🐺6🐺
— Ne fais rien de stupide.
— Je pourrais te dire la même chose.
Kelian lève les yeux au ciel. Je continue de marcher sans lui jeter un regard et observe la forêt sous les lueurs lunaires, alternance de noirs et d'argent dans un faux silence. Le vent, doux, souffle entre les troncs et dans les feuillages, alors que nos pas furtifs effleurent à peine le sol.
— On y sera bientôt, murmure Kelian à ma gauche.
Je hoche la tête. Nous devons donc surveiller nos paroles, au cas où l'un des loups de Rorgan se trouve dans les environs et nous espionne. Il n'a certainement pas laissé son territoire — ou en tout cas, l'espace qu'il a décidé d'occuper — sans protection.
Je hume l'air frais de la nuit, mais nous sommes dos au vent. Autant dire qu'ils nous sentiront venir à des kilomètres... Ça m'énerve, mais nous n'avons pas vraiment d'autre choix. Nous devons y aller.
J'espère sincèrement que le plan marchera, mais si ça tourne mal, même un tout petit peu, quelques loupiots se prendront une raclée à la hauteur de leurs crimes... grommelle Morrigan, un peu frustrée de ne pas voir d'affrontement se profiler.
Sa colère brûlante bout dans un coin de mon esprit, mais ne m'envahit pas, heureusement.
Nous marchons en silence, presque aussi discrets que des ombres, en direction du campement. Les odeurs de la nature forestière se brouillent peu à peu, laissant deviner une présence envahissante.
— On y est, souffle Kelian en m'arrêtant d'une main sur le bras.
— Pas la peine de me tenir, râlé-je à voix basse.
Je me dégage et observe ce qui nous attend, immobile. Quelques flammes d'un feu de camp mourant éclairent un rassemblement de tentes, ainsi qu'une construction de pierres aussi grande qu'une maison de campagne. Des silhouettes l'entourent, comme pour la garder. C'est là que doit se trouver Rorgan...
L'aube ne tardera plus. Nous devons entrer en scène.
J'inspire profondément et jette un regard à Kelian, qui me répond d'un simple coup d'oeil gris argent. Ses yeux brillent de détermination, son visage est fermé. Il est prêt. Moi aussi.
D'un même pas, nous avançons vers les tentes, laissant les gardes nous apercevoir sans équivoque.
Un concert de grondements rauques nous accueille et nous nous retrouvons entourés rapidement. Leurs yeux perçants nous fixent, à la recherche d'une arme ou d'une menace.
Nous sommes littéralement la menace, bande de chiens galeux...
Un sourire en coin m'étire les lèvres, bien vite réprimé.
Rorgan apparaît alors au milieu de sa meute et son regard nous cloue sur place. Immobiles, Kelian et moi lui faisons face, le dos droit. Après tout, nous sommes des Alphas Supérieurs. Nous n'avons pas à baisser l'échine face à une personne aussi peu digne d'estime.
Je retiens mon envie de lui déchirer la gorge à grand peine. Nous sommes littéralement encerclés et Rorgan semble trop sûr de lui. Même après nos coups d'éclats lors de l'affrontement dans la montagne, il persiste à se dresser ainsi. Quelque chose me souffle que je ne dois pas me jeter la tête la première.
De plus, nous devons rester dans nos rôles.
— Quelle surprise. Vous êtes venus vous rendre, je présume ? lance finalement l'assassin qui nous nargue de son regard acéré.
— Tes méthodes détestables sont indignes de notre espèce, gronde Kelian, le regard flamboyant.
— Notre espèce, dis-tu ? rit Rorgan. Ne rabaisse pas ainsi ta nature d'être supérieur ! Vous n'êtes pas de notre espèce. Nous ne sommes que de pauvres animaux, face à Vos Grandeurs...
— Si tu cherches à nous mettre en colère, Rorgan, c'est une très mauvaise idée. Nous sommes venus pour éviter d'autres morts innocentes, mais si tu préfères, nous pouvons repartir en tuant quelques-uns de tes sous-fifres, craché-je.
— Doucement, petite ! Je ne faisais que vous expliquer votre erreur... Mais puisque vous êtes là, je ne vous laisserai pas repartir. Et bien sûr, je ne toucherai pas à votre petite meute adorée, comme convenu.
D'un geste, il ordonne à ses loups de nous attacher. La morsure glacée de menottes me fait siffler et je foudroie l'homme du regard, alors qu'il baisse un regard de haine sur mon visage. Je ne le connais pas, mais je le déteste déjà.
— Vous êtes surprenants, commente Rorgan alors que Kelian emploie tout son self-control à ne pas sauter à la gorge de son propre garde. Vous êtes venus tout de même, sachant que je vous emprisonnerais. Que je vous tuerais, peut-être. Et sans rien dire à ce charmant alpha... qui se trouve être ton père, Kelian, si je me souviens bien ? Oui, vous êtes surprenants. Que de bonté !
