Déjeuner dominical
J'entends le klaxon de la voiture résonner en bas de la rue. Mais il est taré ! Il va réveiller tout le quartier cet idiot ! Mon téléphone vibre pour la troisième fois et je décroche :
- Oui, j'arrive !! Arrête de m'appeler, tu me fais perdre du temps ! Et arrête de klaxonner comme ça, t'es malade, je vais avoir des problèmes avec les voisins moi !
- Je te défendrais petite sœur, si quelqu'un en vient à commettre un meurtre, je suis le mieux placé pour te défendre... Sauf si c'est moi qui le commets, ajoute-il sadique, alors dépêche-toi !
Je lui raccroche au nez, mais quel abruti celui-là. En même temps, je ne peux m'empêcher de sourire, il a beau être le frère le plus casse pied du monde, je l'adore. Je prends ma grosse écharpe de laine colorée et m'enroule dedans. Il fait très froid déjà pour un début d'automne. J'empêche Stumble de filer au moment où j'ouvre la porte d'entrée.
- Je reviens ce soir ma truffe.
La Mercedes bleue marine de mon frère m'attend en bas de l'immeuble. Il continue de klaxonner alors qu'il voit clairement que je me dirige vers lui. J'ouvre la portière arrière et prend place dans le véhicule. Neal m'accueille d'un air exaspéré, si ses yeux bleus pouvaient lancer des éclairs, il le ferait. Il replace une mèche de cheveux blonds en arrière.
- Salut, je lance à la cantonade à Neal et Kelly sa fiancée.
- Pas trop tôt ! me balance mon frère en démarrant sa Mercedes au quart de tour. Tu crois que ça m'amuse de faire le pied de grue à t'attendre chaque dimanche ?
- Allez Neal, laisse la tranquille, le tempère Kelly de sa voix douce. Ca va Amy ? Félicitations pour le cas de divorce au Tribunal cette semaine ! Neal m'a dit que tu avais remporté l'affaire ?
Je suis touchée que mon frère ait parlé de mon succès à sa fiancée, ce qui me met d'humeur joyeuse. Et quand je suis d'humeur joyeuse, je parle. Je parle beaucoup en fait, depuis toujours, j'ai une légère tendance à souler mon entourage mais je n'y peux rien, je suis comme ça. Mon débit de mots équivaut à celui des Chutes du Niagara et je crois que la phrase que j'ai dû entendre le plus dans ma vie est « Arrête de parler Amy ». Kelly a droit à chaque détail, même ceux qu'elle n'a pas demandé.
J'apprécie beaucoup Kelly. Elle et Neal sont ensemble depuis plus de dix ans, depuis leur rencontre sur les bancs de l'université de droit. Elle exerce dans un cabinet concurrent au nôtre, ce qui donne souvent matière à débats dans la famille. Ils forment un couple très soudé, comme on n'en voit plus beaucoup. Kelly est une personne très douce, mais il ne faut pas se fier à cette apparence calme. Je sais qu'elle cache au fond d'elle un fort caractère. Il n'en faut pas moins pour mater mon frère. Ils se sont vraiment bien trouvés. Quand je les observe ensemble, leur duo semble si naturel, que je ne peux m'empêcher de les envier un peu.
Pour ma part, je n'ai jamais eu de relation vraiment sérieuse. Ma plus longue relation a dû durer six mois mais je m'ennuyais ferme depuis le début. J'ai l'impression de ne pas être faite pour la vie de couple. Et ça ne m'attire pas vraiment non plus. Au grand désespoir de ma mère qui rêve de me caser avec « un bon parti ». Bon, je ne suis pas une nonne pour autant, il m'arrive d'avoir des petites amourettes de temps à autre, mais rien de sérieux, et personne que je ne présenterai à mes parents en tout cas. De toute manière, je suis bien trop prise par mon travail, et je n'ai pas le temps, ni la place pour m'investir dans une histoire d'amour.
Je m'arrête de parler un moment et admire le paysage verdoyant qui défile sous mes yeux. L'Irlande est un pays magnifique. Je ne dis pas seulement ça parce que c'est le mien, mais comment faire plus beau que ces étendues vertes qui s'étalent à perte de vue ? Ou plus charmant que ces murets de pierre qui longent le bord des routes et ces prés remplis d'agneaux, plus mignons les uns que les autres ? Alors que nous avons quitté la ville de Dublin depuis quelques minutes, l'automobile s'est déjà engagée sur les routes sinueuses et bordées de champs.
Mes parents habitent à une vingtaine de minute de la capitale, dans un charmant petit village irlandais en pleine campagne. Le déjeuner dominical familial est une tradition inébranlable.
Alors que la voiture se gare dans l'allée, ma mère est déjà sortie sur le perron de l'imposante demeure familiale. Construite sur deux étages, avec ses murs blancs et son toit de chaume typique, l'habitation se fond dans le paysage. Un grand parc arboré entoure la luxueuse maison de mon enfance. La longue chevelure blonde de ma mère est remontée dans un chignon un peu lâche mais distingué. Elle a revêtu une robe plutôt habillée pour un déjeuner familial. Son visage fin et pointu est dépourvu de toute trace de maquillage. Ma mère représente l'élégance en toute circonstance. Je n'ai clairement pas hérité de ce trait-là !
- Bonjour, les enfants, entrez vite ! Vous avez fait bonne route ? s'enquit-t-elle comme si nous avions parcouru des milliers de kilomètres, alors que nous avons à peine roulé vingt minutes.
- Bonjour maman, nous la saluons d'un câlin avant d'entrer dans la maison où des effluves du repas nous chatouillent déjà délicieusement les narines.
- Bonjour Aileen, répond Kelly poliment.
- Amy ? Tu n'as plus cette jolie écharpe de cachemire que je t'avais offert ? s'enquit ma mère en avisant mon écharpe bariolée d'un œil désapprobateur.
J'esquive la réponse en allant embrasser mon père. Mon look vestimentaire n'a jamais vraiment plu à ma mère, qui aimerait que je m'habille plus classique, un peu comme Kelly. Mais, si je me plie à l'exigence tailleur-chignon toute la semaine au travail, j'estime avoir le droit de m'habiller comme je l'entends mes jours de repos. D'autant que je me suis nettement calmée sur mon look depuis ces dernières années. Il fut un temps où je portais baggys et dreadlocks, ce qui détonnait quelque peu au Collège de Droit, mais je me sentais moi-même.
Ma petite sœur Leagh, dix-huit ans, vient d'arriver dans le salon. Nous avons quasiment dix ans d'écart, pour autant c'est ma copie conforme. Leagh semble être la seule personne de la famille, hormis ma mère, qui ait le droit de ne pas travailler dans le cabinet familial. Elle vient de s'orienter vers une école de Beaux-Arts, sans que cela ne fasse plus de vagues que ça.
Nous prenons place autour de la table du salon et ma mère apporte sa fameuse Shepherds Pie, une sorte de hachis Parmentier à la purée et viande de bœuf. Je me jette dessus, à force de manger n'importe quoi toute la semaine, j'ai besoin des repas familiaux du dimanche pour me rattraper.
- Amy, tu pourrais prendre le temps de mâcher, me fait remarquer ma mère sourcils froncés.
Pourquoi ai-je toujours le sentiment de perdre dix ans d'un coup lorsque je suis dans cette maison ? Leagh me lance un regard compréhensif puis lève les yeux au ciel, ce qui me fait sourire. La conversation dévie rapidement sur des sujets de travail, comme habituellement. Il semblerait que nous soyons incapables de discuter d'autre chose que de droit.
Mon père s'embarque dans une explication d'un cas de jurisprudence pour lequel il faudra être particulièrement vigilant à l'avenir. Mon frère Neal argumente et la conversation prend rapidement un tour animé. Nous revenons sur ma défense de la semaine, et mon père m'apporte des raisonnements supplémentaires pour améliorer ma plaidoirie.
- Allez Dermott, parlons un peu d'autre chose, vous êtes en repos aujourd'hui, essaye ma mère en débarrassant les assiettes.
- Tu as raison Aileen, goûtons à ce délicieux cake au citron que tu as fait ma chérie.
Il tend son assiette de porcelaine au liseré doré à ma mère, qui lui sert une généreuse part de cake. Il entreprend alors de l'arroser d'une généreuse portion de crème anglaise. Mais la conversation repart de plus belle sur les cas en cours au Cabinet et je ne suis pas en reste pour argumenter. Nous passons ensuite au petit salon, sur le canapé pour boire le thé.
Ma mère et Kelly se sont mises à part dans un coin afin de discuter layette. Je ne l'ai pas mentionné plus tôt mais Neal et Kelly attendent leur premier enfant pour le printemps prochain. Je n'aurais jamais pensé qu'accueillir un nouveau-né demande autant d'organisation. Alors que je les entends discuter agencement de la nurserie et allaitement, je décroche complètement.
- Et toi Amy, tente ma mère au bout d'un moment, tu n'as pas un petit fiancé à nous présenter ?
- Maman ! Non, je te l'ai déjà dit. Et je travaille beaucoup trop pour m'engager dans une relation sérieuse.
- Si tu voulais, je pourrais te présenter Joey Redmond, tu sais le fils de mon ami, il est chirurgien à l'hôpital de Beaumont à Dublin, il est très charmant ... Et célibataire...
- Oui, maman, on verra... Je n'ai pas beaucoup de temps pour une rencontre.
Ma mère sourit, cette pseudo approbation a l'air de lui suffire. En espérant qu'elle passe à autre chose rapidement. La journée du dimanche touche à sa fin. Neal et Kelly me raccompagnent chez moi. C'est lorsque je referme la porte mon appartement sur moi et que je prends Stumble dans mes bras que je le remarque. J'étais en apnée toute la journée. Et je viens juste de reprendre mon souffle.
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Alors? qu'avez vous pensé de ce chapitre? Et de la famille d'Amy?
Des bisous!
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