Concert imprévu
Je fais le pied de grue devant cette porte métallique dans une ruelle du centre-ville. Pour la troisième fois, je vérifie l'adresse sur mon portable. Je me trouve dans une ruelle déserte. Pourtant, je suis sûre de ne pas m'être trompée. J'enfonce un peu plus mon bonnet sur ma tête et mon nez dans mon écharpe. Il fait un froid de canard et la nuit est tombée depuis un moment déjà.
Alors que j'attends, mes pensées dérivent vers Drissa, mon demandeur d'asile. Je souris. Je lui ai apporté avant d'arriver ici un petit dictionnaire que j'ai trouvé, de sa langue natale vers l'anglais. Je l'ai déposé à son attention à l'accueil du centre, j'espère qu'il saura en faire bon usage.
La lourde porte métallique s'ouvre dans un grincement et me laisse entrapercevoir un regard vert.
― Salut, me dit Kylian avec son charmant accent.
― Salut, je réponds en tapant dans mes mains pour tenter de les réchauffer.
― Entre vite, il fait meilleur à l'intérieur.
Il s'efface pour me laisser passer et une bouffée de son parfum m'arrive aux narines. Il plante un baiser sur ma joue, à la française.
― Où sommes-nous Kylian ? Pourquoi tant de mystères sur cette soirée ? Qu'as-tu prévu ?
Sans me répondre, il m'attrape la main pour m'emmener le long d'un long corridor aux murs bruts en béton. A mesure que nous avançons, des vibrations de basse parviennent à mes oreilles de manière assourdie. Le badge que porte Kylian autour du cou se balance au rythme de nos pas. Il salue quelques personnes de la tête, complètement dans son élément. Au détour d'une porte, notre destination se fait connaitre, et j'entre dans une salle de spectacle d'une capacité de huit cent personnes environ. De la musique rock résonne dans les enceintes. Si la salle est vide pour le moment, ce ne sera certainement plus le cas d'ici quelques minutes.
― Mets-toi là, me dit Kylian en me laissant près d'une barrière de sécurité à trois mètres de la scène. Tu seras bien placée.
Ce disant, il me passe la lanière d'un badge autour du cou.
― Mais ?? je m'étonne ne le voyant s'éloigner.
― Profite du spectacle, dit-il simplement.
Je reste plantée près de la scène, abasourdie et étonnée. Kylian se révèle imprévisible à mes yeux et je crois que j'aime ça. Quelques minutes après qu'il soit parti, la salle commence à se remplir doucement. J'ouvre ma veste bombers et fourre bonnet et écharpe de part et d'autres dans mes poches. La température monte sensiblement avec l'affluence de spectateurs. Une certaine forme d'excitation se fait sentir. Lorsque j'ai enfin reçu sa réponse après de longs jours d'attente, il ne mentionnait qu'une adresse et une heure de rendez-vous. A aucun moment dans son message Kylian n'a mentionné que j'allais assister à un concert !
Pressée contre la barrière, à mesure que la salle se remplit, je prends le temps d'observer les instruments sur la scène. La batterie est disposée face à moi en son centre. A sa gauche, une guitare électrique et une basse attendent sur un reposoir ; un piano sur le coin gauche n'attend plus que son musicien pour faire résonner ses notes. Une banderole au-dessus de la batterie m'indique que les « Fiery Skies » vont performer ce soir. La salle est bien pleine à présent.
La lumière s'éteint d'un seul coup, provoquant une vague d'hystérie dans la masse de gens qui m'entoure et qui se met à crier. Le mur d'enceintes installé sur la scène se met à pulser du son et je ressens les pulsations me traverser tandis qu'une bouffée d'adrénaline monte en moi. Lorsque le chanteur arrive en courant sur scène sur un beat de batterie, la clameur monte encore plus forte. La lumière traverse la scène et les innombrables spectateurs puis se stabilise. Mon cœur rate un battement lorsque je reconnais Kylian, une guitare électrique à la main. Une mèche de ses cheveux noirs dissimule son regard qui se porte sur son instrument, mais le sourire qui borde ses lèvres à cet instant m'est adressé, j'en mettrais ma main à couper.
La musique m'envahit et je me laisse porter par l'ambiance et les paroles. Le chanteur a une voix rauque et pénétrante qui me fait vibrer et ressentir chaque mot au plus profond de moi. Je me laisse gagner par la liesse et lâche complètement prise. Je me retrouve à chanter des bribes de refrain en chœur avec le public. Par moments, je croise le regard de Kylian qui semble amusé de la situation.
