Il ne fallait pas que cela se reproduise.
On s'arrêta devant une autre porte, plus grande cette fois.
« Surtout, tu fermes ta gueule et tu restes près de moi. Jean, c'est rien à côté des autres. », me prévint mon sauveur.
Je décidai de lui accorder ma confiance et de faire exactement ce qu'il venait de me dire - même si je n'avais pas trop le choix, en fin de compte...
Il ouvrit la porte et, à l'instant où je vis dans quel enfer j'étais, je crus ne pas en revenir. Devant moi, totalement perdue par le bruit d'encouragement qui me cassait les oreilles et le décor plus qu'anormal autour, j'observais deux hommes dans une géante cage métallique en train de se combattre tel des fauves pour de la viande.
Le premier était jeune et s'était fait tatouer un dragon sur son bras droit. Il montrait à tous que ses poings étaient très puissants - surtout à l'homme en face de lui - tandis que le second, qui était dans la trentaine, venait de tomber au sol. Aucun des deux ne portait de protections obligatoires, n'ayant seulement qu'un short.
Au pied du ring, des personnes criaient, les bras en l'air tenant de l'argent, et me donnait comme image des cochons qui réclamaient à manger. Il y en avait de toute sorte : hommes, femmes, adolescents, personnes âgées... D'autres, plus loin, assis avec de l'alcool, de la drogue et en compagnie de filles de joie, dégustaient du regard l'affrontement tout en échangeant quelques paroles - inaudibles pour moi - entre eux, des billets sur la table.
J'avais peur de comprendre ce que je voyais. Mais je n'étais pas aussi débile. Je pouvais comprendre, mais je ne le voulais pas. Je n'en avais pas envie.
Tout ça, c'étaient des jeux d'argent. Illégaux ? J'imaginais que oui. Dangereux ? Aussi. Et, Adrien dans tout ça ? Il avait disparu. Génial, cet endroit.
« Relève-toi, espèce de merde ! hurla une femme sur le second combattant qui était allongé sur le sol. J'ai parié cinq cents euros sur ta victoire ! Donc, t'as intérêt à gagner ! »
Eh ! Doucement, espèce de sorcière ! Tu ne voyais pas que cet homme NE POUVAIT PAS se relever ! Et puis, c'était vrai que de savoir que tu avais parié la somme de cinq cents euros - tousse - allait lui donner la force de se relever !
Un autre homme, s'avança et prit le bras de l'homme au tatouage. Il avait sûrement gagné.
« Victoire de Tom ! Georges, tu te fais vieux, on dirait ! », se moqua l'arbitre.
J'avais envie de le lui faire bouffer, son foutu micro !
Pendant que je priais le karma pour que mon vœu se réalise, les deux hommes quittèrent le ring, le gagnant au tatouage acclamé par ceux qui avaient parié sur lui et le trentenaire en pleurant. Le pauvre...
« Et maintenant, place à Kevin et Adrien ! s'écria le salaud qui ne s'était toujours pas étouffé avec son micro. Faites leur un bon accueil ! »
Adrien combattait ? Mais c'était de mieux en mieux ! De toute façon, plus rien ne m'étonnerait à partir de maintenant, même si on m'apprenait que j'étais un garçon.
« Prince Charmant » monta sur le ring avec un autre garçon. Ils se mirent en position. Ce Kevin, j'étais sûre de l'avoir déjà vu quelque part. Mais où ?
« Je vais te crever, salopard ! Je vengerais Pierre pour ce que tu lui as fait ! rugit l'adversaire d'Adrien.
- Ouais ! Défonce cette ordure ! », s'égosillèrent quatre autres.
Merde. C'étaient les lycéens de la dernière fois. Ceux qui avaient tabassé Adrien.
« Que le combat commence ! », déclara l'arbitre, tout content de crier ça, en plus.
Comme s'il n'attendait que ça, le lycéen sauta sur Adrien et commença à le noyer de coups de poing, ce que le « Prince » avait sûrement prévu et esquiva assez rapidement. Kevin, en colère de ne pas l'avoir encore frappé, lui fit un croche-pied, déstabilisant ainsi Adrien, et profita de cette opportunité pour l'assener d'un nouveau coup de poing, qui, cette fois, le toucha de plein fouet. Il tomba au sol, un peu de sang giclant de son nez. Aïe !
Kevin était en train de gagner. Ce mec enchaînait les coups de pied à une vitesse phénoménale, obligeant Adrien à se replier sur lui-même. L'arbitre se rapprochait de plus en plus, voulant sûrement déclarer Kevin vainqueur du match. Ah, mais non !
« ADRIEN ! RELÈVES-TOI, BON SANG ! ALLEZ ! »
Quelques personnes me regardèrent, mais avec un grand sourire, puisqu'ils m'imitèrent ensuite. Moi aussi, je combattais... Mais contre les encouragements des supporters de Kevin !
Adrien qui, j'espérais, m'avait entendu, se releva d'un bond et lança un coup de pied dans le ventre de son adversaire. Celui-ci s'écroula par terre, sous les cris de ses amis, et se tenait le ventre avec ses deux bras, en position fœtale.
L'arbitre arriva au bout d'une trentaine de secondes, où Kevin avait essayé de se relever, sans succès, et cria en levant le bras du vainqueur :
« Victoire d'Adrien ! »
Les gens pour lui, heureux d'avoir gagné encore plus d'argent, montrèrent leur joie tellement bien que j'avais cru avoir des saignements dans les oreilles. Sérieux, c'était pire que les couinements des groupies des stars !
