SILAS

Je ne savais pas combien de temps était passé entre le moment où Eden avait sauté et celui où j'avais réagi. Quelques secondes, quelques minutes, je ne savais pas. Je m'étais levé et j'avais couru jusqu'à la fenêtre ouverte, elle gisait sur l'herbe, il n'y avait pas de flaque de sang, mais elle ne bougeait pas. Des gens se mirent à hurler et plusieurs regards se braquèrent sur moi, je ne parvenais toujours pas à bouger. Est-ce qu'elle était morte ? Elle ne pouvait pas mourir, Eden était le genre de personne qu'on croyait éternel, et elle m'avait promis de ne pas me laisser, jamais.

— C'est lui qui l'a poussé ! entendis-je crier.

À ce moment-là, je pris réellement conscience de ce qu'il se passait, alors je descendis en trombe et poussai tout le monde pour être auprès d'elle.

— Eddy ? Tu m'entends ?

Elle était tombée d'un premier étage assez haut et ne bougeait pas. Je lui pris la main, qu'elle serra presque aussitôt, ses yeux s'ouvrirent et elle se mit à sourire légèrement en me regardant avant de murmurer.

— Jonas, tu es revenu...

Ses yeux se refermèrent et elle lâcha ma main au moment où j'entendis les sirènes de l'ambulance. Jonas ? Elle m'avait appelé Jonas et même si je savais qu'elle allait mal depuis, une partie de moi était certaine qu'elle savait exactement ce qu'elle disait. Il y avait tellement d'agitation autour de nous que je ne me rendis pas tout de suite compte qu'on m'avait relevé et qu'un agent de police était en train de me parler.

— Silas ? Dis-moi ce qu'il s'est passé ?

Je réalisais que tout le monde me regardait alors qu'Eden était transporté sur une civière jusque l'ambulance.

— Elle a sauté... Elle a couru et elle a sauté, dis-je.

— Elle a sauté de la fenêtre ? répéta l'officier incrédule. Pourquoi ?

— J'en sais rien ! Comment je pourrais savoir ce qu'il se passe dans sa tête en ce moment ?

L'ambulance était partie, mais les élèves et des adultes étaient présents, je vis que certains filmaient la scène, d'autres semblaient se demander si je disais la vérité ou non, et je me sentis soudainement oppressé.

— Il dit la vérité, Eden lui parlait et tout à coup, elle s'est mise à courir et elle a sauté de la fenêtre. On aurait dit qu'elle était droguée.

Je me retournai et vis Cristina Doyle s'adresser à la foule.

— Très bien, suivez-moi tous les deux, on aura besoin de prendre votre déposition.

— Comme si Silas était capable de pousser Eden par la fenêtre, vous devriez plutôt demander à Nathanaël Cohen ce qu'il se passait avec elle, je les ai vus l'autre nuit près du lac, ajouta-t-elle.

Des voix s'élevèrent, Eden et Nathanël, c'était un détail que j'avais oublié, mais apparemment ce n'était pas la seule à les avoir vus ensemble. Je me rendis compte à ce moment que je ne connaissais pas Eddy, tout ce que je savais c'était ce qu'elle ressentait parce que son regard ne mentait pas, mais elle ne m'avait jamais rien dit. Je savais juste qu'elle fréquentait Charly, mais je ne savais pas ce qu'elle faisait le soir, je ne savais pas si elle avait eu un copain, elle changeait toujours de sujet lorsque j'abordais la question.

Comme si elle avait des choses à cacher, comme si elle avait une autre vie.

Nous avions donc suivi l'officier jusqu'au poste de police et j'avais confirmé ce qu'avait dit Cristina, elle adorait parler et elle avait ajouté beaucoup de détails inutiles alors que j'attendais juste de pouvoir partir et aller à l'hôpital voir Eden.

— Silas, tu peux rester un moment, le chef Baldwin souhaiterait te parler, me dit l'officier alors que Cristina se levait pour partir.

Elle s'approcha de moi et posa une main sur mon épaule.

— Je suis désolé pour ton frère Silas, si je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas, dit-elle avant de me prendre dans ses bras sans que je ne puisse réagir.

Elle s'en alla et je restai assis dans la pièce seul. Dire que quelques jours plus tôt, j'avais appris la mort de mon frère, et c'était dans cette pièce qu'Eden avait été interrogé, elle était assise sur cette chaise, elle devait surement sentir l'odeur de mon frère, même si je n'étais pas certain que les morts en avaient une.

— Bonjour Silas, comment te sens-tu ?