Le noir se fait brusquement à la fin d'un morceau. Autour de moi, ça crie, puis retient son souffle. C'est alors que des accords de guitare électrique sortent du néant. Trois accords lancinants. Les ondes me transpercent et battent avec mon cœur à l'unisson. Au son du riff, la foule hurle, reconnaissant la chanson qui arrive.
Un halo de lumière bleuté éclaire la scène d'un seul coup, mettant en lumière le chanteur en son centre. Les hurlements s'intensifient, à peine les premiers mots prononcés. Il entame alors une ballade au rythme très lent et hypnotique. J'ai beau ne pas connaitre le morceau, je crie aussi fort que les autres. A mes côtés une fille est perchée sur les épaules de son copain et hurle les paroles. Sur le refrain, la lumière se fait sur les autres musiciens. Kylian chante les chœurs, je le trouve magique sur cette scène, transcendé. Il n'est plus le même. Il semble habité par sa musique, comme lorsqu'il chantait au coin du feu en Australie.
Après plus d'une heure trente de concert et un rappel, la salle se vide lentement. Je reste là, les yeux rivés sur la scène, un peu dans un état second. Un gars de la sécurité me fait signe et décale la barrière afin de me laisser passer. Il m'entraine back stage où je retrouve Kylian et le reste des « Fiery Skies ». Je me mets à applaudir frénétiquement devant le groupe :
― Waouh ! Bravo ! C'était terrible ! J'ai adoré !
Je vois Kylian retenir un sourire en coin.
― Non mais vraiment, j'adore vos chansons ! Vous venez de gagner une fan c'est sûr ! Ça fait longtemps que vous jouez ensemble ? Vous avez d'autres dates de concert prévues ? Vous avez sorti des albums ?
― Oh, oh, me coupe Kylian amusé. Désolé les gars, Amy aime bien tout savoir.
Je rougis en me rendant compte que je viens de trop parler encore une fois. Je n'y peux rien, mon enthousiasme amène un débit de mots que je ne peux contrôler.
― Laisse Ky... dit le chanteur principal, ça fait plaisir que notre musique soit appréciée. Ça t'a plu alors ?
Avec ses tatouages et cheveux longs noirs, il est charismatique.
― Enormément ! Et cette ballade lente que vous avez jouée au milieu du spectacle... Quel est le titre ? Les paroles étaient bouleversantes...
― Tu veux parler de « My Illumination » ? Ce sont mes paroles donc ton compliment me va droit au cœur, merci.
Il se tourne vers le reste du groupe.
― Je retourne dans ma loge. Les gars et moi, on va au pub ce soir. Kylian et Amy vous vous joignez à nous ?
― Non pas ce soir répond ce dernier.
― Comme tu veux, alors bonne soirée, enchantée Amy, à bientôt !
― Oui, oui à bientôt ! C'était un plaisir !
Le chanteur et le reste du groupe s'éclipsent, nous laissant seuls, Kylian et moi. Je suis un peu déçue de ne pas poursuivre la soirée en leur compagnie. J'aurais eu envie de prolonger le moment, mais Kylian doit être fatigué. Je lui mets un coup de poing dans l'épaule.
― Aïe !
― Tu l'as mérité ! Sacrée surprise ! je ne m'attendais pas du tout à ça avec ton message de ce soir !
― Fâchée ? demande-t-il tout en ayant l'air de s'en ficher royalement.
― Pas le moins du monde... Surprise, c'est tout. Je pensais que tu travaillais back stage, je ne m'attendais pas à te retrouver sur scène, une guitare à la main !
Il baisse les yeux sur ses pieds comme toute réponse, mais malgré la mèche de cheveux qui me cache son regard, je peux voir son sourire satisfait.
― On va boire un verre ? demande-t-il soudain.
― Je croyais que tu ne voulais pas aller au pub ? dis-je surprise.
― Non Amy. Pas avec le reste du groupe.
― Ah... Ok...
Je rougis bêtement. Je le suis à sa loge pour qu'il récupère ses affaires et nous voilà de nouveau dans le froid. Je ressors mon bonnet que j'enfonce sur ma tête. Nous restons plantés un moment dans le froid silencieusement. J'attends qu'il propose quelque chose, mais il semble perdu dans ses pensées.
― Je n'habite pas très loin si tu veux ?
Il se tourne vers moi et m'observe un moment.
― Ok.
― Ok, je n'habite pas très loin ? Ou ok, tu veux bien venir ?
― Ok, pour la deuxième proposition. Si tu me promets de ne pas me séquestrer ?
Je ris doucement, il m'est agréable de le voir faire de l'humour. C'est une facette de sa personnalité que je ne connais pas du tout. J'ai plus connu son côté sombre et taciturne.
