
2. Vincent.
Installé sur le banc, je me pose un peu. La journée a été chargée et elle n'est pas finie.
— Ah, te voilà ! Je te cherchais, m'interpelle Francesca.
Je soupire, je croyais vraiment avoir quelques minutes pour rester assis à ne rien faire mais a priori, le bourreau de travail qu'est ma soeur, en a décidé autrement.
— Je viens de m'asseoir, protesté-je. Tu ne t'arrêtes donc jamais ?
— Bien sûr que si ! rigole-t-elle. D'après toi, pourquoi est-ce que je monte me coucher vers vingt-deux heures ?
— Je te fais remarquer qu'à cette heure-là, je gère ceux qui n'ont ni envie de dormir, ni de se retrouver seuls dans leur chambre.
— Et que je te laisse dormir le matin pendant que je m'occupe des petits déjeuners. Ce n'est pas de ma faute si tu n'arrives pas à rester au lit, Vincent.
En effet, ce n'est pas de sa faute. À soixante-trois ans, mes besoins en sommeil sont moindres. Enfin c'était le cas, dans mon ancienne vie.
Est-ce que je la regrette ? Pas le moins du monde.
Ma vie professionnelle a été riche en expériences. L'armée pour commencer, puis dans des boulots style vigile. Après une période de vide à la limite de la dépression, je suis devenu, tout à fait par hasard, projectionniste dans un cinéma de Lyon. Lorsque celui-ci a fermé et que je me suis retrouvé sans emploi à plus de soixante ans, j'ai paniqué un peu. Non, beaucoup est largement plus proche de la vérité. Réaliser que l'on a pas construit grand chose fout carrément la trouille.
Francesca, ma seule famille, m'a ouvert les bras pour un séjour qui devait être provisoire et qui dure depuis plus de deux ans maintenant.
Il faut dire que contrairement à moi, la presque cinquantenaire a intelligemment investi le retour d'héritage de nos parents en aménageant une ancienne bâtisse en un gîte de chambres d'hôtes sur le chemin de Saint- Jacques de Compostelle.
Elle dispose de cinq chambres classiques et de deux dortoirs pouvant accueillir plusieurs marcheurs à l'image des gîtes d'étapes.
Lorsque je l'avais contactée, déprimé, ma sœur venait de subir une agression. Un homme un peu trop alcoolisé avait tenté d'abuser d'elle et sans l'aide musclée d'un marcheur, il aurait sûrement été au bout de son acte. Le gendarme, qui était venu prendre sa déclaration, lui avait conseillé d'embaucher un veilleur de nuit. Francesca avait été choquée et mon appel lui avait donné l'envie de combiner les deux situations. Un emploi pour moi, me permettant d'attendre l'âge de prendre ma retraite à taux plein et pour elle, un homme pour assurer une certaine sécurité et une aide plus que conséquente pour des menus travaux.
L'idée m'avait séduit même si, prudent, j'avais proposé un essai avant de décider quoi que ce soit.
Cela fait donc presque deux ans que je suis là. Avec le retour du beau temps, les locations reprennent tranquillement, les premiers marcheurs aussi.
L'hiver dernier, avec l'aide d'un jeune du village, nous avons remis au propre quelques chambres. Mon corps reste relativement bien conservé avec une structure musculaire encore efficace. Néanmoins, l'aide de Félix, vingt ans plus jeune que moi, a été salvatrice.
Nous nous partageons les tâches avec ma sœur. Elle gère la préparation des repas dans le secteur chambres d'hôtes. Moi je m'occupe plus du secteur marcheur. Ceux-ci partent souvent tôt, après un petit déjeuner généralement copieux. Le soir, ils arrivent fourbus des longues heures de marche avalées. Certains sont avares de paroles, d'autres au contraire donnent l'impression de compenser le silence de la journée. J'aime ces moments d'échange dans des langues étrangères parfois, j'aime la variété de personnes croisées et nos échanges sur des sujets divers.
Francesca se moque de moi, de ce besoin de discuter, d'échanger pour quelqu'un de solitaire comme moi.
Francesca l'est tout autant. Je ne l'ai jamais vue avec un homme. Certains soirs, hors saison, elle sort pour une soirée mais n'en parle pas.
Je m'échappe rarement. Je recherche plus des moments de tendresse, de discussion.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro