Chapitre 5🌟
Je m'agite et exécute des grands gestes dans le vide. Je ferme les yeux et les rouvre la seconde d'après. Mon corps était entrainé de toute part. Je suis dans une eau agitée. Mes efforts sont vains. Le vent et l'eau m'entraînent où bon leur semble. A droite, à gauche, non c'était à droite. Pour commencer, mon corps se balance et percute les parois du gouffre. Puis, étant assez éloignée du bord, je suis entrainé dans le courant qui me conduit à l'extérieur. Je longe le cours d'eau en criant.
Une ombre se penche dans le vide et me regarde, inquiète. Este ? Marie ? Cath ? Je n'aurai pas pu savoir.
— Reste calme, on va trouver une solution.
Difficile de rester calme quand on tient à sa vie. Le paysage défile à grande vitesse et rien qui puisse m'accrocher. L'eau s'effile dans mes narines et me brouille la vue. Je commence à avoir des crampes. Non, il faut que j'aille jusqu'au bout. De quoi ? Question sans réponse.
Tout se passe très vite. J'entends l'eau s'éclater contre des rochers, et puis ce silence terrifiant. Les ciels se déchainent, il pleut. Des éclairs surplombent le rocher sur lequel je me suis vainement accrochée. Je crie et résiste à la pression de l'eau sur mon corps. Je pleure de toute mon âme. Mes vêtements flottent, et se déchirent au niveau des manches. Mes blessures piquaient au contact de l'eau presque salée. Je ferme les yeux et lâche prise. Ma situation ne pouvait qu'empirer. Je tombe. Si les sons ne m'étaient plus perceptibles, je m'évanouis et sombre dans le noir le plus total.
— Anne, tiens bon ! On arrive !
— Trop tard ! Elle est prise au piège.
— Oui, maintenant aide-moi à la ramener sur la terre ferme.
— J'arrive tout de suite !
« Fuir. Il faut fuir. Je cours depuis une heure et je n'en peux plus. Il ne faut pas que je m'arrête. Courir, il faut courir. Je dois lui échapper. Je fuis la chose qui me poursuit. Il fait nuit. Je cours à l'aveuglette. Je suis sur un sentier. J'entends des voix, j'entends des pas. Il s'approche. Je presse le pas et court toujours plus vite. Je trace en ligne droite et rien ne m'arrêtait : ni les fouets des arbres, ni les bruits effrayants de la nuit, ni les racines défaillantes. Non, aller jusqu'au bout. Une fois à la maison, je serai en sécurité. Mais avant, ma mort est imminente. Le sang de ma joue s'est séché et colle à ma peau. Je file le long du sentier, tel une fourmi parmi les hautes herbes. Je file, je file. Je tombe. La falaise craque. Je tombe, je tombe, je tombe. La chute est infinie ; je devrais tomber dans l'eau mais je ne tombe pas. La chute est infinie. Je crie, titube, hurle pour que quelqu'un m'entende. Personne ne répond. C'est inutile je meurs, ou plutôt je vais mourir. Mais patience, je tombe. »
Je ne ressens plus rien, je ne vois plus rien, je n'entends plus rien. C'est donc ça la mort ? Je m'évanouissais dans le vide et avais l'impression de me reconvertir en toupie pour enfant. Je tournais, j'avais l'impression de voler.
— Elle a fait une sacrée chute.
— Oui, et j'ai peur.
— Tout va bien se passer.
— Il lui faut de la compagnie, reste près d'elle.
— Et si...
— Non.
Qu'est-ce qui m'arrive ? Je suis allongée, j'ai mal à la tête, j'ai du mal à respirer, je suis trempée. L'eau...la cascade...
— Anne, je suis là !
Il se penche et me fixe du regard. C'était ce même regard que j'avais aperçue de là-haut. Oui, Estéban.
Je tente de me relever. Non, je suis à bout de force.
— Reste tranquille Anne. Une chute de ce genre n'est pas à prendre à la légère.
— Laisse, je vais bien. Il faut juste que... il nous faut cet éclair de larmes. Nous en avons besoin.
Je parle pour ne rien dire. C'est vrai que j'ai fait une sacrée chute. Devant moi se dresse cette masse d'eau qui avait causé toutes les blessures que couvrent mes quatre membres.
— Après. Avant, tu te reposes.
— Mais...
— Obéis de temps en temps, il vaut mieux marquer une pause. Repose-toi. Tiens, mange un peu. Reprends des forces.
Il me tend du gâteau aux racines sucrées. Je me redresse et dis :
— Vous avez vu ces éclairs. Ils se sont déclenchés alors que je tombais.
— Oui, on a vu. C'était terrible ! On aurait dit qu'ils t'avaient transpercé.
— Et pourtant, ils ne m'ont rien fait.
— Impossible !
