Chapitre 1
PARTIE 1
EDEN
Eden.
Mes parents m'avaient donné ce prénom parce qu'ils « savaient que j'allais leur apporter un bonheur infini ».
J'étais un miracle, paraît-il, ma mère avait été diagnostiquée stérile et pourtant, Dieu avait entendu leurs prières et j'avais pointé le bout de mon nez le 24 août 2001, à Sherwood, petite ville de l'Arkansas. Enfin petite... tout était relatif dans cet État.
J'avais fait le bonheur de mes parents, ils avaient eu une « magnifique poupée, aussi brune que ses yeux étaient verts, vert émeraude, presque brillants, comme si des pierres précieuses remplaçaient ses pupilles. Des lèvres roses et pleines comme ses joues, un visage délicat, presque irréel »
Non, je n'exagérais pas, j'avais moi-même cru entendre la description d'une princesse de conte de fées la première fois que j'avais entendu ces mots de la bouche de mes parents. Ils les avaient criés sur tous les toits, du moins ma mère l'avait fait, si bien que j'avais hérité du statut de « beauté angélique » et qu'on m'appelait « la belle Eden ».
Je détestais, mais jamais je ne l'aurais avoué ou même laissé entendre. Pourquoi ? Parce que je m'appelais Eden Moore et je n'avais qu'un seul droit, celui d'être parfaite.
Je détestais le regard des amis de mon père sur moi. Ce regard qui se voulait paternel et bienveillant, mais qui en réalité trahissait une avidité répugnante.
Je détestais le regard des garçons du lycée, ce qui était complètement paradoxal vu ma manière de m'habiller. Sexy, mais pas vulgaire, je devais voir mes atouts comme un avantage, sans pour autant compter dessus pour obtenir quoi que ce soit, comme disait maman.
Je détestais l'intérêt et l'engouement qu'il y avait autour de ma personne, parce que j'étais Eden Moore, la fille soi-disant avant-gardiste, destinée à faire de grandes choses, aimée et admirée de tous, malgré mon attitude hautaine et méprisante parfois.
Personne ne me connaissait vraiment, sauf Silas peut-être...
Ma mère m'exhibait comme un trophée, me poussant donc à atteindre la perfection, dans tous les domaines, sans jamais montrer de signes de faiblesse, je détestais.
Parfois, je laissais couler quelques larmes, je me disais que c'était la pression, mais en réalité, quelque chose en moi était blessé, brisé, presque mort.
************
Sherwood, Arkansas.
Je posai la main sur la portière de ma voiture, et j'eus à peine le temps de pousser qu'elle s'ouvrit sur Charly.
— Si la reine veut bien se donner la peine de descendre de son carrosse, dit-elle en mimant une révérence.
Je ne pus m'empêcher de sourire face à son geste. Charly, de son vrai nom Charlène, était ma plus proche amie, peut être même la seule, celle qui avait insisté longtemps et était entrée assez loin dans mon coeur pour que je lui fasse confiance et que je l'aime.
Nous nous ressemblions beaucoup sauf que là où je jouais la carte de l'excellence, elle n'en avait pas besoin. Elle faisait partie de ces personnes dotées d'une grâce naturelle, et j'en étais jalouse parce que j'avais besoin de jouer un rôle en permanence, contrairement à elle.
— Tu sais que c'est l'ouverture des candidatures pour le bal d'hiver ?
— Tu devrais te présenter Charly, tu as l'étoffe d'une reine, je passe mon tour cette année. Et on pourrait faire campagne pour toi pour une fois, même si je suis certaine que tu n'auras pas besoin de grand-chose pour écraser toutes tes concurrentes.
— Attends quoi ? Tu passes ton tour ?! Pourquoi ? Ta mère va être folle de rage ! s'exclama-t-elle.
— Je sais... Mais je n'ai pas envie d'avoir toute l'attention que ça engendre, pas cette fois, soupirai-je.
Elle s'arrêta et me sonda du regard.
— C'est à cause de lui... C'est à cause de Silas Smith, il t'a convaincu n'est-ce pas ?
— Comme s'il pouvait me convaincre de quoi que ce soit ! Je veux juste me concentrer sur ma dernière année, décrocher une superbe bourse et quitter la ville.
— Tu sais que tu obtiendras tout ce que tu souhaites, comme toujours, dit-elle d'une voix douce.
— Peu importe, je ne me présenterai pas et je me nomme directrice de ta campagne !
Elle rit et ce son me fit un bien fou, comme toujours.
— On se voit ce midi ! me lança-t-elle avant de se diriger vers son cours.
Charly était la seule personne avec laquelle j'étais naturelle, c'était ma seule amie, et pourtant j'étais entourée de dizaines de personnes, à tout moment.
— Bonjour Eden.
— Bonjour Matt, dis-je sans me retourner.
Matthew Connery était un garçon au coeur d'or et avec un sens de l'humour hors pair, mais maman détestait sa mère alors j'étais distante avec lui, parfois cassante, mais il ne m'en avait jamais tenu rigueur.
