Le calcul quantique, pour de vrai
Je vous présente maintenant Charlot 3.
Oui, enfin, pas tout à fait.
Charlot 3 est inspiré de Charlot 2, sauf qu'au lieu de construire et de calculer avec des 0 / 1 (donc des bits, les briques de base de la logique), il calcule avec des qubits, des bits quantiques.
Un qubit est donc un système dans un état de superposition quantique :
a |0> + b |1>
Notre « ordinateur quantique », c'est ça : un ensemble de qubits. Nous pouvons :
– mesurer les qubits (ce qui fixe l'état à |0> ou |1> avec certaine probabilité)
– effectuer des transformations sur les qubits
Ces transformations sont analogues aux portes logiques de Charlot 2, mais en plus compliqué. Je pourrais commencer à envoyer les termes techniques, mais Gudule m'en empêche et il souhaite faire le résumé suivant :
Gudule : les portes quantiques, c'est bien.
Ce qui importe vraiment dans le qubit, loin de sa représentation mathématique (qui est relativement simple si vous avez des bases d'algèbre linéaire), c'est le fait qu'il a deux états superposés. Les portes quantiques vont agir sur les probabilités correspondant à chacun de ces états.
Oui, mais est-ce que tout ça, ça sert à quelque chose ?
On n'a pas encore démontré que le calcul quantique était vraiment plus efficace que le calcul « classique ». D'un point de vue informatique, c'est un cauchemar. Cependant, on a de bonnes raisons de penser que oui : certains problèmes qui sont difficiles avec un ordinateur classique deviennent scandaleusement faciles avec un ordinateur quantique (du point de vue théorique bien sûr).
L'idée du calcul quantique remonte à David Deutsch, qui voulait semble-t-il recourir à ce concept pour démontrer une certaine interprétation de la physique quantique.
Bon.
Pour être honnête, on ne s'y intéressait pas tant jusqu'à ce que Peter Shor invente un algorithme (pas très compliqué en plus) qui factorise les entiers.
Si vous avez suivi PJAM, j'ai dû marquer quelque part que factoriser les entiers (les décomposer en produits de nombres premiers, par exemple 15 = 3 * 5) c'est compliqué. Je pourrais même en rajouter sur le sujet : c'est très compliqué.
Vous pouvez passer votre vie à chasser les algorithmes qui factorisent les entiers, il y a des mathématiques profondes impliquées et au final on a toujours l'impression de se faire voler, car le problème n'est pas prouvé NP-complet.
Gudule : traduction : c'est frustrant, on n'est pas sûr que ce soit vraiment difficile, mais ça a l'air difficile quand même.
En revanche, avec l'algorithme de Shor, c'est plié.
Mais au fait, comment ça marche ?
J'y ai longuement réfléchi et ai choisi de ne pas présenter pour le moment d'algorithme quantique, parce que ce serait assez abscons et ressemblerait à une tartine de « TG c'est magique ».
Gudule : comme à peu près l'ensemble du bouquin ; c'est toujours bien de s'en rendre compte.
Je le ferai peut-être plus tard.
Du coup, ce paragraphe va ressembler à une tartine de « TG, c'est compliqué ». J'espère que vous êtes contents.
Pour commencer, il est possible de simuler un calcul quantique en utilisant un ordinateur, un vrai. Problème : l'information dont vous avez besoin pour représenter les qubits augmente très, très vite. Donc évidemment, ça n'apporte absolument rien à l'affaire.
Gudule : attention. Les qubits ne « contiennent » pas autant d'information que ça. C'est plus, euh, compliqué.
Tout ça provient de l'intrication quantique. En l'absence d'intrication, le monde quantique n'apporterait rien d'autre que des jets de dés, et nous avons vu que Jean-Hubert caché dans l'ordinateur pouvait déjà le faire pour nous. En présence d'intrication, la complexité d'un système constitué de plusieurs qubits augmente très vite. Par exemple, avec 64 qubits, vous avez environ dix mille milliards de milliards d'états possibles du système.
Pour autant, ce n'est pas magique non plus. J'en entends dans le fond qui pensent que c'est magique. Ce n'est pas parce que vous avez des états en superposition quantique que vous faites effectivement le calcul pour tous les états superposés à la fois. Un seul résultat, c'est la règle. À la fin, quand vous faites une mesure, vous n'avez qu'un seul |0> ou |1> par qubit
On construit un algorithme quantique de manière plus ingénieuse. Les interactions entre qubits vont s'apparenter à des interférences destructives (ce vocabulaire assez osé vient des ondes) qui vont supprimer les « mauvais résultats » ; lorsque vous allez effectuer la mesure, ce que vous allez mesurer sera quelque chose qui représente le résultat que vous cherchez, d'une manière directe ou indirecte (là est tout l'art du calcul quantique).
Les interférences : lorsque l'on jette Gudule dans un bassin d'eau, on observe des ondes se formant à sa surface. Des vaguelettes, c'est joli. Lorsqu'elle se rencontrent, les vaguelettes de plusieurs ondes vont former des interférences constructives (ça fait de plus grosses vagues) ou destructives (ça annule tout).
Dans le monde quantique, où les objets sont des ondes, ces interférences existent aussi. En l'occurrence pour nos qubits, on fait bouger les probabilités d'obtenir tel ou tel état. Les interférences destructives, l'intrication, sont deux choses fondamentales que le monde « classique » est incapable de vous donner... et qui assurent à Charlot 3 son ultime victoire.
Donc, certains problèmes deviennent plus faciles à résoudre, semble-t-il. La factorisation est un exemple qui intéresse beaucoup, parce que les trois quarts de la cryptographie, qui sert à sécuriser nos outils de communication, reposent dessus (oui, Charlot 3 casse la plupart de la cryptographie mondiale). Heureusement, il existe des remplacements qui fonctionnent, et plein de gens travaillent dessus.
Au fait, est-ce que c'est facile à construire ?
Euh, non.
Déjà il faut imaginer qu'un système quantique, c'est tout petit et tout fragile. On prend un ion superfroid et on le met dans une petite boîte.
Gudule : superfroid ici, ça veut dire qu'il ne bouge pas. Ce qui est déjà compliqué à faire, car il faut utiliser des lasers. Un atome, normalement, ça bouge tout le temps.
Puis on a besoin de réaliser toutes nos portes quantiques, qui vont forcément l'intriquer avec les autres qubits du système. Je ne sais pas s'il y a des physiciens parmi nous, mais avoir 64 ions piégés tous intriqués en même temps, ça me paraît assez osé.
Donc côté technique, ça progresse tranquillement (on a réussi à factoriser le nombre 15 = 5*3 avec 7 qubits. Ne vous moquez pas !)
Il est probable que la théorie s'adapte elle aussi aux contraintes des ordinateurs quantiques « pratiques » le jour où Google nous les construira pour de bon.
Gudule : heureusement pour nous, tout ceci ne nous intéresse que de très loin. Car ce qu'on veut dans PJAM, ce sont des maths, pas de la pratique.
Je clos le chapitre sur ce mot de Gudule et vais maintenant passer parmi vous pour ramasser les morceaux.
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Photo d'interférences :
http://www.sciences.univ-nantes.fr/sites/jacques_charrier/tp/interferences/exp_decouv4.html
Merci !
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