🐺13🐺
Je cours entre les arbres sous ma forme de louve, laissant Morrigan contrôler mes foulées grâce à l'instinct de la louve. La neige se prend dans ma fourrure grise quand mes pattes éclaboussent le sol. Ma nouvelle agilité m'émerveille, et je sens la joie courir dans mes veines, comme autant d'énergie pour courir.
L'endurance des loups est très bonne, aussi, lorsque je sens l'odeur de la Meute qui est proche, je ralentis sans être essoufflée par ma course.
Derrière un arbre, j'observe une empreinte au sol. C'est l'empreinte d'un loup de la Meute, je sens l'odeur de celle-ci. Je me demande même si ce n'est pas celle de Carl lui-même...
Un jappement tout proche me sort de mes pensées, et je me plaque au sol, laissant ma tête dépasser du tronc pour voir ce qu'il se passe.
Un cerf de grande taille surgit des fourrés. Ses grands bois majestueux surmontent sa tête, son cou puissant se tend lorsqu'il renifle les alentours. La peur qu'il me repère m'envahit et je cesse de respirer, faisant s'évanouir les volutes qui sortaient de ma truffe. Le cerf bondit dans la clairière, et tend l'oreille vers l'arrière, comme s'il guettait un bruit. Ses yeux sont grand ouverts, captant la moindre information qui lui parvient. Il est figé au centre de la clairière, les muscles tendus, et sa nervosité me parvient par vagues. Il a peur. Mais de quoi ?
Je respire le plus lentement possible, immobile et attentive. Le cerf est une proie des loups. Morrigan le sait, et me pousse à bondir de ma cachette pour lui sauter à la gorge, déchirer sa fourrure et mordre la chair pour l'avaler par morceaux sanguinolents. De tels instincts ne me choquent plus, je comprends même ce que les loups sauvages éprouvent en chassant. L'adrénaline qui parcourt mes veines, la traque joueuse et la course derrière la proie en fuite. Je ne l'ai jamais vécu par moi-même, mais je l'imagine aisément, aidée par ma double nature.
Un léger bruit, si discret qu'en temps normal je ne l'aurais pas entendu, parvient des fourrés d'où est sorti le cerf. Des pas et des frottements de fourrure contre des feuilles. Une lente respiration placide alerte le cerf, qui fait un pas vers les buissons de l'autre côté. Il hésite. Cela vaut-il la peine de fuir ? Va-t-on l'attaquer ?
Il prend sa décision et saute d'un bond puissant vers l'orée de la clairière. Il n'a pas le temps de l'atteindre qu'un loup imposant lui coupe la route en claquant des mâchoires. La proie acculée baisse la tête, plaçant ses bois solides face au prédateur. Mais ce dernier n'a pas l'intention d'avancer. Un deuxième loup entre dans la danse en apparaissant derrière le cervidé, lui bloquant toute retraite. Je retiens mon souffle lorsque les loups sautent de concert sur l'animal pour le mordre au cou, leurs crocs ne trouvant pas prise dans l'épaisse toison du cerf, mais laissant de larges plaies qui se mettent aussitôt à saigner dans la neige. Leurs museaux maculés de sang, ils se redressent et repartent à l'attaque, ne laissant aucun répit à leur proie, car ils se relaient pour l'harceler sans cesse, afin qu'elle s'épuise.
Le cerf finit par pousser un long brame, dont chaque son résonne dans mon corps, et il plie les genoux pour s'affaisser au sol sans un autre bruit que le craquement de la neige sous son poids. Les loups n'émettent pas un son, et l'approchent pour planter leurs crocs, d'un coup sec et précis, dans l'encolure du noble cervidé, le tuant sur le coup, sans souffrance inutile.
- Qui es-tu ?
Je fais volte-face en montrant les crocs. Un énorme loup me fait face, tête haute et poitrail bombé. Ses yeux se plantent dans les miens, et je courbe l'échine.
- Je suis désolée, Carl... gémis-je piteusement en fixant le sol.
L'Alpha ne daigne même pas me demander ce que je fais là, et m'attrape la peau de l'échine entre ses crocs pour me traîner vers le cerf et les autres loups qui sont apparus dans la clairière. Ils devaient être cachés dans les buissons, et sont sortis quand j'avais le dos tourné. En tous cas, je suis dans un beau pétrin. Je ne devais pas être là...
