Chapitre 20
EDEN
— Est-ce que tu penses qu'un jour on pourra vivre notre histoire au grand jour ?
Jonas jouait avec mes cheveux et j'adorais ça, j'adorais lorsqu'il passait sa main dans mes cheveux, ça m'apaisait. Il ne s'était pas arrêté lorsque je lui avais posé cette question, mais je l'avais entendu soupirer.
— J'ai juste envie de profiter du moment présent Eddy...
Je ne répondis rien, je savais que tout Sherwood allait s'offusquer de notre relation, Jonas était de cinq ans mon aîné, mais j'étais beaucoup plus mature que les autres filles de mon âge, merci maman et son éducation militaire. J'avais quinze ans et Jonas vingt, mais ça ne me semblait pas du tout anormal, au contraire, je me sentais bien, je me sentais moi.
— Tu ne veux pas revenir à Sherwood ? On se verrait plus souvent et on aurait plus besoin de venir jusqu'ici pour passer du temps ensemble.
— Jamais je ne reviendrai ici Eden ! s'exclama-t-il en se redressant. Le jour où je reviendrai ici, je serai mort et tu n'assisteras même pas à mes funérailles ! ajouta-t-il.
Je sursautai à ses mots, depuis quelque temps, il s'était mis en tête que plusieurs personnes de Sherwood étaient impliquées dans le meurtre de son ami d'enfance Samuel et que tout était beaucoup plus horrible qu'on ne le pensait. Il était persuadé que sa famille en faisait partie et il avait décidé de le prouver.
— Tu es aussi en danger Eden, tu ne le sais pas, mais tu fais aussi partie de tout ce truc, tu es même...
Il s'arrêta, je devais avoir une expression apeurée, car ses traits s'adoucirent et il prit mon visage en coupe.
— Excuse-moi, je n'aurai pas dû crier...
Il déposa un baiser sur mes lèvres et me prit dans ses bras comme si c'était vital pour lui.
— Je dois y aller, lâcha-t-il en se détachant de moi.
— Déjà ? Reste un peu, ça fait presque deux mois qu'on ne s'est pas vus...
— Je sais, mais il faut que j'y aille et ta mère doit s'inquiéter. Je reviendrai très vite, je dois aller à San Francisco, ajouta-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que je dois vérifier quelque chose Eden, ma belle Eden.
Je n'étais pas rassurée par son sourire de façade, j'avais l'impression qu'il fonçait la tête première dans quelque chose de dangereux, quelque chose dont il ne se relèverait pas, mais je ne dis rien et l'étreignis encore un instant.
— Je t'aime Eden Moore, je ne pensais pas que je ressentirais quelque chose d'aussi intense pour quelqu'un, et je te promets une chose, je te protègerai, même si ça signifie le payer de ma vie...
— Pourquoi tu...
— Non, laisse-moi finir, s'il te plait. Il faut que tu me promettes quelque chose, si jamais je meurs, ne viens pas à mes funérailles s'il te plaît, mon âme ne le supporterait pas...
Je n'arrivais pas à croire qu'il venait de dire ces choses, et à cet instant précis, je pris conscience du danger qui planait au-dessus de sa tête. Son regard était si suppliant, si insistant, que je ne pus me résigner à m'opposer à sa requête.
— D'accord, mais tu ne mourras pas Jonas, tu ne mourras pas...
***********
J'ouvris les yeux et remontai rapidement à la surface, glacée jusqu'à l'os. Je tentai de nager jusqu'au bord du lac, mais les derniers mètres me semblaient inaccessibles, tant je tremblais. Je puisais dans mes dernières forces, mais je sus qu'elles m'avaient quitté lorsque mes yeux se fermèrent. Deux bras me saisirent et je me laissai porter jusqu'à la terre ferme.
— Putain Eden ! Qu'est-ce qu'il t'a pris ?
Mes vêtements étaient en train d'être retirés et je sentis une douce chaleur m'envahir et une couverture augmenter cette sensation.
— Eden, tu m'entends ?
C'était Silas, je le savais parce que j'avais reconnu son odeur.
— Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi faut-il que tu sois si égoïste parfois ?
Il me tenait dans ses bras, et un sentiment d'aise me submergea.
— Je voulais me souvenir de Jonas, dis-je alors que mes tremblements s'étaient calmés.
Il ne dit rien, et augmenta le chauffage de la voiture.
— Le dernier souvenir que j'ai de mon frère, c'est la veille de son départ. J'avais jamais compris pourquoi il avait décidé de me quitter, ni pourquoi il avait insisté pour qu'on passe la soirée ensemble la veille. Il m'avait dit que j'étais le seul à décider de qui je voulais être, que je ne devais en aucun cas laisser ma mère décider pour moi. Son regard était déjà parti et son esprit aussi, je pense, mais j'ai compris seulement maintenant que ce que je prenais pour de la nostalgie était en réalité de la peur. Jonas avait peur et il m'a dit au revoir cette nuit-là, mais c'était un adieu, je ne le savais juste pas...
La souffrance que j'entendis dans sa voix me retourna le coeur, il n'avait pas revu son frère et il avait retrouvé un corps sans vie qu'il avait dû enterrer avec sa famille.
— Jonas t'aimait plus que tout, dis-je alors. Il m'a toujours dit que tu étais tout ce qu'il aurait voulu être, que la seule raison pour laquelle il avait tenu tout ce temps c'était toi. Il était persuadé que nous nous entendrions bien tous les deux, il disait que toi et moi étions les deux parties qui le rendaient entier et que forcément, on ne pouvait que se compléter. Je crois que c'est la chose la plus vraie qu'il m'ait dite, je le sais Silas, même si je ne me souviens pas de tout, je ressens ce qui nous lie.
Le silence qui suivit était beaucoup plus réconfortant que les mots qu'il aurait pu me dire. Ce que je ressentais était différent, mais j'avais l'impression qu'une part de Jonas était là, toujours, je l'avais oublié, je me souvenais de l'avoir oublié, papa le détestait il me l'avait dit, je me souvenais de cette scène dans les bras de Silas.
***********
J'étais attachée, allongée sur un lit qui n'était pas le mien, dans une pièce que je ne connaissais pas.
— Je savais qu'il te nuirait, je le savais...., disait papa en pleurant.
Oui, mon père pleurait, il venait de m'injecter une nouvelle dose d'héroïne et c'était tout ce qui m'intéressait, tout ce que je voulais.
— Tu vas l'oublier ma chérie, tu vas oublier ce monstre, et si jamais il revient, je le tuerai, je le tuerai de mes mains...
Je savais qu'il parlait de quelqu'un que j'avais aimé, ou que j'aimais ? Je ne savais pas, je ne savais plus, alors peut-être qu'il avait atteint son but, ça ne m'importait pas, tant que mon corps avait ce qu'il réclamait, mon esprit ne répondait plus de rien.
*********
— Je vais te ramener, il se fait tard, dit Silas alors que je me demandais si ce dont je me souvenais était vrai.
— Silas...
Ma voix n'était que murmure, ça ne pouvait pas être possible.
— Oui ?
— Je crois que.... Je crois que..., répétai-je incapable de terminer ma phrase.
— Qu'est-ce qu'il se passe Eden ?
Mon père ne pouvait pas être responsable de la mort de son frère, et si c'était le cas, je ne pouvais pas lui dire, pas tant que j'en étais certaine, pas tant que ce regard si triste et mort serait le sien.
— Je crois que je me souviens de nous, dis-je alors. Je me souviens de nous deux, sous le cerisier de mon jardin, est-ce que c'est vraiment arrivé ?
Il plongea dans mon regard, et je vis une lueur naître, une lueur de je ne savais quoi, mais quelque chose de vivant.
— Oui, c'est arrivé..., souffla-t-il en souriant légèrement.
— Je me sentais bien à ce moment-là, je me sentais vraiment bien.
Il me serra de nouveau dans ses bras, mais cette fois, c'était une étreinte qui avait un goût de passion, une étreinte presque amoureuse, est-ce que je l'aimais ? Est-ce que comme il l'avait dit, j'avais remplacé Jonas par son frère ? C'était aussi fort, mais avec Silas ça paraissait plus vrai, peut être était-ce parce qu'il vivait tout simplement. Et que j'avais besoin d'une chose, j'avais besoin de m'accrocher à quelque chose de vivant.
Je sentais malgré tout qu'il me cachait certaines informations, je ne savais pas si c'était une demande de mes parents, ou des choses dont il voulait me préserver, mais il en savait beaucoup, j'en étais persuadée.
— Je suis désolé Eden, je suis tellement désolé pour tout...
— Rien n'est de ta faute Silas, mon père et ma meilleure amie ont eu une relation, ton frère a été assassiné et j'ai oublié la plupart des choses qui pouvaient éventuellement me faire comprendre pourquoi ça lui était arrivé ! Mon cerveau refuse de se souvenir, les seuls moments où quelque chose me revient, c'est lorsque je suis dans une détresse extrême ou quand je suis dans tes bras...
Ce que je venais de dire était sorti si naturellement, je le ressentais si fort et je l'entendis soupirer dans mon cou, ses doigts jouant avec mes cheveux, comme Jonas.
— J'ai fait des découvertes aussi Eden, mais j'ai peur que ça te fasse du mal, j'ai peur que ce soit trop pour toi...
Je voulais me dégager de son étreinte pour le regarder, mais j'étais persuadée que ça briserait le lien que nous retrouvions en ce moment, alors je pris sur moi.
— Je sais que tu veux autant savoir la vérité que moi Silas. Je sais que je t'ai menti sur ma relation avec ton frère, que je l'avais oublié même alors est-ce que je l'aimais vraiment ? Est-ce qu'on peut oublier une personne que notre coeur a choisie, même lorsque notre propre père nous drogue pour que ça arrive ? Je ne sais pas, mais ensemble, on peut découvrir la vérité, il faut juste qu'on se fasse confiance... Moi j'ai confiance en ce que je ressens lorsque je suis avec toi, est-ce que c'est ton cas ? Est-ce que tu peux faire confiance à une fille qui ne sait même plus qui elle est ?
Le silence qui s'ensuivit dura un long moment, je savais que tout se jouait maintenant entre nous, que s'il me disait ce qu'il savait, je lui dirais aussi ce dont je me souvenais, pour Jonas, parce qu'il savait. Il savait que Silas et moi allions être liés à un moment donné.
— Je ne me souviens pas des funérailles de ton frère, lâchai-je avec appréhension. Je n'y étais pas n'est-ce pas ?
Il me répondit silencieusement par la négative et je ne pus retenir mes larmes. Même si je l'avais oublié, j'avais malgré tout tenu la promesse qu'il m'avait fait faire, celle de ne pas assister à ses funérailles, peu importait la raison.
— Tu ne pouvais pas y être, tu étais enfermée chez toi, après toute l'histoire, Samuel, c'était...
Il s'arrêta. Alors il savait pour Samuel ?
— Je te fais confiance Eden, je vais tout te raconter, mais promets-moi de me dire aussi tout ce dont tu te souviens, même si ce sont des choses qui peuvent me blesser selon toi. Je ne peux pas vivre dans cet état, je ne peux pas, j'en peux plus... Promets-le-moi.
J'entendis des larmes dans sa voix, et les miennes s'intensifièrent.
— Je te le promets Silas, et je te promets de ne pas oublier cette promesse, jamais.
— D'accord, je vais te dire tout ce qu'il s'est passé l'année dernière et ce que j'ai découvert, mais il faut que nous rentrions maintenant. On viendra chercher ta voiture demain, et on se dira tout. Aucun secret, ajouta-t-il.
Il me relâcha et me passa un pull et un pantalon alors que je réalisais que j'étais en sous-vêtements trempés sous les deux couvertures. Je m'habillai rapidement pendant qu'il conduisait jusque chez moi, et restai silencieuse tout le long du trajet. Il s'arrêta devant ma maison allumée et laissa ses mains sur le volant, la tête baissée.
— Je suis tombé amoureux de toi Eden, je t'aime, malgré toute cette histoire, ce que je ressens pour toi est intact. Je sais que c'est complètement fou, voire tordu de ressentir tout ça, c'est confus pour tout le monde. Cette ville regorge de secrets et de mystères, mais mon coeur t'a choisie, c'est certain, et il te choisira toujours, même lorsque tu n'en voudras pas... Je passe te prendre demain, et on se dira tout, mais tu devrais garder l'histoire de Charly pour toi et attendre de lui en parler, on ne sait pas ce qui peut arriver...
Il termina sur cette phrase et je ne répondis rien, je ne me retournai même pas, de peur, je ne savais pas de quoi j'avais peur, mais c'était le cas. Lorsque je franchis la porte de ma maison, je sus pourquoi je ne m'étais pas retournée lorsque je croisai le regard de mon père. J'avais peur d'affronter la vérité, peur d'affronter la réalité, parce qu'en voyant mon reflet dans le regard de Silas Smith, j'aurais su, j'aurais su que le dénominateur commun entre le malheur de toutes les personnes qui m'entouraient, c'était moi, Eden Moore, la belle Eden...
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