— Comment tu vas aujourd'hui ?
— Je vais bien, merci.
Je voulais lui demander comment il allait, mais encore une fois, j'entendais la voix de ma mère me dire de ne pas me rabaisser à parler avec ce genre de personne. Il resta à mes côtés pendant plusieurs secondes.
Non, aujourd'hui était un jour différent, je ne savais pas pourquoi, mais j'avais décidé que c'était le cas.
— Tu as passé un bon weekend Matt ? demandai-je alors en chassant de mon esprit les mots de ma mère.
Il parut surpris, chose que je comprenais étant donné que je ne lui posais jamais la question, ni à personne d'autre d'ailleurs, sauf Charly et Silas aussi, parfois.
— Oui super, je m'entraîne pour la course, j'espère obtenir une bourse, il y aura des recruteurs et c'est mon ticket pour quitter la ville.
— J'espère que tu obtiendras ce que tu souhaites alors.
Il resta silencieux, puis s'apprêta à répondre, mais je ne lui en laissai pas le temps et me dirigeai vers ma salle de classe. Je savais que mon attitude paraîtrait suspecte si je discutais trop longtemps avec lui, et j'étais épuisée par tout ça.
J'entrai dans la salle et le silence se fit, même Mr Jones, ce bon vieux professeur agrégé de littérature ne dit rien. Silas Smith était installé à ma place, enfin à la place que j'avais prise le jour de la rentrée et où personne n'avait osé s'installer depuis.
— Bonjour Eden, dit-il de sa voix chaude et profonde.
Je sentais la vingtaine de paires d'yeux sur moi, attendant ma foudre habituelle s'abattre, même s'il s'agissait de Silas Smith, celui que tout le monde aimait.
— Bonjour Silas, répondis-je, profite de la vue pendant ces deux longues heures.
— J'y compte bien, j'ai patienté assez longtemps.
Il sourit et son visage s'illumina, ses yeux s'étirèrent et brillèrent, ses fossettes se creusèrent et je dus me retenir de sourire à mon tour. Je pris donc sa place, sur la rangée juste derrière et sortis mes affaires tranquillement. Je savais que cet épisode viendrait aux oreilles de ma mère, et même si, comme tout le monde, elle aimait beaucoup Silas Smith, elle serait en colère contre moi et je devrais faire preuve de plus de dureté dans les jours à venir, pour que "personne ne pense que tu as un moment de faiblesse ma chérie".
La journée passa et ce sentiment d'oppression que j'avais ressenti à mon réveil persistait. C'était étrange, j'essayais d'étouffer cette impression, mais c'était pire, moins je tentais d'y penser, plus mon coeur se serrait.
— Eden ! Eden !
J'entendis la voix de Gabrielle et ses amies et leurs pas s'accélérer pour me rejoindre.
— Eden ! Dis-moi, est-ce que tu as déjà trouvé des idées pour ta campagne ? Parce qu'on en a plusieurs à te proposer, surtout que c'est ta dernière année.
— Je ne me présente pas, lançai-je en marchant vers ma voiture.
— Quoi ?!
— Tu ne comprends pas ? Je ne me présente pas, alors vas-y, je sais que tu meurs d'envie de porter la couronne.
— Mais pourquoi tu...
C'était aussi une des choses que je détestais, cet engouement permanent pour la garce que j'étais avec ces personnes. J'étais populaire sans raison, je ne faisais pas partie du groupe de pompoms girls du lycée, maman disait que je valais mieux que ça. Je n'étais pas présidente des élèves, je ne faisais aucun sport ici, j'écrivais juste quelques articles pour le journal du lycée et j'avais les meilleures notes, dans toutes les matières. Les gens m'avaient élue reine du lycée, parce que, selon ma mère, mon charisme, ma prestance et mon intelligence dominaient tout le reste, même mon physique.
— Gabrielle, je ne t'ai pas demandé ton avis, je t'informe juste, même si je n'ai aucune obligation de le faire. Et arrête d'attendre mon approbation pour tout et n'importe quoi, c'est pathétique, tu sais ?
— Eden ?
Je me retournai et Silas Smith se tenait juste derrière moi, si bien que nos visages étaient à quelques centimètres l'un de l'autre.
— J'ai profité de la vue et je t'en ai apporté un souvenir, dit-il en faisant glisser une rose blanche dans mes cheveux.
J'eus un mouvement de recul, comme si j'avais reçu une décharge.
— Tu n'aimes pas les fleurs ? demanda-t-il en fronçant les sourcils et en arborant une moue triste.
Gabrielle et ses amies s'en allèrent non sans nous regarder un moment. Je retirai la fleur de mes cheveux et l'observai, ce n'était pas Silas, mais cette rose blanche le problème, un mal-être grandissait en moi et plus je la regardais, plus je me sentais mal, si bien que je la lâchai.
— Eddy ? Ça va pas ?