Oh, qu'il la ferme, une bonne fois pour toutes...
Je grogne, mais me laisse faire lorsqu'on me tire vers la construction de pierres. Elle me semble vraiment construite à la va-vite, maintenant que j'y regarde de plus près. Ils ont dû la bâtir durant cette semaine où ils nous attendaient en blessant les loups de la meute...
Mais à ma plus grande surprise, ce n'est pas là qu'ils nous guident. Ils s'enfoncent dans la forêt, sur seulement quelques mètres, juste assez pour qu'un rideau de végétation nous sépare de la clairière. Où nous emmènent-ils ? Il n'y a rien dans cette partie de la forêt. Est-ce que finalement, Rorgan a décidé de nous tuer pour abandonner nos corps dans un trou au pied d'un sapin ?
Mes poings se serrent et la chaîne de mes menottes cliquète.
J'échange brièvement un regard avec Kelian, qui ne semble pas en savoir plus que moi, mais se tient prêt. Pas question de mourir.
— Laissez-moi vous présenter votre prochaine résidence permanente, très chers invités, singe Rorgan en désignant le sol d'un ample geste.
— Les Enfers ? grommelle Kelian en levant les yeux au ciel.
Rorgan ne répond pas, préférant s'agenouiller et saisir une poignée de métal cachée dans la végétation. Il tire et une grande trappe s'ouvre sur l'obscurité.
— Si tu désires rester dans la mythologie, appelons ceci le Tartare !
Je me crispe et dois combattre toute ma volonté pour ne pas m'enfuir en courant. Aller sous terre ; très mauvaise idée. Ai-je déjà dit que j'étais légèrement claustrophobe ?
Malheureusement, nous devons nous en tenir au plan. Je serre les dents et laisse la brute qui me tient me pousser dans l'ouverture. Je me rattrape en roulant au sol sablonneux et me retrouve dans une galerie des dimensions d'un couloir, obscure et à la puanteur d'humidité.
Kelian atterrit à mes côtés, suivi de nos geôliers. Rorgan se réceptionne à son tour et mène notre petite procession dans le tunnel de béton. Au fur et à mesure de notre avancée, je peux voir quelques reflets sur du métal et quelques gémissements de douleur me parviennent. J'échange un regard inquiet avec Kelian, mais il serre les lèvres et me rappelle silencieusement le plan. Je me renfrogne et laisse les loups nous entraîner jusqu'à ce qui se ressemble à une cellule. Les barreaux métalliques luisent et un seul contact devrait suffire à donner le tétanos à un humain, sans parler de l'odeur d'excrément qui nous agresse alors qu'on nous pousse sans ménagement dans le petit espace sombre.
Privée de mes mains, je roule comme je peux pour me redresser et fusille Rorgan du regard, mais il semble insensible à ma rage.
— Gentils ados. Gentils chiots. Restez sagement ici encore un petit moment et je devrais réussir à tenir ma promesse.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? crache Kelian, qui s'appuie à un mur pour se redresser.
— Je veux dire que la tentation est immense de profiter de votre présence pour aller éliminer la meute qui me gêne depuis quelques temps maintenant. Votre meute. Mais je n'ai pas tellement envie de déroger à ma promesse alors soyez sages, restez ici sans tenter de chose stupide, et ça devrait aller.
Kelian rugit et se jette vers lui, mais Rorgan claque la grille et l'un de ses loups la verrouille prestement. Le Loup Supérieur s'écrase contre les barreaux et en gronde de frustration, mais nos geôliers s'éloignent déjà, nous laissant dans cette prison obscure.
Je jette un coup d'oeil à ce qui se trouve à nos côtés, mais hormis une petite paillasse à la propreté douteuse et un pot de chambre ébréché, il n'y a rien. Charmant.
— Ce salopard. Il a intérêt à ne rien tenter contre la meute s'il espère survivre...
— On le tuera de toute façon, lâché-je dans un murmure. Bon, la suite... Calme-toi, c'était prévu.
Kelian grogne, mais finit par se reprendre et s'assoit à côté de moi. Il lâche un soupir frustré.
— Plus qu'à patienter, semble-t-il.
Je hoche la tête, pas plus motivée que lui à l'idée de rester dans cette cellule puante, mais résignée.
— Ça va marcher, chuchoté-je autant pour lui que pour moi.
***
J'ignore combien de temps je suis forcée à respirer les odeurs nauséabondes de la prison, mais c'est beaucoup trop à mon humble avis. Et mes poignets commencent à vraiment me faire souffrir.
