Tempête
Je suis noyée la tête dans mes dossiers ce matin, et pourtant, je n'arrive pas à me concentrer. Je me suis levée avec cette sensation de pesanteur qui me devient habituelle et sans entrain. Mon cœur n'est pas au travail et mes pensées, encore moins.
Hier, Joey est passé me prendre chez moi pour se rendre au sempiternel déjeuner dominical chez mes parents. Il commence à se faire une place au sein de ma famille et semble de plus en plus à l'aise. Cela fait déjà plusieurs fois qu'il partage notre table et je dois avouer que j'aime bien l'avoir avec moi, comme un chevalier servant qui servirait de bouclier entre les miens et moi. A priori, sa mère souhaiterait aussi me rencontrer, il va bien falloir que ça arrive un jour, même si cette pensée est loin de me réjouir.
Il y a quand même un bémol. Je n'ai pas parlé à Joey de ma soirée au concert de samedi. Il était de garde et je ne lui conte pas non plus chacun de mes faits et gestes, mais ça ne me semble pas très honnête de lui cacher que j'ai invité Kylian chez moi. Je n'ai pourtant rien à me reprocher, je ne sais pas pourquoi je ne l'ai pas mentionné?
Joey a été adorable toute la journée, me reparlant de mon projet de partir ensemble pour Boxing Day. Malgré beaucoup d'hésitations, il est finalement partant. Il a demandé quelques jours à son supérieur et attend la réponse. Sa décision, qui aurait dû m'enthousiasmer il y a encore quelques jours, m'a laissée indifférente. Qu'est ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Je sais qu'être loin de sa famille pour Noël représente un effort pour lui et qu'il fait vraiment çà pour me plaire. Je devrais me réjouir.
Bon, il y a quand même du positif là-dedans. J'avoue que j'ai adoré voir la tête mi-figue mi-raisin de ma mère à notre annonce. Elle était clairement partagée entre le choc de mon abandon pour les fêtes et l'hystérie joyeuse devant la tournure que prend ma relation avec le beau chirurgien.
Mon père pénètre d'un pas rageur dans mon bureau, rompant ainsi ma bulle de pensées :
― Amy ! tonne-t-il.
Je reste pétrifiée par le ton de sa voix qui n'annonce rien de bon. Je me recroqueville instinctivement sur ma chaise, attendant ma sentence.
― Je viens d'avoir M. Gallagher au téléphone, et il m'apprend que tu n'as pas envoyé tes conclusions ??!!
Je retiens mon souffle, mortifiée... En effet, la date butoir pour l'appel était en fin de semaine dernière... Sauf que j'ai complètement zappé. Entre mon craquage au repas chez Neal et Kelly et la réception du message de Kylian m'invitant à sortir, le travail est passé en place secondaire. Je n'ai aucune excuse.
J'observe mon père à mesure que la tempête de reproches s'abat sur moi. Je baisse la tête, je sais que cela ne sert à rien d'argumenter. Juste attendre que l'orage passe. Et respirer... Je vois la scène comme au ralenti et sans le son. Les bras de mon père, le bâtonnier, gesticulent en tous sens, son visage rouge vocifère des mots devenus silencieux. Enfin, il sort, non sans avoir claqué la porte et fait vibrer tous les murs. Un soupir s'échappe de mes lèvres.
Je ne vais pas pouvoir rattraper mon erreur. Mon père a bien insisté sur le fait que l'honneur et la réputation du cabinet était en cause. Je suis une bonne à rien. Un liquide amer et empoisonné coule dans ma gorge, se répand dans tout mon corps.
Alors, pour la deuxième fois en trop peu de temps, je prends ma veste et quitte mon poste de travail en pleine journée. J'ai besoin de respirer. J'erre un moment dans les rues familières de Dublin, transie de froid, sans but. Je finis par prendre le tram qui me dépose au centre-ville. J'atterris dans un salon de thé, une tasse de breuvage fumant à la main et un énorme muffin chocolat banane dans une assiette en face de moi. Ma mère ferait une syncope pour ma ligne.
L'atmosphère feutrée du salon et la chaleur de ma boisson me font du bien. Un groupe de mamans discutent à la table à côté de la mienne pendant que leur enfant babille sur leurs genoux, essayant d'attraper tout ce qui se trouve à leur portée.
Mon portable vibre et je le prends machinalement. Kylian vient de m'envoyer une vidéo. Mon cœur s'accélère. Je reconnais le titre de la ballade que j'avais tant aimé au concert, il y a deux jours. Dieu que ça me semble loin déjà ! Je fouille dans mon sac à la recherche d'écouteurs, que je finis par trouver au milieu d'un tas d'autres objets insolites. A mesure que j'écoute cette magnifique chanson, ma main griffonne un dessin sur ma serviette en papier et mon esprit s'apaise quelque peu.
Je commence à me sentir un peu mieux. Je regarde l'heure sur mon téléphone et prends ma veste, enfonce mon bonnet. Après avoir réglé mes consommations, je ressors dans le froid de novembre. Je ne suis pas très loin de ma destination. Le long bâtiment de briques rouges est toujours familier, malgré le fait que je ne m'y sois pas rendu depuis plusieurs années à présent. Lundi fin de matinée, je ne sais pas s'il y aura beaucoup de monde présent. Lorsque que j'entre, un parfum familier arrive à mes narines et je prends une grande bouffée de cette odeur. J'ai l'impression d'être un poisson qu'on aurait replongé dans l'eau fraiche. Un sourire monte à mes lèvres malgré moi. Je détonne un peu dans les lieux avec mon tailleur ajusté et mon chignon serré.
― Bonjour, je peux vous renseigner ? me demande un jeune homme à l'accueil.
― Je passais juste dans le coin, j'ai eu envie de venir voir...
― Vous voulez prendre des cours ? me demande l'étudiant.
― Non, non... enfin... non je suppose...
Le jeune homme me dévisage de ses yeux noisette, je dois avoir l'air bête plantée comme ça. Je me racle la gorge :
― Le professeur Georges est-il là ?
La bouche du garçon s'élargit dans un sourire, montrant à quel point ce vieux professeur d'art est apprécié.
― Oui, vous le connaissez ? Il est en plein cours particulier en ce moment, vous voulez attendre ?
― Non... non... C'est gentil. Dites-lui Juste qu'Amy O'Donnel lui passe le bonjour s'il vous plait.
Je suis en train de limite fuir, à reculons, je sors telle une voleuse, non sans avoir respiré une dernière fois l'odeur de la peinture et des crayons si particulière du « Drawing Studio ». Mon cœur bat la chamade, c'est n'importe quoi !
Mon téléphone qui vibre dans la poche de ma veste me fait sursauter, je l'attrape automatiquement et décroche. La voix de Neal résonne à mon oreille :
― Amy, papa a arrangé le coup avec le Tribunal, si tu déposes tes conclusions demain matin première heure, c'est encore jouable.
― Ok, merci Neal... A demain.
― Ça va Amy?
― Oui, oui, ne t'en fais pas, je m'en occupe...
Je raccroche et reprend à contre cœur le chemin du retour vers mon appartement. Je sais à présent quoi seront consacrées ma soirée et ma nuit.
******
Désolée pour mes lecteurs qui s'attendaient peut être à de la romance dans ce chapitre...
Notre petite Amy semble complètement perdue, j'ai presque envie de lui faire un câlin, pas vous?
Prochain chapitre mercredi!!
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