🐺20🐺
Mes paupières s'ouvrent difficilement à mon réveil. Lorsque j'aperçois la lumière du soleil, je sursaute et me retrouve debout en un éclair, complètement affolée.
Je me précipite dans le salon, où je trouve Nora qui affiche une moue dédaigneuse à ma vue, mais je lui lance :
- Combien de temps j'ai dormi ?
- Depuis hier soir à aujourd'hui, et il est midi, me lâche-t-elle.
Elle retourne à ses fourneaux sans m'adresser un mot de plus. Je ne prends même pas la peine de lui montrer la colère et la tristesse qui m'emplissent lorsqu'elle m'ignore, et cours dehors.
Il n'y a presque plus de neige, et je manque de trébucher dans la boue jusqu'au chalet de Zag. Il en sort au moment où j'arrive et me fait signe de m'arrêter et de me calmer, seulement j'ignore la seconde injonction et lance :
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi il y a eu de la lumière ? Quin ? Pourquoi...
- Lyka, m'interrompt-il. Calme-toi. On va aller s'assoir plus loin, ça vaut mieux, et je vais te dire ce que je sais.
Mon rythme cardiaque se calme et je traîne les pieds à sa suite. Je me rends compte uniquement maintenant de ma fatigue immense, qui pèse sur mes membres et dans mon esprit.
Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi suis-je aussi fatiguée ?
Zag me regarde régulièrement de ses yeux bruns, tournant à demi la tête. C'est la première fois que je le vois un tant soit peu stressé. Il semble même inquiet.
Il finit par s'assoir sur une souche large, et tapote la place à côté de lui. Je m'y place et le fixe, en l'attente des réponses promises.
- Lyka, tout d'abord tu dois savoir que ce que je vais te dire ne sont que des constatations.
Je fronce les sourcils.
- Je n'ai pas les connaissances pour t'expliquer avec certitude ce qui s'est passé. Je ne peux que te dire ce que j'ai vu. D'accord ?
J'acquiesce. Tout ça me rend nerveuse et mes mains tordent le bord de mon t-shirt. Je ne dis rien et le laisse poursuivre.
- Dans la cage, tu as touché Quin. Lors de ce contact, il s'est retiré et une lueur bleue a jailli. Tu es toujours d'accord. Ensuite, tu es repartie, mais nous sommes restés. Tu n'as donc pas vu ce qui s'est passé ensuite.
Je retiens mon souffle. Zag semble perturbé. Ça ne lui ressemble pas et voir mon tuteur dans cet état me fait peur.
- Quin est resté dans l'ombre toute la nuit. Nora a veillé dans la salle des cages tout ce temps, afin de guetter des réactions à cet événement. J'ai été avertir Carl, bien sûr. Lorsque nous sommes revenus, Quin...
Il marque une pause, et hésite dans ses mots. J'ai peur que la fin de sa phrase ne soit "était mort", et dans ma tête toute sorte de scénarios s'entrecroisent.
- ... Est sorti de l'ombre.
Mon souffle se relâche.
- Il avait changé. Le petit garçon de dix ans... En avait seize.
Mon cœur s'arrête. C'est tout bonnement impossible.
- Son corps avait changé, mais aussi son esprit. Il avait la maturité d'un jeune homme de seize ans, et nous avons toutes les raisons de penser que cela vient de votre contact.
Zag guette mes réactions, mais je reste immobile, les yeux dans le vague. Avant, j'aurais hurlé que ce n'était pas possible, qu'il devait y avoir erreur, mais... Maintenant, un sombre écho dans ma tête me chuchotait que c'était probable.
Je ne suis pas un sombre écho. Ceci-dit, j'en arrive aux mêmes conclusions. C'est nous qui avons provoqué ça. Ne me demande pas comment, ajoute Morrigan, mais on l'a fait.
- Lyka ? Est-ce que tu as la moindre idée de ce qui s'est passé ?