Dans un coin de la cellule, Kelian invoque quelques flammes, histoire de voir s'il ne peut pas faire fondre le métal de la chaîne reliant nos menottes. Je l'entends jurer à mi-voix, c'est donc que rien n'est concluant.
— Tu vas t'épuiser pour rien si tu continues, finis-je par lui lancer.
Mais les lueurs rougeâtres continuent d'éclairer le béton moisi, alors il ne m'écoute sans doute pas.
—...
Je me tends. Ce sont des bruits de pas, dans le couloir.
Lentement, je m'approche des barreaux. Il n'y a rien. Rien que je puisse voir, en tout cas.
— Ça a commencé, murmuré-je à Kelian.
Il arrête ses essais et s'approche, impatient. Dans le couloir, un léger objet attire nos regards. C'est un bout de métal qui flotte de manière improbable dans les airs. Puis, nous distinguons clairement la forme d'une clef.
— Elle a réussi ! chuchote Kelian en souriant.
La clef suspendue s'approche de nous, puis passe entre les barreaux et vient s'insérer dans le verrou des menottes de Kelian. Après quelques mouvements peu précis, l'objet semble tourner de la bonne manière et, dans un grand "clac", les entraves sautent.
Kelian attrape l'objet aussitôt et s'attelle à me libérer, ce qui est chose faite quelques instants plus tard. Nous bondissons vers la grille et la clef fait également céder son verrou. Nous ouvrons la porte avec précaution, puis nous plaquons au mur, histoire de gagner quelques précieuses secondes si quelqu'un venait dans notre direction.
— Merci maman, murmure Kelian.
Merci à la sorcière qui l'a rendue invisible, surtout.
— C'est rien. Faites attention à vous... Je partirai lorsque vous serez sortis, laissez la trappe ouverte quelques instants.
— Compris, soufflé-je. Mais nous devons trouver une diversion, on ne peut pas risquer qu-
— Des loups arrivent !
Je me tourne dans la direction que guette Kelian. Deux loups, des hommes de Rorgan, marchant dans notre direction.
D'un regard, nous nous accordons sur la méthode ; nous nous propulsons sur les deux colosses et leur fracassons la tête sur le mur. Les deux loups s'effondrent sur le béton humide.
Ils ne sont pas morts, mais ne se réveilleront pas de sitôt...
A peine essoufflés, nous faisons face à la mère invisible de Kelian, qui nous confie la clef. Son fils la fait disparaître dans sa poche et nous nous dirigeons vers la trappe, dans le long boyau obscur.
— On a vraiment besoin d'une diversion. Rorgan saura que nous venons si nous traversons simplement le camp, murmuré-je alors que quelques cellules défilent de chaque côté du couloir.
— Je n'ai pas d'idée, dans l'immédiat...
— EH !
Nous nous figeons et faisons volte-face vers l'une des cellules. Une voix s'en est échappée.
Un visage se presse de l'autre côté de la grille. Deux grands yeux noisette se mettent à briller lorsque Kelian allume une flammèche au bout de son doigt.
— Vous êtes... Lyka... Kelian...
La voix est rocailleuse, éraillée. Comme si elle avait trop crié. Pourtant, il me semble la reconnaître.
— Arthur ?
Je m'approche et m'accroupis face au loup amaigri qui me fait un sourire fatigué.
— On a l'art de se rencontrer dans des prisons, dites donc... siffle-t-il.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? s'enquiert Kelian en me rejoignant.
— Ils voulaient que je les rejoigne, mais j'ai refusé... et je refuse toujours. Ils ont des méthodes vraiment peu amicales... mais parfois, les autres cèdent sous la douleur.
Je me mordille la lèvre, comprenant ce qu'il tait.
— On va te sortir de là, décidé-je.
Kelian acquiesce et ouvre la grille, puis détache les menottes qui encerclent les poignets du Loup Solitaire. Ses cheveux ne sont plus qu'un amas de noeuds bruns où je crois déceler des croûtes de sang séché, et ses vêtements ne sont que des loques, des guenilles qui ne le protègent sans doute que peu du froid du béton. Et je pense que je pourrais compter ses côtes si je passais un doigt sur son flanc...
Nous le soutenons en passant nos épaules sous ses bras. Arthur pèse de tout son poids, mais il n'est pas plus lourd qu'un enfant. Ma gorge se serre, mais je ne dis rien. Kelian et moi le portons jusqu'à la trappe. Une échelle y mène et de fins rayons se faufilent par les interstices entre la terre et le métal.
— Tu vas arriver à monter ? s'inquiète Kelian.
Arthur paraît hésiter. J'avise ses bras trop maigres et secs, puis décide à sa place en saisissant son avant-bras.
— Je te tire, Kelian te pousse.