Le chef Baldwin était un ami très proche du père d'Eden, j'avais entendu mon père dire qu'il ne fallait pas lui faire confiance, pourtant il était toujours présent à notre barbecue annuel.

— On fait avec, dis-je pour la forme.

— J'imagine que ça ne doit pas être évident pour toi, dit-il en s'installant à mes côtés.

Comme si c'était évident d'apprendre que son frère qu'on n'avait pas vu depuis cinq ans était mort, tué et jeté dans l'eau comme une pauvre merde. Je haussai les épaules, ne voulant pas répondre à sa remarque.

— Je ne vais pas te garder trop longtemps, j'ai juste une question à te poser. Est-ce que tu as vu ton frère avant sa mort ? Des témoins affirment avoir vu Jonas il y a quelques semaines à Sherwood, mais étant donné qu'il était censé être à l'armée, ils se sont dit que c'était quelqu'un qui lui ressemblait.

Jonas à Sherwood ? C'était impossible, ça ne pouvait pas être lui, il serait venu me voir, non ?

— Non, je ne l'ai pas vu... Est-ce qu'ils sont sûrs que c'était lui ?

— On ne sait pas trop, mais vu les circonstances, c'est fort probable...

— Mais pourquoi il serait revenu sans venir nous voir ?

— C'est ce qu'on essaye de découvrir Silas. Ne t'inquiète pas, nous allons trouver l'assassin de ton frère, et il passera le reste de sa vie en prison.

Je me levai lorsqu'il m'invita à sortir, j'avais l'impression qu'il avait ajouté un poids sur mes épaules déjà lourdes, je commençai à suffoquer et sans Eden et son oxygène, je sentais que j'allais faillir, j'en étais certain. Je ne savais pas ce qu'elle avait l'intention de me dire, mais elle avait peut-être vu Jonas, c'était peut-être pour ça qu'elle m'avait appelé par son prénom.

Je sortis du commissariat et me mis à marcher sans réel but, épuisé. Mes pas m'emmenèrent jusqu'à l'église, sans que je ne m'en aperçoive. J'étais croyant, vraiment, depuis mon plus jeune âge, je priais chaque soir et je savais que mes prières étaient entendues, je le ressentais au plus profond de mon âme.

J'avais besoin de me sentir écouté, j'avais besoin de me sentir en communion, parce que je ne pouvais pas l'être avec Eden, la seule personne avec qui je pouvais respirer. Je ne voulais pas entrer par la porte principale, alors je fis le tour et ouvris la porte-fenêtre qui donnait dans la petite cuisine de la bâtisse. J'entendis des éclats de voix et m'approchai doucement jusqu'au bureau de mon oncle Joseph.

— Je savais qu'elle allait nous poser problème, je vous l'avais dit !

Je jetai un oeil par la porte entre-ouverte, la mère de Matthew était en train de parler. Il y avait la mère d'Eden, mon oncle Joseph et Nathanaël Cohen.

— Je m'occupe d'elle, siffle Ashley Moore. Tu aurais dû nous dire que tu avais vu Jonas, nous n'aurions pas à agir de la sorte, à blesser ma propre fille !

— Ta fille est une fouine et une sorcière, tous les hommes qu'elle approche sont obsédés par elle, il est là le problème !

— Ma fille est un don de Dieu ! Bien sûr tu ne sais pas ce que c'est quand on voit comment ça s'est terminé pour Samuel ! Eden sera prête, ne t'inquiète pas pour elle !

— Eden est amoureuse de Silas, ça complique les choses, lança Nathanaël.

— Ils sont faits pour être ensemble, même si Silas n'est pas...

— Stop ! Ce n'est pas le sujet, il faut qu'on retrouve ce que Jonas a laissé, il faut qu'on sache où est-ce qu'il l'a caché, coupa oncle Joseph.

— Ce n'est pas mon problème, je m'occupe de ma fille, et elle...

Le silence se fit pendant quelques secondes et Mme Moore hurla.

— Oh mon Dieu ! Eden est à l'hôpital, je dois y aller !

Il y eut beaucoup d'agitation alors je sortis discrètement et assimilai tout ce que j'avais entendu. C'était vrai, Jonas était bien revenu, Ashley Moore, mon oncle et la mère de Matthew étaient mêlés à une histoire qui concernait au moins mon frère et Eden. Mais surtout, il parlait d'une chose que Jonas avait cachée, et j'étais certain de savoir où est-ce qu'il l'avait caché, je devais aller le chercher pour découvrir ce qu'il s'était passé et pourquoi il était revenu.