Je reste muette. La fatigue et le choc me rendent vraiment bizarre. C'est comme si je n'avais même plus la force de crier et de répondre.
- Non, je finis par souffler.
Zag replonge un instant dans ses pensées, et se lève.
- Suis-moi. On va chez Carl.
Je ne proteste pas et le suis. C'est certainement la meilleure chose à faire, même si l'Alpha, malgré tout le respect qu'il m'inspire, me cache des choses. J'en étais parvenu à cette conclusion en repassant toutes nos entrevues, et les manières qu'il avait d'éluder certaines questions en me répondant vaguement.
Nous traversons à nouveau le village puis parvînmes devant le chalet de l'Alpha. À la vue de l'arbre qui mène à la chambre de son fils, ma métamorphose en humaine dans sa chambre me revient, et malgré le souvenir agaçant que j'ai, je ne peux m'empêcher de me demander où se trouve cet Alpha prétentieux.
- Lyka.
Je me tourne vers Zag. Il frappe à la porte, et bientôt elle s'ouvre sur Carl. Il nous laisse entrer, et nous conduit dans son bureau.
- Alors, fait-il en se plaçant derrière le meuble, venons-en au fait. Lyka, je suppose que Zag t'a mise au courant. Donc, je vais te dire quelque chose.
Je tends l'oreille, et capte son regard calme et sérieux.
- Ce qui va se dire ici, ne sortira pas d'ici dans mon accord.
Je hoche la tête, un peu apeurée. Que vais-je encore apprendre ?
- Quin est à présent Bêta.
Ma mâchoire se décroche. Je suis sûre qu'il était Oméga lorsque je suis entrée dans la cage.
- Tu l'as fait grandir et changer de statut. En un touché.
Carl me regarde avec tout le sérieux du monde. J'ai l'impression détestable de ressembler à une petite souris.
Faut pas que ça devienne une habitude.
Je raffermis mon regard et le lève dans celui de mon Alpha. Il ne fait rien, observe ma réaction. Ensuite, il répète :
- Tu l'as fait grandir jusqu'à seize ans, et maintenant il est Bêta.
- Si c'est votre question, je n'ai aucune idée de comment j'y suis parvenue, je lance.
- J'ai une idée, mais j'aimerais ne pas être interrompu, répond Carl.
Une fois que Zag et moi lui avons signifié que nous nous tairons, il commence :
- Je pense que lorsque vous êtes entrés en contact, tu as transféré une partie de ton aura de manière éphémère dans son corps.
J'ouvre la bouche, mais la referme, me rappelant de ne pas l'interrompre.
- La conséquence fut qu'il a pris six ans, de corps et d'esprit, et un grade.
- Tu es donc si puissante... murmure Zag à lui-même, comme si lui seule pouvait comprendre cette phrase.
Mais chez moi, elle sonne glacée. Encore un qui sait quelque chose que j'ignore...
L'amertume s'efface lorsque Carl me dit :
- C'est pour éviter un autre contact que je vais recevoir Quin ici, lorsque vous serez partis. Je vais l'interroger, puis l'envoyer dans une autre meute où il pourra s'intégrer. Vous ne pouvez pas vous voir, Lyka, tu comprends ça ?
Je hoche la tête, la fatigue refaisant son apparition. Mes jambes s'alourdissent au fur et à mesure que les minutes s'écoulent.
- Je vois que tu meurs d'envie d'aller te coucher, sourit Carl avec indulgence, donc je ne vais pas te retenir plus longtemps. Je vais juste te demander de faire attention à ne plus recommencer cette action.
- Je ne sais même pas comment c'est possible... Je ne contrôle pas ça, je lui réponds.
- Essaie, alors. Évite les contacts, si c'est nécessaire... Mais je préférerais ne pas en arriver là.
- Je n'ai jamais été très tactile, de toute façon, je fais avec un rire jaune.