Nous marchons côte à côte dans la nuit noire jusqu'à l'entrée de mon bâtiment. Nous ne parlons pas, mais le silence entre nous n'est pas gênant. Pour une fois, je ne ressens pas le besoin de parler à tort et à travers.
― Tadam ! j'annonce en ouvrant les bras, c'est ici !
Je le vois observer mon immeuble sans mot dire. C'est un vieux bâtiment de briques rouges typiques de l'architecture géorgienne de la ville. Je fouille mon sac à la recherche de mes clefs, ce qui n'est pas une mince affaire vu le fourbi qu'il y a dedans. Je mets enfin la main dessus et ouvre la lourde porte. Je monte les trois étages qui mènent à mon appartement, Kylian sur les talons. Lorsque j'ouvre la porte, Stumble me file entre les jambes, tel un dératé.
― Stumble ! Reviens ici !
J'arrive de justesse à le rattraper avant qu'il ne file dans les escaliers. A présent que j'entre chez moi, je me dis que mon invitation n'était pas l'idée du siècle... C'est le bazar... Je rigole tout en débitant un nombre de mots proportionnel à ma gène. Je ramasse des affaires çà et là que je balance dans un coin.
― Désolée ! Je n'ai pas l'habitude de recevoir en fait...
Kylian hausse les épaules, comme pour m'indiquer que ça ne le dérange pas. Il observe mon chez moi, son regard s'attardant sur plusieurs de mes dessins encadrés puis se tourne vers moi.
― C'est sympa ici...
― Merci... J'ai emménagé il y a trois ans, lorsque j'ai commencé à travailler pour le cabinet familial. Je ne suis pas très souvent là finalement, j'explique en guise d'excuses pour justifier le désordre.
― Ne t'en fais pas pour ça Amy.
Je rougis encore. Je me sens bête et empotée, une sensation étrange. Je décide d'aller chercher quelques bières dans le frigo.
― Assieds-toi, fais comme chez toi ! je crie depuis la cuisine.
Lorsque je retourne dans mon petit salon, Kylian est assis sur le canapé, mon chaton sur les genoux.
― Il t'a adopté on dirait !
Kylian lui gratouille la tête sans me répondre. Il n'est pas très loquace mais cela ne me dérange pas, je suis assez bavarde pour deux. Nous buvons nos bières et je lui raconte les impressions sur le concert. Je suis tellement enthousiaste que j'ai du mal à redescendre de mon nuage. Comme la dernière fois au pub, j'ai l'impression qu'il veut me dire quelque chose mais non, il n'en fait rien.
La soirée se déroule dans une atmosphère sereine, une intimité étrange pour deux personnes qui ne se connaissent pas tant que ça finalement. Il se fait tard et je baille à m'en décrocher la mâchoire, avec mon élégance légendaire.
― Je vais te laisser Amy, tu es fatiguée.
― Oui. Désolée, j'ai eu une dure semaine.
― Ne t'en fais pas, moi aussi. Je serai encore dans le coin un moment, on pourra se revoir si tu veux ?
― Avec plaisir !
Il se lève du canapé et Stumble, qui a passé la soirée lové sur ses genoux, saute à terre. Je m'avance vers la porte d'entrée pour ouvrir et ce coquin de chaton en profite pour s'échapper une nouvelle fois, à peine la porte entrebâillée. Je lui cours derrière en râlant et le rattrape de justesse. Lorsque je reviens vers ma porte d'entrée, le fuyard serré contre ma poitrine, Kylian a les yeux rivés sur mon guéridon. Puis il tourne les yeux vers moi. J'y lis quelque chose d'indéchiffrable.
― Bonne nuit Kylian, dis-je troublée.
― Bye Amy, dit-il.
Puis il disparait dans la pénombre de mes escaliers. Je referme la porte et pose les clefs sur mon guéridon dans l'entrée. Posé sur le rebord, l'écran de mon téléphone affiche de Joey un message qui brille dans le noir : « Amy ma chérie, je passe te prendre à quelle heure demain? ». La luminosité éclaire une feuille qui dépasse du bazar et on distingue sans effort le dessin d'une main tatouée d'une étoile.
― Miaou, constate Stumble
― Tu as raison, je suis dans la merde...
*****
J'espère que ce long chapitre vous a plu? J'avoue que j'ai adoré l'écrire!
Il est un peu long par rapport aux autres mais je ne savais pas trop où le couper, donc je l'ai laissé tel quel! Si vous faites beaucoup de bruit, il se peut qu'un nouveau chapitre soit posté encore dans le week end!
Ps: ca se fait pas mais.. si vous aimez cette histoire, n'hésitez pas à tagger du monde!
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro