CHAPITRE 17

Jules

Après une journée de travail au laboratoire, Monsieur Lecomte m'invite à boire un café avant de repartir. J'aime beaucoup travailler avec lui sur l'élaboration du parfum Fleur. Pour l'instant, nous en sommes uniquement au stade de la recherche des composants afin d'obtenir l'effet escompté. Nous voudrions réaliser un parfum qui change de fragrance selon ce sur quoi il est déposé : de la peau, une étoffe... Les possibilités sont multiples, c'est pourquoi il faut que Fleur s'adapte à toutes les matières. Me concentrer sur cette myriade de possibilités infinies et sur ce qu'il faudrait réaliser comme manipulations pour les obtenir me permet de penser à autre chose qu'à Fleur. Elle m'a dit en partant qu'elle serait très occupée par son nouveau travail, et qu'elle utiliserait son temps libre pour essayer de rencontrer son fils. De belles occupations, si ce n'est que depuis son départ elle ne m'a envoyé que quelques messages, dans lesquels je ne retrouve aucune trace de la douceur de ses baisers. Son sourire malicieux me manque, sa petite main chaude dans la mienne et son obstination à vouloir aller au bout des choses.

Installé sur la terrasse de la maison des parents de Fleur, je pense à la semaine précédente. Ça a été, je crois, la plus belle semaine de ma vie. Dire que la première chose que j'ai fait a été de lui proposer une partie de badminton. Mais quel gamin ! Heureusement que Fleur l'a bien pris. C'était vraiment sympa. J'espère la revoir bientôt. Je comprends qu'elle ait besoin de temps. Notre relation a très vite évolué, nous étions presque toujours ensemble pendant une semaine. Une coupure peut nous faire du bien à tous les deux. À elle pour reprendre le fil de sa vie quotidienne, et à moi pour réfléchir. Ça m'a touché que Fleur se confie à moi par rapport à sa vie d'avant et à son homicide involontaire. Elle a du mal à vivre avec. Sa fragilité me donne envie de la serrer dans mes bras pour la protéger.

Monsieur Lecomte me rejoint sur la terrasse avec deux tasses de café qu'il pose sur la table, avant de prendre une chaise pour s'asseoir. On voit au loin le soleil se coucher derrière la forêt domaniale, avec ses nuances de rose, d'orange et de bleu. C'est magnifique. Je prends une photo avec mon portable pour l'envoyer à Fleur plus tard.

Je remercie Monsieur Lecomte pour le café, et nous discutons à propos de la journée de travail. Je n'arrête pas de penser à Fleur, alors j'abrège la conversation pour demander, tout à trac.

- Est-ce que je peux vous poser une question personnelle s'il vous plaît ? Vous n'êtes pas obligé de répondre, si vous ne voulez pas.

- Allez-y, de toute façon, vous n'avez rien à perdre, m'encourage Monsieur Lecomte.

- Comment allait Fleur après la mort de Gabrielle ? Qu'est-ce qu'il s'est passé pour elle ?

Mon supérieur hiérarchique prend une longue inspiration. Je ne m'attends pas à ce qu'il me réponde, cependant il m'explique.

- Fleur était traumatisée. Lorsque nous l'avons revue après l'accident, ma femme et moi, elle était dans un coma profond à l'hôpital. Elle n'était pas consciente, alors elle a échappé au procès, à l'avocat, aux unes des journaux avec son visage flouté, aux remarques des gens. Plus personne ne la voyait comme avant, alors qu'il s'agissait d'un accident. Ma femme est restée à l'hôpital auprès d'elle tandis que je me suis occupé de prouver l'innocence de Fleur. Fleur ne se souvient de rien. Elle avait dix-sept ans, pas beaucoup plus. Quand elle s'est réveillée, elle a difficilement fini sa scolarité au lycée et elle a voulu partir. Ma femme et moi ne savions pas comment nous comporter avec elle, Fleur ne voulait pas nous parler de la classe de neige. Nous ne comprenions pas qu'elle l'avait tout simplement oubliée. Elle a senti notre "malaise" et a cru que nous ne l'aimions plus, que nous n'osions plus l'aimer. Alors elle est partie aux États-Unis, en Australie et au Canada et n'est revenue que quelques années plus tard avec Raphaël.

- Elle ne s'est jamais remise de cette histoire, n'est-ce pas ?

- Jamais, confirme Monsieur Lecomte. Vous connaissez le mythe de Caïn, Jules ?

- Non, Monsieur.

- Selon le Livre de la Genèse, il s'agit du fils aîné d'Adam et Ève. C'est le premier meurtrier de l'humanité, il a créé le meurtre. Caïn a tué son frère Abel, puis, selon les textes, il a été exilé par Dieu. J'aime beaucoup le texte que Victor Hugo a écrit à ce sujet. Abel s'enfuyait avec toute sa famille, mais il voyait toujours l'œil de Dieu planer au-dessus de lui. Et il se sentait horriblement mal, parce qu'il avait créé le meurtre et ne pouvait pas être jugé. Il ne pouvait pas vivre avec l'idée du meurtre, ça le dévorait littéralement. Fleur est un peu comme ça. Elle s'est mis en tête que tout était de sa faute, et elle ne peut plus vivre. Elle n'arrive pas à s'en défaire. Fleur s'accuse encore et encore, elle ressasse les évènements. Maintenant, elle essaye de s'en défaire. Elle n'y parvient pas, mais à présent elle a un but dans la vie et ça l'aide à avancer.

- Elle a cette volonté farouche de changer les choses, à commencer par sa propre vie. On croirait qu'elle est prête à tout pour changer le monde, et je trouve ça formidable. Elle m'émerveille, avoué-je en avalant une gorgée de café.

- Elle va s'en sortir. C'est une battante, et quand elle veut quelque chose, elle y arrive, même si ça doit durer des années.

- Vous parlez de son fils ?, hasardé-je.

- Je ne sais pas si je le reverrai un jour, car Raphaël refuse de laisser Fleur le voir. Mais je croise les doigts pour qu'un jour je puisse jouer au foot avec Eliott, comme avant.

Sur ces mots, nous nous taisons et j'envoie la photo du coucher de soleil à Fleur, puis j'ajoute un message pour l'accompagner.

Tu me manques. J'espère que tout se passe bien pour toi et que tu vas bien.
Je t'aime.
Jules

Bonjour tout le monde ! ✋
Exceptionnellement, j'ai publié deux chapitres ce weekend car je risque d'être très occupée par mes devoirs cette semaine. Je passe mon oral blanc du bac de français dans très peu de temps et passerai donc relativement moins de temps sur Wattpad.
Je vous souhaite de joyeuses Pâques et vous dis à bientôt !

Alice 😘💕