Chapitre 31
SILAS
Lorsque maman m'avait dit que les Cohen ne portaient pas plainte, je sus qu'elle était alors impliquée elle aussi dans ce qui se tramait à Sherwood. Elle était déterminée à ce qu'Eden sorte de ma vie, et je savais au plus profond de mon âme qu'elle y arriverait.
Alors cette nuit, je sortis par la fenêtre de ma chambre et allai directement chez Eden. Lorsque je vis que sa baie vitrée était ouverte, je me hissai à l'étage et pénétrai dans sa chambre. Elle dormait profondément et c'était l'image dont je voulais me souvenir, éternellement, Eden en paix. Je retirai mes chaussures, m'allongeai près d'elle, et passai un bras autour de sa taille. Je ne savais pas si c'était sa présence, sa chaleur ou alors le fait qu'elle se colle un peu plus à moi, comme par instinct, qui me fit craquer. Je me sentais assez bien à ses côtés pour laisser ma faiblesse m'envahir, ma peine s'exprimer, je pleurai Jonas, je pleurai ma famille, je pleurai Eden, je savais que c'était la fin de quelque chose, mon âme le savait alors je pleurai en silence.
Je la sentis se réveiller alors je resserrai mon étreinte. Elle se retourna et ouvrit grand ses magnifiques yeux verts.
— Silas ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Elle voulut se redresser, mais je l'en empêchai doucement, je ne voulais pas que sa chaleur me quitte.
— S'il te plait, je veux juste rester dans tes bras Eden, je veux juste t'enlacer et rester là, avec toi...
Elle ne dit rien, mais ses larmes se mirent à couler et mon coeur se brisa un peu plus. Notre connexion n'avait jamais été aussi forte que maintenant, je ressentais sa peine de me voir pleurer, j'avais l'impression qu'un fil nous reliait, non, qu'il faisait de nous deux, qu'une seule et même personne.
— Parle-moi alors, dis-moi ce qui ne va pas, murmura-t-elle en posant une main sur ma joue, essuyant une larme.
— J'ai frappé Nathanael, il est à l'hôpital...
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
— Il a dit des choses horribles, des choses que je n'ai pas supportées Eden, je... Je ne supporte pas le fait que tu souffres, je ne supporte pas que quiconque ait pu te faire du mal, je ne supporte pas ce que cette ville engendre comme malheur...
Elle fronça les sourcils et sembla éluder ce que je venais de dire.
— Silas, je ne t'en veux pas de ne m'avoir rien dit pour mon père et Charly, c'est ça qui te met dans cet état ? Nate le savait c'est vrai, mais je vais m'en remettre, ne t'inquiète pas...
Elle ne se souvenait pas... Une partie de moi était heureuse qu'elle ait oublié les horreurs qu'elle avait vécues, Nate ne mentait pas, Eden était une victime et même si je ne connaissais pas les raisons de cette obsession, je savais qu'elle ne supporterait pas de se souvenir.
— Oh Eden...
Je la serrai dans mes bras et humai ses cheveux.
— Cette nuit, je te fais un serment, ne l'oublie jamais, je te jure de te protéger jusqu'à la fin de mes jours Eden tu m'entends ? Jusqu'à la fin de mes jours..., dis-je d'une voix déterminée.
J'embrassai son front et plongeai dans son regard, silencieusement. Je le pensais et j'allai lui prouver tout le temps qu'il me restait à passer auprès d'elle, j'allais lui prouver. Elle pleura de nouveau et j'essuyai ses larmes en lui souriant.
— Je ne veux plus que tu pleures Eden, je ne veux plus...
Elle hocha la tête et enfouit son visage dans mon cou.
— Je t'aime à en survivre Silas Smith, chuchota-t-elle à mon oreille.
Ses mots me percutèrent, je ne savais pas quelle Eden parlait, elle ne le savait pas non plus, j'en étais certain, mais ses mots étaient sincères. Alors je ne dis rien, caressai ses cheveux et attendis qu'elle s'endorme.
Une vibration me réveilla, Eden se dégagea doucement de mes bras, mais je gardai les yeux fermés.
— Joseph ? chuchota-t-elle.
Joseph comme mon oncle Joseph ?
— Très bien, j'arrive.
Je tentai de garder une respiration régulière, feignant le sommeil, et Eden caressa ma joue avant de m'embrasser le front, et je l'entendis fermer la porte doucement. J'ouvris les yeux et me levai rapidement, lorsque je sortis de la chambre, elle venait de quitter la maison. Je vis que ses clés de voiture étaient posées alors j'en déduisis qu'elle allait rejoindre mon oncle Joseph à l'église. Il vivait à vingt minutes à pieds de chez les Moore, alors je me mis à courir, en prenant le chemin opposé qu'elle venait d'emprunter et j'arrivais devant l'église quelques minutes avant elle. Je la vis entrer dans le bâtiment et aperçu mon oncle qui regarda aux alentours avant de refermer la porte.
