9 - Retour en Amazonie (2/2)
Arthus grimaça quand le train à crémaillère s'arrêta à son plateau : le brouillard de la cuvette étouffait les maisons des artisans. Un brouillard dense que la lumière des lampadaires ne parvenait pas à déchirer.
J'ai oublié mon inhalateur !
Il était trop tard pour se traiter d'imbécile. Voyager en aérocab lui avait ôté sa prudence, d'autant que ses sœurs avaient ordonné ce moyen de transport durant sa mission, afin de lui éviter tout tracas avec sa maladie. Quant à l'argent, Perrine prévoyait de négocier leurs frais auprès du couple royal, et lui-même avait préféré ne pas contacter la pilote Jia Whang. La jeune femme devait avoir un crédit à rembourser, abuser de sa gentillesse ne lui convenait pas.
Col de sa cape pressé sur sa bouche, Arthus remonta la rue jusqu'à son atelier à grandes enjambées. Il s'interdisait de courir, même si l'envie le tiraillait. Un effort de trop déclencherait une crise, et la « ouate » du brouillard absorberait ses appels à l'aide.
Malgré ses précautions, un étau resserrait ses pinces sur ses poumons, sa respiration devenait de plus en plus sifflante.
Persiste !
Arthus bousculait son corps lourd, obligeait ses pieds à avancer. Quand des toux le secouaient, il les ignorait, se concentrant sur le décompte des pas jusque chez lui. Plus que deux cents, et son inhalateur le soulagerait. Ils furent douloureux, comme s'il traversait un désert sans eau depuis deux jours : sa bouche se desséchait, sa gorge brûlait, son cœur battait trop vite, ses poumons réclamaient leur dû.
Réussir à atteindre sa maison tint d'un miracle comparable, déverrouiller la porte avec ses doigts tremblants aussi.
Il se précipita vers son bureau, bouscula par accident le stock de laiton qui chuta au sol dans une horrible cacophonie, et ouvrit le tiroir avec violence. Enfin, l'embout glacé de son inhalateur toucha ses lèvres. Arthus appuya, inspira longuement, bloqua sa respiration plusieurs secondes, expira ; et recommença deux fois.
Quand l'étau autour de ses poumons se détendit, il se laissa tomber sur une chaise, les paupières closes, puis arracha le col de sa cape et de sa chemise. Le sifflement s'atténuait, son rythme cardiaque se calmait.
Un silence bienvenu revenait dans la pénombre de l'atelier.
Les deux ne durèrent pas : la lampe principale se déclencha et un cri résonna contre les murs.
— Monsieur Beauciel, monsieur Beauciel, dans quel état êtes-vous !
Arthus cilla puis écarquilla les yeux lorsqu'il découvrit Fanny en train de poser un fusil sur une table.
— J'ai entendu un violent bruit depuis là-haut, et Rouquin miaulait très fort, s'excusa-t-elle.
À son nom, le félin bondit sur les genoux d'Arthus et quémanda des caresses. Elles emportèrent les derniers lambeaux de sa tension.
— J'avais oublié mon inhalateur, et il y a du brouillard dehors.
— Mais comment vous êtes-vous blessé ?
Blessé ?
Fanny fixait son avant-bras, où une tache de sang s'agrandissait sur sa veste déchirée. Elle pointa ensuite son cou.
— Vous en avez aussi là.
Le stock de laiton pour ses automates en était certainement la cause. Avant qu'Arthus ne puisse s'expliquer, des coups contre la porte d'entrée le firent sursauter.
— Police, ouvrez-nous !
— Les revoilà, maugréa Fanny. Je n'ai même pas eu le temps de vous prévenir, ils devaient surveiller la maison.
Pas très rapide, ça fait plusieurs minutes que je suis rentré.
— Que me veulent-ils ?
La servante secoua la tête, désolée, puis tira le battant à deux hommes en képis pourpre, bordés d'une chaine de menottes, et cape noire. Une langue de brouillard entra avec eux. Elle leur collait à la peau telle une sangsue, prête à fondre sur celui qui oserait résister. Arthus déglutit de travers.
— Monsieur Beauciel ?
— C'est moi, mais je suis surpris par votre visite en pleine nuit. Pourrais-je voir vos plaques ?
