Un coup de klaxon ...
Un crissement de pneus, un hurlement ... Cela résonnait encore dans sa tête. Que s'était-il passé ? Un klaxon, des pneus qui hurlent sur le bitume ...
« Seigneur la voiture ! »
Il se souvenait maintenant : la pluie battante, son empressement à se rendre à l'église pour l'office du dimanche, cette voiture qui débaroule tout feux éteints ... Mais tandis qu'il reprenait connaissance petit à petit, il eut conscience que quelque chose n'allait pas : premièrement il n'avait pas de souvenir du choc. N'ouvrant pas les yeux tout de suite, il se concentra sur son corps et ses sensations. Bien, il se sentait bien. Il n'était même pas mouillé. Pourtant cette voiture avait bien dû le heurter, pas moyen d'y avoir échappé. Sans doute qu'il ne sentait pas la douleur grâce aux sédatifs. Cette pensée l'amena à la seconde chose qui le tracassait : s'il se trouvait dans un hôpital, pourquoi n'y avait-il aucun bruit ?
—Aurais-je perdu l'ouïe ? se demanda-t-il à voix haute.
Manifestement non, vu qu'il s'était entendu parler.
« Bon, quand il faut y aller... »
Il ouvrit les yeux, et ne put s'empêcher de hurler.
— Miséricorde !
Il fut tout d'abord abasourdis parce qu'il voyait, et crut un instant être victime d'hallucinations. Devant ces yeux s'étendait un paysage de cauchemar : le sol était mou et souple, comme du caoutchouc tendu et dont la couleur était indéfinissable. Au bas de la colline où il se trouvait poussaient des espèces de fleurs géantes multicolores qui se tortillaient dans tous les sens. Au-delà des fleurs démoniaques il apercevait des silhouettes en train de danser et de sautiller. Même les arbres et les buissons au loin semblaient se déplacer. Et le ciel ... Il n'osait lever les yeux sur ce ciel défiant toute logique. Car au dessus de lui se trouvaient d'autres collines, avec d'autres fleurs et d'autres silhouettes gesticulantes.
Tombant à genoux, il eut la désagréable surprise de rebondir. Il perdit l'équilibre et roula au bas de la colline tout en rebondissant sur ce sol semblable à un trampoline. Après un dernier rebond il atterrit en pleins milieu des fleurs. Celles-ci s'écartèrent sur son passage et il put ainsi constater qu'elles n'étaient pas enracinées mais qu'elles se déplaçaient sur des petites jambes. Il hurla de plus belle quand l'une d'elle s'approcha de lui et ouvrit grand ses pétales pour lui présenter un bulbe aux couleurs folles qui sentait étrangement bon.
Aux Enfers ! Il devait être aux Enfers ! Ecartant violemment les plantes, il ne put s'empêcher de crier de nouveau en constatant qu'elles émettaient des petites plaintes aigues. Il voulut s'enfuir, mais le sol mou l'empêchait de courir et le déséquilibrait trop pour qu'il puisse coordonner ses mouvements. C'est donc en rebondissant pitoyablement qu'il se dirigea aussi vite qu'il le put vers les silhouettes. Si d'autres personnes étaient ici, elles pourraient l'aider à comprendre.
Au bout de ce qui lui parut une éternité de galère, il parvint suffisamment près des silhouettes pour pouvoir les observer.
— Abominations ! hurla-t-il en constatant que ce qu'il avait pris pour des personnes étaient en fait des chimères.
Sous ses yeux dansaient des êtres semblables à des enfants jusqu'à la taille et dont les jambes ressemblaient à celles d'un bouc. Les images des diables et des redoutables créatures de Satan lui virent à l'esprit. Il était bel et bien en enfer. Mais tandis qu'il se couvrait les yeux en gémissant, plusieurs créatures s'approchèrent de lui avec curiosité. L'une d'elle, une femelle semblait-il, posa sa main sur son épaule. L'homme sursauta, et s'enfuit comme il put en hurlant.
Depuis combien de temps se trouvait-il ici ? Se faisant cette réflexion, il réprima avec violence son réflexe de lever les yeux pour regarder le ciel. Il n'y avait pas de soleil, ni de ciel d'ailleurs, donc pas de jours, de nuits, ni de moyens de compter le temps. Il était resté prostré sur cette petit colline des années durant lui semblait-il. A intervalles réguliers, les créatures déposaient des bulbes colorés en bas de la pente, à son intention. Mais il refusait d'y toucher. Comment pouvait-on manger quelque chose qui provenait d'une créature qui n'était ni vraiment animal, ni tout à fait végétal ? D'ailleurs, malgré le temps qui devait bien s'écouler, il n'avait pas faim.
Après s'être calmé, il avait pris le temps d'observer cet endroit : tout y était sacrilège. Les démons aux visages d'enfants et aux pattes de bêtes passaient leur temps à s'amuser en dansant et en sautillant sur ce sol de caoutchouc. Ils chantaient, riaient, et passaient leurs journées (si tant est que l'on puisse appeler ça des journées) dans l'insouciance et la paresse la plus totale. Pour manger ils n'avaient qu'à ramasser les bulbes des fleurs qui venaient le leur offrir d'elles-mêmes. Pour la boisson ils faisaient pareil, suçant les excroissances d'autres fleurs qui se baladaient dans cette immense plaine qui semblait sans fin. Mais le pire, c'est quand il les voyait s'amuser à sauter le plus haut possible en utilisant les rebonds sur sol pour "tomber" dans le paysage qui se trouvait à la place du ciel.
Tout ici lui paraissait fou, insensé et surtout, blasphématoire. Dieu n'avait pas créé le monde ainsi. Dieu avait voulu que les hommes expient leurs fautes par le travail et la souffrance. Qu'ils mènent une vie dure et juste, dépouillée de vices et de péchers. Et surtout, Dieu avait voulu que les hommes soient au-dessus des bêtes, pas qu'ils se mélangent entre eux dans le même corps. S'il était bien mort, alors pourquoi tout ce qu'il voyait ici allait à l'encontre des préceptes de Dieu ? Il avait pensé au départ être aux Enfers, mais dans ce cas, où étaient les âmes torturées, les rivières de laves et de flammes, les souffrances éternelles ? Tout ici n'était qu'amusement et mièvrerie.
— Si ce n'est ni le Paradis, ni l'Enfer, où suis-je alors ? se demanda-t-il pour la centième fois au moins.
Mais une autre question le tourmentait bien plus encore :
« Pourquoi moi ? »
N'avait-il pas été un bon croyant ? N'avait-il pas appliqué à la lettre les préceptes et dogmes qu'on lui avait enseigné ? Avait-il été dans l'erreur ? Son esprit refusait d'envisager cette hypothèse. Il devait y avoir une raison à cette folie. Dieu devait avoir un plan pour lui, mais lequel ...
Un groupe de fleurs à nourriture passa près de lui en jacassant. Sans se lever afin de ne pas risquer d'être encore une fois déséquilibré, il se mit à faire des grands gestes en poussant des cris afin de les effrayer. Les fleurs s'enfuirent bien vite en émettant des petits cris apeurés.
« Fichus monstres, ne peuvent-elles pas pousser normalement et en silence ! Les plantes sont faites pour rester immobiles en attendant qu'on les cueille ! »
Mais tandis que le "troupeau" s'éloignait, une fleur isolée s'approcha de lui. Il répéta son manège, mais elle ne s'enfuit pas comme les autres.
— Que veux-tu, abomination ? lui lança-t-il avec humeur.
En réponse elle ouvrit ses pétales et lui présenta son bulbe, attendant qu'il le cueille.
— N'essaie pas de me tenter créature, je ne mangerai ni ne boirait rien de ce que vous me présenterez.
La plante courba légèrement et referma ses pétales. L'homme resta quelques instants sans voix devant cette apparente compréhension de la chose.
— Tu ... tu comprends ce que je dis ? osa-t-il demander au bout d'un moment.
La fleur se redressa et ouvrit de nouveau ses pétales pour les refermer.
— ... Ouvre une fois pour oui, deux fois pour non. Tu me comprends ?
Elle ouvrit puis referma ses pétales.
Un frisson lui parcourut l'échine. Cette ... chose le comprenait et essayait de communiquer.
— Es-tu une plante ?
Elle ouvrit, ferma, puis rouvrit et referma de nouveau sa corolle.
— Non donc. Es-tu un animal alors ?
Il n'en revenait pas de poser cette question. La chose lui répondit que non.
— Mais qu'es-tu à la fin ? Et où sommes-nous ! Pourquoi me faire subir tout ça ?
Il s'énerva tout en gesticulant dans tous les sens. La fleur recula, apeurée par cet accès d'humeur. Puis quand il se fut un peu calmé, elle se rapprocha et attendit.
— Que me veux-tu ? lui demanda-t-il abruptement. Cela ne te suffit pas de me voir ainsi souffrir, alors que je n'ai rien fais ?
La chose balança sa corolle de gauche à droite plusieurs fois.
— Tu ne comprends pas n'est-ce pas ? Sais-tu au moins ce qu'est la souffrance ?
Elle lui répondit que non. Cela le déconcerta. Il tenta de lui expliquer :
— La douleur, c'est le moyen par lequel Dieu nous montre le chemin de la vérité.
A nouveau la fleur se balança, lui montrant qu'elle ne comprenait pas.
— Tu ... Tu ne connais pas Dieu ?
Non, lui fit la chose. A ce moment, tout devint clair dans son esprit. Il comprenait tout : pourquoi il était là et quelle était sa mission. Dieu ne l'avait pas puni, ni abandonné, il lui offrait une chance de prouver sa foi et son dévouement !
L'homme regarda à nouveau l'étrange fleur aux milles couleurs, puis ses yeux se portèrent sur un groupe de chimères qui étaient en train de chahuter un peu plus loin.
— Que ta volonté soit faite, murmura-t-il.
*
Eeertz se demandait pour la millième fois ce qu'il avait bien pu faire pour mériter un poste aussi barbant. Il se gratta énergiquement le nombril, puis ramena ses grandes pattes derrière sa tête. Il était au beau milieu d'un long soupir d'ennui lorsque quelqu'un frappa à sa porte.
— Wai ? Qu'est-ce que c'est ?
Celle-ci s'ouvrit sur un petit être violacé et écailleux, qui tremblait beaucoup. Un subalterne, sans aucun doute. Il n'avait pas apprit les noms des êtres qui lui étaient inférieurs.
— Quoi ? finit-il par lancer, voyant que l'autre n'osait pas parler.
— Heu ... Monsieur ... on a un problème. Un gros problème.
Arquant l'un de ses trois sourcils, Eeertz émit un « Hum ? » en guise de question.
— Et bien il se trouve que suite à la grève de ces derniers mois dernier, certains employés on saboter la répartition en guise de mécontentement et que quelqu'un a été placé au mauvais endroit.
Un mauvais placement ? Bien que rare, ça n'était pas la première fois que cela arrivait. Il se demandait ce qui pouvait bien mettre ce sous-fifre dans cet état.
— Et alors ? Remettez-le à sa place et c'est tout !
La créature lui faisant face émit un reniflement sonore, signe de son malaise sans doute.
— Et bien , c'est-à-dire que ... Vous devriez venir voir ...
« Hum, bon au moins ça me changera » se dit-il en levant son énorme derrière.
Dessinant une porte dans l'air avec sa griffe, l'écailleux passa devant et il dut s'accroupir en pestant pour le suivre dans le trou ainsi créé, trop bas pour lui.
« Voyons, c'est lequel celui-là ... » se demanda-t-il tout en observant autour de lui. Sa réflexion fut stoppée net par des cris déchirants qui s'élevaient tout autour de lui. Il vit que ces cris provenaient de plusieurs dizaines d'êtres dont les membres inférieurs avaient été arrachés ou cassés. Tournant leurs pétales vers eux, les pauvres créatures semblaient les supplier de faire quelque chose.
— Mais bordel qu'est-ce qui se passe ici ? s'exclama le géant en se grattant la corne qu'il avait sur le front.
— Heu ... suivez-moi Monsieur ...
Ils avancèrent ainsi péniblement dans un paysage de cauchemar où les cris augmentaient au fur et à mesure qu'ils avançaient. Tout autour d'eux ainsi qu'au-dessus se tenaient des dizaines et des dizaines de ces créatures qui gémissaient sans plus pouvoir se déplacer suite à la mutilation sauvage de leurs membres. Certains étaient plus tassés, plus touffus ou plus grands, mais globalement ils avaient tous subit le même sort.
Avançant difficilement sur ce sol élastique, ils arrivèrent enfin devant une assemblée d'êtres recouverts de fourrure jusqu'à la taille qui se tenaient sagement assis en silence, entourant un personnage étrange. En s'approchant ils virent que leur fourrure était arrachée à beaucoup d'endroits, comme si ils avaient essayé de mettre leur peau à nu. Plus grand qu'eux et ne portant pas de fourrure mais des bouts de tissus, l'orateur s'adressait à la foule avec verve en leur déclamant un discours ponctués de grands gestes :
— Nous voici, outragés par nos voisins, la moquerie et la risée de ceux qui nous entourent. Jusqu'où ira, Seigneur, cette colère qui n'en finit pas, cette jalousie qui brûle comme un feu? Répands ta fureur sur les nations qui t'ignorent, sur les royaumes qui n'invoquent pas ton nom, car ils ont mangé Jacob, ravagé son domaine ...
Pour le moment il leur tournait le dos, s'adressant aux êtres qui se trouvaient en face d'eux.
— Mais qu'est ce qu'il fait ? demanda Eeertz, stupéfait par ce spectacle.
— Et bien il semblerait que ... commença à lui répondre son subalterne.
— VOUS ! s'exclama l'homme en les pointant du doigt.
Les deux créatures se figèrent. L'être qui les avait interpelé avait les yeux fous, et au vu de ce qu'il avait fait aux pauvres bêtes qu'ils avaient vu en venant ici, ils savaient qu'il était dangereux.
— Vous êtes une autre épreuve envoyée par Dieu !
Tout deux se regardèrent, incrédules.
— Je relèverai tous tes défis, ô Seigneur, pour te prouver que je suis digne de ton attention !
Il avait levé les bras en l'air et fermé les yeux. Encore une fois ils ne surent comment réagir. Après tout, ils n'étaient pas payer pour ça ...
— Hum, bien. Monsieur ? Il semblerait qu'il y ait eu une erreur lors de votre affectation suite à votre décès. Veuillez nous suivre ...
— Monstruosité ! éclata l'orateur. Le langage humain ne doit pas sortir de ta bouche impie ! Conduis-toi comme le démon que tu es et cesse tes paroles !
« C'est ça ! Un humain ! Je me disait bien que j'en avais déjà vu »
— Hum, bien , Monsieur l'humain, vous allez nous suivre sans faire d'histoire.
L'homme s'étrangla de rage, ses yeux roulants comme des billes.
— Mes enfants ! Saisissez-vous de ces abominations ! Elles recevront le châtiment divin !
Eeertz se tourna vers son sous-fifre, mais il vit qu'il avait déjà disparu.
« Lâche ! » pensa-t-il avant de se rendre compte que l'assemblée s'était levée et se dirigeait vers lui. Il n'eut pas le temps de réagir car en deux rebonds les créatures furent sur lui. Il eut juste le temps de se demander pour la mille et unième fois ce qu'il avait bien pu faire pour mériter ce poste, avant que les êtres déchaînés n'essayent de lui arracher sa corne sur l'injonction de l'humain hystérique.
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