Je m'engage sur l'échelle, puis me retrouve à presque le soulever d'une main, alors que l'autre s'agrippe aux barreaux. Kelian le soutient depuis le dessous et nous parvenons tant bien que mal à atteindre l'extérieur. Je pousse la trappe, grognant un peu, puis peux enfin sentir l'air frais me caresser le visage. Je me sens instantanément mieux et me dépêche de nous sortir de la prison, hissant Arthur à mes côtés.
Il s'écroule sur l'herbe et en inspire l'odeur, comme rêveur.
Kelian, lui, laisse la trappe ouverte pour sa mère et s'assied à mes côtés, l'oreille aux aguets.
— Bien, on fait comment ?
— La diversion, soupiré-je. Aucune idée.
— Une diversion ?
Arthur nous observe, allongé, les yeux luisants de fatigue.
— On va tuer Rorgan, mais si nous nous baladons simplement au milieu du camp, il va nous voir arriver, expliqué-je.
— Oh, vous aviez un plan. Je me demandais aussi comment vous aviez eu la clef s'il vous avait vraiment enfermé...
Il saisit un brin d'herbe entre ses doigts et sourit.
— Je vais vous aider.
— Tu es fatigué !
— Vous m'avez sauvé la vie, alors je vais faire diversion. Ils ne me tueront sans doute pas.
— "Sans doute" ?
— Tuez ce fou, c'est ce qui importe.
Il grogne, se relève, se met debout sur ses jambes tremblantes. Il nous accorde un regard brillant.
— On se revoit après, j'aimerais bien manger un morceau pendant que vous me raconterez tout ce que vous avez fait pour devenir aussi charismatiques... et cesser de vous entretuer.
Je tends une main dans sa direction pour saisir sa manche, mais Kelian me retient.
— Nous n'avons pas vraiment le temps de penser à autre chose. Il risque de venir puis de s'apercevoir que nous avons fui. Il risque d'aller s'en prendre à la meute.
Je serre les dents, mais ferme les yeux et baisse le bras.
— Lyka, Kelian... A plus ! finit par lâcher Arthur en s'éloignant.
Je l'entends traîner les pieds, trébucher un peu ; puis il se met à hurler comme s'il était possédé et des alertes retentissent. Les loups de Rorgan l'ont vu...
— C'est à nous de jouer, souffle Kelian.
je n'ai aucune excuse. mais je vous demande tout de même pardon...
sachez juste qu'en plus d'être une année difficile pour tout le monde, c'est ma première année à l'université, ce qui veut dire plus de boulot, de matière... bref, une année compliquée, mais je garde le cap !
vous n'avez pas manqué la sortie de nouveaux romans et nouvelles sur mon profil, résultats de poussées subites et irrépressibles d'inspiration, et je n'aime pas me forcer à écrire, donc j'ai laissé les idées couler jusqu'à mes mains et j'ai écrit d'autres choses. Si vous aimez le fantastique ou la sf, ça devrait vous plaire... et ces écrits sont déjà intégralement publiés ;) donc pas d'attente insupportable ou de retard intempestifs !
Tout cela, ça m'a débloquée sur cette histoire, parce que comme je n'ai pas arrêté de le dire, JE NE L'ABANDONNE PAS.
d'abord par respect pour vous, les lecteurs, qui finissez par me pardonner mes horribles retards ; et ensuite parce que mine de rien, cette trilogie me tient à coeur.
d'ailleurs, on a atteint les 130k lectures sur le tome 1 !! c'est juste dément que Lyka et compagnie vous passionnent toujours autant <3 un immense merci à ceux qui me lisent encore, viennent de débarquer ou ont supporté mes irrégularités sans broncher. Je ne pourrais pas vous remercier assez de me motiver à chaque petit vote que vous laissez <3
Bref, parlons finalement de ce chapitre !... vous en pensez quoi ? Vous croyez qu'ils vont réussir à tuer Rorgan ?
Oh et bravo aux petits malins qui avaient deviné qu'Arthur reporterait le bout de son nez dans ce tome... mais dans quel état (oups).
Que voyez-vous pour la suite ? je suis curieuse <3
Je vous envoie plein de bisous désinfectés, vous remercie de me lire en m'aplatissant sur le tapis à vos pieds, et évite de donner des prédictions parce que je n'arrive de toute manière jamais à les respecter <3
Si vous en avez marre de moi qui ne donne pas bcp de nouvelles, n'hésitez pas à venir sur insta (> alice_auteur) où je suis pas mal active et où de belles nouvelles (pas les textes) devraient pointer le bout de leur nez...
Tenez bon, ceux qui souffrent de cette période. Ça va s'arranger. Je vous envoie un câlin virtuel <3
Tsun "l'incorrigible retardataire"
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