— Si, si, je t'assure, j'ai vu cette lumière mais elle n'avait aucun effet sur moi. Une illusion sans doute. Ces mondes nous font tourner en bourriques.
— De la fumée alors !?
— Sûrement pas. Nous ne le saurons peut-être pas. Quoiqu'il en soit, je n'ai rien. Et s'il y a le moindre souci, comptez sur moi pour vous avertir.
— Et tes jambes ?
— Elles brûlent mais ça ne fait rien. De toute manière, ce n'est que blessures superficielles et bleus à profusion.
— Si tu le dis. Je les ai quand même rincés à l'eau douce.
— Merci.
Je m'allonge de nouveau sur le sable fin. Tandis que je jouais avec un bâton, j'aperçus une lumière brillante au cœur de l'eau.
— Vous avez vu ? L'eau se met à briller !
— Oui, c'est anormal. Je vais voir et toi, ne bouge pas, s'exclame Marie, convaincue de ma fatigue et de mon incapacité à actionner mes membres.
Elle effleure l'eau de ses doigts délicats. Le fond d'où jaillit une lumière phosphorescente, gondolait et frémissait au contact de sa main. Ce n'est pas normal.
Puis, elle plonge sa main et en récupère l'objet en question. C'est une pierre bleu électrique. Elle est fissurée.
Troublée de cette incohérence de la nature, elle n'osa pas approfondir la question et me le tendit d'un vif geste de la main.
— Eh bien, comment ça nous avance ?
— Patience, il y a quelque chose à l'intérieur, je dis en levant les yeux au ciel.
— Tu veux dire que cela pourrait être... ?
— Oui, pourquoi pas.
Je fends en deux la pierre à l'aide de mon couteau. Je me blesse. Le sang commence à gicler de la plaie. Une blessure superficielle, elle guérira, comme les autres. Je reste focalisée sur mon seul et unique but et parvient enfin à l'ouvrir. L'intérieur est rempli de liquide rose. Pourtant, au centre, je le trouve. Elle contenait un petit éclair blanc brillant.
— L'éclair de larme ! s'exclame Este.
— Sans blague ! Il t'en a fallu du temps pour comprendre.
Certes, nous avions manqué le nuage mais certains se sont retrouvés ici, par le même chemin que moi. Quelle créature mignonne. Elle me fait penser à l'oisillon que j'avais trouvé au sol, tombé du nid. De toute évidence, elle a l'air plus coriace que lui. Elle avait le regard si affectueux, je brulais d'envie de lui donner un nom : Tins. Les pieds sur terre, soulagée je crie :
— On y va ?
— Es-tu sûre de vouloir partir maintenant ? Tu tournes de l'œil et marche à peine correctement, du repos pourrait....
J'avais déjà pris de l'avance. Têtue certes, inconsciente, jamais.
De retour chez Alex, nous partageons avec lui un dernier repas.
— C'est donc de vous, dont me parlait tant Alex.
Je rougis, gênée.
— Enfin, Mia, donne-leur des baguettes, s'exclame Alex.
— Nous n'en avons plus à la maison, répond celle—ci en retournant à la salle à manger.
— Du riz ? Il y en a ? Vous préférez les assaisonner d'oignons ou les manger en salade froide. J'opte pour le manger avec du concombre mais si vous n'en avait plus, je...
Perplexe, le verre qu'il tenait entre les doigts feint de se projeter sur le sol, tandis qu'il le rattrapa de justesse.
— Pardon ? J'ai dû mal comprendre. Je vous sers des bulles. « Bulles. B comme Bérénice, U comme utilité L comme Louis et E comme Eléphant. Des bulles quoi !
— Du champagne ? Je suis navrée de vous dire que je me contenterai d'un verre d'eau. Je ne bois pas, je dis en détournant les yeux.
— Vous ne comprenez pas ! Venez avec moi.
J'enfile un blouson et nous le suivons par derrière. Dehors, il faisait nuit et j'avais retiré mes chaussures pour plus de facilité à marcher. Le sol, toujours aussi agréable au toucher finit par mes bruler les pieds. Nous entrons finalement dans un bar et je remets aussitôt mes chaussures.
—Shell ! Quoi de neuf ? Dit Alex en se tournait vers le barman, un homme trapu au regard sympathique.
—Oh rien du tout ! Les bagarres habituelles...La routine quoi, ajoute ce deuxième.
—Mmh, Durt et Dylan je parie !
—Et non, pas cette fois.
—Alors je ne vois pas. Quoiqu'il en soit, je te prends comme d'habitude ! Dit Alex en plongeant son regard sur la carte du restaurant.
—Installez-vous au fond, je vais vous apporter ça.
