Réconfort
A présent que je suis dans sa chambre d'hôtel, je me demande ce qui a bien pu me prendre. Kylian me regarde sans rien dire. Il a eu l'air surpris de me trouver devant sa porte sans prévenir. J'ai les yeux rouges d'avoir pleuré plus tôt, mes cheveux partent dans tous les sens. Je décide de les laisser lâchés. La pression est toutefois un peu redescendue.
― Et si tu t'asseyais ? propose-t-il en m'indiquant le fauteuil recouvert de tissu rayé dans le coin de la pièce.
J'obtempère et me laisse tomber, comme si le poids du monde était sur mes épaules. Il farfouille dans le mini bar sous le bureau et en sort deux mignonettes de vodka et un paquet de cacahuètes. J'attrape une des deux mini bouteilles, l'ouvre et en prend une énorme rasade.
― Tant que ça ? dit-il.
― Je me suis engueulée avec mon père... Mais c'est aussi mon patron... Je suis partie, tu te rends compte ?! Je lui ai répondu comme je n'ai jamais osé le faire.
Au souvenir de la scène vécue précédemment avec mon père, je suis mortifiée.
― J'étais complètement retournée par les confidences de Drissa. C'est mon demandeur d'asile, j'ai gagné l'audience ce matin. Tu te rends compte ? Il va pouvoir rester ici. Je suis tellement soulagée mais il m'a raconté son histoire, elle est terrible... Ça m'a retournée. J'ai envie de l'aider mais je ne sais pas comment. Puis quand mon père m'a fait comprendre que j'avais pris du retard sur d'autres dossiers, que j'étais nulle, ça m'a révoltée.
Je continue de parler, sans discontinuer, mes pensées s'entremêlant entre elles, un sentiment en entrainant un autre. Kylian ne doit rien comprendre, pourtant il m'écoute sans m'interrompre.
― Toutes façons, je suis nulle en ce moment, je n'arrive pas à prendre mes distances avec le travail. Je suis peut être surmenée ? Oui, ça doit être ca... Je ne vois pas d'autres explications. Je n'ai plus envie de travailler. En fait, j'aurai envie de voyager et de dessiner, non mais n'importe quoi ! On ne peut pas vivre d'amour et d'eau fraiche ! L'amour tiens parlons-en de ca aussi... Je n'ai pas la case activée chez moi ! Je suis avec un super mec et pourtant, je n'arrive pas à m'attacher. Les câlins et la rigolade c'est sympa, mais si je pense à m'engager, là j'ai carrément des angoisses incontrôlées... Qu'est ce qui cloche chez moi ? Et puis...
Je prends ma tête entre mes mains.
― Et puis quoi Amy ? demande Kylian doucement.
Je reprends une rasade de vodka.
― Jenaipasenviedetremaman.
― Comment?
De grosses larmes coulent sur mes joues car je n'ai jamais avoué ca à personne, peut-être pas même à moi-même.
― Je n'ai pas envie d'être maman Kylian, enfin je ne crois pas.... Je ne suis pas une vraie femme, si je ne veux pas d'enfants?
Kylian vient près de moi et me relève la tête doucement.
― Et ça serait quoi pour toi, « une vraie femme » ?
― Je ne sais pas, je renifle, déjà quelqu'un qui aurait envie de se reproduire... Qui voudrait se marier. Qui aimerait la décoration, qui saurait faire un nid douillet et préparer de bons petits plats pour sa famille. Mais aussi, qui aurait une carrière professionnelle digne de ce nom. Quelqu'un dont le chignon tient la route, qui serait belle et polie.
― Ecoute, je ne sais pas d'où sort ta description d'être une vraie femme, si ce n'est peut-être d'un manuel de la parfaite femme des années cinquante. Laisse-moi te dire qu'il y a autant de manière d'être une femme que de femmes sur cette planète. Pas besoin d'être mère si tu n'en ressens pas l'envie, il n'y a aucune obligation Amy.
Je renifle de manière tout à fait inélégante. Kylian me retend la mignonette de vodka et je la porte à mes lèvres pour une gorgée supplémentaire...
― Tu dois me trouver pathétique non ?
― Pas du tout. En face de moi se tient une vraie femme, Amy. Une. Vraie. Femme, dit-il en détachant des mots.
Un rire s'étrangle dans ma gorge, surement parce que je suis gênée par la manière dont il me dévisage, par sa proximité et par les mots qu'il vient de prononcer. Je suis surement un peu ivre également. Kylian ne parle pas beaucoup, mais on peut dire que quand il le fait, ses mots mettent KO.
Il recule et s'assoit sur le lit, face à moi, ce qui me laisse un vide immédiat. Ses yeux restent cependant rivés aux miens. Je suis complètement déboussolée par la situation, par mes confidences et par la tournure intime que notre conversation a prise subitement. Quelque chose me dit que je ferai mieux de partir. Pour masquer mon trouble, je me remets à débiter.
― Mais quand même, ne pas vouloir d'enfants c'est horrible non ? J'y pense de plus en plus en ce moment. Je sais que c'est quelque chose que l'on va attendre de moi. Si ma relation devient plus sérieuse avec Joey, il va vouloir me sortir le grand plan : mariage, maison, enfants. Et ça me file des sueurs froides... Je me sens piégée dans un rôle qui ne me convient pas.
― Et du coup, tu as décidé de te mettre à boire ?
― Dis donc ! je m'insurge, c'est toi qui essaie de me souler depuis que je suis arrivée ici !
Je commence à me détendre un peu, l'alcool aidant surement. Mes pensées restent floues mais je ressens également un soulagement en moi, surement grâce aux mots de Kylian. Je lui ai avoué mes pires secrets et il n'a pas fui. Il n'a pas l'air de penser que je sois folle. Je l'observe et une pensée me revient.
― Au fait, puisqu'on en est aux confidences, c'est quoi que tu essayes de me dire depuis le pub l'autre fois ?
― Comment ça ?
― Je ne sais pas, j'ai eu cette sensation que tu voulais me dire quelque chose. Tu te souviens, à l'arrêt de tram, puis l'autre soir chez moi, après le concert. Je me trompe?
― Tu ne te trompes pas.
― ...
― Merci, dit-il doucement. Juste merci. C'est ça que j'ai envie de te dire.
L'intensité de son regard me trouble beaucoup trop. Je ne comprends pas où il veut en venir. Peut-être à cause de l'alcool qui coule à présent dans mes veines, j'ai la tête qui tourne. Je me laisse aller contre le fauteuil.
― Merci pour quelle raison ?
― Je connais une personne, une gamine à l'époque je dirais, qui m'a aidé à revivre au moment où j'en avais le plus besoin dans ma vie. C'est toi Amy. Toi qui m'as aidé à sortir de la situation de deuil et de dépression où je m'étais enfoncé au décès de ma fille Stella. Je me sentais mort. Je ne sais pas comment tu as fait, mais tu m'as transmis ta joie de vivre, tu m'as réveillé.
Son regard est à présent rivé à sa main dont il masse le tatouage en étoile à mesure qu'il me parle. Les mots qu'il prononce font étrangement écho à ce que je ressens en ce moment. Et ça, c'est très troublant. Moi aussi, je me suis sentie plus vivante au moment où il a ressurgit dans ma vie. Je me suis rendue compte à quel point je m'étais éloignée de moi-même en trois ans. Je me mets à rire.
― Alors comme ça on est quittes !
― Je ne comprends pas ?
― Disons que toi aussi tu m'as aidé à réaliser certaines choses récemment.
Il me sourit et son sourire me réchauffe. Je me lève et attrape la guitare posée dans un coin de sa chambre.
― Tu me joues un truc ? je demande.
Il prend l'instrument et commence à gratter les cordes. Je m'enfonce dans le fauteuil et ressens un bien-être m'envahir. Peu importe si je suis ici pour de mauvaises raisons. Kylian, sa présence et sa musique sont tout ce dont j'avais besoin.
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