8 - Entre conventions et liberté (2/3)
Quand Melinah posa un pied sur le plateau des impressionnistes, un labyrinthe de maisons colorées la prit au dépourvu. Elles s'éparpillaient sans logique, même sur le plan vertical : certaines dépassaient celles au rez-de-chaussée et semblaient sur le point de basculer. La forêt, la mer, ou la montagne sous des soleils couchants ou des lunes gibbeuses décoraient leurs façades, carte de visite du peintre propriétaire.
— À votre visage, j'en déduis que c'est votre première visite, lui murmura Oreste.
Son sourcil arqué au-dessus de ses yeux bleus quémandait une réponse, Melinah la lui accorda.
— Alors, je suis encore plus enchanté de vous accompagner. Votre talent aurait dû vous y conduire plus tôt.
Oreste lui adressait un vrai compliment, sans sous-entendu à son statut. Il augmenta le soudain bien-être à se promener dans le lieu insolite, où les peintres chantonnaient dans leur jardinet, tandis qu'ils capturaient une nature morte sur leur toile. En revanche, quelques-uns transpiraient autour d'une jeune fille, en robe grecque de l'antiquité et cheveux défaits. L'originalité provenait de ses bracelets en laiton et de la ceinture sous forme de roues crantées.
— Une bourgeoise, commenta Oreste, je pencherai pour le quartier des lynx.
Melinah l'aurait deviné sans cette indication. Les habitants des montagnes du nord se distinguaient de la noblesse par l'ajout de bijoux en forme d'engrenages ou équivalent : un lien avec la machine à vapeur ou un métier, leur fierté.
Ils croisèrent aussi quelques nobles, qui les saluèrent d'un sourire ou d'un hochement de tête, suivant le rang. Soit on se connaissait soit on jetait un coup d'œil aux armoiries brodées sur un réticule pour une femme, la veste intérieure chez l'homme.
Si je ne me promenais pas avec Oreste, ils ne daigneraient pas me regarder. Quoi que tu en dises, Perrine, nous méritons de reprendre notre place dans la bonne société. Cette place, dont nous ont privés nos parents avec leur attitude irresponsable.
— Nous sommes arrivés, lui indiqua soudain Oreste.
Melinah cilla, ils se trouvaient devant une maison à deux étages, un luxe sur ce plateau, dont la façade représentait un champ de fleurs sous un ciel brumeux d'été. Par petites touches fines et colorées.
J'entendrai presque les abeilles bourdonner.
Courir dans un tel pâturage lui aurait plu, mais ce comportement ne siérait pas à une jeune femme de la bonne société. Heureusement, la porte d'entrée qui s'ouvrit sur une Adélaïde au large sourire mit fin à ses rêveries. La tante de Daphné s'essuyait les mains sur un chiffon, alors que les taches prenaient surtout leurs aises sur son tablier et ses cheveux blonds, presque blancs. Une image d'un certain bonheur.
Une image qui la pétrifia.
La silhouette d'Imany s'était superposée à celle d'Adélaïde dans son esprit. Sa mère aimait tant peindre, que sa joie se communiquait à travers ses tableaux.
Au point d'en mourir et de nous négliger, elle ne mérite plus le qualificatif de mère.
— Vous vous sentez bien, s'inquiéta Oreste à ses côtés.
Il avait posé une main par-dessus la sienne... qu'elle avait crispée sur son bras. Melinah détendit ses doigts, sourit, et s'avança vers Adélaïde.
— La reine m'envoie en ambassadrice pour vous convaincre de réaliser un portrait d'elle.
— Je vous demande pardon ?
— Durant le pique-nique, vous n'avez pas accepté son offre, avec une belle bourse en paiement. Votre liste de commandes pleine pour l'année, avez-vous contredit.
Dites oui, je vous en supplie.
Quand son regard tenta de passer le message, la peintre fronça les sourcils, puis s'exclama :
— Excusez-moi, j'ai tant de choses en tête que j'avais oublié. Je ne peux déroger à ma règle aussi facilement.
— C'est la reine, intercéda Oreste, choqué.
Il jeta un coup d'œil autour de lui, comme s'il craignait de voir débarquer une brigade de policiers. Adélaïde se moqua gentiment de lui :
— Les souverains ne sont pas si autoritaires, et ma réputation me protège.
Plutôt calculateur, corrigea Melinah.
— Amaranthe met cette condition pour tester ma loyauté en vue de ma réintégration dans la noblesse.
— Et de notre future union, précisa Oreste.
— J'appelle cela du chantage, mais en souvenir de votre mère, je vais tenter de trouver un créneau.
— Chantage pour chantage, intervint une voix, j'exige d'abord un tableau de vous, belle Melinah.
Daphné les rejoignait, aussi barbouillée que sa tante, et une envie incongrue d'effacer la traînée verte qui dissimulait ses taches de rousseur tenailla Melinah. Tête détournée, elle répliqua d'un ton plus froid qu'elle le désirait.
— Si Oreste ne voit pas d'inconvénient et a du temps devant lui, je pourrais envisager la demande.
— Du temps devant lui ? Mais non, interdit qu'il reste pendant la séance. La présence d'un intrus m'empêche de me concentrer.
— Mademoiselle Beauciel passe sa matinée avec moi, argua ce dernier, avec hauteur. Un vol en aérocab me paraît plus agréable par ce soleil que de s'enfermer dans une pièce ou de prendre une pause durant des heures.
Oreste si doux serait... jaloux ?
Sa propre question l'étonna : elle ne rencontrait Daphné que pour la seconde fois, et c'était une femme. Roturière de surcroît. La jeune peintre ne représentait donc pas une menace.
Quant à la concernée, elle afficha un air de conspiration.
— Refuseriez-vous mon cadeau de fiançailles ou de mariage ?
Oreste ouvrit la bouche, la ferma, pinça les lèvres, hésita, avant de se décider. Enfin presque.
— À vous de choisir, ma chère.
Son regard suspicieux démentait ses paroles, mais Melinah considérait sa mission plus importante que les états d'âme du jeune homme.
Et sa jalousie n'a aucun sens.
Cependant, elle lui décrocha un magnifique sourire et des mots prudents.
— Vous offrir ce portrait, peint par une des plus grandes artistes de Nébelisse, pour notre union me paraît une excellente idée. Je m'en voudrais de ne pas la saisir.
Puisque refuser mettrait Oreste en porte à faux ou pire, le qualifierait de goujat, il se contenta de toucher son chapeau.
— Je m'incline face au souhait de trois belles dames.
— Venez après-demain au marquisat, lui souffla Melinah. Je m'arrangerai pour obtenir ma journée.
Elle avait perçu la tension dans la posture d'Oreste, malgré le ton conciliant, et ne tenait pas à ce qu'ils se quittent en mauvais terme. Sa proposition fit mouche. La raideur disparut, et son futur fiancé les abandonna.
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