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Un recours


Mue par une impulsion soudaine, j'ai pris mon téléphone l'autre soir pour envoyer un message à Kylian. Je ne sais pas ce qu'il m'a pris... Je ne dirais pas que je regrette loin de là, mais je me sens fautive vis-à-vis de Joey sans bien savoir pourquoi. Après tout, Joey et moi ça ressemble plus à une histoire de sexe qu'à un grand mariage, et Kylian ne voit en moi qu'une gamine. De plus, je ne sais pas quand il sera de retour à Dublin. La dernière fois, il m'a dit qu'il serait amené à revenir souvent pour son travail, mais pour ce que j'en sais, il est peut-être déjà revenu plusieurs fois sans forcément me le dire.

Et ce n'est pas parce que son regard vert me trotte sans arrêt dans la tête comme un songe sans fin qu'il en va de même pour lui. Je me sens très bizarre depuis l'autre soir chez Joey. J'ai l'impression d'être tiraillée entre deux côtés.

Un côté où je poursuivrais ma vie de parfaite avocate au sein du cabinet familial, qui fréquenterait Joey, parce que c'est un bon parti et qu'il est charmant. Et un autre côté, où j'ai des pulsions de laisser tomber ma vie trop policée, de reprendre le dessin, de partir loin. Cette dernière idée me fait sourire autant qu'elle me file des sueurs froides. C'est exactement ce qu'avait fait Kylian à l'époque, quitter sa vie. Il semblerait qu'on se ressemble plus ce que je ne crois.

Je me secoue mentalement. Aucune comparaison possible, espèce d'idiote, Kylian venait d'enterrer sa petite fille de vingt et un mois au moment où il avait pété les plombs et tout laissé derrière lui. Rien à voir avec mes caprices de petite fille gâtée. Et pourtant, j'ai l'impression d'avoir deux personnalités et de devoir forcément en tuer une pour faire exister l'autre... Je suis une chimère. Je crois que je suis en train de devenir folle... D'où mon message à Kylian, j'ai envie de le voir, de lui parler.

Mon téléphone vibre et je sursaute. Mes doigts tremblent en déverrouillant l'appareil. Mais ce n'est qu'un message de ma mère me rappelant de venir avec Joey ce dimanche midi. Nausées, nausées... Qu'est ce qui cloche chez moi ? Ce matin, je n'arrive pas à me concentrer. Depuis ma prise de conscience, je me sens complètement perdue. Je sursaute à nouveau lorsque Neal pénètre dans le bureau tel une bourrasque :

- Tu n'as pas l'esprit tranquille Amy, dirait-on.

- Roh, la ferme !

- Et impolie avec ça...

- Si t'es venu juste pour me gâcher la journée, tu peux repartir ! lui rétorqué-je.

- Non ma chère sœur, je voulais te proposer de venir manger à la maison ce soir, Kelly s'est dit que ça faisait un moment qu'on ne s'était pas vus sans les parents. J'ai demandé à Leagh de venir aussi, mais tu la connais, elle ne sait pas encore ce qu'elle a prévu.

- Oh.... Oh, ok excuse-moi, je suis sur les nerfs en ce moment, je ne sais pas pourquoi.

- Tu bosses trop Amy, ça te fera du bien une soirée tranquille pour une fois.

Il n'a pas tort, je dois vraiment songer à faire autre chose que juste, travailler, travailler, travailler. Ma fatigue explique peut-être aussi mon manque de motivation actuel ? Neal s'assoit sur le rebord du bureau, farfouillant mes piles de dossier. Il tombe sur le dossier jaune. Le nom de Drissa est noté dans le coin à droite et mon cœur se serre rien qu'à sa vue.

- Ce n'est pas le dossier de ton demandeur d'asile ça ? Tu as demandé un recours suite au rejet de sa demande?

Je le regarde, les yeux écarquillés. Un recours? Dans ma détresse post audience de l'autre jour, je n'ai carrément pas pensé à demander un recours! Mais qu'est ce qui ne tourne pas rond chez moi ?! Je me lève brusquement de ma chaise et attrape ma veste, je sors du bureau en courant devant le regard médusé de mon frère.

- Amy ?! On compte sur toi pour ce soir ? crie-t-il dans mon dos.

- Oui, oui !!! Merci Neal !!

Je sors du cabinet et m'engouffre dans le premier taxi qui me passe devant. Je cherche l'adresse du centre d'accueil sur mon portable et l'indique au chauffeur. Mon cerveau tourne à plein régime. J'espère juste qu'il n'est pas trop tard, que Drissa n'a pas déjà été renvoyé dans son pays. A mesure que le taxi traverse la ville, j'échafaude mille théories. Je repasse mentalement le déroulé de l'audience, cherche à me remémorer où j'ai péché, ce qui aurait pu faire pencher la balance en sa faveur. Je donne les quinze livres que coutent la course au chauffeur et monte quatre à quatre les marches de cet immeuble sinistre.

J'ai le souffle court alors que je m'adresse à la personne de l'accueil et m'enquière si Drissa est encore ici. Le temps semble durer des heures alors qu'elle consulte le registre devant elle, des heures avant qu'elle m'apporte une réponse positive. Je soupire de soulagement, tout n'est pas perdu. Je monte les escaliers rapidement et je tape à la porte indiquée.

La porte s'ouvre sur le regard vide et le visage cuivré de mon petit protégé. L'expression qui s'affiche sur ses traits me redonne la force qui me manquait. Je jurerai y avoir perçu une lueur d'espoir et c'est tout ce qu'il me manquait pour me jeter à nouveau dans la bataille. Totalement improfessionnelle, je le prends dans mes bras. Son petit corps frêle se détend contre moi.

Je lui prends les mains et nous nous asseyons sur le lit. Il me regarde à présent de ses grands yeux couleur ébène, intrigué au moins autant que moi de ma présence ici. Je n'avais plus pensé au problème de traduction, nous tentons tant bien que mal de communiquer par gestes. Je comprends qu'il doit être expatrié en fin de semaine. A moi de monter un dossier de recours solide pour lui donner sa chance de rester. Je l'ai abandonné une fois, ça me tuerait de le faire une deuxième fois.

Il est déjà tard lorsque je sors du bâtiment, et j'ai déjà mon plan d'action en tête. Coûte que coûte, Drissa, tu resteras ! Je me sens reboostée à bloc ! Bien sûr que le métier d'avocate est ma vocation, comment ai-je pu penser une minute tout laisser tomber ! Je passe par le drugstore pour acheter un pack de bières et hèle un taxi pour la deuxième fois de la journée afin de me rendre chez Neal et Kelly.


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Merci pour vos lectures et commentaires qui m'ont beaucoup touchée... Du coup, un petit chapitre bonus en ce milieu de semaine. Le prochain ce week-end!

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