EDEN

— Eden !

Je ne tremblais plus, du moins je ne convulsais plus, mais la vue du corps en flamme de Samuel m'empêchait de bouger, de répondre à Silas que j'entendais pourtant. Je l'entendais, mais je n'arrivais pas à l'atteindre, il fallait qu'il m'aide, il fallait qu'il me fasse sortir, il le fallait. Je hurlais, même si je savais qu'il ne m'entendait pas, je hurlais même si la fumée s'immisçait dans mes poumons, me faisant suffoquer au point de manquer d'air.

"Aide moi !"

J'étais sur le point de défaillir lorsque je reçus une gifle, "merci Silas". J'ouvris les yeux et l'horreur qui se peignit sur son visage confirmait que je n'avais pas rêvé, que c'était bien vrai. Samuel était mort et j'étais là, j'étais là, mais je ne savais pas qui me hurlait dessus, je ne savais pas qui l'avait brûlé vif.

— Eden !

Silas était sous le choc, je voyais qu'il allait paniquer et faire une crise, Jonas avait déjà eu une crise pareille, je m'en souvenais.

— Silas, ça va...

— Non ! Ça ne va pas, Eden... Il faut que je t'emmène à l'hôpital, tu viens de faire une crise, tu... Qu'est-ce qu'il se passe ? Putain, je... Non, ça ne va pas, ça ne va pas, je...

Il se tenait la poitrine, comme s'il avait mal au coeur, mais je savais que c'était parce qu'il battait beaucoup trop vite et qu'il paniquait, alors je le pris dans mes bras, même si je n'avais presque plus de force. Je le pris dans mes bras et nous nous laissâmes tomber au sol, épuisés.

C'était à ce moment-là, ce moment précis que toute mon année, tout ce que j'avais oublié de lui m'était revenu. Mon histoire avec Silas, ce que je ressentais réellement pour lui, la première fois que je l'avais réellement vu, cette nuit-là au lac. Je pleurais et il m'avait consolée, silencieusement. Nos courses, nos discussions, nos silences, notre premier baiser, à quel point il faisait battre mon coeur, à quel point il m'avait sauvée. Il m'avait sauvée, mais il avait aussi ouvert la brèche dans laquelle je m'enfonçais aujourd'hui, dans laquelle je l'avais entraîné. Oui, tout était de ma faute, depuis le début, et Silas n'était pas censé être impliqué.

— Jonas était obsédé par toi, c'est ce que ma mère m'a dit. Il a commencé à te suivre partout lorsque tu étais enfant, à l'école, dans tes activités, il avait même arrêté le lycée. Maman dit que la première fois qu'elle l'a vu t'embrasser, tu avais dix ans, est-ce que tu t'en souviens ?

Il avait dit ça d'une traite, resserrant son étreinte comme si ma réponse allait tout changer. Sa mère mentait, elle mentait comme elle avait menti à tout le monde, et comme elle mentait encore à tout le monde.

— Non, je ne me souviens pas... Si c'était vrai, je me serais souvenue Silas...

— Sauf si ton père t'a fait oublier, comme il t'a fait oublier tous ces souvenirs Eden.

Je savais de quoi il parlait, je savais que mon père me droguait pour me faire oublier des choses le concernant, les concernant. Il voulait que j'oublie qu'il avait menacé de tuer Jonas, qu'il savait tout de notre histoire et que ça le dégoutait comme si notre relation était proscrite.

— J'ai trouvé un carnet dans la cabane, un carnet avec quelques lignes dedans, Jonas parle de toi. Il parle de tout ce qu'il a trouvé, des vidéos que vous avez faites lorsque vous avez compris que ton père te droguait Eden, il disait qu'il savait tout et que toutes les preuves, il les avait donnés à Casey Duncan, un journaliste.

Casey Duncan ? Pourquoi ce nom me disait quelque chose ?

" Laisse-toi aller, tu te souviendras."

Entendre cette voix dans ma tête me renvoya brutalement à une période que je n'arrivais pas à définir. Je voyais seulement ce qu'il se passait devant moi, et j'entendais ce qu'il se disait.

— Lorsqu'Eden sera prête, nous pourrons enfin commencer, dit le pasteur Joseph.

— Elle est prête depuis longtemps et vous le savez, si la pseudo mère de Samuel n'était pas aussi folle, nous n'en serions pas là !

— La seule raison pour laquelle tu as été choisie, c'est parce qu'on sait tous ici que Joseph est amoureux de toi ! Tu penses que tu es spéciale ? Pas du tout, tu es et tu resteras la garce que tu as toujours été, et ta fille prend le même chemin que toi, heureusement que...

Madame Connery ne termina pas sa phrase, ma mère la gifla de toutes ses forces.

— Eden représente tout, alors ne redis plus jamais ça !

— Mesdames voyons, ça suffit ! Nous allons pouvoir commencer, intervint le pasteur Joseph.

J'étais allongée sur un lit et mon regard était rivé sur les dessins au plafond, j'observais les dessins du Christ et peu à peu je me détendais, ce qu'ils m'avaient administré faisait effet. Un silence suivit et je sentis une main sur ma jambe, me caresser et remonter peu à peu.

— Elle est prête, allons-y.

Je me sentis soulevée et plongée dans de l'eau glacée. Ce n'était pas cette sensation qui me faisait paniquer, c'était le fait que je n'arrivais pas à remonter à la surface, je luttais, mais on me maintenait sous l'eau.

— Laisse-toi faire Eden, ça ira, laisse-toi faire...

La voix de Joseph Smith fut la dernière que j'entendis et je fermai les yeux. Lorsque je les ouvris à nouveau, Jonas était en face de moi, le visage tuméfié et un carton dans les mains.

— Tout est là Eden, tout y est, je vais les donner à Casey, Casey Duncan, c'est un ami journaliste, il va tout raconter, il a commencé son article, mais il attendait les preuves. Je ne sais pas si tu me pardonneras un jour, alors j'espère que tu oublieras, j'espère que tu m'oublieras... Mais si ce n'est pas le cas, ou si un jour, des souvenirs te reviennent, sache que j'ai fait une copie de tout ce que j'ai trouvé, de tout ce qu'on a découvert. Non... non Eden s'il te plait ne pleure pas, je ne savais pas, je ne savais pas...., pleura-t-il.

Je pleurai aussi, je ne savais plus qui j'étais, c'était comme si mon âme avait été arrachée, mon esprit, mon coeur, je n'étais plus qu'une enveloppe vide et lorsque mon regard croisa celui de Jonas, je ne pensais qu'à une chose, meurs !

— Je vais disparaître, si c'est ce que tu veux je vais disparaître, si tu ne veux pas que je donne tout à Casey, tu n'as qu'un mot à dire Eden, un seul mot... Je suis désolé, je... Pardon...

Il tomba à genoux, la tête baissée, les sanglots secouant son corps, mais je ne ressentis rien, je ne ressentais plus rien du tout.

— Je veux mourir Jonas, voilà ce que je veux, mourir...

Cette fois-ci, j'étais sure qu'il s'agissait de souvenirs, et que tout s'était passé. Joseph, ma mère et la mère de Matthew Connery. L'histoire entre maman et l'oncle de Silas était ancienne alors ? Je savais qu'elle trompait papa avec lui, nous l'avions découvert avec Jonas, mais je ne savais pas que c'était vieux. Je ne me souvenais pas pourquoi Jonas était si choqué, que m'avait-il fait ? Pourquoi pleurait-il à ce point ? Je savais de quoi il parlait, car je fus prise d'une vague de frayeur horrible, une vague de frayeur que je ne supportais pas.

— Casey Duncan était un ami de Jonas, dis-je après un silence. Il lui a donné tout ce qu'on avait trouvé, il... Je ne sais plus ce qu'il a fait, mais il a fait quelque chose, il était bouleversé, il m'a demandé de lui pardonner...

— Casey Duncan était un ami de Jonas ? Il ne m'a pas dit ça quand je l'ai vu, il a dit que lorsqu'il avait récupéré le carton, une femme l'a pris, une femme rousse...

Rousse ? C'était ma mère, j'en étais certaine, elle avait déjà eu des doutes, elle m'avait même suivie une fois.

— C'est ma mère, tu le penses aussi n'est-ce pas ?

— Oui, je pense.

— Je suis fatiguée Silas... Je sais qu'il y a quelque chose avec moi, je me souviens avoir été plongée dans l'eau et maintenue sous l'eau, c'est ton oncle Joseph qui le faisait, ma mère était là et la mère de Matthew aussi. Ils disaient que j'étais prête, mais je ne sais plus pourquoi, je ne sais plus et je sais que c'est la clé de tout, que c'est pour ça que Jonas est mort, que toutes ces choses sont arrivées. Je le sais Silas, et je me dis que si je ne suis plus là, tout s'arrêtera. Même si ça ne ramènera pas Jonas, au moins ça n'aura pas d'incidence sur toi, tu ne risqueras plus rien, parce que tu risques ta vie avec moi...

— Je ne te laisserai pas Eden, je ne peux pas, je te protégerai, quoi qu'il en coûte, je te protégerai.

Je me dégageai de ses bras et je croisai son regard. Il était sincère, et je le ressentais, je me souvenais, je me souvenais que je l'aimais, je l'aimais vraiment.

— Je t'aime Eden, tu le sais n'est-ce pas ? dit-il en posant sa main sur ma joue.

— Oui, je le sais, je le sais Silas...

Mon coeur se déchira et je pleurai sans me contrôler.

— Ne pleure pas, s'il te plaît ne pleure pas...

— La seule personne qui m'a aimée est morte, c'est ce que j'entraîne, c'est ce que je provoque et c'est ce qui se passera, je le sens Silas.

— Rien ne m'arrivera, je te le promets Eden.

Je savais que cette promesse ne serait pas tenue, mais égoïstement, je le laissai me prendre dans ses bras, parce que j'en avais besoin, j'avais besoin de Silas Smith.