Chapitre 41
CHARLY
Mon téléphone sonna et me fit sursauter, je ne connaissais pas le numéro, mais mon instinct me hurlait de répondre, je ne savais pas pourquoi.
— Allo...
— Charlène ?
C'était une voix masculine que je ne connaissais pas.
— Oui, qui est-ce ?
— Tu ne me connais pas, enfin pas vraiment, je m'appelle Assil...
— Qui es-tu ? Et qu'est-ce que tu veux ?
— J'ai besoin de ton aide, il faut que je retrouve Eden.
— Je ne te connais pas, et tu...
— Il faut que je retrouve Eden, avant qu'elle ne se souvienne du crime qu'elle a commis, coupa-t-il.
— Quel crime ?
— Le meurtre de Silas Smith... Eden a tué Silas Smith, et si jamais elle s'en souvient, ce sera la fin de tout...
Je me repassais la conversation que j'avais eue avec le dénommé Assil en boucle. Eden n'avait pas tué Silas, c'était impossible, elle s'en souviendrait, son coeur s'en souviendrait ! Et puis qui était-il ? Son prénom était une anagramme de celui de Silas, et il avait dit que je ne le connaissais pas vraiment. J'avais tenté de le rappeler à plusieurs reprises, mais il n'avait pas répondu.
Je n'arrivais pas à oublier ses mots si bien qu'une partie de moi voulait appeler Eden pour savoir comment elle allait, j'étais certaine qu'elle avait des problèmes, elle avait toujours des problèmes, même si elle oubliait la plupart du temps. J'avais menti lorsqu'elle m'avait demandé la clé qu'elle m'avait confiée, avec tout ce qu'il s'était passé, je savais que lui donner cette clé serait une erreur, surtout maintenant.
— Charly ? Il est temps d'y aller, Ava est prête ! hurla Jody.
Elle avait décrété que chaque vendredi soir, nous irions manger une pizza dans ce qu'elle appelait la meilleure pizzeria du monde, ici à Memphis. Je descendis rapidement et tentai de paraître naturelle. Tante Jody posa son bras sur mes épaules avant de m'étreindre longuement. Depuis que nous étions arrivées, elle débordait de tendresse au grand bonheur d'Ava qui, malgré tous les efforts que j'avais faits pour la préserver, manquait d'une figure maternelle. La preuve, depuis notre arrivée, après avoir passé les deux premières nuits avec moi, elle avait vite saisi la main tendue de tante Jody, alors que moi j'avais beaucoup plus de mal, et surtout un pincement au coeur face à tout ça.
Nous prîmes la route et alors que Ava chantait à tue-tête, le manque de John me foudroya. Je savais qu'il avait pris la meilleure décision en quittant Sherwood et en me quittant au passage, je savais que notre relation était immorale, mais je l'aimais et ça, je ne l'avais pas choisi. Il me manquait terriblement, j'avais appris à vivre grâce à lui et maintenant que j'étais libre, il n'était plus là. Eden, était la, elle allait mal, beaucoup trop mal pour que je fasse passer mes besoins avant les siens, beaucoup trop mal pour que j'envoie un message à John, beaucoup trop mal et tout de même capable de pardonner ma relation avec son père.
— Charly ? Nous sommes arrivés, tu vas bien ?
J'acquiesçai et sortis alors qu'Ava m'attrapa la main et avança en sautillant, heureuse. La voir ainsi me réchauffa le coeur et me conforta dans le fait que j'avais pris la bonne décision pour elle. Elle engloutit sa pizza en racontant sa première semaine d'école et toutes les amies qu'elle s'était faite et lorsqu'elle aperçut une de ses camarades, elle demanda à aller jouer avec elle dans l'espace enfants.
— C'est une sacrée boule d'énergie Ava, dit Jody en souriant.
— Oui, elle est heureuse d'être ici.
— Toi un peu moins, je me trompe ?
Je la regardai surprise et son visage n'était que douceur.
— Non, je sais que c'est la bonne décision, ça n'allait pas à la maison.
— Ton père n'a pas appelé depuis que vous êtes ici...
— Il n'appellera pas ! répliquai-je.
— Ava a demandé s'il allait venir la voir...
— Il ne viendra pas, il est sur un fauteuil roulant ! Je ne veux pas parler de lui Jody, s'il te plait.
Elle soupira et but une gorgée de son cocktail.
— Tu sais que ta mère avait demandé le divorce avant de tomber malade, je sais qu'elle n'aurait pas voulu que je t'en parle, mais je pense que tu en as besoin Charly.
Je me redressai et la regardai surprise. Maman demander le divorce ? Papa était toute sa vie, elle l'aimait tellement, c'était tout ce dont je me souvenais d'eux deux, de l'amour, de l'amour, de l'amour.
— Oui, elle aimait ton père, mais tu sais il n'a pas eu une vie facile, ta mère l'a sauvé et lorsqu'elle est partie, il a de nouveau perdu pied, c'était son ancre.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là, il n'a pas eu une vie facile ?
Elle m'observa longuement et me fit un triste sourire.
— Tu es toujours amie avec cette Eden Moore ?
Elle se souvenait d'Eden ? Jody était venue juste une ou deux fois depuis que nous vivions à Sherwood, et c'était avant le décès de maman, comment pouvait-elle se souvenir d'elle ?
— Oui, pourquoi ?
— Alors, tu sais...
— Savoir quoi ?
— Tu sais ce qui se passe à Sherwood, tu sais que ton amie est spéciale.
Elle s'arrêta un moment et reprit.
— J'ai vécu à Sherwood, avec ta mère, nous avons passé notre enfance et notre adolescence dans cette ville. Les choses étaient déjà spéciales, il y avait tout ce mystère autour d'Ashley, la mère d'Eden. Elle était arrivée en ville lorsqu'elle avait dix-sept ans, et nous avons vu que quelque chose n'allait pas. On avait essayé d'être amies avec elle, mais elle ne voulait rien entendre, les seules personnes qui pouvaient l'approcher étaient les garçons et les hommes. Ton père faisait partie des garçons qui ont été tout de suite fascinés par elle et ce qu'elle dégageait, ses cheveux roux, sa beauté fragile et destructrice à la fois...
Elle rit à ces souvenirs et continua.
— Ton père a développé l'obsession de tous les hommes envers Ashley et tu sais, avec tout ce qu'il a subit dans son enfance, son père a été horrible avec lui, horrible. Alors retrouver de l'intérêt pour quelqu'un, ça a été comme un déclic pour lui, et petit à petit on a vu que quelque chose n'allait pas. Nos amis étaient de plus en plus absents, nous tenaient de plus en plus à distance. Ta mère était amoureuse de ton père depuis toujours, et le voir partir, n'avoir d'intérêts que pour une autre... On a commencé à les suivre, au début ça ne donnait rien, ils allaient se poser dans les bois, ils fumaient, Ashley parlait et tous l'écoutaient. Puis un soir, on les a suivis et ils allaient à l'Église, le père de Jacob et Joseph Smith était le pasteur. Il y avait plusieurs personnes, on ne voyait pas leurs visages, ils portaient des capes à capuches, on savait juste que ton père en faisait partie, John Moore, Tim et d'autres de nos amis.
Alors cette histoire avait commencé bien avant notre naissance ? Nos parents savaient, ils savaient tout.
— Ashley était habillée tout en blanc, elle portait une longue robe en dentelle, il y avait des roses blanches partout, et l'autel en était parsemé également. Le pasteur Smith a porté Ashley jusqu'à un bassin rempli d'eau et il l'a plongé à l'intérieur... Il l'a maintenu dans l'eau, elle se débattait, mais il la maintenait et ta mère a hurlé. Tout le monde s'est retourné alors on a pris nos jambes à notre cou et on s'est enfuies. Ils ne nous ont pas vus, et le lundi au lycée c'était comme si rien ne s'était passé, nos amis nous ont de nouveau adressé la parole et Ashley était là.