Je fis le tour et tentai d'ouvrir la porte arrière, mais elle était fermée, alors je passai par le local à poubelle et me glissai à l'intérieur de l'église. Mon coeur battait la chamade et j'entendis des voix non distinctes provenant de la salle. J'avançais, tremblant de tous mes membres, sachant que ce que j'allais voir allait tout changer, je saurai enfin ce qu'il se passait et quelle place avait Eden. La porte était fermée alors je fis demi-tour et montai à l'étage, sachant que j'aurai une vue directe sur tout ce qui se passait en bas. Je m'arrêtai brusquement lorsqu'une planche grinça sous mon poids et repris mon ascension en réalisant que les voix ne s'étaient pas arrêtées.
J'arrivai et rampai presque sur le sol de peur de me faire voir. Mon coeur s'arrêta lorsque la scène se présenta à moi.
— Mes amis, dit oncle Joseph d'une voix forte. Je sais que ce moment n'était pas prévu, mais Eden a eu la gentillesse d'accepter de venir, même s'il reste dix-neuf jours avant l'échéance. Aujourd'hui, l'heure est à la discrétion, Eden est perturbée par tous les évènements passés et la mort de Jonas a été un élément déclencheur. Je sais que nous sommes beaucoup à avoir attendu ce moment, nous avons patienté des années entières avant qu'elle n'arrive et aujourd'hui ce n'est qu'une question de jours.
— C'est Ashley qui t'a demandé de nous réunir ? Finalement, elle a changé d'avis c'est ça ? coupa la mère de Matthew. Mon petit Samuel est mort pour ça, elle...
— Eden vaut tous les sacrifices Catherine ! siffla mon oncle. N'êtes-vous pas d'accord ?
Qu'est-ce qu'il se passait bordel ? De quoi parlaient-ils tous ? Je ne comprenais pas, il restait dix-neuf jours pour quoi ?
— Eden est une partie de nous tous, et si nous voulons atteindre notre but ultime, il faut que nous prenions une décision. Eden ? appela-t-il.
Elle entra, vêtue d'une longue robe blanche, elle paraissait complètement déphasée et surtout, elle était traînée par quelqu'un, je ne voyais pas son visage, car il portait une capuche.
— Eden allonge-toi sur la table, aide-la Silas, elle est encore faible.
Je sursautai à l'entente de mon prénom, qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Pourquoi l'appelait-il ainsi ?
— Voilà, très bien... Tim, je sais que tu as patienté longtemps pour ce moment, goûter à notre chaire est quelque chose de jouissif et cette nuit, cette nuit...
Tim Baldwin ? Le chef de la police ? Il s'arrêta lorsque la porte s'ouvrit brusquement.
— Qu'est-ce que tu fous Joseph ? hurla Ashley Moore. Ce n'était pas prévu !
— Ashley, comprends que les choses ont changé, il est nécessaire d'accélérer la cadence. Tu connais l'importance des étapes, tu as connu l'échec aussi et tu as pris des engagements.
— Elle n'est pas prête Joseph ! Pas ce soir, il ne faut pas, fais-moi confiance, j'ai vécu la même chose, je sais qu'elle n'est pas prête.
— Ashley voyons, rit oncle Joseph. Regarde un peu autour de toi, ajouta-t-il en désignant les dix personnes présentes dans la pièce, même si c'est toi qui as donné la vie à Eden, elle ne porte qu'une infime partie de toi.
Une infime partie d'elle ? Mon ventre se noua lorsque je commençai à réaliser le sens des mots de mon oncle.
— Elle a grandi avec moi, je l'ai créée de toutes pièces en ce qu'elle est aujourd'hui, alors si je te dis que ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment Joseph ! Tu ne voudrais pas que je fasse intervenir ton frère quand même ?
Papa ? Papa faisait partie de ces gens ? Oncle Joseph, Ashley Moore, Catherine Connery, Nathanael qui était à l'hôpital, Tim Baldwin, David Rosen le directeur de la banque centrale, Thomas Dale un avocat, Alan Grayson qui était le fils d'un promoteur immobilier de la région, Peter Cole un chirurgien, Dean Preston le proviseur du lycée, l'homme à la capuche qui se faisait appeler Silas et Sean Newman un policier. Il n'y avait que des hommes hormis Catherine Connery et la mère d'Eden, et je réalisai toutes les horreurs qu'elle avait dû subir.
— Qu'est-ce qu'on dira aux autres ? Je vous ai réunis parce que vous êtes les membres les plus importants, mais que devrais-je dire à tous ces fidèles qui ont sacrifié énormément pour que nous atteignions notre objectif ? Nous sommes à quelques jours, dix-neuf jours exactement Ashley, tu as profité de ta fille pendant dix-sept années, n'est-ce pas plus que ce que tu espérais ?
Ashley Moore ne répondit rien.
— Bien, l'Absolution est prévue dans dix-neuf jours exactement, ce qui nous laisse tout juste le temps de nous préparer. Tim, je disais donc que tu avais attendu assez longtemps et tu es le seul à ne pas avoir disposé de ce qui te revenait de droit.
— Tim, intervint Ashley, tu es comme un oncle pour elle...