Les deux hommes repoussèrent le pan gauche de leur cape, et leurs insignes en laiton, aux reflets mauves, poinçonnés du lys blanc royal, étincelèrent à la lumière. Des insignes infalsifiables, le ministère de l'Intérieur le garantissait.
— Il n'y a pas de limite à un mandat d'arrêt, indiqua l'un deux. Un bourgeois a porté plainte contre vous, pour tentative de meurtre.
— Tentative de meurtre ?
La raison semblait si incongrue que Fanny s'esclaffa.
— Monsieur Beauciel ne tuerait pas à une mouche, jamais vu un garçon aussi doux.
Je ne sais pas si je dois le prendre comme un compliment !
Au vu des circonstances, Arthus l'accepta.
— Une mouche qui détient une arme, trancha un des gardiens de la paix.
— Elle m'appartient ! J'ai un permis, et elle sert juste à effrayer les voleurs.
— Dans ce quartier sans problèmes ? Si vous blessiez quelqu'un, la justice ne manquerait pas de vous le faire regretter.
— Cela n'arrivera jamais !
Quand Fanny attrapa son fusil, les policiers se raidirent et leurs mains partirent à leur hanche. Arthus leva les siennes en signe de paix, tandis que Rouquin crachait et agitait sa longue queue. La servante balbutia :
— Il... il... n'est pas... armé. Vous... vous... pouvez vérifier.
— Reposez-le et écartez-vous.
Fanny relâcha le fusil, comme s'il s'était enflammé, puis recula de deux pas. Un des gardiens de la paix, toujours les doigts sur son pistolet, le saisit. Plusieurs claquements couvrirent la respiration hachée de Fanny. Arthus n'en menait pas large, non plus. Sa main crispée dans la fourrure de Rouquin lui valut un grognement de protestation. Il les détendit avec un murmure d'excuse.
— Il n'y a pas de cartouche, confirma le policier. Nous vérifierons vos papiers demain matin, pendant la perquisition. Pour l'instant, notre ordre concerne monsieur Beauciel.
— Je ne possède pas d'arme ! Comment aurais-je pu tirer sur quelqu'un ? Cet homme me confond avec quelqu'un d'autre.
— La victime rapporte que vous l'avez agressé à la plateforme des aérocabs quartier des faucons, avec un chat automate, et vous en aviez un au ministère de l'Industrie et du Commerce pour votre inscription. Peut-être celui sur vos genoux ?
Le tourmenteur de Jia Whang ! Arthus l'avait reconnu dans les couloirs et le bourgeois s'était certainement renseigné sur son identité : il suffisait de questionner la secrétaire, le concours étant public. Toutefois, l'appareil de compétition demeurait confidentiel afin de protéger les candidates et éviter le plagiat. La police avait donc mené une enquête à son sujet, y compris l'interrogatoire de la pilote. Pourquoi avait-elle confirmé le mensonge de ce satané bourgeois ?
Une priorité à la fois, je dois d'abord éloigner Rouquin.
Le lui confisquer signifierait sa destruction. Son chat comptait plus que son concours, représentait plus qu'un automate, Arthus ne supporterait pas de le perdre. Et le félin, lui, ne supportait pas qu'on le touche... la solution pour le sauver !
Ne me déçois pas boule de poils.
— Rouquin est un animal vivant, caressez-le et vous sentirez sa chaleur corporelle.
— Vous pourriez l'avoir imitée.
— Cela réclamerait une énergie considérable et un moteur conséquent pour aucun bénéfice, contesta Arthus.
Le cœur battant, derrière un sourire de façade, il tendit Rouquin à bout de bras. Quand un des policiers voulut le toucher, le chat sauta d'un bond leste et s'enfuit par les escaliers. L'homme fut tout aussi rapide.
Il dégaina.
Arthus se jeta sur le gardien de la paix.
— NOOON !
Avait-il hurlé ? Et surtout, avait-il sauvé Rouquin ? Le coup de crosse sur son crâne ne lui permit pas de s'en assurer : un spectre, les bras en croix, le regard malheureux, avait surgi dans son esprit.
La silhouette fantomatique l'emporta dans son précipice de ténèbres.
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