Elle termina son verre cul sec.
— On sait très bien ce qu'on a vu ce soir-là, et lorsque nos amis nous ont dit qu'ils avaient passé le weekend à boire des bières chez Tim, on savait qu'on avait raison, il se passait quelque chose et le pasteur Smith en était à l'origine. Ton père tentait de donner le change, mais la façon qu'il avait de regarder Ashley, cette avidité qu'il y avait dans ses yeux... Avec tous les abus dont il a été victime, le voir regarder Ashley de cette façon, nous inquiétait beaucoup. Finalement, les choses se sont tassées, on a continué à les suivre pendant plusieurs jours, mais il n'y avait rien d'anormal. Le temps est passé, et Ashley et John sont devenus un couple, alors ton père a enfin regardé ta mère et tu connais la suite de l'histoire...
J'avais lutté pour écouter la suite après avoir entendu que mon père avait subi des abus, surement sexuels. Ce n'était pas une excuse, mais je me demandais toujours pourquoi il faisait ça, qu'est-ce que j'avais fait pour qu'il s'en prenne à moi de cette façon ? Et avoir cette information voulait dire que je n'avais rien fait, ce n'était pas ma faute, ce n'était pas ma faute.
— Hey, ne pleure pas ma puce, je sais... Mais tout est fini maintenant, c'est terminé...
— Rien n'est terminé Jody ! Tu ne sais rien, rien du tout ! hurlai-je. Je... Il... Je dois sortir, il faut que je parte d'ici, je dois m'en aller !
Je me levai et sortit en trombe alors que les larmes brouillaient ma vue. Si Jody savait, est-ce que ça voulait dire que John savait aussi ? Je pris mon téléphone et composai son numéro sans réfléchir.
— Allo ? dit-il de sa voix qui m'avait tant fait chavirer.
— Tu savais ?
— Charlène ? Attends une minute.
— Non ! Tu savais ? Mon père tu le connais depuis toujours, alors tu savais qu'il avait été victime d'abus ? Tu le savais ?
— Charly... Je ne savais pas qu'il te faisait du mal, je ne le savais pas je te jure, calme-toi...
— Non ! J'ai toujours cru que c'était de ma faute, que j'avais fait quelque chose, mais je n'ai rien fait, je n'ai rien fait, pleurai-je sans pouvoir m'arrêter.
— Bien sûr que tu n'as rien fait ! Ne pense pas ça Charly, c'est lui qui est malade... Je suis désolé, tellement désolé d'être parti, je... Je n'avais pas le choix, Eden en avait besoin...
— Pourquoi ? Parce qu'elle a tué Silas et qu'elle ne s'en souvient pas ?
À peine avais-je prononcé ces mots que je le regrettais, dans ma colère je n'avais pas réfléchi.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Rien ! Rien du tout John, je dois te laisser...
— Attends Charly... Tu me manques tu sais, j'essaye de combattre ça, mais tu me manques tellement, je t'...
Je raccrochai avant qu'il ne termine sa phrase, il ne pouvait pas me dire qu'il m'aimait, pas après tout ce que je venais d'apprendre. Mon père, Eden qui avait vraiment tué Silas, son histoire qu'elle ne connaissait surement pas et que sa mère avait vécue, elle devait être perdue et se sentir tellement seule... Je l'avais abandonné alors qu'elle devait se sentir tellement seule elle devait tant souffrir, plus que je ne souffrais. Je devais l'aider, je devais la retrouver et l'aider, la clé qu'elle m'avait confiée était la réponse à tout, je ne savais pas ce qu'elle ouvrait, c'était surement à Sherwood. Matt savait peut-être, Eden était en danger et le fait qu'elle ne se souvienne pas de tout la mettait encore plus en danger. Cette histoire nous touchait tous, et ses conséquences également, je ne voulais plus être une victime, je ne voulais pas qu'Eden soit une victime et que ça lui soit fatal, aussi fatal que ça l'avait été pour Silas...
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