— Et toi tu es sa mère, ça ne t'a pas empêché de laisser tout le monde jouir de son droit sur Eden, mais en ce qui me concerne ça te dérange ? Tu es répugnante, le privilège de donner la vie à Eden t'a été donné par toutes les personnes présentes ici, elle n'est pas à toi et elle ne le sera jamais !
Tim Baldwin s'approcha d'Eden alors je me redressai lorsqu'une main se plaqua sur ma bouche me retournant.
— Chut, est-ce que tu vas garder le silence ?
J'acquiesçai et il me libéra en me faisant signe de le suivre. Lorsque nous nous retrouvâmes dans le local à poubelle, il me regarda.
— Il faut que tu t'en ailles Silas, tout de suite !
Casey Duncan, le journaliste que j'avais été voir, se tenait devant moi.
— Il faut qu'on parte d'ici et vite, retourne chez Eden !
— C'est hors de question ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Tu savais depuis le début ce qu'il se tramait ? Tu savais tout et tu n'as rien fait ? Ils vont lui faire du mal, je dois aller la chercher !
— Ils vont te tuer Silas, siffla-t-il. Ils vont te tuer comme Jonas, comme Samuel, comme tous les autres qui gisent au fond du lac, j'ai mis le feu à l'arrière, ils vont devoir évacuer très vite, ils ne lui feront rien, toi il faut que tu retournes chez elle.
Je sentis effectivement de la fumée, mais c'était hors de question que je m'en aille.
— Je ne partirai pas avant que tu ne me dises tout ce que tu sais Casey ! Mon frère est mort, Eden est...
— Très bien, je t'accompagne jusqu'à chez elle, et je te dirai tout ce que je sais.
J'entendis des sirènes au loin, et Casey m'entraîna de force à l'extérieur, lorsque des cris se firent entendre. Eden allait sortir, il avait raison, elle allait sortir, il me tirait par la manche et plus il me racontait son récit, plus je me laissai traîner, sous le choc. Mes genoux ne tinrent plus, et Casey dut me retenir alors que je m'écroulai à quelques mètres de la maison d'Eden.
— Silas, il faut que tu te ressaisisses, je suis à deux doigts de tout révéler, j'ai rassemblé assez de preuves pour les faire tous tomber, mais j'ai besoin de toi. Ils ont tué Jonas, Nate était là, ils l'ont tué alors qu'il voulait les dénoncer ! Nous sommes presque au bout de cette histoire, mais il faut que tu sois là pour elle, elle aura besoin de toi, elle va tomber de haut et toi seul peut arrêter sa chute. Retrouve-moi demain à dix-huit heures au journal, je t'attendrai, d'accord ?
J'hochai la tête vaguement.
— Tu peux entrer par la porte, John Moore est ivre comme un trou, retrouve-moi demain, et prends une douche ! Tiens tu enfileras ça avant de dormir, tu sens les déchets et la transpiration, dépêche-toi !
Il s'en alla et je m'exécutai, presque mécaniquement, j'entrai, je pris une douche de cinq minutes, enfilai les affaires de Casey et m'allongeai. Je n'arrivai pas à assimiler tout ce qu'il venait de me dire, ou bien je refusais tout simplement, j'étais horrifié, alors je fermai les yeux. Je ne savais pas combien de temps j'étais resté dans cet état, mais je sentis Eden se glisser sous les draps et m'attrapant la taille, tremblante.
Est-ce que j'étais parti trop tôt ? Est-ce que Tim avait abusé d'elle comme tous les autres ? Est-ce qu'elle supporterait la vérité ? Non... Je ne le supportais pas moi-même, je ne le supportais pas. Eden s'installa à califourchon sur moi et j'ouvris les yeux, elle avait ce sourire en coin, provocateur, les yeux pleins de désir, ce n'était pas elle.
Elle m'embrassa alors, forçant le passage dans ma bouche et je ne répondis pas.
— Embrasse-moi Silas, embrasse-moi, j'en ai besoin, je veux oublier..., murmura-t-elle.
Je ne dis rien, la regardant dans les yeux, Eden Moore, la belle Eden. Elle m'embrassa de nouveau, "je veux oublier", avait-elle dit, elle voulait oublier, alors elle se souvenait ? À cet instant précis, je lus dans son regard qu'elle savait tout, à quel point elle souffrait, à quel point elle était brisée. Alors tout s'arrêta lorsque je répondis à son baiser, nous venions d'entrer dans un monde parallèle, un monde à nous, un monde de plaisir, de légèreté. Un monde où nous n'étions que tous les deux, où nous nous aimions simplement, où nous faisions l'amour pour la première fois et où nous étions en symbiose parfaite.
— Je t'aime Silas Smith, je n'oublierai jamais ce moment, chuchota-t-elle à mon oreille.
— Je t'aime aussi Eden Moore, je t'aimerai toujours...
Notre monde parfait s'écroula en quelques secondes, lorsque j'ouvris les yeux brusquement et que je croisai son visage baigné de larmes...
— Je veux juste oublier Silas, je veux oublier...
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