Je m'avançai vers Adrien, en m'infiltrant le mieux possible dans la foule, au moment où il descendit du ring, laissant le perdant allongé sur le sol. M'ayant aperçu, Adrien se dirigea aussi vers moi.
« Attends-moi dehors. Je reviens vite, m'assura-t-il.
- D'accord. »
Contente de pouvoir partir, je me dépêchai de m'en aller d'ici, même si je devais repasser devant Jean le géant. Il ne me fit aucun commentaire lorsque j'étais arrivée et m'ouvrit la porte par laquelle j'étais arrivée.
Je courus le plus vite possible pour sortir de l'obscurité de la ruelle. C'était sûr, je ne reviendrai pas ici.
« Fais chier... », entendis-je trembler une voix d'homme.
Je tournai la tête et vis que c'était le trentenaire - Georges, je crois -, celui combattant contre l'homme au tatouage, qui pleurait, assis sur le trottoir. Et à chaudes larmes ; il pensait certainement être seul, que personne ne contemplait son moment de faiblesse. Je fis un pas de plus, voulant l'apercevoir un peu mieux, mais j'eus la malchance – évidemment – de faire craquer un objet quelconque. Ça l'alarma ; il regardait de tous les côtés en séchant ses larmes du revers de la main. Finalement, cet homme préféra fuir cet endroit, de peur qu'on le surprit plus longtemps.
« Qu'est-ce que tu fais ? », me fit sursauter la voix d'Adrien dans mon dos.
Il me fixait, toujoursaussi blasé que d'habitude. Il avait réussi à soigner son nez. Si je racontais qu'il venait de combattre contre un lycéen dans une cage, sous les cris de spectateurs aussi pourris les uns que les autres, et qu'il avait gagné, le nez pissant le sang, personne ne me croirait.
« Rien, avançai-je.
- Dans ce cas, on y va. », m'informa-t-il « gentiment ».
Nous nous dirigeâmes vers notre moyen de transport et, lorsqu'il me prêta une nouvelle fois son deuxième casque, je pris la décision d'entamer une pêche aux infos :
« Eh, Adrien.
- Quoi ?
- Ce Georges de tout à l'heure, il n'aurait pas des problèmes d'argent ?
- Ils en ont tous, si tu veux savoir, répondit-il fermement. Mais Marc m'a dit qu'il n'arrivait plus à s'en sortir et qu'il avait un petit garçon en plus à élever. Je ne sais rien de plus.
- Le pauvre.
- Je ne savais pas que t'avais un cœur, remarqua Adrien d'un sourire.
- Je ne savais pas que t'étais aveugle. », rétorquai-je sur la même rengaine.
Je repensai au chantage avec ma preuve imaginaire que je lui imposais et y mis fin, optant pour l'option « Tout oublier » :
« Au fait, j'ai effacé la vidéo. Tu n'as donc plus rien à craindre. »
Il me regarda avec surprise. Il ne devait pas s'y attendre. Avant qu'il ne me sorte un « Merci. » plein de confiance, je rajoutai :
« Parce que je ne veux pas être mêlée à ça, si les flics vous trouvent. Mais bon, ce ne sont pas mes affaires. Je vais te laisser tranquille, maintenant. Enfin, après que tu m'aies ramenée chez moi. »
Il ne me répondit pas – du moins, il n'en avait plus la moindre envie -, mais me fixait avec des yeux bizarres. Ça devait être un mélange de gratitude et de confusion, je ne savais pas trop. De retour à la réalité, Adrien monta sur son 50cc, suivi de moi, encore dans ma position étrange pour ne pas le toucher, voire frôler.
« Au fait, Manon.
- Mmm ? grognai-je simplement.
- Merci.
- Pardon ?
- Merci pour l'encouragement. », répéta-t-il.
Je m'attendais à tout sauf à ça. Adrien qui me remerciait, c'était la fin du monde !
« Ah, de rien. »
Ma réponse n'avait pas dû lui plaire puisqu'il m'observa encore une fois. Ce fut un moment hyper gênant pour moi. Qu'est-ce qu'il avait ? « De rien, Adrien ! Hi hi hi ! »... Ma réponse devait être comme ça ?
« Un problème ?
- Rien. », riposta Adrien, qui démarra le deux-roues pour éviter que je lui parle plus longtemps.
Il était spécial, quand même.
•••
Cinq heures de l'après-midi.
Adrien venait de me déposer, chez moi, et j'ouvris la porte de ma maison. Je posais mon sac sur la table et allais prendre mon portable avec moi jusqu'à ce que je remarque le... LE SAC DE MA MÈRE ?!
« Tiens, te voilà enfin ! », vociféra celle-ci.
J'étais dans la merde, jusqu'au bout.
« Ma-Maman ! Vous êtes déjà rentrés ?
- Pas ton père, il rentrera dans une heure ou deux. Et toi, où étais-tu ?
- Partie faire un tour, prétendis-je dans la panique la plus totale.
- Quoi ?! À quelques jours de ton brevet ?! C'est impardonnable, Manon ! Comment espères-tu devenir une adulte accomplie en te comportant comme ça ?! Approches.
- Mais...
- APPROCHE ! », ordonna ma tendre mère.
Je m'exécutai doucement. Proche à présent de ma mère, elle leva son bras pour que sa main atterrisse sur ma joue gauche dans un magnifique « Vlan ! ». Aïe...
« Va dans ta chambre réviser ! Et tu es privée de dîner ! »
Ne pouvant aller contre sa volonté, je me dépêchai de monter les escaliers pour aller dans ma chambre.
Allez. C'était parti pour de la Géographie.
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