
1. Jérôme
J'en ai ras-le-bol de tout. De ma petite vie étriquée de prof d'Anglais en fin de carrière. De mes amis qui sont plus des relations qu'autre chose. Bref, j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes avant de sombrer. Je vais profiter de mes congés d'été pour parcourir une partie des chemins de Saint-Jacques De Compostelle. Je ne suis pas idiot, ce ne sera pas facile. Côté positif, la marche, j'en fais tous les jours. Et puis j'ai l'avantage de disposer de temps et d'argent pour éventuellement profiter d'un lieu qui me plairait le temps de reprendre des forces. Tout fier de moi, je viens d' annoncer ma décision à mon neveu Alex.
— Mais enfin, Jérôme ! Tu ne peux pas faire ça comme ça !
— Ah ! Tu peux m'expliquer cela, lui dis-je les mains posées sur les hanches un peu énervé.
— Entre marcher une petite heure et faire des étapes de vingt kilomètres par jour tous les jours, crois-moi il y a une sacrée différence.
— As-tu écouté ce que j'ai dit. Si je suis fatigué, je m'arrêterai un jour ou deux, je ne suis pas complètement stupide.
— Ce sera encore pire, souligne-t-il. Le secret de ce genre de long périple, c'est l'endurance. Ton corps apprendra à s'adapter.
— Et depuis quand es-tu spécialiste, toi ?
Oui, je suis de mauvaise foi. Parce qu'Alex a sûrement plus d'expériences à son actif dans beaucoup de pratiques sportives à presque trente-cinq ans que je n'en aurais jamais. Lorsque je dis que je marche, il s'agit de rejoindre le lycée situé à dix minutes de mon appartement. Deux voire trois fois par jour quand je ne supporte plus d'écouter mes collègues dans la salle des profs. Alors ce n'est peut-être pas un exploit sportif mais à soixante ans, j'estime que c'est quand même pas mal. Je sais qu'Alex est inquiet et qu'il va tenter de me dissuader de partir. Je sais aussi qu'il y a de grandes probabilités que mon corps se rebiffe dès les premières journées de marche. Mais, si je ne prends pas un peu de recul, il se pourrait que ce soit mon esprit qui parte à la dérive. Je me reconnecte à la conversation, enfin au silence provoqué par ma stupide remarque.
— Excuse-moi. J'ai conscience que ce sera difficile, Alex. Mais j'ai besoin de m'éloigner de tout cela, dis-je en montrant la ville tout autour. Me retrouver seul sur les chemins va me donner de la force pour continuer. Évite d'en parler à ta mère, s'il te plait. Elle me saoulerait jusqu'à mon départ.
— Ce n'est pas parce que je trouve cette idée merdique que je vais en plus te mettre maman sur le dos ! Je te donne juste un petit conseil, que tu n'es pas obligé de suivre, me coupe-t-il alors que j'allais parler. Agrandis petit à petit ta distance de marche. Les vacances d'été sont dans un long mois, commence à entraîner ton corps.
J'approuve d'un signe de tête et nous continuons à discuter de tout et de rien, puis il s'en va.
J'ai peu de relations avec ma famille. Contrairement à ma sœur et son fils, mes deux autres frères ne me parlent plus. Ma sœur m'assure que cela n'a strictement rien à voir avec mon homosexualité. Je suis tout à fait sûr du contraire, mais comme ils n'aiment pas grand chose de ce qui me plaît, ne plus les voir ne me dérange pas. Au contraire, éviter leurs discussions insipides qui me provoquaient des crises d'urticaire est un véritable soulagement.
Elaine m'a reproché mon coming out tardif, qu'elle aurait préféré rester secret. Tout le charme de cette famille, ne pas parler de ce qui peut faire des vagues. Je peux dire que ce dimanche-là, j'ai provoqué une tempête dans le salon. Firmin, la bouche grande ouverte, scandalisé par ma révélation. Étienne, lui avait directement agi en débarrassant le plancher immédiatement. Elaine n'avait rien dit, ses yeux flamboyaient de colère mais elle était, comme à son habitude, restée très calme. Alex n'était pas présent, mais il avait débarqué chez moi le lendemain. Heureux et fier de ma décision d'enfin dévoiler qui j'étais. Il était le seul neveu que je voyais, les autres, rangés derrière les opinions de leurs parents, m'avaient banni pour mon plus grand plaisir des réunions familiales.
Concernant mon travail d'enseignant du secondaire, j'évite de divulguer l'information. Pas envie de me retrouver pointé du doigt par certains collègues ni par certains parents rétrogrades.
De toute façon, il n'est pas dans mes habitudes de me dévoiler en public. Je n'ai aucune raison d'étaler ma vie privée. Et comme celle-ci est loin d'être très encombrante, cela n'est pas très complexe à faire.
J'ai compris que j'étais loin d'être attiré par le sexe féminin juste à temps. Mes parents, comme pour mes frères et soeur, ont influencé nos fréquentations. Mes études ne m'ont pas réellement laissé beaucoup de temps pour des sorties étudiantes. Je n'ai pas souvenir que Firmin, mon frère aîné ni ma soeur soient des noctambules. Nous allions à des soirées, où je m'ennuyais ferme. Ma rencontre avec Charlotte, que mes parents "appréciaient énormément" m'a juste ouvert les yeux. Son frère Ludovic me troublait largement plus qu'elle.
A partir de cette découverte, mes sorties ont changé d'axe. J'aurai pu dire la vérité à mes parents, cela n'aurait sans doute pas changé grand chose à nos relations presque inexistantes. J'ai privilégié le silence et la possibilité de vivre ma sexualité à l'écart. A la mort de mes parents, j'ai mis ma soeur dans la confidence.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro