
Pretty Young Thing
CHAPITRE 1
Mes parents ont décidé de m'appeler Fleur. C'est joli, frais, original et sans prétention. C'était parfait pour moi. Fleur. Décidément, ça m'allait bien.
Ma mère était fleuriste, et mon père parfumeur. Une petite fleur, c'est tout ce qu'ils avaient souhaité. Une beauté fragile et un parfum délicieux. Ça leur convenait.
J'ai été une petite fille adorable : souriante, jolie, un teint de rose, conforme aux souhaits de mes parents. Jusque-là, tout allait bien. Je respectais ma part du marché. Mes parents étaient heureux : une petite fille sage, docile et qui faisait ce qu'on lui demandait. Aucune crise d'adolescence au collège. Des notes excellentes, un brevet avec la mention très bien. C'était parfait. Mes parents ont vite déchanté : ils espéraient de moi que je partage leur passion pour les fleurs, les plantes et leurs parfums envoûtants. Ça m'intéressait, mais sans plus. Oui, le lilas sentait bon, d'accord, j'adorais la vanille, mais c'est tout. Ça s'arrêtait là.
Mes parents étaient furieux. Ils ont toujours eu une mentalité particulière. Ma mère, surtout. Elle s'obstinait à chercher la faille en chaque personne qu'elle rencontrait, et depuis qu'elle avait trouvé la mienne, elle m'en faisait voir de toutes les couleurs. Mon père se contentait de me regarder de loin, comme si j'avais tellement changé que je ne méritais plus son attention. Si j'avais été parfaite, à présent, je ne l'étais plus. J'étais une fleur, et ils en voyaient enfin les épines. Je préférais les mathématiques compliquées, l'économie, les sciences sociales et politiques. J'étais au lycée, et, enfin, je me rebellais. Les conséquences importaient peu.
Plus tard, j'ai intégré une grande école. J'ai fait des études à l'étranger, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Voyager m'a énormément plu. Mes parents étaient vraiment un poids pour moi, et les quitter se révélait être un soulagement. Je soufflais enfin, et je découvrais le véritable sens du mot "liberté". C'était grisant et addictif. Je rencontrais des personnes fantastiques, je faisais ce qui me plaisait, et travailler dur devenait un plaisir pour moi. On m'avait tellement empêché d'être la personne que j'avais choisi de devenir. J'étais enfin émancipée et heureuse. Enfin presque.
La France me manquait. Certains jours, j'aurais fait n'importe quoi pour retourner chez moi. Je me surprenais à penser que mes parents me manquaient. Je leur manquais peut-être, mais ils n'en laissaient rien paraître. Ils communiquaient avec moi le moins possible. J'avais l'impression de ne plus être leur fille. Je me pensais invincible, alors que j'étais vulnérable. Je ne pouvais plus rester loin d'eux.
Un soir, désespérée par mon mal du pays, je m'étais réfugiée dans un bar, comme la pathétique jeune femme que j'étais. Quelle originalité ! Je n'étais jamais entrée dans un bar en France, et pourtant au Canada j'y attendais un quelconque réconfort. J'étais tellement plongée dans mes idées noires, attablée en face d'un cocktail, que je remarquais à peine l'homme qui s'avançait devant moi. Il était jeune et souriant. Son prénom sonnait comme une caresse sur mes pleurs d'enfant mal aimée.
Raphaël.
Il m'a plu instantanément. Il m'a raconté qu'il m'avait vue seule à ma table en train de sangloter et qu'il s'était demandé ce qui pouvait faire pleurer une jeune femme aussi belle que moi dans une ville aussi splendide que Montréal. Je lui avais parlé de la France qui me manquait horriblement, de mon conflit avec mes parents et de mon besoin d'avancer. Raphaël aussi était français. Il avait monté une start-up aux États-Unis qui commençait à grandir et à amasser un chiffre d'affaires de plus en plus important. C'est en plongeant mes yeux dans les siens que j'ai compris que tout était possible. C'est en sortant avec lui que j'ai pris goût à la vie. Nous avons acheté ensemble un appartement à Montréal, que nous avons vendu quelques années après : la France nous manquait trop.
Nous sommes revenus en France, pour mon plus grand plaisir. Lorsque j'ai revu la Tour Eiffel pour la première fois, j'ai pleuré. Un cliché ? Non, je ne pense pas. À ce moment-là, Raphaël, agenouillé devant moi, me faisait sa demande en mariage. J'ai accepté, folle de joie. Mon bonheur était presque complet.
Quand j'ai voulu reprendre contact avec mes parents, ils étaient furieux. J'avais, selon eux, gâché plusieurs années de ma vie pour parcourir le monde, pauvre gamine paumée que j'étais, alors qu'un avenir m'attendait chez moi. C'était trop tard, je ne serais jamais rien et je n'aurais jamais aucun métier. J'étais dévastée, persuadée qu'ils m'accueilleraient à bras ouverts. Raphaël m'a soutenue. Il leur a expliqué que j'avais fait des études prestigieuses aux quatre coins du monde, que voyager m'avait profondément enrichie et qu'un avenir brillant s'offrait à moi. Avec les diplômes que je possédais, je n'avais qu'à présenter mon CV dans n'importe quelle entreprise pour avoir le métier qui me plaisait avec un salaire adapté à mes compétences. De plus, nous allions nous marier, et Raphaël était loin d'être pauvre. Mes parents crurent qu'ils s'agissait d'un mariage d'intérêt, bien que ce ne fut pas le cas, et acceptèrent dans la minute qui suivit le monologue de mon cher et tendre.
Trois ans plus tard, j'étais la femme la plus heureuse du monde. Raphaël et moi étions mariés et venions d'avoir un enfant, Eliott. Il avait les cheveux blonds de son père et avait hérité de mes yeux verts. Pour ajouter à la perfection, j'étais à la tête de ma propre entreprise et de 2000 employés, et ce, en trois ans. C'était sensationnel. Si le bonheur est un océan, alors je me noyais littéralement. J'étais enfin comblée, et pourtant je n'étais ni fleuriste, ni parfumeur. J'étais moi.
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