L'inquiétude que je vis dans les yeux de Silas m'était familière, comme cette nuit-là... J'avais craqué, je ne supportais plus la pression que je subissais tous les jours, pour être à la hauteur des espérances de ma mère et des ambitions de mon père. J'étais sortie et j'avais couru jusqu'au lac Cherrywood, où j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps.
C'était quelques mois avant mon dix-septième anniversaire, lorsque j'avais senti une main sur mon épaule, j'avais hurlé et Silas Smith se tenait derrière moi. Il s'était installé à mes côtés et avait passé un bras autour de mes épaules, je m'étais sentie si apaisée que j'avais posé ma tête sur son épaule et j'avais pleuré. C'était le début d'une relation presque silencieuse, une relation où le nom d'Eddy m'avait été attribué par Silas. Nous nous voyions au lac un jour sur deux et tout avait commencé comme ça.
— Eddy ? répéta-t-il me sortant de mes pensées.
— Ça va Silas ! m'exclamai-je sur la défensive.
— On se voit au lac ce soir ? murmura-t-il.
— Je ne sais pas, je... Je dois rentrer !
Il n'insista pas et c'était ce qui me plaisait le plus chez lui, il savait me cerner, il me comprenait même lorsque je ne disais rien, c'était ce que j'aimais chez Silas Smith.
Je montai dans ma voiture et roulai jusqu'à la maison où ma mère m'attendait dans la cuisine.
— Bonjour Eden.
— Bonjour maman.
— Je suis passée chez le couturier pour ta robe du bal de fin d'année, le rouge sera la couleur idéale.
Elle savait donc que je ne voulais pas me présenter et ça ne lui plaisait pas du tout.
— Je voudrais passer mon tour pour cette fois, c'est ma dernière année et je veux obtenir une bourse pour...
— Une bourse ? s'exclama-t-elle. Quel message veux-tu faire passer ? Que nous n'avons pas les moyens de te payer la meilleure université du pays ?
— Non maman, la bourse est prestigieuse, elle ne s'obtient que par mes résultats scolaires rien d'autre, tu dis toujours que je dois obtenir les choses grâce à mon cerveau, c'est ce que je veux faire.
— Pas quelque chose qui laisserait entendre que nous sommes dans le besoin, ce qui n'est pas le cas !
— Maman, tout le monde sait que nous ne sommes pas dans le besoin. Je veux être autre chose que la belle Eden Moore...
— C'est hors de question ! Tu te présenteras et tu gagneras, fin de la discussion ! Et si tu veux toujours avoir toute la liberté dont tu disposes, tu ferais mieux de m'écouter Eden, tu sais que je peux faire de ta vie un enfer, et je ne veux pas. Tu es ma fille, je t'aime et je veux ce qu'il y a de mieux pour toi, tu comprends ?
Elle me fixa longuement, et son regard était sans appel. Je le connaissais bien, j'avais le même et je tenais tête habituellement, elle me forçait à le faire pour travailler mon autorité. Mais cette fois-ci, elle ne m'y autorisait pas, et même si je lui obéissais toujours, aujourd'hui je ne voulais pas.
— Non maman, je ne comprends pas. Je ne me présenterai pas et si tu veux désespérément cette couronne, tu n'auras qu'à l'arracher de la tête de la gagnante pour l'accrocher au mur de la bibliothèque. Je sors, je vais courir, parce que mon esprit le réclame et je dois toujours m'écouter ! C'est normal maman, je suis Eden Moore, je suis la meilleure et j'ai toujours raison !
Je montai dans ma chambre et me changeai rapidement avant de ressortir.
— Tu sais que ton père n'approuvera pas ta décision Eden !
— Ce n'est rien maman, priez et peut être qu'encore une fois, vos prières seront entendues.
Je sortis en claquant la porte pour la forme et me mis à courir. Est-ce que je devais continuer à vivre cette vie superficielle ? Écouter ma mère et répondre à toutes ces exigences ? Ou alors, comme mon esprit me le murmurait de plus en plus fort, je devais tenter de trouver la cause de ce mal-être grandissant ?
— Ta foulée est parfaite, tu t'es beaucoup améliorée.
Comme toujours, au croisement de nos deux rues, Silas Smith surgissait et courait à ma hauteur.
— Régule ta respiration Eden, sinon tu auras un point dans quelques minutes.
Sa voix était comme une caresse, si bien que j'écoutais tout ce qu'il disait, sans rechigner.
— Quelque chose te préoccupe... Je suis désolé pour la fleur, je ne pensais pas que ça te perturberait autant.
— Ce n'est rien, je suis à cran aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi.
— Je pense que si tu cherches un peu, tu découvriras pourquoi...
Je tournai la tête dans sa direction et il fixait le sol, les traits crispés, juste quelques secondes, avant de se détendre et de sourire. Je ne savais pas pourquoi, mais si quelque chose me préoccupait, c'était également le cas de Silas Smith.
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