Je racle la neige sur la distance avec la carcasse et elle me trempe la fourrure grise, la parsemant çà et là de flocons qui fondent et alourdissent mes poils. Carl me tient de manière à ne pas me faire mal, mais à me faire comprendre que je n'ai aucune chance d'échapper de sa "poigne".
Une fois au milieu, il me lâche brutalement et je me redresse en m'ébrouant, finissant la fourrure en pétard à cause de la neige. Je garde les yeux rivés au sol, piteuse. Je suis vraiment dans les ennuis...
Jusqu'au cou, crut bon d'ajouter Morrigan.
Je souffle et attend que Carl parle.
- Lyka... Que fais-tu ici ?
Sa voix est sévère, teintée d'une légère colère contenue. Je me retiens de gémir tant j'ai honte. Les loups me regardent tous, et ça ne fait qu'amplifier ce sentiment.
- Je... Je voulais vous trouver. Vous étiez en chasse et je...
Je me tais, complètement fautive. Je n'ai aucune bonne raison qui justifie ma présence non-désirée... Poser des questions ? La curiosité ? Ce n'est pas vraiment valable...
Carl grogne et approche ses mâchoires de ma gorge, comme pour m'effrayer. Ça ne fonctionne pas vraiment, mais je joue le jeu et me plaque au sol.
C'est toujours super humiliant de devoir se soumettre, quoi qu'en disent les membres de la Meute... Je déteste ça, peste Morrigan.
Je suis totalement d'accord avec elle, mais là je suis complètement coupable et je le sais. Carl va sûrement me punir, il aura raison, même si en mon fort intérieur je vais le détester pour ça.
- Tu n'as pas le droit de venir lors des chasses ! grogne Carl tout près de mon visage. Tu n'es pas une membre de la Meute ! Sois patiente et respecte les règles, c'est tout ce que l'on te demande.
Ce sermont me percute violemment, et je me crispe pour ne pas répondre. L'envie de me jeter sur l'Alpha pour le mordre me titille, encouragée par les martèlements de Morrigan dans ma tête qui tente de prendre le contrôle. Je la refoule et reste immobile, attendant le retrait de l'Alpha. Il relève la tête et me foudroye brièvement du regard, avant de me poser une autre question :
- Qui t'es dit que nous étions à la chasse ?
Je me tais. Dénoncer Kelian est une option tentante, quoique injuste, puisque je lui suis, malgré tout, reconnaissante de m'avoir aidée à me transformer. Et puis malgré son caractère horriblement arrogant, ce n'est pas mon genre de dénoncer les gens. Pas que j'ai eu beaucoup d'occasions de le faire, mais je déteste l'injustice.
- Je vois... Je verrai ça au retour. Rejoins le repère, et reste dans le chalet de Nora, je t'appelerai pour te parler. Tu dois rester dans l'enceinte des chalets, je t'interdis de faire des escapades seule. Pars !
Je fais volte-face rapidement, et m'engouffre avec hâte dans les bois. Mon ego a pris un sérieux coup avec cette remontrance publique, une envie de détruire quelque chose me prend sans crier gare. Je m'arrête aussitôt et balance un coup de patte dans un tas de neige innocent. J'en ai marre ! Depuis que je suis avec la Meute, certes je connais ma nature, mais je suis prisonnière ! J'en. Ai. Assez.
Lorsque je retrouve le buisson où j'ai caché mon sac, guidée par l'odeur, je le retransforme rapidement et enfile des vêtements en frissonnant. Je prends le sac, et m'avance sur la place, cheveux humides à cause la neige et tremblante. J'ai froid !
Lorsque j'atteins l'entrée de mon logement, une voix que je reconnais aussitôt m'interpelle.
Je me retourne, prête à hurler et à me déchaîner juste pour évacuer la colère, et me plante devant Kelian, qui me regarde, impassible.
- Alors toi, tu ne perds rien pour attendre !
- Qu'est-ce que j'ai encore fait, mademoiselle Alpha ? soupire Kelian, un léger sourire en coin, sachant parfaitement ce que je lui reproche.
- Quoi ??! Tu te fous de moi !!!
Je ne sais même plus exactement pourquoi je suis autant énervée, mais ce type... Il est insupportable !!!
- Tu m'as dit où ils étaient tous partis, en sachant pertinemment que j'irais les rejoindre.
- Et comment j'aurais pu le savoir ? Je te connais pas, tu ne m'inspires aucune sympathie, et si j'ai accepté de t'aider à te transformer c'est uniquement parce que les autres sont pas là ! rétorque Kelian.
Je pivote rapidement pour pousser la porte du chalet, et claque la porte en la faisant trembler. J'entends un rire léger et railleur, mais peut-être l'ai-je imaginé. Je m'enfonce dans un canapé en soufflant bruyamment. Cette journée a été un fiasco. Et elle n'est pas terminée !
Mon ventre gargouille et je me lève. Le dîner est déjà passé, et j'ai faim, froid, et je suis énervée. Le mauvais cocktail. Un biscuit est englouti dans mon estomac, suivi d'une pomme et d'un morceau de viande crue avant que je ne me sente rassasiée.
Je file ensuite sous la douche, et l'eau chaude achève de me réchauffer. Je sèche mes cheveux en vitesse et les démêle, puis je sors et m'assieds sur mon lit.
Je sais à présent me transformer en louve, et redevenir humaine sans problème. Nora l'a dit que les loups sachant se transformer doivent, au terme de leur apprentissage, passer une sorte d'épreuve pour être accepté en temps que membre de la Meute, ce que Carl m'a reproché de ne pas être tout à l'heure. Si j'étais membre de la Meute, je pourrais chasser, me balader dans la forêt, être LIBRE.
Ce programme a l'air très sympa, si tu veux mon avis.
C'est aussi mon ressenti. Et en plus, je pourrai savoir qui sont mes parents. C'est un objectif que j'ai commencé à imaginer. Puisqu'ils étaient apparemment des loups, puisque je le suis aussi, ils doivent avoir des relations dans le monde des loups-garous, et je pourrai les connaître à travers d'autres personnes. Mon cœur se réchauffe un peu à cette pensée.
Je suis sortie de mes réflexions par le bruit de la porte d'entrée. Nora lance depuis le salon :
- Lyka ? Carl t'attend...
Je la rejoins, et elle me regarde du coin de l'œil, comme hésitante. Finalement, elle dit alors que je pousse la porte :
- Tu as fait une bêtise, mais Carl est un Alpha juste...
Je ne réponds pas et me dirige d'un pas rageur vers le cabanon de l'Alpha. Je ne prête pas attention aux regards curieux des loups dehors, et frappe à la porte aussitôt arrivée.
La porte s'ouvre et c'est John qui apparaît dans l'embrasure. Je ne l'ai plus revu depuis le jour où j'ai dû le soumettre, et son air impassible ne me permets pas de savoir s'il m'est plutôt aimable ou hostile.
Il me laisse entrer en se décalant, puis referme la porte derrière moi.
Je pénètre dans le bureau de Carl en ressentant l'aura de dominance qu'il a probablement mise en place exprès à mon intention.
Il rêve s'il pense nous impressionner...
Je suis totalement d'accord, mais je ne dois pas me rebeller, au risque d'avoir encore plus d'ennuis.
Carl est assis derrière son bureau, et se lève à mon entrée. Il contourne le meuble de bois et se place à deux mètres de moi, le visage impénétrable et les bras croisés sur son torse.
Un long silence passe, sans qu'aucun de nous ne bouge ou ne parle. Je le fixe dans les yeux sans intention de le défier, et il le sait, aussi ne tente-t-il rien pour m'impressionner. Il semble réfléchir et m'observer, comme s'il me jaugeait, et choisissait la bonne punition pour me faire comprendre la leçon. Je me garde de faire l'insolente en lui signalant que j'ai déjà compris la leçon. Ce n'est pas vraiment le moment de faire la rebelle à l'ego d'Alpha.
- Bien, fait-il de sa voix grave après de longues minutes de silence. J'ai eu ce que je voulais.
Je hausse un sourcil. Je n'ai rien fait de spécial. Que veut-il dire ?
- Je voulais une preuve que tu es plus... (il réfléchit un instant)... Mature, que lors de ton arrivée.
- Je n'étais pas dans le meilleur état pour être calme, à vrai dire, ne puis-je m'empêcher de rétorquer.
- Tu étais dangereuse et imprévisible, se contente de répondre l'Alpha calmement. Mais j'ai eu la preuve, donc, que tu sais patienter quand c'est nécessaire. Malgré ta faute grave, à savoir nous suivre lors d'une chasse sans être membre à part entière de la Meute, tu es prête.
- Prête à quoi ? m'enquié-je.
Il fait un léger sourire, très petit mais bien là, qui me fait aussitôt penser à un père fier de son enfant.
Cette comparaison me rappelle le but récent que je me suis fixé. Retrouver des connaissances de mes parents.
- Tu es prête pour passer ton épreuve.
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