Mon Alpha me demande carrément d'éviter les autres loups. De m'isoler. Zag me jette un regard de réprimande mais Carl me congédie. Je me lève avec lourdeur et sors, suivie de peu par Zag, lorsque son Alpha lui a murmuré quelque chose d'inaudible.
Mon amertume refait surface, accompagnée de sa fidèle amie la colère. Mais je serre les dents et ne dis rien, jusqu'à ce que je sois dans ma chambre, où mon oreiller souffre pour tous les soucis qui me tombent sur la tête.
***
J'ouvre les yeux cette fois sur une pénombre matinale. Le soleil se lève à peine. Je papillonne un peu, tandis que les événements des dernières heures me reviennent. Je serre les poings, puis les déserre. Je souffle.
Sous la douche, je tente de me faire à l'idée que, décidément, tout le monde me ment. Carl, Nora, Zag, pourquoi pas Jaïna et Kelian après tout !
Je sors de la salle de bain vêtue d'un t-shirt bleu clair et d'un pantalon noir, chaussée de baskets. Ma fatigue a diminué mais je sens tout de même que je ne suis pas au meilleur de ma forme...
- S'lut, me jette Nora depuis la table où elle enfourne des pâtes.
Je ne réponds même pas. Je la contourne, prends un pain et une tranche de viande, puis sors. Je n'ai vraiment pas la tête à faire l'hypocrite.
Assise sur la souche de la veille, je rumine en mangeant mon déjeuner. Les idées de Carl sont à mon avis les bonnes, mais personnellement, j'aimerais savoir comment j'ai fait. Est-ce que c'était conscient ? Non, pas à ce moment. Mais ça peut le devenir, si j'essaie encore.
Néanmoins, j'abandonne vite l'idée. Il n'est pas question de vieillir les gens autour de moi, ça pourrait être terrible. J'ignore les conséquences que ça pourrait avoir. Et puis, ça ne servirait à rien...
Tous les loups ne peuvent pas faire ça. Pourquoi nous ? intervient Morrigan.
- Aucune idée... je murmure à voix haute.
- Aucune idée de quoi ? demande une voix derrière moi.
Je soupire et dis :
- J'ai pas la force ni l'envie de me disputer, Kelian.
- Ma sœur a clairement dit qu'on devait essayer de s'entendre.
Le jeune loup s'assied sur la souche. Je me décale. Il souffle.
- Ça va. Je pue pas.
- Tu tends des perches... je souffle.
- Peut-être mais c'est vrai. Alors pourquoi tu me détestes encore ?
Ses yeux argent fouillent mon visage, comme pour déceler ce que je ne dis pas. Mais je suis aussi impassible qu'un roc lorsque je réponds :
- Je ne te déteste pas, je te hais.
- Que tu dis.
- Que je pense.
- C'est dingue, je te crois pas, ironise-t-il.
- T'as décidé de prendre le masque du mec charmeur et emmerdant ? Fiche le camp, je fais d'une voix lasse et fatiguée.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? demande-t-il.
Je me tourne vers lui, un soupçon de ma colère d'antan revenant dans mes pupilles fatiguées des mensonges et de mon "don d'aura" :
- Comme si ça t'importait.
- T'as raison sur ce coup, je me fiche de ton état, je veux juste savoir ce que mijotent Zag et mon père.
Malgré tout, ces paroles me blessent un peu. Ce n'est jamais agréable de s'entendre dire que quelqu'un se moque de votre santé. Mais ce n'est pas mon ami, loin de là.
- Va leur demander, alors.
- Pour me faire remballer avec un coup de pied au derrière ? répond-il avec un rictus en coin.
- Tiens, on fait de l'humour. N'empêche, ce serait drôle de voir ça... je réponds avec un sourire taquin.
- Bah t'as retrouvé le moral.
Il se lève et se dirige vers la forêt. Avec un regard en arrière, il me lance :
- Si jamais tu as envie de me le dire, histoire que je ne sois pas paumé...