Ainsi je m'assieds sur la table du fond, et les bras croisés, j'observe un à un les détails de cette pièce. Certes, elle n'est pas très grande, mais qu'est—ce qu'elle est bruyante. Deux groupes de vieux hommes jouaient aux cartes en commentant chacun de leurs jeux si prodigieux qu'ils pouvaient l'être. De l'autre côté, un homme tirait la révérence à une jeune femme qui venait d'entrer.
— Aucune allergie, j'espère ? réplique Alex.
— Hum.
— Je n'ai rien dit.
Il se ravisa de poursuivre la discussion qui tournait à l'embarras.
— Et voilà pour vous ! Avance Shell en arrivant à notre table.
L'homme nous tend cinq baguettes de bois creux et nettoie la table. Il tient un plateau avec d'étranges boîtes.
— Ouvrez-les, s'exclame Alex. Je parie que vous n'avez jamais vue ça nulle part ailleurs.
Je l'ouvre. Elle était percée de plusieurs trous.
— Il faut souffler.
Je souffle. De l'air traverse les trous et un liquide transparent forme les premières bulles.
— Elles sont comestibles, rassurez-vous, allez ! Avec ça, vous dormirez bien.
— Ce n'est quand même pas de l'alcool.
— Hein ? Encore un mot que je ne comprendrai sans doute jamais. Enfin, c'est délicieux. J'en prend tous les soirs, et plus jamais je ne m'en passerais.
C'est ce que dirais un addict à l'alcool. Je me ravise et pose la boîte sur la table.
— Enfin, bon, voilà autre chose, Anne, il faut fêter votre réussite. Ce n'est pas dangereux, voyons.
— Non merci.
— Je tiens à ce que tu goûtes, fais—moi confiance.
— J'espère alors !
— Mais oui !
Elles avaient l'aspect d'une boule de billard et le goût de pâtes de fruits. Je commençais déjà à avoir le hoquet.
Il se tourne vers les trois autres :
— C'est délicieux, vous ne trouvez pas ?
— Si, si.
— Allons dans le vif du sujet. Vous partez demain ? C'est bien ça ?
— Oui, le plus tôt serait le mieux, répond Cath en hochant la tête.
— Mia vous préparera un petit quelque chose. Je serai en jour de repos demain. On ne se verra sans doute pas.
— Positivons et profitons de ces derniers moments ! Merci pour l'invitation. Les bulles étaient délicieuses. J'en frémis encore !
— Mais de rien. J'ajouterai bien quelque chose sans vouloir paraître indiscret.
— Quoi donc ?
— Où vous rendez-vous ?
— J'avoue ne pas trop y avoir réfléchi, nous pensions suivre le chemin et procéder par étape, je réponds avec l'accord des trois autres.
— Je vois.
Le barman s'approche de nous et entame une discussion.
— Ce sont des amis ? Je n'ai pas eu droit aux présentations Alex. Tu me déçois.
— Ah, pardon ! Ce sont des gens du voyage. Ils sont de passage et repartent demain matin, aux aurores.
— Tu les héberges ?
— Oui. Un problème ?
— Du calme !
— Non, vas-y, dis-le !
— Ce sont des humains, tu connais la règle, je...
— Oui, je la connais aussi bien que toi.
— Alors pourquoi ?
— Ils t'ont fait du mal ? Ils ont tué ? Ils enfreignent les règles ?
— Non, bien sûr mais...
— Rien ! Ils n'ont rien fait.
— Eux, non, mais sa majesté n'aura pas le même avis.
— Bein voyons, c'est un pantouflard qui ne se fait respecter de personne. A ce qu'il paraît, sa réserve de vins est aussi grande que le nombre de bouteilles d'air que je livre chaque année.
— Si mes clients l'apprenaient, je serais obligé de fermer boutique. Qu'est-ce que penserait les gens de hors la loi ? Ton boulot ne tient qu'à un fil Alex, alors, en tant qu'ami. Je te donne un conseil : évite les mauvaises fréquentations. Tu n'en seras que plus heureux.
— Ils n'en sauront rien.
Le barman commença à taper du poing. Un client l'interpelle.
— Je reviens tout de suite. Nous en reparlerons.
Tandis qu'il s'éloignait, tous les yeux étaient rivés sur nous. Ils nous fixaient et nous dévisageaient des chaussures jusqu'à la pointe de mes cheveux. S'il y avait bien une chose que j'aurais pu faire pour me sortir de cette situation, je l'aurais achevé, il y a quelques minutes déjà.
— Shell, tu héberges des humains maintenant ? C'est nouveau ?
— C'est un malentendu. Vous n'avez pas compris.
— Oh si !
La situation se retourne contre nous. Ils ont peur. Le barman tente en vain de retenir la foule qui se révoltait.
— Les enfants, c'est un peu tendu, Il vaut mieux qu'on sorte, murmura Alex d'une petite voix.
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