Et il s'enfonce dans les bois.
Le plus ironique, ce serait que ce soit le seul à ne pas mentir.
Je souffle. Kelian semble prêt à repartir de zéro grâce à sa sœur, mais moi, je n'ai rien oublié. Ça va être long s'il espère que nous serons en bons termes. Il m'a quand même vachement blessée ! Le reste de mon pain finit dans mon estomac, et je décide de céder à l'appel de la forêt.
Les arbres me regardent passer avec indifférence. Je louvoie librement, comme je n'ai jamais pu le faire auparavant, consciente de ma nature et à la fois, libre de me déplacer dans les limites de la Meute. Je saute par-dessus les buissons avec aisance et force, même si mes jambes ne peuvent pas courir à leur maximum. J'essaie de ne pas forcer, je suis déjà assez fatiguée comme ça...
Je finis par m'arrêter, essoufflée, ce qui n'est pas dans mes habitudes.
Et si on avait perdu du pouvoir en donnant de l'aura à Quin?
Je tremble. Ce serait une mauvaise chose. Je n'ai pas envie d'y réfléchir. M'adossant à un chêne, je tends une oreille attentive pour écouter le bruit de la forêt.
Ces fourmillements me calment. Mon cœur ralentit. Mon esprit s'apaise. Je glisse le long de l'arbre et m'assieds dans l'herbe, à moitié endormie. Un écureuil saute dans le chêne, mais je ne bouge pas. Je l'écoute simplement grimper dans les branches, ses fines griffes s'aggriper à l'écorce alors qu'il se hisse au faîte de l'arbre avec facilité et grâce. Une biche saute un peu plus loin. Je l'entends plonger ses sabots fendus dans un ruisseau et en ressortir, doucement. Elle s'arrête. Elle renifle dans l'air. Tout ça, je le sens et je l'entends facilement.
Je ne pense pas avoir perdu de pouvoir...
Je rouvre les yeux brutalement. Un bruit inattendu a résonné dans la forêt. Un déchirement brutal et sonore, puis un corps qui tombe sur le tapis de feuilles, trop lourd pour être un lapin, une biche ou un écureuil. Les oiseaux perchés non loin s'envolent alors que je me lève. Ils fuyent instinctivement ce qui se passe à quelques centaines de mètres.
Je me mets à courir en silence, furtive et calme. Je régule ma respiration et mon cœur, afin que personne avec une ouïe surnaturelle ne puisse m'entendre à dix kilomètres. Je ne sais pas ce qui se passe, mais c'est dans le territoire de la Meute. Je dois aller voir.
Lorsque j'arrive à quelques mètres, je tombe sur une clairière. Il est tôt le matin, le soleil éclaire légèrement l'endroit d'une lueur orangée. L'herbe ondule doucement sous le vent. Mais ce que je vois m'empêche d'apprécier la beauté du lieu. Une silhouette humaine gît au sol, sous un immense tissu ample et sombre orné d'un symbole vert. Il représente un dragon, gueule ouverte, crachant des flammes qui tracent des caractères mystérieux.
Je distingue tout cela en m'approchant. Il n'y a rien aux alentours, pas un bruit, pas un animal, vraiment rien. La forêt est comme...
Morte.
Je frissonne, et baisse les yeux pour deviner l'identité de la personne dans l'herbe. C'est une femme, de cela je suis sûre. Le visage contre le sol, de longs cheveux blonds dépassent d'une capuche. Je touche prudemment l'épaule de l'inconnue et retire mes doigts, mais rien ne se passe et je la pousse pour dégager son visage.
Le choc me coule sur place. De grosses cicatrices zèbrent la peau de porcelaine, rouges, récentes et qui me semblent douloureuses. Un œil est bleu, gonflé. Une lèvre est éclatée.
Mais malgré toutes ces affreuses blessures, je reconnais une personne disparue depuis un mois...
- Lorraine...
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